Résumé
Maciré Camara[1], veuve et mère de cinq enfants, est paysanne à Diakhabia, un village de la région de Boké, en Guinée, en Afrique de l’Ouest. Lorsqu’on parcourt le village de Camara, où la plupart des voitures sont de vieux tacots qui font le taxi vers les villes voisines, il est difficile de voir le rapport entre cette commune rurale et le secteur mondial de l’automobile.
Et pourtant, la Guinée se trouve au cœur d’un boom extraordinaire de l’exploitation minière de bauxite, le minerai à partir duquel on produit l’aluminium, un métal léger qui fait partie des principaux composants des véhicules économes en carburant. Les plus grands gisements mondiaux de bauxite se trouvent en Guinée et leur exploitation connaît une expansion rapide : ils représentaient 4 % de la production mondiale en 2014, contre 22 % en 2020. La Guinée est désormais le plus gros exportateur de bauxite vers les raffineries chinoises, d’où sort la majeure partie de l’aluminium utilisé dans le monde. On exploite également la bauxite en Australie, au Brésil et en Inde, ainsi que dans quelques autres pays.
Le principal consommateur industriel d’aluminium est le secteur automobile : selon l’International Aluminium Institute (IAI), qui rassemble les acteurs du secteur, il a englouti 18 % de la consommation mondiale en 2019. L’IAI prévoit que la demande d’aluminium du secteur doublera d’ici 2050, à mesure que les constructeurs se tournent vers les véhicules électriques. L’aluminium est largement recyclable, mais plus de la moitié de celui qu’emploie le secteur automobile est de l’aluminium primaire tiré de la bauxite.
Les représentants du secteur de l’aluminium décrivent ce métal comme un matériau clé de la transition vers un monde plus écologique. Ainsi European Aluminium, une association rassemblant des industriels du secteur, a diffusé en 2018 une vidéo selon laquelle « la mobilité du futur est électrique… et le métal qui permet cet avenir électrique et écologique, c’est l’aluminium ». Cette description contraste pourtant singulièrement avec ce que vivent les villages comme celui de Camara, où l’exploitation de la bauxite a eu des conséquences dévastatrices.
Avant l’arrivée de l’exploitation de bauxite, la subsistance et les revenus de la famille de Camara étaient assurés par les activités agricoles, en particulier la plantation de riz, sur les terres fertiles qui bordent le Rio Nuñez. Cette famille gagnait jusqu’à 1,5 million de francs guinéens (soit près de 129 euros) par semaine lorsque la récolte était bonne et près de 10 millions de francs guinéens par an (environ 850 euros), soit à peine de quoi nourrir ses enfants.
Tout a changé en 2016, lorsqu’un consortium minier lié à la Société minière de Boké (SMB), la plus grande compagnie minière de Guinée exploitant la bauxite, a commencé à défricher des centaines d’hectares autour de Diakhabia pour y installer un port industriel. Depuis 2017, le port a vu passer des millions de tonnes de bauxite chaque année, acheminées vers des raffineries appartenant à China Hongqiao, le plus gros producteur mondial d’aluminium. China Hongqiao et d’autres entreprises qui s’approvisionnent en bauxite en Guinée fabriquent de l’aluminium qui constituera la matière première de composants utilisés par certains des principaux constructeurs automobiles du monde.
La famille de Camara faisait partie des dizaines de foyers de Diakhabia qui ont perdu leur terre au profit du port. Le consortium minier a indemnisé Camara à hauteur d’à peine plus de 4 millions de francs guinéens (près de 343 euros) en 2016, sous la forme d’un paiement unique qui ne remplacera pas la terre dont dépendait la famille pour sa subsistance. Plus de quatre ans plus tard, et sans sa terre à exploiter, Camara se retrouve plongée davantage dans la pauvreté. « Je n’ai pu trouver qu’un demi-hectare de terre à cultiver. Je ne gagne plus que 3 millions de francs guinéens par an (soit 257 euros) environ, a-t-elle déclaré en décembre 2020. Nous pouvions faire trois repas par jour, alors qu’aujourd’hui nous devons parfois nous contenter de deux, voire un. »
La SMB a indiqué à Human Rights Watch que ses projets faisaient chaque année l’objet d’un audit par le gouvernement guinéen afin de vérifier qu’elle respectait les droits humains et l’environnement et qu’elle versait une juste indemnisation aux propriétaires des terres qu’elle achetait.
