(Washington) – La police salvadorienne a arrêté arbitrairement deux défenseurs des droits humains qui manifestaient pacifiquement contre une expulsion massive et les maintient en détention provisoire depuis fin mai, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Human Rights Watch a examiné des vidéos et des documents judiciaires indiquant que les arrestations étaient arbitraires et les accusations infondées.
La police a arrêté José Ángel Pérez, un pasteur et leader communautaire âgé de 55 ans, et Alejandro Antonio Henríquez, un avocat et défenseur de l'environnement âgé de 29 ans, qui manifestaient pacifiquement contre l'expulsion de dizaines de familles du quartier d'El Bosque, situé dans le district de Santa Tecla, près de San Salvador. Les autorités les ont inculpés de « résistance agressive » et de « trouble à l'ordre public » et les ont placés en détention provisoire.
« Les éléments que nous avons examinés montrent que ces leaders communautaires ont été arrêtés simplement pour avoir exercé leur droit de réunion pacifique », a déclaré Juanita Goebertus, directrice de la division Amériques à Human Rights Watch. « Lorsque les autorités considèrent les manifestations pacifiques comme un crime, le message adressé à tous les Salvadoriens est clair : ils doivent garder le silence, ou risquer de se retrouver en prison. »
Le parquet a inculpé Pérez et Henríquez de « résistance agressive », définie en droit salvadorien comme le recours à des « moyens de violence, d’intimidation ou de menaces » pour entraver l’action de la police ou de la justice, et de « trouble à l’ordre public », un crime qui implique l’obstruction de la voie publique ou de son accès, l’entrave à la libre circulation ou l’invasion d’installations ou de bâtiments. Les peines pour ces crimes vont de deux à six ans de prison.
Human Rights Watch a examiné 16 vidéos enregistrées avant, pendant et après la manifestation et l'arrestation de Pérez, ainsi que des photographies, des publications sur les réseaux sociaux et des documents judiciaires. Les images montrent des membres de la communauté rassemblés pacifiquement sur un vaste terre-plein central ressemblant à un parc, au milieu de l'autoroute C-A4. Elles montrent également que Pérez n'a pas eu de comportement violent, intimidant ou menaçant lors de son arrestation, contrairement aux allégations du parquet.
Une vidéo montre Pérez et Henríquez discutant calmement avec des policiers. L'un d'eux attrape alors Henríquez par son sac à dos et l'entraîne à l'écart tandis que la police antiémeute encercle les manifestants. Les policiers s'emparent alors de Pérez et l'escortent jusqu'à un fourgon de police. Malgré les images montrant Henríquez, Pérez et d'autres manifestants se comportant pacifiquement, le parquet a affirmé que l'arrestation de Pérez était nécessaire pour empêcher des actes « inévitables » et « agressifs » de la part des manifestants, selon les documents judiciaires.
La police a arrêté Henríquez le lendemain à San Salvador, devant son lieu de travail. Le parquet a affirmé qu'il avait ignoré les ordres de la police de « s'arrêter ». Les documents judiciaires ne contiennent aucune preuve que Henríquez ait eu recours à des menaces, de l'intimidation ou de la violence, conditions requises pour le crime de « résistance agressive » en droit salvadorien.
Le parquet a également inculpé Pérez et Henríquez de « trouble à l'ordre public », affirmant qu'ils avaient « obstrué l'accès à la voie publique ». Cependant, les documents judiciaires montrent que les procureurs n'ont présenté aucune preuve pour étayer cette affirmation. Ils ont plutôt cité un entretien avec un agent de sécurité privé qui a déclaré avoir commencé à fermer les entrées et sorties du quartier résidentiel après que les manifestations ont dégénéré vers 22 heures, une heure après l'arrestation de Pérez.
Les procureurs ont également cité un rapport du vice-ministère des Transports affirmant que la manifestation présentait un « risque latent et potentiel » d'obstruction en raison de sa « nature et de son ampleur », mais ne décrivant aucune véritable obstruction à la circulation.
