(Bangui) – Des milliers d'habitants des derniers quartiers musulmans de Bangui, la capitale de la République centrafricaine, sont l'objet d'agressions incessantes. Ils ne sont pas suffisamment en sécurité pour continuer de vivre paisiblement à Bangui, ni pour se déplacer vers d'autres régions. Depuis le 22 mars 2014, des miliciens anti-balaka et d'autres combattants vêtus d'uniformes de l'armée nationale ont tué au moins huit résidents musulmans et en ont blessé plusieurs autres.
Le gouvernement, avec un appui accru de la part de la communauté internationale, devrait réfréner les forces responsables de ces attaques et intensifier les efforts pour créer des conditions de vie sûres pour la minorité musulmane du pays. L'Union européenne devrait honorer d'urgence sa promesse de renforcer les efforts de maintien de la paix en République centrafricaine.
« De nombreux habitants de Bangui se sentent pris au piège – dans l'impossibilité de rester, mais aussi de partir», a déclaré Philippe Bolopion, directeur de plaidoyer auprès des Nations Unies pour Human Rights Watch. « Ils risquent d'être lynchés ou agressés dans la rue s'ils tentent de se rendre dans un autre quartier, ou de quitter la capitale.»
Les musulmans ont été contraints à des déplacements massifs depuis que les forces anti-balaka ont commencé à s'en prendre aux bastions de la Séléka, une coalition de forces à dominante musulmane, à Bangui le 5 décembre. Les forces internationales déployées dans la capitale devraient renforcer la sécurité aux alentours des quartiers de Kilomètre 5 et de PK 12, en particulier, et fournir des escortes aux habitants qui décident de quitter la ville avec leurs biens.
Les forces anti-balaka cherchent à se venger des attaques brutales perpétrées par la Séléka, qui avait pris le contrôle du pays lors d’un coup d'État en mars 2013 mais a été chassée du pouvoir en janvier 2014.Les combattants anti-balaka ont attaqué à plusieurs reprises le quartier du Kilomètre 5, le 22 mars. Lors d'une de ces attaques, les anti-balaka ont tué quatre hommes, dont le fils et le frère du maire du quartier, Atahirou Balla Dodo. Les deux hommes s'étaient joints à d'autres résidents pour essayer de repousser l'attaque. Les combattants ont tué par balles Abdouraman Dodo, âgé de 33 ans, et Chaibou Dodo, 28 ans.
Un témoin, Hassan Mahamat Bako, a déclaré à Human Rights Watch: « Nous étions environ 60 personnes et nous revenions d'un barrage routier, quand nous avons entendu plusieurs coups de feu. Ils sont tombés juste devant nous.»Saddam Djali, 21 ans, et Fayçal Sadjio, 25 ans, ont également été tués dans cette attaque.
Des témoins ont affirmé à Human Rights Watch que certains des assaillants étaient armés de fusils kalachnikov et portaient des amulettes typiques des anti-balaka, tandis que d'autres étaient vêtus d'uniformes de l'armée nationale, les Forces armées centrafricaines (FACA). Des habitants musulmans chargés de protéger le quartier ont affirmé que pour cette tâche, ils étaient armés essentiellement de machettes, d'arcs et de flèches, et de lances. Cependant, certains habitants ont reconnu auprès de Human Rights Watch qu'ils étaient aussi armés de fusils. Ils ont également indiqué que les défenseurs avaient utilisé au moins une grenade le 22 mars, et que certains résidents avaient tué un combattant anti-balaka.
Un habitant du Kilomètre 5 a dit à Human Rights Watch: « Un combattant anti-balaka s'est caché dans une maison et a essayé de tirer sur nous mais quelqu'un a lancé une grenade. Il a été blessé et nous l'avons achevé à coups de gourdins et de couteaux.»
La situation à Bangui est très tendue, les anti-balaka bloquant régulièrement les routes d'accès à l'aéroport ou attaquant les forces françaises et africaines qui tentent de s'opposer à eux. Au moins quatre soldats de la paix africains ont été blessés par les forces anti-balaka le weekend dernier, a indiqué un responsable de l'Union africaine (UA). Le 25 mars, des membres du personnel de Human Rights Watch ont entendu des tirs nourris près de l'aéroport et ont vu des individus piller des maisons dans des quartiers musulmans désertés.
Atahirou Balla Dodo, le maire de Kilomètre 5, a déclaré qu'il ne restait plus que quelques milliers d'habitants musulmans dans ce quartier où vivaient environ 124 000 musulmans avant que les violences n'éclatent en janvier. Selon des responsables d'organisations humanitaires, il ne reste plus qu’environ 10 000 musulmans dans le quartier de Kilomètre 5.
Depuis le 5 décembre, les résidents du quartier de Kilomètre 5 sont dans l'impossibilité d'atteindre le cimetière musulman, situé dans un autre secteur de Bangui. En conséquence, ils sont contraints d'enterrer leurs proches sur leurs propriétés. Human Rights Watch a confirmé l'existence de cinq nouvelles sépultures à proximité de maisons du quartier, dont trois à côté de la maison du maire.
Un habitant a déclaré à Human Rights Watch qu'il avait été attaqué il y a deux semaines alors qu'il s'était aventuré hors du quartier pour acheter des légumes. Aliou Housseini, âgé de 62 ans, imam et directeur d'une école coranique, a affirmé avoir été agressé par un groupe « d'enfants des rues » et par de jeunes hommes armés de machettes, de bâtons et de pierres. Il a été secouru par des soldats de la paix de l'Union africaine.
