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Comme le savent désormais plus de 50 millions d'internautes qui ont visionné la vidéo virale Kony 2012 sur YouTube, Joseph Kony, fondateur et dirigeant de l'Armée de résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army, LRA), est un homme recherché qui a le sang de nombreuses personnes sur les mains. Nous avons passé plusieurs années à enquêter sur les atrocités perpétrées par la LRA en Afrique centrale, en Ouganda, en République démocratique du Congo, en République centrafricaine (RCA) et au Soudan du Sud. Nous avons recueilli des preuves sur les sites des massacres (gourdins en bois couverts de sang séché, lanières en caoutchouc provenant de pneus de vélo pour attacher les victimes, tombes fraîchement creusées) et nous avons parlé avec des centaines de garçons et de filles obligés à combattre pour la LRA ou retenus prisonniers comme esclaves sexuels. Nous nous réjouissons de voir que #stopKony est actuellement l’un des sujets les plus populaires sur Twitter : si quelqu'un mérite cette notoriété mondiale, c'est bien Joseph Kony.

L'Armée de résistance du Seigneur s'est soulevée contre le gouvernement d'Ouganda au milieu des années 1980 en partie pour s'opposer à la marginalisation par le gouvernement des populations du nord. Rapidement, la LRA est devenue l'un des groupes armés les plus violents et impitoyables, capable de reconstituer ses effectifs en enlevant, terrorisant et endoctrinant des enfants pour en faire des soldats. Ses forces, actuellement estimées à 150-300 combattants, plus des centaines de civils captifs, ont quitté l'Ouganda en 2005 et opèrent désormais dans des zones reculées de la RD Congo, du Soudan du Sud, et de la RCA, semant la mort et la destruction dans ces régions.

Le groupe a de nouveau frappé il y a quelques semaines par des attaques de villages dans le nord de la RD Congo. Les habitants de cette région ont déjà enduré d'innombrables atrocités perpétrées par la LRA, y compris des massacres qui ont coûté la vie à 865 civils entre la fin de l'année 2008 et le début de l'année 2009. Dans notre rapport « Les massacres de Noël », nous avons recueilli des informations détaillées sur ces massacres ainsi que sur les enlèvements de plus de 160 enfants.

Je me souviens clairement de l'histoire d'un grand-père de 72 ans qui a survécu en se cachant dans des fourrés d'où il a vu la LRA massacrer sa famille et les autres habitants du village. « Les LRA faisaient vite pour tuer » m'a-t-il raconté quelques semaines seulement après l'attaque. « Ça ne leur a pas pris très longtemps et ils ne disaient rien pendant qu’ils le faisaient. Ils ont tué les 26. J’étais horrifié. Je connaissais tous ces gens. Ils étaient ma famille, mes amis, mes voisins. Quand ils ont eu fini, je me suis échappé et je suis rentré chez moi, où je me suis assis en tremblant de partout. » Après l'attaque, seul, il a commencé la douloureuse tâche d'enterrer les morts. Il reste hanté par cette expérience.

Alors que nous suivions et consignions la piste sanglante de la LRA, nous avons trouvé des survivants voulant à tout prix raconter leur histoire, effrayés à l'idée que le monde les oublie. Les nombreux massacres que nous avons documentés en RD Congo et en RCA n'ont reçu que très peu d'attention au niveau international. La vidéo Kony 2012, quant à elle, a déjà porté quelques fruits en faisant connaître les infamies de Joseph Kony.

Mais la question est de savoir si toute cette attention publique, aussi bienvenue soit-elle, aidera à arrêter Joseph Kony. Et surtout, si elle peut être le point de départ d'une action internationale pour mettre un terme aux abus de la LRA et pour protéger les civils vivant dans les zones vulnérables.

Human Rights Watch a depuis longtemps appelé à une réponse internationale concertée pour soutenir les efforts régionaux visant à arrêter Joseph Kony et les autres dirigeants de la LRA qui, depuis 2005, font l'objet de mandats d'arrêt émis par la Cour pénale internationale. Une telle action exige une protection renforcée des civils dans les régions où opère la LRA pour éviter les attaques en représailles inévitables. De même, il devient urgent de secourir les enfants et les adultes capturés par la LRA, y compris ceux, nombreux, qui sont obligés à se battre, et d'aider ceux qui parviennent à s'échapper.

En 2010, le Congrès américain a voté une loi qui appelait le président Barack Obama à développer une stratégie complète pour protéger les civils et à coopérer avec les gouvernements d'Afrique centrale pour traduire en justice les dirigeants de la LRA. Cette loi a suscité l'espoir chez de nombreuses personnes qui s'étaient senties oubliées depuis longtemps. L'aide américaine s'est traduite principalement par un soutien en matière de logistique et de renseignements auprès des forces armées ougandaises, qui ont poursuivi Joseph Kony hors de l'Ouganda au cours des quatre dernières années (même si cela a été marqué par une longue série d'abus).

