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Iran: De nombreux activistes sont contraints à fuir les attaques du régime contre la société civile

Des vagues successives de militants cherchent refuge à l'étranger

(Beyrouth) –La marge de manœuvre de la société civile ne fait que rétrécir en Iran depuis la vague de répression qui a suivi l'élection présidentielle contestée de 2009, a affirmé Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Trois ans et demi après la répression brutale par les forces de l'ordre de manifestations anti-gouvernementales en majorité pacifiques, des centaines de militants ont trouvé un refuge temporaire et font face à un avenir incertain en Turquie et au Kurdistan irakien voisins, pour éviter le harcèlement et le risque d’emprisonnement dans leur propre pays.

Ce rapport de 60 pages, intitulé « Why they Left: Stories of Iranian Activists in Exile » (« Pourquoi ils sont partis: Témoignages de militants iraniens en exil»), documente les expériences vécues par des dizaines de militants des droits humains, journalistes, blogueurs et avocats qui ont été pris pour cible par les services de renseignement et les forces de sécurité parce qu'ils s'étaient exprimés publiquement contre le gouvernement. Certains participants aux manifestations anti-gouvernementales après l'élection de 2009 n'avaient jamais été actifs politiquement auparavant, mais se sont soudain retrouvés dans la ligne de mire des forces de sécurité et des services de renseignement.

« La répression depuis 2009 a profondément affecté la société civile en Iran», a déclaré Joe Stork, directeur adjoint de la division Moyen Orient à Human Rights Watch. «Les images montrant la police tabassant sans merci les manifestants ont peut-être disparu des écrans de télévision et d'ordinateur, mais de nombreux activistes iraniens continuent de faire le choix douloureux d'abandonner leur domicile et leur famille.»

Aucune organisation de défense des droits humains véritablement indépendante ne peut opérer ouvertement dans le climat politique actuel en Iran. De nombreux militants des droits humains et journalistes renommés sont en prison ou en exil, et d'autres activistes font face à un risque constant de harcèlement et d'arrestation arbitraire.

Depuis 2009, il y a eu un accroissement notable du nombre d'acteurs de la société civile qui ont fait une demande d'asile politique et de réinstallation dans un pays tiers. Selon les statistiques établies par le Haut-Commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR), des Iraniens ont déposé 11.537 nouvelles demandes d'asile politique dans 44 pays en 2009; 15.185 demandes ont été émises en 2010, suivie de 18.128 demandes en 2011.

La majorité des demandes d'asile ont été déposées en Turquie, pays voisin de l'Iran, où une hausse de 72 % du nombre de demandeurs d'asile iraniens a été enregistrée entre 2009 et 2011. Du fait de sa proximité géographique, le Kurdistan irakien est également une destination de choix pour les demandeurs d'asile iraniens, notamment pour les membres de la minorité kurde. Les témoignages de ces activistes, dont un grand nombre continuent d'être politiquement actifs en tant que réfugiés en Turquie et au Kurdistan irakien,jettent une lumière crue sur les pressions sans précédent exercées sur la société civile en Iran, qui ont commencé pendant le premier mandat du président Mahmoud Ahmadinejad en 2005, a déclaré Human Rights Watch.

De nombreux réfugiés et demandeurs d'asile iraniens interrogés par Human Rights Watch ont décrit les conditions difficiles et la longueur des formalités de traitement de leurs demandes d'asile pendant leur séjour en Turquie et au Kurdistan d'Irak. Les principales préoccupations de ceux qui se trouvaient en Turquie incluaient les restrictions imposées à leur liberté de déplacement, des frais de résidence élevés, l'impossibilité d'obtenir des permis de travail et le manque d'accès aux services de santé. Les réfugiés et demandeurs d'asile au Kurdistan irakien ont aussi exprimé leur inquiétude au sujet de restrictions imposées à leurs mouvements, de menaces, de tracasseries et de règlements arbitraires que leur imposent les autorités du gouvernement régional kurde, souvent à cause de la poursuite de leurs activités politiques.

