(Nairobi, le 11 mars 2014) – Le gouvernement malien devrait engager une large consultation en vue de l’instauration d’une commission vérité crédible et indépendante pour étudier les exactions perpétrées depuis la proclamation de l’indépendance du pays en 1960, a déclaré Human Rights Watch. Deux décisions exécutives – à savoir un décret et une ordonnance – portant création de la Commission vérité, justice et réconciliation feront l’objet de discussions cette semaine devant l’Assemblée nationale du Mali.
En vertu de ce décret et de cette ordonnance, la commission qu’il est ainsi question d’instaurer relèverait du ministère de la Réconciliation nationale et du Développement des régions du Nord, lequel serait chargé de sélectionner les commissaires ; aucune consultation publique ne serait prévue pour déterminer la composition, le mandat et les compétences de la commission. Or, pour que la commission soit efficace et considérée légitime, une démarche structurée et consultative devrait être menée auprès de groupes largement représentatifs de la société malienne, a indiqué Human Rights Watch.
« Le peuple malien bénéficiera grandement d’un processus d’établissement de la vérité permettant de mieux lutter contre la violence, la pauvreté et le conflit qui perdurent depuis des décennies avec un effet dévastateur sur la vie et les espoirs des Maliens », a commenté Corinne Dufka, chercheuse senior sur l’Afrique de l’Ouest à Human Rights Watch. « Cependant, pour que ce processus soit crédible et efficace, il devra bénéficier de la participation et de l’adhésion d’un groupe largement représentatif de la société. »
La mise en œuvre d’un mécanisme efficace dédié à la vérité, à la justice et à la réconciliation au Mali pourrait avoir d’importantes répercussions sur l’avenir du pays, a souligné Human Rights Watch. Premièrement, il permettrait de faire la lumière sur des atrocités commises lors des conflits armés passés, notamment celles subies par les populations du Nord, mais qui ont fait l’objet d’enquêtes insuffisantes. Deuxièmement, ce mécanisme permettrait d’étudier les facteurs qui ont engendré et prolongé les crises maliennes et leurs multiples facettes, tels que la négligence de l’État, un État de droit faible, la mauvaise gouvernance et la corruption endémique. Troisièmement, il permettrait d’analyser les dynamiques à l’origine des tensions communautaires et ethniques qui se sont aggravées ces dernières années et sont susceptibles d’éclater de nouveau. Enfin, il pourrait servir à émettre des recommandations pour empêcher que ne se reproduisent les exactions passées, et pour améliorer le respect des droits humains.
Une commission réconciliation a été créée en mars 2013 par le gouvernement provisoire de l’époque. Mais elle a été largement rejetée par différents groupes maliens au motif que le choix de ses membres et son mandat n’avaient pas fait l’objet d’une consultation plus large. En effet, de nombreux Maliens souhaitaient que le rôle de cette commission soit également d’aborder la question de l’impunité relative aux exactions, notamment en étant autorisée à recommander la traduction en justice des individus concernés.
Suite à son entrée en fonction en septembre 2013, le Président Ibrahim Boubacar Keita s’est engagé à créer une commission qui, en plus de s’intéresser au conflit récent, se pencherait également sur la justice et la vérité. La commission qu’il est ainsi proposé d’instaurer disposera d’un mandat de trois ans ; elle couvrira la période allant de 1960 à 2013 et se composera de 15 membres et de sept groupes de travail.
Pour instaurer une commission crédible, indépendante et efficace, l’Assemblée nationale devrait proposer des mesures pour veiller à ce que :
- La commission soit indépendante des autres branches du gouvernement. Le fait de placer la commission sous la responsabilité du ministère de la Réconciliation nationale et du Développement des régions du Nord la rendrait susceptible à l’ingérence politique, et affecterait la manière dont sa neutralité serait perçue ;
- Un large processus de consultation sur son mandat et sa composition soit lancé en impliquant, entre autres, des groupes d’activistes et de défense des droits humains, des groupes de femmes, des groupes de jeunes, des partis politiques, des syndicats, des groupes de victimes, la diaspora, et des représentants de confessions religieuses, des forces de sécurité et des factions belligérantes ;
- Des critères clairs et objectifs soient établis pour nommer les commissaires, y compris concernant leurs antécédents moraux et professionnels, leur impartialité et leur engagement envers les normes internationales relatives aux droits humains ;
- Tous les commissaires dont la nomination est proposée fassent l’objet d’audiences de confirmation publiques ;
- Des réglementations soient mises en œuvre pour clarifier le mandat de la commission au sein d’un cadre dédié aux droits humains ;
- Des réglementations prévoient des pouvoirs d’investigation destinés, notamment, aux témoins à comparaître ; des audiences publiques ; et la rédaction d’un rapport public final émettant des recommandations dans le domaine de la responsabilité, y compris en matière de réparations et d’affaires devant faire l’objet d’une enquête pénale, ainsi qu’à l’attention d’autres réformes institutionnelles ; et que
- La commission s’inscrive dans le cadre de mesures plus générales destinées à l’établissement de la vérité et à la responsabilité et qui incluent la traduction en justice en cas de crime graves. S’il est vrai que les commissions vérité sont en mesure de satisfaire les besoins des victimes et des communautés, des mécanismes de justice sont nécessaires pour répondre aux atteintes graves aux droits humains.
« L’Assemblée nationale devrait veiller à ce que la future commission vérité reflète l’ensemble de la société malienne, et ne soit pas perçue comme représentant uniquement certains intérêts particuliers », a ajouté Corinne Dufka. « Compte tenu de l’importance de l’enjeu, il n’y a pas de droit à l’erreur. »