(Jakarta, 4 septembre 2025) – Les autorités indonésiennes ont arrêté plus de 3 000 personnes lors de la répression de manifestations antigouvernementales tenues à travers le pays depuis fin août, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les autorités devraient enquêter de manière impartiale sur les allégations de recours excessif à la force par les forces de sécurité, notamment l’usage généralisé de gaz lacrymogènes visant à étouffer la dissidence et à dissuader la tenue de futures manifestations.
Le 25 août, des manifestations ont éclaté à Jakarta contre des avantages sociaux récemment annoncés pour les députés, ainsi que contre la hausse du coût de la vie et du chômage, provoquant des affrontements entre les forces de sécurité et les manifestants. Après la diffusion sur les réseaux sociaux d’une vidéo montrant un véhicule blindé de la police écrasant mortellement un chauffeur de taxi-moto, les manifestations se sont étendues à près de 50 villes du pays, dégénérant parfois en violences. Des activistes ont signalé au moins 10 morts, des centaines de blessés et 20 personnes « disparues ».
« Face aux manifestations contre les politiques gouvernementales, les autorités indonésiennes devraient s’abstenir de recourir à une force excessive et de détenir de manière abusive des manifestants », a déclaré Meenakshi Ganguly, directrice adjointe de la division Asie à Human Rights Watch. « Le président Prabowo devrait aussi reconnaître que dénoncer les motivations des manifestants ne fera qu'encourager les forces de sécurité à commettre des abus. »
Le 15 août, le gouvernement du président Prabowo Subianto a annoncé une allocation logement pour les législateurs, une mesure largement critiquée en raison des récentes mesures d'austérité gouvernementales, notamment des coupes budgétaires dans l'éducation, la santé et d'autres services. Des milliers d'étudiants, de lycéens et d'activistes se sont rassemblés devant le Parlement à Jakarta le 25 août.
Dans la soirée du 25 août, environ 1 500 policiers ont dispersé la manifestation à l'aide de canons à eau et de gaz lacrymogènes, appliquant ainsi une pratique policière interdisant les manifestations publiques après 18 heures. Des affrontements ont éclaté entre les manifestants et la police, faisant plusieurs blessés. Un ambulancier a déclaré à Human Rights Watch avoir porté secours à des manifestants souffrant de coupures et de brûlures causées par des gaz lacrymogènes. « J'ai vu deux jeunes hommes, probablement des élèves, se faire tabasser à l'intérieur d'un fourgon de police », a-t-il déclaré.
Le 28 août, de nombreux syndicats et groupes étudiants ont organisé de grandes manifestations à Jakarta et dans d'autres villes, principalement concentrées autour des bâtiments du parlement régional, pour réclamer des augmentations de salaires. Un journaliste économique a vu des cars remplis d'étudiants arriver devant le bâtiment du parlement à Jakarta. La manifestation était au début pacifique, les leaders étudiants prononçant des discours, jusqu'à ce que certains jettent des pierres sur la police et utilisent des bâtons de bambou pour tenter de briser le barrage. La Brigade mobile, la branche paramilitaire de la police utilisée pour le maintien de l'ordre et la lutte antiterroriste, a ensuite été déployée pour disperser les manifestants.
Les manifestations se sont propagées à d'autres quartiers, entraînant de nouveaux jets de pierres en raison de l'intervention policière. Un fourgon blindé de la police a mortellement percuté et renversé Affan Kurniawan, un conducteur de taxi-moto de 21 ans, avant de prendre la fuite à toute vitesse. « J'étais à moto et la camionnette roulait à toute vitesse sur ma gauche », a déclaré un témoin. « De nombreux conducteurs de motos en veste verte ont tenté de la suivre et de l'arrêter. »
Une employée de nettoyage a filmé l'incident sur son téléphone et l'a publié, ce qui a rapidement fait le tour des réseaux sociaux. Cela a déclenché de nouvelles manifestations, notamment de milliers de livreurs qui ont organisé des manifestations dans tout le pays. Le chef de la police nationale, le général Listyo Sigit, a présenté ses excuses et arrêté sept agents pour violation du code de déontologie policière.
