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Les mains de Mamadou - un garçon de 14 ans atteint de polio et qui a survécu à la crise en République centrafricaine -  sont plus petites que les mains de ma fille de 2 ans. Nous nous sommes rencontrés pour la première fois au mois de juin de l’année passée. Depuis, nous jouons au même jeu à chaque fois que nous nous voyons : il met sa main chétive dans la mienne et compte jusqu’à dix, en français, en arabe puis dans sa langue natale, le mbororo.

Mais lorsque je suis allé voir Mamadou cette semaine dans le lugubre camp de déplacés de Yaloké, situé à 160 kilomètres au nord de la capitale Bangui, il était évident que quelque chose n’allait pas. Mamadou, un Peul musulman, était sujet à de violentes quintes de toux et pouvait à peine s’asseoir droit. Son père était désespéré et nous répétait que l’hôpital des environs n’avait pas les médicaments adéquats pour soigner son fils.

Emmener Mamadou à un autre hôpital situé dans la ville de Bossemptélé à seulement 70 kilomètres de là, s’avéra être un défi d’envergure. Des milliers de musulmans vivant à l’ouest de la République centrafricaine furent évacués au début de l’année 2014 dans des pays voisins par des soldats de la paix africains et français. Mais en avril 2014, le gouvernement de transition centrafricain s’opposa à ce que l’on procède à de nouvelles évacuations sans qu’il ne donne son autorisation pour ne pas donner l’impression qu’il était complice du nettoyage ethnique. Par conséquent, des centaines de musulmans furent abandonnés à eux-mêmes et pris au piège dans des enclaves mal délimitées à l’ouest du pays. On les empêcha ainsi de fuir pour se mettre en sécurité au Cameroun et dans d’autres pays limitrophes, et ils ne purent quitter ces enclaves par peur d’être brutalement attaqués par des milices anti-balaka.

Mamadou, un jeune garçon de 14 ans atteint de polio, qui a survécu à la crise en République centrafricaine, est assis avec son père dans un camp pour personnes déplacées dans la ville de Yaloké. Il souffre de grave malnutrition et les conditions de vie dans le camp sont abominables. République centrafricaine, 18 janvier 2015.
© 2014 Marcus Bleasdale/VII pour Human Rights Watch


Les soldats de la paix des Nations Unies qui ont succédé en septembre 2014 à ceux de l’Union africaine pour maintenir la paix et la sécurité en RCA, respectèrent la décision du gouvernement et ne protégèrent pas les musulmans qui cherchaient à fuir. Dans l’enclave de Yaloké, ils sont même allés plus loin et ont empêché les musulmans de s’échapper en faisant usage de la force pour qu’ils n’embarquent pas à bord de convois de camions commerciaux qui se rendaient au Cameroun. Ces convois sont, pour beaucoup de musulmans, la seule chance et le meilleur chemin pour se mettre en sécurité.

Après avoir imploré sa cause avec insistance, et grâce à une lettre de l’hôpital de Bossemptélé qui expliquait l’urgence de son état de santé, on permit finalement à Mamadou et sa mère de se rendre à l’hôpital où on lui diagnostiqua une infection pulmonaire avancée. Les antibiotiques administrés lui sauvèrent la vie.

Mais la guérison de Mamadou ne met pas fin à la souffrance des quelques 500 Peuls obligés de rester dans l’enclave de Yaloké. Ceux qui sont pris au piège à Yaloké doivent faire face à des conditions de vie effroyables et un nombre alarmant de personnes sont décédées alors que cela aurait pu être évité. Depuis février 2014, au moins 44 musulmans Peuls, dont de nombreux enfants, sont morts à Yaloké, de malnutrition, de problèmes respiratoires et d’autres maladies. En juin puis en décembre 2014, Human Rights Watch a tiré la sonnette d’alarme et a insisté sur la nécessité d’évacuer de toute urgence cette communauté de musulmans.

Enfants sous-alimentés dans le camp de déplacés musulmans de Yaloké. Ils sont réunis avec leurs mères. République centrafricaine, 18 janvier 2015.
© 2014 Marcus Bleasdale/VII pour Human Rights Watch


Les agences humanitaires des Nations Unies ont répondu à notre appel. Le 9 décembre, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et l’UNICEF ont publié un rapport appelant à l’évacuation des Peuls de Yaloké. Cependant, leurs recommandations n’ont pas été mises en œuvre. Les Nations Unies ont tenu de nombreuses réunions sur le besoin d’agir, mais semblent bloquées par un gouvernement qui, jusqu’ici, a refusé de modifier sa ligne politique.

Cela ne peut pas continuer. Deux choses doivent être mises en place très rapidement. Premièrement, l’assistance médicale et humanitaire doit être fournie de toute urgence aux musulmans de Yaloké. Il y a des organisations humanitaires qui travaillent pour les Nations Unies dans cette enclave, mais leurs efforts ne permettent pas de faire baisser le taux de mortalité, et les Nations Unies doivent rapidement trouver pourquoi.

Deuxièmement, le gouvernement de transition doit changer sa politique et sa façon de travailler avec les Nations Unies pour aider les musulmans qui veulent partir. La Présidente par intérim, Catherine Samba-Panza, a pris ses fonctions il y a exactement un an. Elle devrait profiter de cette occasion pour modifier la politique de son gouvernement en matière d’évacuations. Continuer d’entraver les droits des citoyens musulmans à la libre circulation dans leur propre pays ou à chercher asile à l’étranger est tout simplement indéfendable, et les Casques bleus des Nations Unies ne devraient pas être complices d’empêcher les musulmans de se mettre à l’abri.

La crise en République Centrafricaine est techniquement une des principales priorités de l’agenda humanitaire international : déclarée par les Nations Unies comme situation d’urgence de niveau L3 pendant une bonne partie de l’année dernière, le niveau appliqué à la crise en Syrie. Le destin de ceux qui sont pris au piège à Yaloké et dans d’autres enclaves doit donc être une priorité absolue. Le temps des débats et des réunions interminables est révolu. C’est l’heure d’agir pour arrêter que d’autres enfants musulmans meurent inutilement.

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