Le 21 mars, une bande a essayé de lyncher Saoudi Abdouraman et deux membres de sa famille alors qu'ils étaient dans une banque au Kilomètre 0, l'un des quartiers les plus sûrs de Bangui. Abdouraman a déclaré à Human Rights Watch qu'une bande s'était formée devant la banque, qui était sous la protection de soldats de la paix de l'UA.
« Ils criaient qu'ils tueraient tous les musulmans et qu'ils voulaient incendier notre voiture», a-t-il dit. « Un militaire des FACA m'a dit que si nous leur versions 300 000 francs CFA (630 dollars), nous pourrions quitter les lieux en toute sécurité. J'ai reconnu ces types. J'avais joué au football avec certains d'entre eux. À l'intérieur de la banque, des clients riaient et ont alerté la meute dehors quand nous avons tenté de nous enfuir par une porte dérobée.»
Alaldji Oumar, un responsable local à qui les autorités tchadiennes ont demandé de les aider à confirmer la nationalité des personnes souhaitant être rapatriées au Tchad, a déclaré à Human Rights Watch que les hommes d'affaires du quartier avaient préparé 100 camions de gros tonnage pour partir en emportant leur marchandise.
« Nous pouvons abandonner nos logements et nos meubles mais pas notre marchandise», a-t-il dit. « Autrement, nous nous retrouverions sans rien, où que nous allions. Mais nous sommes prêts et beaucoup d'habitants du Kilomètre 5 veulent partir.»Toutefois, ils attendaient toujours une escorte des forces internationales et une autorisation du gouvernement pour pouvoir partir.
« Les anti-balaka et leurs alliés au sein de l'armée nationale ont presque atteint leur objectif: le pays est en train de perdre rapidement sa population musulmane», a affirmé Philippe Bolopion. « La communauté internationale et le nouveau gouvernement centrafricain sont dans une large mesure restés les bras croisés alors qu'une importante minorité, qui faisait partie de la structure du pays, a été forcée de partir.»
Les habitants ont créé un camp improvisé de personnes déplacées autour de la mosquée centrale du quartier. De nombreux résidents de ce camp sont des musulmans d'autres quartiers de Bangui, venus se réfugier au Kilomètre 5 pour des raisons de sécurité. Des résidents du camp ont déclaré qu'ils manquaient de nourriture, d'installations sanitaires et de soins médicaux.
L'un de ces résidents déplacés, venu du quartier de Miskine, a dit à Human Rights Watch: « Tout ce que nous avons bâti pendant 30 ans a été détruit en une journée. Nous ne pouvons pas sortir, je ne peux pas aller à l'université et ici, nous n'avons que peu de nourriture et pas de médecin pour nous soigner. Ils veulent s'emparer de ce quartier.»
Un jeune venu du quartier du Kilomètre 5 a indiqué à Human Rights Watch que ses anciens partenaires dans une équipe de basketball l'avaient attaqué avec une machette, avaient volé son argent et menacé de le tuer: « Ils étaient [auparavant] comme des cousins pour moi. Ils ont dit que j'étais un espion, que je voulais tuer des chrétiens.»
Trois mille musulmans sont également pris au piège au nord de la ville, dans un camp de fortune pour personnes déplacées dans le quartier PK12. Bien que des soldats de maintien de la paix envoyés par la France et par la République démocratique du Congo soient stationnés à un kilomètre de là, des combattants anti-balaka ont réussi à plusieurs reprises à attaquer les résidents musulmans de ce camp. Les troupes de maintien de la paix peuvent répondre aux affrontements mais ne peuvent pas toujours les empêcher, a déclaré Human Rights Watch.
À PK12, un responsable musulman déplacé a affirmé que le nombre de personnes qui se cachent encore dans ce quartier avait diminué, passant de 10 000 en janvier, lorsque des camions venus du Tchad emmenaient les résidents vers la frontière, à 2 400 début mars, quand les camions ont cessé les évacuations vers le Tchad. Depuis lors, les personnes déplacées restantes sont prises au piège. Il a précisé que les anti-balaka menaient des attaques quotidiennement: « La menace est constante. Nous sommes encerclés par les anti-balaka et nous n'avons que des arcs et des flèches pour nous défendre.»
Démontrant combien les musulmans souhaitent désespérément quitter Bangui, des scènes de chaos se sont déroulées lorsque les derniers camions évacuant des personnes vers le Tchad ont traversé le quartier PK12 le 7 mars. Dans le désordre général, des familles se sont trouvées séparées et cinq enfants, âgés approximativement de 3 à 6 ans, ont été tués, écrasés par des bagages. Une femme déplacée a dit à Human Rights Watch: « Nous nous sommes tous précipités vers les camions lorsqu'ils sont passés. Cela a été un désordre total.»
« Le nouveau gouvernement et les forces internationales doivent être beaucoup plus proactives lorsqu'il s'agit de patrouiller dans les quartiers musulmans et de faire rendre des comptes à quiconque commet des exactions à l'encontre des habitants», a conclu Philippe Bolopion. « Bien qu'elles ne devraient pas encourager les résidents à s'exiler, les forces internationales devraient protéger les vies, aussi bien des personnes qui décident de rester dans le pays que de celles qui veulent partir.»