En octobre 2011, les États-Unis ont annoncé l'envoi de 100 agents des forces spéciales américaines en tant que conseillers militaires auprès de l'armée ougandaise et des autres forces armées de la région pour les aider à appréhender les dirigeants de la LRA. Les États-Unis soutiennent aussi les efforts visant à transformer l'opération en une action régionale appuyée par l'Union africaine. Jusqu'à présent, cela n'a pas abouti à la capture de Joseph Kony. D'autres pays, comme la France et le Royaume-Uni, pourraient aussi faire beaucoup.

La LRA opère dans des régions très reculées où il est difficile de suivre sa trace. Ses trois principaux dirigeants – Joseph Kony, Okot Odhiambo et Dominic Ongwen – communiquaient auparavant par téléphone satellite et par radio émetteur-récepteur mais plus maintenant, ont expliqué les experts militaires et les anciens membres de la LRA, car ils craignent que leur localisation soit découverte. À la place, ils se transmettent des informations par messagers ou lors de rares réunions en face à face dans des lieux isolés. Il semblerait que les trois hauts dirigeants opèrent maintenant en RCA avec des groupes plus petits réalisant des attaques au Soudan du Sud et dans le nord de la RD Congo.

Les gouvernements de la région n'ont pas fait preuve de capacité ou de détermination à protéger leurs populations des abus de la LRA. Les Casques bleus de l'ONU, quant à eux, sont trop peu nombreux et disposent d'une capacité inadaptée pour assurer la protection des civils au-delà du périmètre de leurs bases. Les Nations Unies devraient redéployer les soldats de maintien de la paix dans les zones où les communautés sont les plus vulnérables.

Les pays désireux d'aider devraient fournir une assistance en matière de renseignements pour permettre de suivre la trace des dirigeants de la LRA et devraient déployer plus d'hélicoptères au-dessus de ces zones, y compris pour diffuser des tracts indiquant aux combattants involontaires de la LRA comment et où se démobiliser de manière sûre (le traitement des combattants démobilisés en Ouganda s'est révélé inégal et problématique). De plus, ces pays devraient mettre en place des programmes pour aider ces personnes à surmonter les horreurs de leur expérience dans la LRA et à construire un avenir meilleur.

Les civils dans les zones reculées ont besoin d'un système d'avertissement rapide pour signaler les attaques de la LRA et obtenir une intervention rapide des Casques bleus de l'ONU. Invisible Children, le groupe à l'origine de la vidéo Kony 2012, a participé à la mise en place d'un système radio dans le nord de la RD Congo, mais un réseau d'antennes de téléphonie cellulaire serait bien plus efficace. Le gouvernement américain s'est engagé à construire de telles antennes mais la mise en œuvre est extrêmement lente.

Vers la fin de l'année dernière, plusieurs groupes locaux ont écrit aux présidents de la RD Congo, de la RCA, du Soudan du Sud et des États-Unis pour demander davantage d'aide. « Les civils dans cette région éloignée ne disposent d'aucune protection contre les attaques de la LRA et souvent d’aucun moyen de communication pour appeler à l'aide » ont-ils écrit.« Cependant, nous ne pourrons nous réjouir véritablement que lorsque la menace de la LRA sera définitivement écartée et que nous apprendrons que Joseph Kony ne terrorise plus notre région. Nous avons trop souffert et nous sommes fatigués de vivre dans l’insécurité la plus totale, craignant de nous rendre dans nos champs pour les cultiver et incertains du moment ou du lieu où les rebelles pourraient refaire surface. Nous ne savons pas si nos enfants enlevés par la LRA reviendront un jour à la maison. »

Une femme dont la fille de 13 ans a été enlevée par la LRA en septembre 2008 m'a raconté : « Je pleure chaque jour pour elle. Vous ne pouvez pas imaginer ce que c’est que de vous faire enlever votre fille. Ça me rend malade quand je pense à ce qu’ils [les LRA] pourraient lui faire dans la brousse. Je ne sais pas si je la reverrai un jour, ni même si elle est encore vivante. »

L'arrestation de Joseph Kony et des autres principaux dirigeants de la LRA renforcerait l’espoir que ceux qui commettent des atrocités en masse n'échapperont pas à la justice. Ces arrestations contribueraient aussi à mettre fin au fléau que représente l'un des groupes rebelles les plus violents d'Afrique.

Anneke Van Woudenberg est chercheuse senior au sein de la division Afrique à Human Rights Watch.

 

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