Les manifestations se sont intensifiées dans tout le pays, avec des émeutes et des incendies criminels. Le 29 août, des manifestants présumés, après des affrontements avec la police, ont incendié des bureaux du gouvernement régional à Makassar, dans la province de Sulawesi du Sud, et à Mataram, sur l'île de Lombok. À Makassar, trois fonctionnaires pris au piège dans l'incendie sont morts, et des manifestants présumés ont battu à mort un chauffeur de moto-taxi qu'ils accusaient d'être un espion de la police. À Solo, dans la province de Java central, un chauffeur de cyclo-pousse est mort, semble-t-il, des suites d'une exposition aux gaz lacrymogènes tirés par la police.
Le 30 août, à Yogyakarta, sur l'île de Java, un étudiant a été battu à mort. Le 31 août, une foule a attaqué les domiciles de plusieurs députés et du ministre des Finances Sri Mulyani. Ailleurs, des manifestants ont lancé des pétards, des pierres et des cocktails Molotov sur la police, des bâtiments gouvernementaux, des gares et des passerelles piétonnes.
Le 1er septembre, la police antiémeute a tiré des gaz lacrymogènes sur des centaines d'étudiants qui campaient la nuit à l'Université de Pasundan et à l'Université islamique de Bandung, à Bandung, dans l'ouest de Java, après avoir participé à des manifestations. Des dizaines d'entre eux auraient été blessés. Un étudiant a ensuite récupéré 47 grenades lacrymogènes sur le campus de Pasundan.
Le président Prabowo a appelé au calme et a annoncé la suppression de certains avantages octroyés aux députés. Mais il aussi dénoncé, de manière infondée, des actes de « trahison » et de « terrorisme » et a déployé l'armée face aux manifestations. Certains étudiants et groupes de la société civile ont suspendu leurs manifestations pour « éviter une escalade de la violence de la part des autorités », mais des manifestations pacifiques se sont poursuivies à Jakarta et ailleurs. De nombreux manifestants et organisateurs sont entrés dans la clandestinité, craignant d'être arrêtés pour trahison ou terrorisme.
La police aurait arrêté arbitrairement au moins trois organisateurs de manifestations. Khariq Anwar, étudiant à l'Université de Riau à Sumatra, utilisait Instagram pour informer les manifestants. Syahdan Husein publiait des posts sur X pour organiser des manifestations dans le quartier de Gejayan à Yogyakarta, où se trouvent de nombreux établissements d'enseignement supérieur. Delpredro Marhaen, directeur exécutif de la Fondation Lokataru, basée à Jakarta, qui a procédé à 600 arrestations et fournissait une assistance juridique aux lycéens, a également été arrêté.
Les forces de sécurité ne devraient pas recourir à une force inutile ou excessive contre les manifestants, a déclaré Human Rights Watch. Si certaines actions des manifestants peuvent justifier le recours à la force, les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois prévoient que toutes les forces de sécurité doivent, dans la mesure du possible, recourir à des moyens non violents avant de recourir à la force. Lorsqu'un recours légal à la force est inévitable, les autorités doivent faire preuve de retenue et agir proportionnellement à la gravité de l'infraction. Les responsables de l'application des lois ne devraient pas utiliser d'armes à feu contre des personnes, sauf en cas de menace imminente de mort ou de blessure grave.
Les Lignes directrices des Nations Unies sur l'utilisation des armes à létalité réduite dans le cadre des opérations de maintien de l'ordre (2020) stipulent que les gaz lacrymogènes ne doivent être utilisés que lorsque cela est nécessaire pour prévenir de nouvelles atteintes à l'intégrité physique, et ne doivent pas être utilisés pour disperser des manifestations non violentes.
Les autorités indonésiennes devraient enquêter rapidement et de manière impartiale sur tout recours inutile ou excessif à la force par la police et les autres forces de sécurité, et sanctionner ou poursuivre les responsables de ces abus, a déclaré Human Rights Watch. Les manifestants arrêtés devraient être rapidement inculpés d'une infraction valable ou immédiatement libérés.
« Le gouvernement indonésien devrait veiller à ce que les forces de sécurité respectent les droits de réunion pacifique, la liberté d'expression et le respect d'une procédure régulière », a conclu Meenakshi Ganguly. « L'armée ne devrait pas être utilisée pour le maintien de l'ordre civil, car elle est encore plus susceptible de recourir à la force de manière abusive. »
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