Skip to main content

Questions et réponses sur Laurent Gbagbo et la Cour pénale internationale

L’ex-président de la Côte d’Ivoire est accusé par la CPI de quatre chefs de crimes contre l’humanité

1. Qui est Laurent Gbagbo et quelles sont les charges retenues contre lui ?

2. Que s’est-il passé en Côte d’Ivoire ?

3. Comment la CPI a-t-elle été habilitée à ouvrir une enquête en Côte d’Ivoire ?

4. Pourquoi l’audience de confirmation des charges est-elle importante ? S’agit-il d’un procès ?

5. La défense a-t-elle contesté la compétence de la CPI ?

6. Qui paie pour la défense de Gbagbo ?

7. L’audience ne devait-elle pas commencer plus tôt ?

8. D’autres affaires concernant la Côte d’Ivoire seront-elles déférées devant la CPI ?

9. Des affaires liées aux crimes postélectoraux sont-elles en instance devant les tribunaux ivoiriens ?

10. La CPI prend-elle l’Afrique pour cible ?

 

1. Qui est Laurent Gbagbo et quelles sont les charges retenues contre lui ?

Laurent Gbagbo est l’ex-président de la Côte d’Ivoire. Il est accusé par la Cour pénale internationale (CPI) de quatre chefs de crimes contre l’humanité : meurtres, viols et autres formes de violence sexuelle, actes de persécution, et autres actes inhumains. Ces crimes auraient été commis par les forces se trouvant sous son contrôle lors des violences postélectorales dont la Côte d’Ivoire a été le théâtre entre le 28 novembre 2010 et la mi-mai 2011. Il est accusé d’être responsable de ces crimes en tant que coauteur indirect ou, à titre subsidiaire, parce qu’il a contribué, à la commission ou à la tentative de commission de crimes « par un groupe de personnes agissant de concert ».

 

Gbagbo a été capturé par les forces pro-Ouattara le 11 avril 2011. Il est resté en détention provisoire en Côte d’Ivoire jusqu’à ce qu’il soit transféré à La Haye, siège de la CPI, le 29 novembre 2011, en vertu du mandat d’arrêt délivré par la cour.

 

2. Que s’est-il passé en Côte d’Ivoire ?

Gbagbo a refusé de quitter le pouvoir lorsque la Commission électorale indépendante et les observateurs internationaux ont proclamé son rival, Alassane Ouattara, vainqueur de l’élection présidentielle du 28 novembre 2010–déclenchant des violences qui ont duré cinq mois. Au moins 3 000 personnes ont été tuées et plus de 150 femmes violées au cours de la crise, souvent dans le cadre d’actes ciblés perpétrés par les forces armées des deux camps en fonction de critères politiques, ethniques et religieux.

 

Les violences postélectorales de 2010-2011 ont été le point culminant d'une décennie de violations des droits humains et d'impunité en Côte d'Ivoire– en particulier pendant le conflit armé de 2002-2003, lequel a divisé le pays entre le nord contrôlé par les rebelles et le sud contrôlé par le gouvernement Gbagbo jusqu’au scrutin présidentiel de 2010. Bon nombre de dirigeants militaires et politiques impliqués dans les crimes internationaux graves commis en 2010-2011 avaient également été impliqués dans des crimes similaires perpétrés lors du conflit armé de 2002-2003 et dans sa foulée. Lors de cette période, Human Rights Watch avait recueilli des informations sur des massacres, des exécutions sommaires, des violences sexuelles, ainsi que sur le recrutement d’enfants soldats. Personne n’a été traduit en justice pour ces crimes. Dans une décision rendue début 2012, les juges de la CPI ont clairement précisé que l’enquête du procureur pouvait inclure des crimes qui relèvent de la CPI remontant jusqu’à septembre 2002.