Human Rights Watch a examiné plusieurs vidéos montrant la circulation fluide de part et d'autre du terre-plein central peu avant les arrestations. Une vidéo, prise environ 40 minutes avant l'arrestation de Pérez, montre la police bloquant la circulation pendant une trentaine de secondes afin que des manifestants puissent récupérer de l'eau et de la nourriture dans une voiture.
L'incapacité des procureurs à présenter des preuves susceptibles d'étayer les accusations portées contre eux indique que les autorités cherchent en réalité à punir Pérez et Henríquez pour leur rôle dans l'organisation et la conduite de cette manifestation pacifique, a déclaré Human Rights Watch.
Lors de l'inculpation de Henríquez, les procureurs ont déclaré qu'il avait été « identifié par des témoins comme la personne ayant conseillé l'organisation des manifestations ». Ils ont également affirmé qu'en tant qu'avocat, Henríquez savait que « les mécanismes permettant de contester une décision de justice ne se limitent pas à une manifestation, et encore moins à une manifestation organisée devant le domicile privé d'un fonctionnaire étranger au pouvoir judiciaire ».
Après une audience le 30 mai, un juge a ordonné le placement en détention provisoire de Pérez et Henríquez et leur incarcération dans les cellules de garde à vue d'un commissariat de police du district de Colón, dans le département de La Libertad. Plus d'une semaine plus tard, ils ont été transférés à la prison de La Esperanza, communément appelée Mariona, où ils n'ont eu aucun contact avec leur famille ni leurs avocats. Human Rights Watch a documenté des conditions inhumaines à La Esperanza et dans d’autres prisons du Salvador, notamment la détention au secret de détenus pendant des mois, voire des années, le manque d’accès à une nourriture, à l’eau et aux soins de santé adéquats, ainsi que des actes de torture et des mauvais traitements.
Le 13 mai, le président Bukele a déclaré, sans présenter aucune preuve, que les manifestants avaient été « manipulés » par des « groupes et des ONG soi-disant de gauche ». Il a annoncé qu'il soumettait à l'Assemblée législative un projet de loi visant à taxer à 30 % les financements internationaux reçus par les organisations de la société civile. L'Assemblée, contrôlée par le parti Nuevas Ideas de Bukele, a adopté cette « loi sur les agents étrangers » le 20 mai.
En vertu de cette loi et de son règlement d'application, publié en juin, toute personne ou organisation au Salvador recevant, directement ou indirectement, des fonds, des biens ou des services d'origine étrangère doit s'enregistrer comme « agent étranger » auprès du Registre des agents étrangers, un nouveau service du ministère de l'Intérieur. Ce registre dispose d'un large pouvoir discrétionnaire pour accorder des exemptions selon des critères vagues et sanctionner les activités qu'il considère comme contraires à l'ordre public ou menaçant la stabilité sociale et politique du pays.
Les arrestations et la loi sur les agents étrangers s'inscrivent dans le cadre d'une répression plus large contre les critiques.
En mai, les autorités ont arrêté Ruth López, directrice du département Anti-Corruption et Justice de Cristosal, l'une des principales organisations de défense des droits humains du pays, et Enrique Anaya, avocat. Tous deux sont détenus au secret, leur procédure restant confidentielle.
Les juges chargés de ces affaires devraient veiller à la publicité des audiences et à ce que les accusés puissent communiquer avec leurs familles et leurs avocats, a déclaré Human Rights Watch.
Le Salvador est un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Convention américaine relative aux droits de l'homme, qui interdisent toute restriction aux rassemblements pacifiques autre que celles « nécessaires dans une société démocratique » pour protéger un nombre restreint d'intérêts importants, notamment l'ordre public, la sécurité publique et les droits d'autrui.
« Les gouvernements étrangers et les organisations internationales devraient renforcer leurs condamnations des abus commis au Salvador et faire pression sur l'administration Bukele pour qu'elle abandonne les accusations infondées portées contre les défenseurs des droits humains », a conclu Juanita Goebertus.
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