(Bruxelles) - Un groupe d’experts des Nations Unies a reproché au Sénégal d’avoir failli à son obligation de traduire en justice Hissène Habré, l’ancien président tchadien exilé au Sénégal, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch.
Les experts ont enjoint aux autorités sénégalaises soit de juger Habré au Sénégal soit de répondre à la demande d’extradition émanant de la Belgique ou de tout autre demande légitime formulait par un autre état.
Le Comité des Nations Unies contre la Torture a conclu que le Sénégal avait violé la Convention contre la Torture en manquant à son obligation de poursuivre ou d’extrader Habré, lequel se trouve sur son territoire depuis 1990. (La résolution peut être consultée à l’adresse suivante : https://www.hrw.org/pub/2006/french/cat051806.pdf)
Hissène Habré est accusé de milliers d’assassinats perpétrés durant ses huit années au pouvoir de 1982-1990, ainsi que d’un usage systématique de la torture. Un juge sénégalais a inculpé l’ancien président tchadien pour actes de tortures et crimes contre l’humanité en 2000 avant que les juridictions sénégalaises ne se déclarent incompétentes pour le juger. L’année dernière, suite à une demande d’extradition lancée par la Belgique pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et actes de torture, le Sénégal a saisi l’Union africaine du dossier, laquelle ne s’est pas encore prononcée sur la suite à lui donner.
“Cette décision rappelle au Sénégal qu’il est tenu d’assumer ses responsabilités au regard du droit international et qu’il ne peut permettre à Hissène Habré de se soustraire à la Justice» a déclaré Reed Brody de Human Rights Watch, l’avocat qui représente les victimes devant le Comité des Nations Unies. « Cette décision a le grand mérite de replacer dans un champ strictement juridique une affaire qui risquait de se transformer en mauvais feuilleton politico-médiatique. »
Le Comité des Nations Unies contre la Torture est composé de 10 experts élus par les représentants des 141 Etats membres qui ont ratifié la Convention contre la Torture. Les Etats se conforment en général à ses décisions. Le Sénégal s’était ainsi plié à la décision du Comité des Nations Unies en 2001 lui demandant de ne pas laisser Hissène Habré quitter le pays. Il est attendu que le Sénégal fasse preuve du même respect concernant cette nouvelle décision.
En Novembre 2005, en exécution du mandat d’arrêt international formulé par la Belgique, les autorités sénégalaises ont procédé à l’arrestation de Habré. Après qu’un tribunal de Dakar ait refusé de se prononcer sur la demande d’extradition, le président sénégalais, Abdoulaye Wade, a saisi l’Union africaine du dossier. En janvier 2006, le Sommet de l’Union africaine a décidé de constituer un Comité de juristes pour examiner le cas Habré. Le Comité de l’Union africaine est appelé à soumettre ses propositions au prochain Sommet de l’Union africaine à Banjul en Gambie en juillet 2006.
« Les Nations Unies n’ont fait que rappeler au Sénégal ses engagements internationaux suivant les termes de la Convention contre la Torture l’obligeant soit à juger soit à extrader Hissène Habré » a déclaré Alioune Tine de l’organisation sénégalaise, La Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme (RADDHO). «Le Sénégal ne peut à la fois se déclarer incompétent pour juger Habré et refuser de l’extrader sous prétexte qu’il a transmis le dossier à l’Union africaine. Ce n’est pas en se dérobant sans cesse devant ses responsabilités que l’Afrique fera face au cancer de l’impunité qui la gangrène. »
La Convention des Nations Unies contre la Torture de 1984, ratifiée par le Sénégal en 1986, oblige les Etats membres à poursuivre ou à extrader les présumés tortionnaires qui se trouvent sur son territoire.
Pour le Comité, le Sénégal avait déjà violé la Convention avant la demande belge d’extradition en refusant de juger Hissène Habré. Le Comité a estimé « qu’en refusant de faire suite à cette demande d’extradition, l’Etat partie (le Sénégal) a une nouvelle fois manqué à ses obligations. »
D’après la décision du Comité, le Sénégal est tenu « de soumettre la présente affaire à ses autorités compétentes pour l’exercice de l’action pénale ou, à défaut, dans la mesure où il existe une demande d’extradition émanant de la Belgique, de faire droit à cette demande ou, le cas échéant, à tout autre demande d’extradition émanant d’un autre Etat en conformité avec les dispositions de la Convention. »
Le Comité a, en outre, appelé le Sénégal à procéder aux amendements législatifs nécessaires pour connaître des faits de torture commis par un étranger en dehors du territoire.
La communication avait été adressée à l’organe des Nations Unies par les sept victimes tchadiennes dont la plainte initiale déposée au Sénégal en janvier 2000 avait permis une première arrestation de Habré. Les victimes se sont vivement félicitées de la décision du Comité.
“Les Nations Unies ont entendu nos prières ” a déclaré Souleymane Guengueng. Ce tchadien, âgé de 54 ans, a failli mourir à plusieurs reprises des mauvais traitements endurés au cours de deux années passées dans les prisons d'Habré, a co-fondé l'Association des Victimes des Crimes et de la Répression Politiques au Tchad (AVCRP). "Si le Sénégal s’obstine dans son refus de juger Habré pour ce qu’il nous a fait, il ne peut empêcher un autre pays, en l’occurrence la Belgique, de le juger. La Belgique est la seule tribune qui a été offerte aux victimes. Ce serait faire preuve d’un manque de respect et de reconnaissance des quinze années de ces efforts que de nous refuser ce droit immédiat et réel à la justice ».
Après que le Sénégal eut saisi l’Union africaine sur le dossier Habré, la Ministre belge de la Justice, Madame Laurette Onkelinx, avait déclaré que la Belgique saisirait les voies de recours prévus par l’article 30 de la Convention des Nations Unies contre la Torture, et le cas échéant porterait son différend avec le Sénégal devant la Cour internationale de Justice, si ce dernier manquait à ses obligations internationales. Une décision de la Cour internationale de Justice aurait un caractère juridiquement contraignant pour le Sénégal.
En Mars dernier, le Parlement européen a invité le Sénégal à extrader ou à traduire en justice Hissène Habré. (La résolution peut être consultée à l’adresse suivante : https://www.hrw.org/french/docs/2006/03/16/chad13077.htm)