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Vietnam : Un nouveau décret punit la presse

Le Décret n°2 concernant le journalisme et l’édition oblige les journalistes à révéler leurs sources

(New York, le 23 février 2011) - Le nouveau décret du gouvernement vietnamien sur les médias, qui condamne les journalistes à des amendes pour des infractions vagues et les oblige à révéler leurs sources, est un nouveau coup porté à la liberté d'expression au Vietnam, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Le décret n°2, « Sanctions pour violations administratives dans le journalisme et l'édition », entrera en vigueur le 25 février 2011.

Le décret, signé par le Premier ministre Nguyen Tan Dung le 6 janvier, prévoit des amendes d'un million à 40 millions de dong (de 50$ US à 2 000$ US) pour les journalistes et les journaux qui enfreindraient les dispositions du décret qui sont excessivement vagues et recouvrent un vaste champ d'application. L'une de ces dispositions, par exemple,  concerne la loi de 1990 sur la presse (amendée en 1999) qui exige que les journalistes « [fournissent] des informations domestiques et internationales légitimes conformément aux intérêts du pays et du peuple ».

« Les dispositions vagues et arbitraires de ce décret sont une incitation à l'auto-censure », a déclaré Phil Robertson, directeur adjoint de la division Asie à Human Rights Watch. « Les ‘intérêts du pays et du peuple' sont mieux servis en laissant les journalistes publier des informations honnêtes, et non pas en les punissant. »

Le décret n°2 autorise de nombreux services du gouvernement à imposer des amendes aux journalistes et aux journaux à tout moment, en se basant sur des décisions arbitraires de fonctionnaires à divers niveaux et de nombreux organismes en accord avec le gouvernement en ce qui concerne « l'intérêt du pays et du peuple ». Il s'agit notamment des inspecteurs du Ministère de l'Information et des Communications, des présidents des Comités Populaires à tous les niveaux, des forces de police, des gardes-frontière, de la police maritime, des officiers de douane, des agents du fisc, des inspecteurs de gestion du marché et autres.

« Dans tout pays, autoriser les fonctionnaires de plusieurs niveaux et services à réglementer le contenu des médias et distribuer des amendes serait un désastre, mais cela est particulièrement dangereux au Vietnam, où la corruption est profonde et endémique », a déclaré Phil Robertson. « Au lieu d'être utilisée pour améliorer les normes journalistiques, cette loi sera encore une autre manière pour les responsables locaux de s'enrichir. »

L'article 7 du décret impose des amendes aux journalistes qui ne publient pas leurs sources d'information dans les journaux. Il fixe également le montant des amendes de 10 millions et 20 millions de dong (de 500 à 1 000$US) pour les journalistes et les journaux s'ils « utilisent des documents, des ouvrages des organisations, des lettres personnelles et de la documentation provenant de particuliers, sans préciser les sources de ces informations, reliées à des affaires en cours d'enquête, des affaires qui n'ont pas été portées en justice, des affaires « négatives » (cac vu viec tieu cuc ) ou des affaires où des indications montrent que des lois ont été enfreints mais que les services de l'État concernés n'ont pas encore émis de conclusions ».

« Le nouveau décret sur les médias semble destiné à intimider les dénonciateurs et les victimes de violations des droits à coopérer avec les médias », a déclaré Phil Robertson. « Il va les décourager à fournir des informations aux journalistes de peur d'être exposés et ciblés par les autorités en représailles. »

Le décret n°2 semble être en conflit avec une autre loi vietnamienne, la loi de 1990 sur la Presse, qui indique dans son article 7 que « la presse a le droit et le devoir de ne pas divulguer les noms de ceux qui fournissent l'information si elle leur est nuisible à moins que ce soit demandé par le Responsable du Parquet Populaire ou par le Juge de la Cour Populaire au niveau provincial et niveau équivalent ou supérieur, aux fins d'enquête et de procès dans les affaires criminelles graves ».

Le décret n°2 risque d'aggraver la censure déjà omniprésente dans le pays et la répression des journalistes et des blogueurs aux opinions indépendantes, a déclaré Human Rights Watch. Le Vietnam interdit déjà les publications qui s'opposent au gouvernement, qui divulguent globalement les « secrets d'État » ou qui diffusent des idées réactionnaires. Il y a peu de propriété privée des médias, la plupart des publications sont émises par le gouvernement, le Parti communiste ou des organisations de masse contrôlées par le parti.

Les journalistes qui franchissent la vague limite fixée par le gouvernement sont souvent sévèrement punis, a déclaré Human Rights Watch. Par exemple, le 15 octobre 2008, la Cour Populaire de Hanoi a condamné Nguyen Viet Chien, journaliste pour le journal Thanh Nien (Jeunesse), à deux ans de prison et Nguyen Van Hai, journaliste pour le journal Tuoi Tre (Jeune Âge), à deux ans de prison avec sursis pour « abus de droits démocratiques » selon l'article 258 du code pénal. Les deux journalistes ont été poursuivis en justice pour leur reportage sur la corruption de l'affaire retentissant PMU 18, qui concernait la mauvaise gestion par le Ministère des Transports de l'aide publique japonaise pour le développement. Quatre autres journalistes ont été dépouillés de leur carte de presse en relation avec cette enquête.

En 2009, deux autres journalistes de Tuoi Tre, Phan Que et Vo Hong Quynh, ont été condamnés pour six mois en raison du reportage d'un cas de corruption qui implique la construction du centre de villégiature Rusalka à Nha Trang.

Malgré ces restrictions, les journalistes des médias de l'État ont souvent réussi à mener à bien des méthodes novatrices d'investigation en matière de journalisme, en particulier en ce qui concerne la corruption de fonctionnaires du gouvernement au niveau local, a déclaré Human Rights Watch. Par exemple, Thanh Tra (Inspection) a publié une enquête en novembre 2010 du projet de route Cao Van- Ho Tay à Hanoi, Nha Bao et Cong Luan (Journalistes et l'Opinion Publique) sur la pollution de l'environnement dans les quartiers de Tu Liem à Hanoi en Décembre.

« Le gouvernement vietnamien devrait reconnaître qu'une économie prospère exige aussi la liberté de la presse et de laisser les journalistes faire leur travail, sans les gêner », a conclu Phil Robertson. « Le nouveau décret est un retour vers le passé, visant à punir des reportages indépendants et à promouvoir le retour de la propagande gouvernementale. »

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