L’histoire de Camara n’est qu’un exemple des conséquences profondes que la production de l’aluminium peut avoir sur les communautés rurales qui vivent à l’orée des mines et des raffineries à travers le monde.
Les mines de bauxite sont à ciel ouvert, ce qui suppose de grandes surfaces d’exploitation, qui couvrent souvent des zones d’intérêt écologique considérable dont les communautés locales dépendent pour leur subsistance. En Australie, l’exploitation de la bauxite s’opère depuis des décennies sur des terres qui appartiennent aux peuples autochtones. Beaucoup sont toujours en lutte pour obtenir leur restitution.
En détruisant la végétation et donc en facilitant l’érosion, l’exploitation de bauxite peut également contaminer les rivières et les cours d’eau, réduisant ainsi la qualité et la quantité d’eau à disposition des habitants des communes voisines. Au Ghana, une coalition rassemblant des associations et des groupes de citoyens fait valoir qu’un projet de mine de bauxite dans la forêt pluviale d’Atewa menace de contaminer les rivières qui alimentent des millions de personnes en eau potable.
Le processus de raffinage de la bauxite qui permet de produire de l’alumine, le produit intermédiaire qui sera ensuite transformé en aluminium, peut également avoir des effets significatifs sur l’environnement et les droits humains. Le raffinage de l’alumine produit de grandes quantités de boues rouges très corrosives qui, si elles ne sont pas stockées convenablement, peuvent polluer les cours d’eau et mettre en danger la santé des personnes qui se trouveraient à leur contact. Dans l’État de Pará au Brésil, une organisation non gouvernementale qui représente plus de 11 000 personnes, y compris des peuples autochtones et des Afro-brésiliens, a engagé plusieurs actions en justice contre Norsk Hydro, une compagnie qui exploite une mine de bauxite, une raffinerie et une fonderie d’aluminium. Elle lui reproche la contamination de plusieurs cours d’eau du bassin de l’Amazone. Norsk Hydro a indiqué à Human Rights Watch qu’elle respectait le droit des demandeurs d’engager une action en justice et qu’elle y répondrait sur la base des faits et des éléments de preuve qui seront produits devant le tribunal.
La production d’aluminium émet en outre des quantités significatives de gaz à effet de serre en raison du processus de transformation de l’alumine en aluminium, très gourmand en énergie. Cette énergie est en grande partie produite par des centrales à charbon. En Chine, principal producteur d’aluminium au monde, 90 % de la production d’aluminium en 2018 a utilisé de l’électricité produite par des centrales à charbon. La production d’aluminium rejette ainsi plus d’un milliard de tonnes d’équivalent CO2 chaque année, soit près de 2 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre.
Le présent rapport, fruit d’une collaboration entre Human Rights Watch et Inclusive Development International, fait valoir que compte tenu du recours massif à l’aluminium dans le secteur automobile mondial, les constructeurs ont la responsabilité, au titre des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, de s’attaquer aux conséquences de la production de l’aluminium sur les droits humains et sur l’environnement.
Ce rapport s’ouvre sur une présentation des effets du secteur de l’aluminium sur les droits humains à partir d’exemples provenant des quatre coins du monde et d’une étude de cas approfondie de l’exploitation minière de la bauxite en Guinée, résultant d’une recherche menée entre 2017 et 2020 sur le terrain et à distance. Le rapport s’attache ensuite aux efforts actuellement consentis par le secteur automobile pour s’approvisionner en aluminium de manière plus responsable, sur la base de réunions et de correspondances menées avec neuf constructeurs : BMW (siège en Allemagne), Daimler (Allemagne), Ford (États-Unis), General Motors (États-Unis), le Groupe PSA (France, appartenant désormais au groupe Stellantis), Renault (France), Toyota (Japon), Volkswagen (Allemagne) et Volvo (Suède). Trois constructeurs, BYD (Chine), Hyundai (Corée du Sud) et Tesla (États-Unis), n’ont pas répondu à nos demandes d’informations. En mettant en regard des exemples des conséquences de la production d’aluminium sur les populations locales observés sur le terrain et les échanges avec des constructeurs automobiles sur leur possibilité d’y réagir, ce rapport met en lumière la pressante nécessité que le secteur automobile s’implique davantage pour protéger les villages comme celui de Camara des conséquences de l’exploitation de la bauxite.
