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Le Conseil de l’UE cherche à affaiblir la loi sur les chaînes d’approvisionnement

Le Parlement européen devrait empêcher l’éviscération de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises

Des activistes de la Fédération bangladaise de solidarité avec les travailleurs participaient à un rassemblement à Dhaka, au Bangladesh, le 7 mai 2023, dix ans après l'effondrement du bâtiment « Rana Plaza », qui abritait plusieurs ateliers de confection ; cet incident, survenu le 24 avril 2013, avait tué plus de 1 130 personnes dont un grand nombre de travailleur-euse-s.  © 2023 Mamunur Rashid/NurPhoto via AP

(Bruxelles) – Les États membres de l’Union européenne (UE), sous l’impulsion de la France et de l’Allemagne, sont en train de trahir leur engagement de protéger les droits humains et l’environnement dans le cadre des chaînes d’approvisionnement mondiales, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le 23 juin, ces États membres ont approuvé une proposition du Conseil européen qui, si elle prenait force de loi, rendrait caduque une directive de l’UE sur la protection des droits le long des chaînes d’approvisionnement.

Cette directive, connue sous le nom de Directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (Corporate Sustainability Due Diligence Directive, CSDDD), était destinée à protéger les victimes d’abus des droits humains, ainsi que l’environnement, tout en créant un champ d’action équitable pour les entreprises. Elle a marqué une importante transition, les entreprises habituées jusque-là à appliquer certaines normes sur une base purement volontaire étant désormais tenues légalement responsables pour les violations des droits humains et de l’environnement commises tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement. Elle était entrée en vigueur en juillet 2024 dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe (European Green Deal), le projet phare de la Commission de l’UE pour rendre l’Union plus durable et neutre sur le plan climatique d’ici à 2050. 

« Les États membres de l’UE veulent réduire la loi européenne sur les chaînes d’approvisionnement à un simple morceau de papier, trahissant les victimes et les survivants d’abus commis le long des chaînes d’approvisionnement des entreprises européennes », a déclaré Hélène de Rengervé, chargée de plaidoyer senior sur la responsabilité des entreprises à Human Rights Watch. « Cette proposition trahit l’engagement de l’UE en faveur des droits humains et de la durabilité et, si elle devenait loi, aurait très peu d’impact pour empêcher les atteintes aux droits humains et à l’environnement dans les chaînes d’approvisionnement. »

La prochaine étape aura lieu lorsque le Parlement européen adoptera sa position concernant cette proposition d’abandon de la CSDDD. Il s’agira d’une occasion cruciale et définitive pour le Parlement de se prononcer pour éviter que la directive ne devienne obsolète et pour conserver de réelles protections pour les victimes d’abus commis par les entreprises. 

Les efforts en vue d’affaiblir la législation ont commencé en février 2025, lorsque la nouvelle Commission de l’UE a fait volte-face et avancé une proposition dite « Omnibus » visant à vider de leur substance les éléments les plus importants de la directive. Parmi ceux-ci figurent l’obligation pour les entreprises de faire preuve de vigilance en matière de droits humains et d’environnement tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement, ainsi que la possibilité pour les victimes de poursuivre en justice les entreprises si leurs droits sont violés. Ces mesures étaient considérées comme d’importants compromis, obtenus à la suite de négociations minutieuses. 

Certains lobbies industriels semblent avoir joué un rôle prépondérant dans les efforts en faveur des changements. Leurs appels à davantage de compétitivité et de simplification, qui sont utilisés pour justifier les démantèlements, masquent une vaste entreprise de déréglementation et ignorent le véritable objectif de la loi : protéger les victimes d’abus tout en créant un champ d’action équitable pour les entreprises.

L'Agence des droits fondamentaux de l'Union européenne, la Banque centrale européenne (BCE), des entreprises progressistes, des experts juridiques et des économistes, des personnalités de haut niveau, des responsables et experts de haut rang des Nations Unies et le Groupe de travail de l’ONU sur les entreprises et les droits de l’homme ont tous critiqué cette proposition, exhortant l’UE à ne pas affaiblir la directive.

La décision du 23 juin, prise sous l’égide de la présidence polonaise de l’UE, soutient le plan de la commission consistant à limiter les obligations de vigilance obligatoires et systématiques aux seuls fournisseurs directs. Mais, du fait que de nombreuses violations des droits humains sont commises plus loin le long de la chaîne mondiale d’approvisionnement, par exemple au niveau de l’extraction des matières premières ou de la fabrication, ces limites restreignent gravement la faculté de la loi d’empêcher les abus.

