(Paris, le 17 janvier 2011) - L'Assemblée nationale devrait amender le projet de loi de réforme de la procédure de garde à vue afin d'améliorer les garanties de protection et de s'assurer qu'elles s'appliquent à tous les suspects placés en garde à vue, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Il est prévu que l'Assemblée nationale commence à débattre le 18 janvier 2011 de ce projet de loi déposé par le gouvernement.
« Si la France tient réellement à protéger les suspects, sa procédure de garde à vue doit faire l'objet d'une restructuration majeure », a déclaré Judith Sunderland, chercheuse senior pour l'Europe occidentale à Human Rights Watch. « Les propositions qui figurent dans l'actuel projet de loi ne vont pas assez loin. »
Le projet de loi introduit de nouvelles garanties de protection significatives, telles que la notification aux suspects de leur droit de garder le silence et la présence d'un avocat pendant les interrogatoires, a précisé Human Rights Watch. Toutefois, le projet maintient des restrictions injustifiées quant au rôle des avocats pendant la garde à vue des suspects, phase importante pour la préparation de la défense.
Le projet de loi établit le principe général selon lequel tous les suspects en garde à vue ont droit à un avocat dès le début de leur détention ainsi qu'à l'assistance d'un avocat pendant les interrogatoires. La présence d'un avocat pendant ceux-ci garantit l'intégrité de la procédure pénale et le droit des suspects à bénéficier d'une défense effective, selon Human Rights Watch. Toutefois, le projet de loi permet aux instances judiciaires de retarder l'accès à un avocat si le suspect est accusé de certains crimes graves.
Dans la proposition de loi actuelle, les suspects accusés de terrorisme et certains suspects accusés de crime organisé pourraient se voir refuser l'accès à un avocat pendant une durée pouvant aller jusqu'à 72 heures pour permettre soit « le recueil ou la conservation des preuves soit pour prévenir une atteinte aux personnes ». Le procureur prendrait la décision initiale de refuser l'accès à un avocat pendant 24 heures. Deux nouvelles périodes de 24 heures pourraient ensuite être imposées sous réserve de l'accord d'un juge.
La loi actuelle, qui refuse systématiquement à ces suspects l'accès à un avocat pendant les 72 premières heures de leur garde à vue, a suscité les critiques, entre autres, du Comité des droits de l'homme des Nations Unies et, en France, du Conseil national des barreaux.
La version initiale du projet de loi déposé par le gouvernement maintenait en vigueur les exceptions s'appliquant aux cas de crime organisé et de terrorisme. Le gouvernement a amendé le projet de loi à l'issue d'une série d'arrêts pris par la Cour de cassation en octobre 2010 selon lesquels les restrictions au droit d'accès à un avocat dès le début de la garde à vue ne devraient pas être fondées uniquement sur la nature du crime ou délit reproché, mais sur des « raisons impérieuses » se rapportant aux circonstances particulières de l'enquête.
« Cette modification de la loi ne contribuera guère à améliorer l'accès à un avocat pour les personnes accusées de crimes ou délits graves », a souligné Judith Sunderland. « Dans la pratique, les personnes accusées de tels crimes ou délits sont susceptibles de faire l'objet d'un report systématique de leur droit à un avocat. »
Le projet de loi maintient en vigueur une disposition problématique qui consiste à limiter à trente minutes la durée des entretiens privés entre un client et son avocat pendant la garde à vue. Cette limite s'appliquerait à tout entretien et pendant toute la durée de la garde à vue. L'imposition d'une telle limite nuirait à la capacité d'un avocat à fournir des conseils à un stade critique et compromettrait le droit des suspects à bénéficier d'une défense effective, a affirmé Human Rights Watch.
Le projet de loi comprend une réforme importante qui permettrait aux suspects de disposer de la présence d'un avocat pendant les interrogatoires de police et retarderait tout questionnement pour une durée pouvant aller jusqu'à deux heures afin de donner à l'avocat le temps de se rendre auprès de son client, a précisé Human Rights Watch. Toutefois, il permettrait également au procureur d'ordonner des interrogatoires avant que le délai de deux heures ne soit écoulé, et de retarder la présence d'un avocat pour une durée pouvant aller jusqu'à douze heures pendant le déroulement de l'interrogatoire, ce afin de protéger le recueil ou la conservation d'éléments de preuve ou prévenir une atteinte imminente aux personnes.
Le procureur pourrait également demander à un juge de refuser l'accès à un avocat pendant une durée maximale de 24 heures lorsque le crime présumé est passible d'au moins cinq ans d'emprisonnement. Les suspects pourraient être interrogés pendant ce laps de temps.
Ces deux restrictions porteraient atteinte au droit à une défense effective, selon Human Rights Watch.
La Cour européenne des droits de l'homme a conclu lors d'affaires récentes portées contre la France que le bureau du procureur de ce pays n'était pas suffisamment indépendant de l'exécutif pour constituer une autorité judiciaire compétente ayant le pouvoir de prendre des décisions relatives à la privation de liberté. C'est pour cette raison que la Commission des lois de l'Assemblée nationale a modifié la proposition initiale du gouvernement afin de s'assurer que des juges spéciaux dits « juges des libertés et de la détention » supervisent les décisions de placer des suspects en garde à vue et de les y maintenir.
Au titre de la proposition, même lorsqu'un avocat a le droit d'être présent, sa capacité à aider son client serait restreinte. En effet, l'avocat ne pourrait intervenir qu'à la fin d'une séance d'interrogatoire.
La proposition initiale du gouvernement aurait empêché l'avocat de participer à l'interrogatoire d'une quelconque manière. Si la proposition actuelle représente une amélioration, il n'en reste pas moins que les avocats ne seraient en réalité que des témoins muets, incapables d'intervenir pour le compte de leur client pendant que la police l'interroge, selon Human Rights Watch.
Le droit à une défense effective constitue la pierre angulaire des normes applicables à un procès équitable en vertu du droit international relatif aux droits humains. L'assistance d'un avocat et la capacité d'un avocat à s'impliquer dans l'ensemble des démarches nécessaires à la préparation de la défense de son client sont considérées comme des éléments fondamentaux du droit à une défense effective. C'est la raison pour laquelle la Cour européenne des droits de l'homme insiste en permanence sur l'importance de l'assistance d'un avocat lors de la garde à vue, y compris du droit d'accès à un avocat dès le début de celle-ci et du droit à bénéficier de l'assistance d'un avocat pendant les interrogatoires.
L'accès rapide à un avocat est également un garde-fou essentiel contre la torture et les mauvais traitements. Au cours de ses recherches sur les lois et procédures antiterroristes en France, Human Rights Watch a eu connaissance de cas troublants de violences physiques et autres mauvais traitements lors de gardes à vue.
Human Rights Watch a exhorté les députés de l'Assemblée nationale à modifier le projet de loi pour permettre à tous les suspects placés en garde à vue, y compris aux personnes soupçonnées de terrorisme et de crime organisé, d'avoir le droit :
- D'accéder à l'assistance d'un avocat dès le début de leur garde à vue sans possibilité de retard ou de report ;
- De n'être interrogés par la police qu'en présence d'un avocat ; et
- De s'entretenir en privé avec un avocat sans limite de temps.