 

À partir de décembre 2010, des unités de la force de sécurité d’élite étroitement liées à Gbagbo ont enlevé des responsables politiques locaux associés à la coalition de Ouattara, les traînant hors de restaurants ou hors de chez eux et les forçant à entrer dans des véhicules en faction. Leurs proches ont ensuite retrouvé les corps des victimes à la morgue, criblés de balles. Les milices pro-Gbagbo gardant les postes de contrôle informels établis à travers la ville d’Abidjan ont assassiné des dizaines de partisans réels ou présumés de Ouattara, les battant à mort à l’aide de briques, les exécutant à bout portant avec des fusils, ou les brûlant vifs. Des femmes actives dans la mobilisation des électeurs – ou qui portaient simplement des t-shirts pro-Ouattara – ont été prises pour cible et ont souvent été victimes de viols collectifs commis par des membres des forces de sécurité ou des milices pro-Gbagbo.

 

Alors que les pressions internationales se multipliaient pour que Gbagbo quitte le pouvoir, la violence s’est intensifiée. La Radiodiffusion Télévision Ivoirienne (RTI), contrôlée par le gouvernement Gbagbo, a incité à recourir à la violence contre les groupes pro-Ouattara et a exhorté les partisans de Gbagbo à ériger des barrages routiers et à « dénoncer les étrangers », dont beaucoup ont ensuite été assassinés. Ces faits ont été, à bien des égards, l’aboutissement de dix années de manipulation par le gouvernement Gbagbo de l’ethnicité et de la citoyenneté, période au cours de laquelle les Ivoiriens du nord ont été traités comme des citoyens de seconde zone et les immigrés ouest-africains comme des indésirables. Entre février et avril 2011, des centaines de personnes des deux groupes ont été tuées à Abidjan et dans l’extrême ouest du pays, parfois sur la seule base de leur nom ou de leur tenue vestimentaire. Des mosquées et des dirigeants religieux musulmans ont également été pris pour cible.

 

Les exactions perpétrées par les forces pro-Ouattara ont pris une ampleur comparable lorsqu’elles ont entamé leur offensive militaire en mars 2011 pour s’emparer du pouvoir dans le pays. Dans l’extrême ouest, village après village, les membres des Forces républicaines fidèles à Ouattara ont tué des civils appartenant aux groupes ethniques associés à  Gbagbo, y compris des vieillards incapables de fuir ; ils ont violé des femmes ; et ils ont réduit des villages en cendres. À Duékoué, des soldats des Forces républicaines et leurs milices alliées ont massacré plusieurs centaines de personnes, traînant hors de chez eux, avant de les exécuter, des hommes non armés appartenant à des groupes ethniques associés aux milices pro-Gbagbo. Par la suite, lors de la campagne militaire visant à s’emparer d’Abidjan et à consolider leur contrôle sur la ville, les Forces républicaines ont à nouveau exécuté des dizaines d’hommes appartenant à des groupes ethniques alignés sur Gbagbo – parfois dans des centres de détention – et elles en ont torturé d’autres.

À l’issue du conflit, Human Rights Watch avait  documenté des crimes de guerre et de probables crimes contre l’humanité perpétrés par les deux camps. Une commission d’enquête internationale mandatée par l'ONU a présenté un rapport au Conseil des droits de l’homme à la mi-juin 2011, établissant également que tant les forces pro-Gbagbo que les forces pro-Ouattara avaient commis des crimes de guerre et de probables crimes contre l’humanité. Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme, les Opérations des Nations Unies en Côte d’Ivoire, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme, Amnesty International et une coalition d’organisations ivoiriennes de défense des droits humains connue sous le nom de Regroupement des Acteurs Ivoiriens des Droits de l’Homme ont tous publié des conclusions similaires. En août 2012, une commission nationale établie par le Président Ouattara a publié un rapport qui documentait également des crimes graves commis par les forces des deux camps, y compris des actes de torture et des centaines d’exécutions sommaires.