Le gouvernement turc a jusqu'ici refusé la demande d'Ahmed Shaheed, le rapporteur spécial de l'ONU sur la situation des droits humains en Iran, de faire à ce titre une visite dans le pays afin de rencontrer et d'interroger ces demandeurs d'asile et réfugiés. La mission d'Ahmed Shaheed a été créée par une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU en mars 2011. Human Rights Watch a appelé Ankara à autoriser immédiatement Ahmed Shaheed à entrer dans le pays pour qu'il puisse remplir le mandat que l'ONU lui a confié. Human Rights Watch a également appelé le gouvernement turc à créer des conditions propices pour que les personnes enregistrées comme des réfugiés ou des demandeurs d'asile puissent vivre et travailler confortablement en attendant leur réinstallation dans un pays tiers.

Human Rights Watch a exhorté le gouvernement régional kurde à assurer la sécurité et le bien-être des réfugiés iraniens, et à s'abstenir de menacer ou de harceler ceux qui continuent de se livrer de manière non violente à des activités politiques ou de défense des droits humains lors de leur séjour en tant que réfugiés au Kurdistan irakien.

« Les pays de la région doivent accorder leur protection aux réfugiés venus d'Iran et les traiter avec compassion et dignité», a conclu Joe Stork. « Les pays extérieurs à la région devraient faire des offres généreuses de réinstallation aux réfugiés iraniens qui ont un besoin urgent de quitter la région et n'ont pas d'autres options pour un refuge de longue durée, et traiter rapidement leurs demandes.»




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Exemples de cas décrits dans le rapport

Abbas Khorsandi, blogueur et militant politique, est le fondateur du Parti démocratique d'Iran, un petit parti politique non homologué comptant un petit nombre de membres qui publient des articles sur internet. Le groupe opérait ouvertement jusqu'à ce que des agents du ministère du renseignement arrêtent Khorsandi en janvier 2005 sous l'accusation d'avoir formé un parti illégal. Khorsandi a déclaré à Human Rights Watch qu'après avoir passé trois mois en prison, il avait été libéré et avait reçu l'ordre de dissoudre le parti. Il a refusé et a poursuivi clandestinement ses activités avec le groupe.

Le 9 septembre 2007, des agents des services de renseignement ont arrêté Khorsandi à Firuzkuh, une petite ville située à 140 kilomètres à l'est de Téhéran. Les autorités l'ont retenu à la prison d'Evin à Téhéran pendant environ trois mois, en lui refusant tout contact avec son avocat ou avec les membres de sa famille. Il a indiqué à Human Rights Watch que peu après son arrestation, les autorités l'avaient transféré à la section 209 de la prison d'Evin, contrôlée par le ministère du renseignement. Il a précisé avoir été soumis à deux séries d'interrogatoires, lors desquels il a subi de graves sévices physiques et psychologiques équivalant à des tortures. Par la suite, il a été forcé de signer des aveux concernant ses activités en tant que secrétaire général du Parti démocratique d'Iran. Sur la base de ces aveux, les autorités l'ont accusé d'« activités contraires à la sécurité nationale » et de « formation d'une organisation illégale ».

Il a été jugé devant la 15ème chambre du Tribunal révolutionnaire de Téhéran et condamné à huit ans de prison, le 17 mars 2008. La 36ème chambre du même tribunal a confirmé la peine en appel le 12 juillet 2008. En prison, il a souffert de plusieurs graves problèmes de santé, notamment d'insuffisance cardiaque, d'hémorragie interne et de diabète, et s'est vu refuser les soins médicaux appropriés. Il a indiqué à Human Rights Watch que le 18 mai 2009, il avait reçu une permission de sortie de 10 jours pour raison médicale mais n'était pas retourné en prison avant fin août 2009, quand la justice le lui a ordonné. En octobre 2009, Khorsandi a été transféré dans un hôpital, où les médecins lui ont dit que s'il retournait en prison, sa vie serait en grand danger.

Khorsandi a ensuite décidé de fuir l'Iran en profitant d'une permission médicale. Il a franchi la frontière du Kurdistan d'Irak le 17 février 2010. Sa femme et ses deux enfants l'y ont rejoint en janvier 2012. Il vit actuellement en Allemagne avec sa famille.