L’approvisionnement en aluminium, angle mort du secteur automobile
Beaucoup des principaux constructeurs automobiles mondiaux disposent de politiques de responsabilité sociale des entreprises qui leur imposent de repérer et de remédier aux violations des droits humains qui pourraient entacher leurs chaînes d’approvisionnement. Toutefois, et en dépit du recours croissant à l’aluminium dans le secteur automobile, les conséquences de la production de ce métal et en particulier de l’exploitation minière de bauxite sur les droits humains restent dans l’angle mort.
Bien que la connaissance de leur chaîne d’approvisionnement en aluminium par les constructeurs varie, aucune des neuf entreprises qui ont répondu à Human Rights Watch et à Inclusive Development International n’avait cartographié sa chaîne d’approvisionnement en aluminium pour y rechercher les risques de violations des droits humains avant d’être contactée pour ce rapport. En menant des activités de diligence raisonnable concernant leur chaîne logistique, les constructeurs se sont plutôt focalisés sur d’autres matériaux essentiels aux véhicules électriques, comme le cobalt nécessaire aux batteries. Plusieurs cadres du secteur ont souligné le besoin de mettre en cohérence leur transition vers des véhicules plus respectueux de l’environnement et un approvisionnement responsable.
Bien que dans l’ensemble, le secteur automobile n’ait pas fait de gros efforts pour s’approvisionner en aluminium de manière responsable, plusieurs entreprises, Audi, BMW et Daimler ont rejoint un programme de certification, l’Aluminium Stewardship Initiative (ASI), qui recourt à des audits de tierces parties pour évaluer les mines, les raffineries et les fonderies à l’aune d’une norme de performance qui comprend des critères environnementaux et de respect des droits humains. Selon l’ASI, 11 % des mines de bauxite et des raffineries d’alumine en service, et 20 % des fonderies d’aluminium, sont actuellement certifiées au titre de la norme de performance. Volkswagen, BMW et Daimler encouragent les producteurs d’aluminium à rejoindre l’ASI et à accroître la part d’aluminium certifié dans leur offre commerciale.
Les normes et les procédures d’audit de l’ASI auraient cependant besoin d’être sensiblement renforcées. Les normes de l’ASI en matière de droits humains, qui font actuellement l’objet d’une révision, devraient protéger davantage les populations qui ont perdu leurs terres au profit des mines, notamment celles qui disposaient de droits coutumiers. Plus largement, les critères relatifs aux droits humains parmi les normes de l’ASI ne sont pas suffisamment détaillés. Ils ne décomposent pas les sujets essentiels des droits humains, comme la réinstallation des personnes déplacées par l’exploitation minière, en critères suffisamment détaillés pour évaluer les politiques et pratiques des entreprises. La procédure de vérification de la conformité des activités minières à la norme de l’ASI devrait également comprendre de meilleures garanties de la participation des communautés locales à la procédure d’audit et devrait assurer que les rapports d’audit publiés indiquent clairement si un site est conforme aux normes de l’ASI et en quoi. En l’absence d’exigence claire de participation des populations aux audits de l’ASI et d’une plus grande transparence des rapports d’audit, ces procédures ne donnent que peu d’indices sur la manière dont une compagnie respecte les droits humains sur le terrain.
BMW et Daimler ont indiqué que l’ASI devrait envisager d’aligner plus étroitement ses normes et processus de vérification sur un autre programme de certification, l’Initiative for Responsible Mining Assurance (IRMA). Human Rights Watch est membre du conseil d’administration de l’IRMA, qui promeut des normes plus étoffées en matière de droits humains, des instructions plus claires sur la manière d’associer les populations locales aux rapports d’audit et qui jusqu’à présent a publié des rapports d’audit plus détaillés. Fiona Solomon, la présidente-directrice générale (PDG) de l’ASI, a déclaré que dans le cadre de la révision de ses normes, l’ASI « améliorait les instructions données à ses auditeurs en matière de consultation et de sensibilisation des populations touchées ». Elle a également affirmé que l’examen des normes de l’IRMA, entre autres, faisait partie du processus de révision des normes.