 

3. Comment la CPI a-t-elle été habilitée à ouvrir une enquête en Côte d’Ivoire ?

La Côte d’Ivoire n’est pas un État partie à la Cour pénale internationale. Néanmoins, en avril 2003, le gouvernement ivoirien alors dirigé par le Président Gbagbo a adressé une déclaration au titre de l’article 12(3) du Statut de Rome, le traité fondateur de la CPI, reconnaissant la compétence de la cour à dater du 19 septembre 2002. Le Président Ouattara a confirmé la reconnaissance de la compétence de la cour en décembre 2010 et de nouveau en mai 2011. En octobre 2011, les juges de la cour ont autorisé le procureur à ouvrir une enquête en Côte d’Ivoire pour les crimes commis depuis le 28 novembre 2010. En février 2012, la cour a étendu cette autorisation aux crimes perpétrés en Côte d’Ivoire depuis le 19 septembre 2002. 

 

4. Pourquoi l’audience de confirmation des charges est-elle importante ? S’agit-il d’un procès ?

L’audience de confirmation des charges retenues contre Gbagbo—le premier ex-chef d’État détenu par la CPI—permet aux victimes de se rapprocher un peu de la vérité à propos de son rôle dans les violences postélectorales. Elle renforce également le message faisant comprendre que ceux qui commettent des atrocités alors qu’ils se trouvent apparemment en position de force peuvent être tenus de répondre de leurs actes, quelle que soit leur fonction officielle. L’audience de Gbagbo intervient presque un an après que l’ancien président libérien Charles Taylor a été jugé coupable par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone d’avoir aidé et incité à commettre des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité et a été condamné à une peine de 50 ans d’emprisonnement. Human Rights Watch a indiqué dans un  rapport datant de juillet 2012 que le procès de Charles Taylor démontre que des poursuites crédibles à l’encontre de suspects aux plus hauts niveaux pour des crimes très graves sont possibles.

 

L’audience n’est pas un procès, ni même un mini-procès. Il s’agit plutôt d’une audience préliminaire qui permettra aux juges d’évaluer si le procureur dispose de suffisamment d’éléments de preuve pour passer à l’étape du procès sur la base des faits imputés dans l’acte d’accusation. Le procureur ne doit pas présenter tous ses éléments de preuve, mais uniquement un nombre d’éléments suffisant pour convaincre les juges qu’il existe « des motifs substantiels de croire » que Gbagbo a commis les crimes qui lui sont imputés. Gbagbo, par l’intermédiaire de ses avocats, peut récuser les charges et contester les éléments de preuve avancés par l’accusation. Ses avocats peuvent également présenter des preuves à décharge en son nom.

 

Les victimes peuvent aussi participer à l’audience – à ce jour les juges de la cour ont autorisé 199 victimes à participer à l’audience par l’intermédiaire d’un représentant légal commun. Ce dernier est notamment habilité à assister aux sessions publiques de l’audience de confirmation des charges et à faire de brèves déclarations à l’ouverture et à la clôture de l’audience.

 

5. La défense a-t-elle contesté la compétence de la CPI ?

Oui, l’équipe de défenseurs de Gbagbo a contesté la compétence de la CPI pour connaître de l’affaire, mais cette requête a été rejetée par la chambre préliminaire. La chambre d’appel a confirmé que la CPI est compétente en la matière.

 

6. Qui paie pour la défense de Gbagbo ?

Dès son transfèrement à la CPI, Gbagbo a indiqué qu’il était indigent. Le greffier de la CPI, l’administrateur en chef de la cour, lui a accordé une aide judiciaire provisoire au cours de la phase préliminaire de l’affaire afin de garantir ses droits et d’assurer le bon déroulement de l’instance. Cette décision peut toutefois être revue à tout moment s’il est établi que Gbagbo est à même de faire face aux frais de sa défense.

 

Il est indispensable que les pays coopèrent avec la CPI dans les efforts qu’elle met en œuvre pour identifier les avoirs d’un suspect, afin que le greffe puisse déterminer avec exactitude sa capacité de payer sa représentation légale. La coopération des États se révèle particulièrement importante du fait que le budget de la CPI, surtout la partie destinée à l’aide judiciaire, est soumis par ses pays membres à un examen de plus en plus approfondi. L’assistance dans l’identification des avoirs d’un suspect peut également s’avérer importante dans le cas où un accusé est déclaré coupable et où la cour juge que ses victimes ont droit à des réparations.