Rebin Rahmani, militant des droits des Kurdes,a raconté à Human Rights Watch que les forces de sécurité l'avaient arrêté le 19 novembre 2006 à Kermanshah, la capitale de la province du même nom, dans l'ouest de l'Iran. Il s'était consacré à des recherches sur la fréquence de l'accoutumance à la drogue et des infections par le virus VIH du sida dans cette province. Rahmani a passé deux mois dans des centres de détention gérés par le ministère du renseignement et a été soumis à des interrogatoires de la part d'agents du renseignement à Kermanshah et à Sanandaj, chef-lieu de la province iranienne voisine du Kurdistan. Il a indiqué à Human Rights Watch que dans ces deux endroits, il avait subi plusieurs séances d'interrogatoires accompagnés de tortures physiques et psychologiques.

En janvier 2007, un tribunal révolutionnaire a condamné Rahmani à cinq ans de prison pour « activités contraires à la sécurité nationale » et « propagande contre l'État ». La sentence a été annoncée à l'issue d'un procès qui a duré 15 minutes, lors duquel Rahmani n'a pas eu droit à un avocat. En mars 2007, sa peine a été réduite en appel à deux ans.

Rahmani a déclaré à Human Rights Watch que durant ses interrogatoires après sa condamnation, il avait de nouveau été soumis à des sévices physiques et psychologiques équivalant à des tortures et maintenu en cellule isolée pendant de longues périodes, dans une tentative de le contraindre à avouer faussement qu'il avait des liens avec des groupes séparatistes armés kurdes. Ses interrogateurs ont également menacé d'arrêter des membres de sa famille et ont effectivement arrêté son frère en juin 2008, en partie, selon Rahmani, pour faire pression sur lui.

Après sa libération dans la seconde moitié de 2008, Rahmani a appris qu'il avait été renvoyé de l'université et ne pouvait plus continuer ses études. Il a indiqué à Human Rights Watch qu'il avait alors décidé de rejoindre l'organisation locale HRA - Human Rights Activists in Iran (Activistes pour les droits humains en Iran) mais en utilisant un pseudonyme pour éviter d'être de nouveau arrêté. Rahmani interrogeait des victimes et leurs familles et préparait des rapports pour le groupe; la plupart portaient sur les violations des droits humains commises par le gouvernement dans les régions iraniennes à majorité kurde. Il était également chargé du contenu en langue kurde du site internet du groupe.

Lors de la répression menée en mars 2010 contre les organisations de défense des droits humains, dont HRA, à Téhéran et dans d'autres grandes villes, Rahmani a échappé à l'arrestation car il n'était pas identifié en tant que membre actif de HRA. Mais en mai 2010, après qu'il eut participé à une manifestation de protestation contre l'exécution de plusieurs prisonniers politiques kurdes, les autorités locales ont placé Rahmani sous surveillance. En décembre 2010, les forces de sécurité ont investi son domicile peu après qu'il eut participé à une manifestation devant la prison de Sanandaj pour protester contre l'exécution imminente d'un activiste kurde, Habibollah Latifi.

À cause des tracasseries que lui et sa famille subissaient, Rahmani a estimé n'avoir pas d'autre choix que de s'enfuir au Kurdistan d'Irak et s'est fait enregistrer au bureau du HCR à Erbil le 6 mars 2011.Il vit actuellement en France.

Shahram Bolouri, âgé de 27 ans, a participé à des marches de protestation après l'élection présidentielle contestée de 2009. Il a indiqué à Human Rights Watch qu'il avait documenté les violences commises contre les manifestants pacifiques par les forces de sécurité. Il a diffusé des photos et des vidéos des violences post-électorales et a fourni des témoignages à divers médias. Avant ses activités post-électorales de 2009, Bolouri était membre de la Société Kurde, une organisation non gouvernementale de Téhéran, et a coopéré avec d'autres organisations de la société civile.