La décision est également en contradiction avec les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, qui étend la responsabilité des entreprises d’exercer leur vigilance en matière de droits humains à tous les maillons de leur chaîne de valeurs. Limiter le devoir de vigilance aux seuls fournisseurs directs équivaudrait à négliger les maillons de la chaîne d’approvisionnement où la plupart des abus sont commis, a déclaré Human Rights Watch. 

« Si la CSDDD est limitée au fournisseur direct, cela voudra dire qu’elle ne sera plus que des paroles creuses pour les travailleurs », a déclaré Kalpona Akter, une activiste du droit du travail du Bangladesh. « Nous serions laissés de côté. C’est inacceptable. »

Les États membres de l’UE ont même proposé d’aller encore plus loin dans la réduction des exigences de la directive, en affaiblissant les plans d’atténuation des effets des changements climatiques et en limitant le champ d’application de la loi aux entreprises de plus de 5 000 employés et de 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires.

Des estimations effectuées par le Centre de recherche sur les entreprises multinationales (Centre for Research on Multinational Corporations), présentées dans sa base de données sur la CSDDD, montrent que l’imposition d’un tel seuil exclurait 72,5 % des entreprises actuellement concernées par la loi de 2024, réduisant à moins de 1 000 le nombre de celles qui resteraient concernées. 

La proposition du Conseil de limiter le devoir de vigilance essentiellement aux fournisseurs directs signifie que les entreprises pourraient ignorer les maillons de leur chaîne d’approvisionnement où se situent la plupart des risques, tout en transférant à leurs fournisseurs directs les coûts et la responsabilité du devoir de vigilance dans le cadre de contrats commerciaux inéquitables. 

La décision du Conseil de remplacer une règle commune et harmonisée pour tenir les entreprises responsables par des règles propres à chaque État membre signifierait aussi qu’il y aurait 27 ensembles de règles. Cela rendrait plus complexe et plus coûteux l’application de la loi, tout en affaiblissant son aspect préventif et en encourageant les entreprises à faire du « forum shopping » pour trouver les États membres ayant les règles les plus avantageuses, a déclaré Human Rights Watch.

Des désastres industriels faisant des morts et des blessés parmi les travailleurs, comme l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza au Bangladesh, et les violations par les grandes entreprises des droits humains, du droit du travail et des normes environnementales le long des chaînes mondiales d’approvisionnement ont suscité un vaste mouvement de soutien à des législations contraignantes afin de tenir les entreprises responsables. Les organisations de défense des droits, les syndicats, des consommateurs, des dirigeants politiques et des entreprises progressistes ont milité en faveur de la loi.

Mais le processus législatif, qui a débuté en 2020, a été difficile ; il s’est heurté à une vive opposition de la part de multinationales et d’associations patronales, et les gouvernements françaisitalien et allemand ont mené les efforts, directement et aussi par l’intermédiaire de leurs groupement de lobbyistes d’employeurs, pour diluer les dispositions les plus importantes de la loi. 

La hâte inhabituelle avec laquelle la Commission a fait avancer la proposition Omnibus, au mépris de ses obligations administratives et procédurales et sans consulter sérieusement la société civile, a conduit huit organisations de la société civile à porter plainte auprès du bureau du Médiateur européen en avril. En réaction, la Médiatrice de l’UE a ouvert une enquête en mai. 

Human Rights Watch soutient cette initiative très importante des organisations et exhorte le bureau de la Mediatrice à tenter de mener à bien son enquête le plus promptement possible, dans la mesure du possible avant que le texte final de la CSDDD remaniée soit adopté. Cette enquête constitue un pas essentiel vers une complète transparence et responsabilité dans le processus de décision de la Commission, contribuant à assurer qu’elle reflète effectivement les valeurs démocratiques fondamentales de l’UE. 

« Le Parlement européen a l’occasion de mettre fin à cette course au nivellement par le bas et de se battre pour une loi qui tient réellement responsables les grandes entreprises pour leurs violations des droits humains et de l’environnement », a conclu Hélène de Rengervé. « Tant les victimes des abus des entreprises que les consommateurs de l’UE méritent mieux que la situation actuelle. »

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