 

Gbagbo a fait l’objet de diverses mesures visant à geler ses avoirs, notamment de la part de l’Union européenne et du Conseil de sécurité des Nations Unies. Certaines informations relayées par les médias signalent d’ailleurs que certains États, dont les États-Unis et la Suisse, ont gelé une partie des avoirs de Gbagbo, se chiffrant apparemment en millions de dollars.

 

7. L’audience ne devait-elle pas commencer plus tôt ?

Oui, l’audience a été reportée à deux reprises. Le début de l’audience était initialement prévu le 18 juin 2012, mais il a été reporté le 12 juin afin de permettre à l’équipe de défenseurs de Gbagbo de mieux se préparer avec les fonds supplémentaires accordés par le greffe peu de temps avant l’audience. L’audience a été reprogrammée pour le 13 août, mais elle a été reportée à nouveau le 2 août pour évaluer l’aptitude de Gbagbo à assister au procès suite à une requête de la défense.

 

Le 2 novembre, les juges de la CPI ont conclu que Gbagbo était apte à participer à l’audience, même si des aménagements spéciaux (tels que des séances plus courtes et une autorisation pour Gbagbo de participer par vidéo-conférence si nécessaire) pourraient être prévus pour s’adapter à son état de santé. L’équipe de défenseurs de Gbagbo a demandé sa libération conditionnelle pour qu’il puisse bénéficier d’un traitement pour sa maladie, mais les juges de la CPI ont décidé que Gbagbo devait rester en détention, considérant qu’il a accès à des soins médicaux appropriés.

 

8. D’autres affaires concernant la Côte d’Ivoire seront-elles déférées devant la CPI ?

Oui. À la fin du mois de novembre 2012, la CPI a levé les scellés sur un mandat d’arrêt, initialement émis en février 2012, à l’encontre de l’ex-Première dame Simone Gbagbo. Elle est accusée de quatre chefs de crimes contre l’humanité qui auraient été perpétrés pendant la même période. Elle est toujours en détention en Côte d’Ivoire où elle doit répondre d’accusations de génocide, entre autres crimes, pour des actes commis pendant la crise postélectorale. Le gouvernement a indiqué qu’il « examinait de près » la demande de la CPI portant sur l’arrestation et le transfert de Simone Gbagbo. Human Rights Watch appelle le gouvernement ivoirien à respecter, conformément au Statut de Rome, son obligation de coopérer avec la cour en transférant Simone Gbagbo à La Haye.Les autorités ivoiriennes ont également la possibilité de contester la compétence de la CPI dans l’affaire Simone Gbagbo si elles décident de la juger en Côte d’Ivoire pour les crimes mentionnés dans le mandat d’arrêt de la CPI. Il reviendrait alors aux juges de la CPI de déterminer si la procédure nationale répond aux critères requis pour un avis favorable à l’exception d'irrecevabilité.
 

 

L’ancien procureur de la CPI Luis Moreno Ocampo a déclaré publiquement que les enquêtes de la CPI suivent leur cours et que le bureau du procureur continuera de « recueillir des éléments de preuve en toute impartialité et en toute indépendance, et saisir[a] la Cour d’autres affaires, quelle que soit l’affiliation politique des personnes concernées ». Le fait que seul Gbagbo ait été transféré à la CPI, même s’il s’agit d’une démarche positive, renforce le sentiment en Côte d’Ivoire que la justice rendue est celle du vainqueur.

 

Lors de rencontres avec Human Rights Watch, des militants de la société civile ivoirienne et des responsables de l’ONU se sont inquiétés du fait que les avancées opérées dans les poursuites engagées uniquement à l’encontre du camp Gbagbo pourraient exacerber les tensions et porter atteinte à la crédibilité de la CPI en Côte d’Ivoire. Les enquêtes à l’encontre de suspects appartenant au camp Ouattara enregistrent d’importants retards. Human Rights Watch estime qu’il est indispensable que la nouvelle procureure de la CPI Fatou Bensouda et son bureau progressent rapidement dans l’enquête sur les crimes commis par les forces pro-Ouattara et – si les éléments de preuve le permettent – que des mandats d’arrêt soient émis.