Le 23 juin 2009, des agents de la sécurité et des services de renseignement ont investi son domicile à Téhéran et l'ont arrêté. Ils l'ont maintenu à la prison d'Evin pendant près de huit mois, dont 45 jours au régime de l'isolement cellulaire. Bolouri a déclaré à Human Rights Watch que les autorités l'avaient maintenu dans les pavillons 209 et 240, contrôlés par le ministère du renseignement, avant de le transférer au pavillon général. Bolouri a affirmé que les interrogateurs et les gardiens de prison lui avaient fait subir de graves sévices et des tortures psychologiques et physiques:

Ma cellule d'isolement [au pavillon 240] mesurait 2,5 mètres sur un mètre. Il y avait une latrine mais pas de fenêtre. Souvent, les gardiens venaient et m'ordonnaient de me lever, de m'asseoir et de faire toutes sortes de choses, simplement parce qu'ils en avaient le pouvoir. L'un d'eux m'a dit un jour: «Vous avez l'air d'un athlète. Choisissez votre sport. Mettez-vous debout et assis pour moi. Cent fois et surtout comptez bien!» Il m'a fait faire cela plusieurs fois, bien que j'avais une jambe abimée. Je transpirais beaucoup mais il ne m'ont pas permis de prendre une douche. Au bout de deux semaines, le même type a ouvert la porte de ma cellule et a dit: « Pourquoi cela sent-il si mauvais là-dedans?» Il m'a ordonné d'aller prendre une douche et faire ma lessive.

Le 16 février 2010, plus de six mois après son arrestation, les autorités ont libéré Bolouri contre une caution inhabituellement élevée de 200.000 dollars, après avoir empêché sa famille de déposer cette somme pendant des semaines. Bolouri a indiqué que les pressions financières et psychologiques exercées par les autorités sur sa famille étaient parfois pires que ce qu'il devait endurer lui-même en prison. Human Rights Watch a documenté de nombreux autres cas dans lesquels les autorités exigeaient des familles qu'elles versent des cautions inhabituellement élevées, dans le cadre d'une stratégie délibérée de harcèlement des détenus et de leurs proches.

En octobre 2010, un tribunal révolutionnaire de Téhéran a condamné Bolouri à quatre ans de prison pour « association et collusion contre le régime par la participation à des manifestations de protestation et la communication avec des médias étrangers et la diffusion de nouvelles». Bolouri a fait appel mais en juin 2011, sa peine a été alourdie, à quatre ans et six mois. Bolouri a décidé de quitter l'Iran après avoir constaté une augmentation des pressions et des tracasseries contre lui et sa famille après la décision du tribunal en appel. Il s'est fait enregistrer comme réfugié au bureau local du HCR en Irak le 15 juillet 2011, et il est maintenant demandeur du statut de réfugié et d'une réinstallation dans un pays tiers.

Mohammad Oliyaeifard, avocat, a quitté l'Iran en janvier 2012. Comme au moins 41 de ses collègues, il a subi des persécutions de la part du gouvernement depuis 2009. Plusieurs avocats purgent actuellement des peines de prison à la suite d'accusations inspirées par des motifs politiques, tandis que d'autres, comme la lauréate du prix Nobel de la Paix Shirin Ebadi, ont été pratiquement forcés de partir en exil.

Olyaeifard a purgé une peine de prison pour s'être exprimé contre l'exécution d'un de ses clients dans des entretiens accordés à des médias internationaux. La 26ème chambre du tribunal révolutionnaire de Téhéran l'a déclaré coupable en février 2010 de « propagande contre la République islamique par le biais d'un entretien avec le service étranger de Voice of America » et l'a condamné à un an de prison.

Olyaeifard a purgé sa peine au pavillon 350 de la prison d'Evin, de mars 2010 à avril 2011. Son client, Behnoud Shojaee, avait été pendu pour un meurtre qu'il avait été accusé d'avoir commis à l'âge de 17 ans.

Olyaeifard a déclaré à Human Rights Watch qu'au cours de ces dernières années, les autorités avaient intensifié leurs pressions contre les avocats, en se fondant sur diverses provisions du code pénal islamique pour les réduire au silence et les empêcher de représenter effectivement leurs clients. Outre les accusations de propagande contre l'État, les autorités ont eu de plus en plus tendance à porter plainte contre des avocats de renom pour « publication de mensonges afin de susciter l'anxiété parmi la population » et diffamation, et en plus de leur infliger des peines de prison, elles ont souvent interdit à des avocats de continuer à exercer leur profession.

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