 

Il est crucial que le gouvernement ivoirien coopère pleinement avec la CPI, entre autres dans le cadre des enquêtes en cours et des possibles futurs mandats d‘arrêt.

 

9. Des affaires liées aux crimes postélectoraux sont-elles en instance devant les tribunaux ivoiriens ?

Les parquets civil et militaire ont inculpé au total plus de 150 personnes liées au camp  Gbagbo pour des crimes perpétrés durant la crise postélectorale. Aucun membre des forces pro-Ouattara n’a été inculpé de crimes de cette nature.  

 

Bon nombre des accusés appartenant au camp Gbagbo se trouvent en détention depuis près de deux ans. Le parquet civil de Côte d’Ivoire a tout d’abord inculpé les détenus civils—principalement l’élite politique du camp Gbagbo, y compris l’épouse de Laurent Gbagbo, Simone—de crimes économiques et de crimes contre l’État.

 

Des crimes de sang ont été ajoutés à l’acte d’accusation établi contre au moins 55 prévenus, y compris des personnes, dont Simone Gbagbo, qui ont été inculpées pour génocide. Le gouvernement ivoirien a indiqué que d’autres accusés civils seront probablement inculpés de crimes de sang perpétrés pendant la crise postélectorale.

 

Le tribunal militaire a terminé en octobre 2012 son premier procès majeur concernant les crimes de la crise postélectorale. Cinq anciens dirigeants militaires de Gbagbo, dont le général Bruno Dogbo Blé, ancien chef de la Garde républicaine, ont été jugés coupables  d’enlèvement et de meurtre. Dogbo Blé a été condamné à 15 ans de prison. Hormis les procès en instance au niveau national, la Côte d’Ivoire a émis des mandats d’arrêt visant d’autres responsables civils et militaires du camp Gbagbo qui se trouvent en exil. Le 17 janvier, les autorités ghanéennes ont arrêté le ministre de la Jeunesse sous Gbagbo pendant la crise, Charles Blé Goudé, dans le cadre d’un des mandats d’arrêt. Dès le lendemain, Blé Goudé a été extradé vers la Côte d’Ivoire, où il a été mis en examen pour crimes de guerre et meurtre, entre autres crimes présumés.

 

Alors que les poursuites à l’encontre des responsables pro-Gbagbo avancent bien, l’appareil judiciaire ivoirien n’a encore inculpé aucun membre des forces pro-Ouattara pour les crimes postélectoraux qui ont été commis, en dépit des nombreux documents émanant d’organisations internationales et nationales indépendantes qui témoignent de la perpétration de crimes atroces. Le Président Ouattara a promis à plusieurs reprises une justice impartiale pour ces crimes. Pourtant, la réalité montre que, jusqu’à présent, seul un camp fait l’objet de poursuites judiciaires. Lors de réunions avec Human Rights Watch, d’éminents membres de la société civile ivoirienne ont fréquemment déclaré qu’à leurs yeux, ce processus judiciaire n’était ni crédible ni indépendant.

 

Des responsables du gouvernement ivoirien, dont le Président Ouattara, ont signalé que des enquêtes visant tous les camps étaient en cours, invoquant les travaux d’une cellule spéciale d’enquête chargée d’enquêter sur la crise postélectorale. Néanmoins, presque deux ans après que Ouattara eut pris véritablement le contrôle du pays, les progrès dans ces enquêtes se font largement attendre.

 

Human Rights Watch estime indispensable que le gouvernement ivoirien veille à ce que les forces pro-Ouattara impliquées dans des crimes graves fassent l’objet de poursuites, et ce dans les plus brefs délais. Le fait que le gouvernement se mette en défaut de poursuivre les personnes appartenant à son propre camp renforce le sentiment de nombreux Ivoiriens selon lequel les détenteurs du pouvoir sont au-dessus de la loi. Cette conviction alimente depuis longtemps la division en Côte d’Ivoire, conduisant au vigilantisme pour résoudre les conflits liés à la terre ou au pouvoir politique.

 

Les partenaires internationaux clés, notamment la France, l’Union européenne, les États-Unis, l’Union africaine et les Nations Unies, ont un rôle important à jouer en veillant à ce que le système judiciaire ivoirien effectue son travail en toute impartialité, poursuivant les personnes indépendamment de leur affiliation politique ou grade militaire. L’État de droit ne sera restauré, et les menaces pour la stabilité nationale et régionale ne seront atténuées, que lorsque les victimes des deux camps obtiendront justice pour les crimes perpétrés lors de la période postélectorale.

 

10. La CPI prend-elle l’Afrique pour cible ?

La CPI enquête activement sur des situations dans huit pays  — l’Ouganda, la République démocratique du Congo, la République centrafricaine, le Soudan (région du Darfour), le Kenya, la Libye, la Côte d’Ivoire et le Mali. Le bureau du procureur procède actuellement à un examen des situations en Colombie, en Afghanistan, en Géorgie, au Nigeria, en Guinée, au Honduras et en République de Corée, suivant notamment de près les procédures nationales. Mais aucune nouvelle enquête n’a été ouverte en dehors du continent africain. Malheureusement, l’accent mis par la cour exclusivement sur l’Afrique a suscité des critiques faisant valoir que la cour prend les Africains pour « cible » — en dépit du fait que la CPI effectue ses travaux au nom des innombrables victimes africaines qui ont subi des crimes indicibles.

 

Un certain nombre de facteurs objectifs mettent à mal les accusations selon lesquelles la CPI est partiale, notamment :

 

  • 33 des 121 États parties à la CPI sont des pays africains, démontrant le large soutien dont bénéficie la cour à travers ce continent ;  

 

  • Quatre des pays faisant l’objet d’une enquête de la CPI ont invité le procureur à ouvrir ladite enquête : l’Ouganda, la RDC, la République centrafricaine et le Mali. Le Darfour et la Libye ont été déférés à la CPI par le Conseil de sécurité des Nations Unies. Le procureur a ouvert deux enquêtes de sa propre initiative : au Kenya et en Côte d’Ivoire. Au Kenya, le procureur a ouvert une enquête après d’intenses contacts avec les autorités kényanes pour les encourager à ouvrir des enquêtes nationales sur les crimes perpétrés lors des violences postélectorales de 2007-2008. En Côte d’Ivoire, la décision a été prise à la suite d’une déclaration remise par les autorités ivoiriennes au titre de l’article 12 du Statut de Rome de la CPI, étant donné que la Côte d’Ivoire n’est pas un État partie audit statut.

 

  • La CPI ne peut enquêter que sur des crimes commis après le 1erjuillet 2002, date à partir de laquelle elle peut exercer sa compétence, ce qui signifie que de nombreuses situations échappent à sa compétence.

 

  • Un certain nombre de pays, notamment les États-Unis, la Russie et la Chine, ne relèvent pas automatiquement de la compétence de la CPI car ils ne sont pas  des États parties au Statut de Rome. Le Conseil de sécurité peut déférer des États non parties  à la CPI – comme en témoignent les renvois des situations au Darfour et en Libye. Cependant, le Conseil de sécurité est un organe extrêmement politisé et n’a pas fait preuve de cohérence et d’impartialité dans ses renvois. Dans la pratique, il est peu probable que des pays protégés ou appuyés par le pouvoir de véto que peuvent exercer les membres permanents du Conseil de sécurité sur les résolutions – entre autres Israël et le Sri Lanka – soient déférés à la CPI.

 

Il est vrai que le champ d’application de la justice internationale et de la CPI s’est révélé inégal et limité, et que certains pays jouissant d’un poids politique ou disposant de puissants alliés se sont trouvés à l’abri de l’action de la cour. La faute ne doit toutefois pas être rejetée sur la CPI mais bien sur la politique internationale et les intérêts politiques présumés des États. D’importants efforts sont déployés pour que davantage de pays ratifient le statut de la CPI, et d’autres initiatives devraient continuer à être prises pour mettre en lumière ce déséquilibre et œuvrer en faveur d’un élargissement du champ d’application de la justice internationale et d’une limitation de l’impunité. 

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.

Région/Pays