Les constructeurs automobiles devraient en outre avoir conscience que le fait d’acheter l’aluminium certifié ne suffit pas à remplir leur obligation de réduire les risques pour les droits humains le long de leur chaîne d’approvisionnement. Les systèmes de certification reposent sur des audits indépendants dont l’intérêt est passablement limité, selon les recherches effectuées. La consultation inadéquate des populations concernées et les connaissances lacunaires des auditeurs en matière de droits humains font partie des critiques qui ont été formulées. L’approvisionnement en aluminium certifié ne devrait être qu’une partie d’un processus de responsabilité plus large pour les constructeurs automobiles, qui devrait comprendre la cartographie de la chaîne logistique et sa communication publique, une analyse des risques, des mécanismes de réclamation et un engagement direct auprès des mines, des raffineries et des fonderies qui ne respecteraient pas leurs obligations au regard des droits humains.
Certains constructeurs automobiles ont, depuis qu’ils ont été contactés par Human Rights Watch et Inclusive Development International, commencé à prendre de telles mesures. Drive Sustainability, une coalition de onze constructeurs parmi lesquels BMW, Daimler, Ford, Toyota, Volkswagen et Volvo a lancé en mai 2021 un projet d’évaluation des risques pour les droits humains au sein des chaînes d’approvisionnement en aluminium et neuf autres matériaux, dont elle affirme qu’il pourrait constituer un prélude à une action collective du secteur aux fins de la fixation de normes plus ambitieuses dans ses chaînes logistiques. D’autres entreprises, parmi lesquelles Renault ont également entamé un dialogue avec leurs fournisseurs au sujet des risques vis-à-vis des droits humains dans le secteur de l’aluminium. En janvier 2021, Drive Sustainability a également écrit à l’Aluminium Association, qui regroupe des dizaines de producteurs d’aluminium, afin « d’exprimer ses inquiétudes au sujet de la situation en Guinée », de demander des informations sur les efforts mis en œuvre par ses membres pour s’assurer du respect des droits humains et d’exprimer son soutien à la médiation en cours entre une compagnie minière guinéenne et treize communes touchées. En novembre 2020, le groupe BMW a fait savoir que si l’exploitation de bauxite dans la forêt d’Atewa au Ghana enfreignait les engagements du gouvernement en matière de lutte contre le dérèglement climatique et de préservation de la biodiversité, BMW n’accepterait plus d’aluminium provenant de cette forêt dans sa chaîne d’approvisionnement.
Que devrait faire ensuite le secteur automobile ?
Ces mesures positives pourraient être les premières étapes d’un effort plus conséquent des constructeurs automobiles en vue de s’attaquer aux violations des droits humains dans la production d’aluminium. Les constructeurs pourraient commencer par s’assurer que des normes contraignantes en matière de droits humains et d’environnement soient intégrées à leurs contrats d’approvisionnement et exiger de leurs fournisseurs qu’ils intègrent à leurs contrats des dispositions similaires dans l’ensemble de leur chaîne logistique.
Les constructeurs ne peuvent cependant compter uniquement sur leurs fournisseurs pour mettre en application les normes relatives aux droits humains et aux normes environnementales. Tous les constructeurs devraient faire de l’aluminium une priorité de leur recherche d’un approvisionnement responsable en matières premières et cartographier leur chaîne logistique pour repérer les mines, les raffineries et les fonderies d’où provient l’aluminium qu’ils utilisent. Les constructeurs devraient ensuite diffuser ces informations pour permettre aux populations locales et aux ONG de partager les informations dont elles disposent sur les risques pour les droits humains.
Une fois leurs chaînes d’approvisionnement cartographiées, les constructeurs devraient régulièrement évaluer, par le biais de rigoureux audits de tierces parties, mais aussi par un dialogue avec des ONG et des groupes citoyens, les atteintes aux droits humains causées par les mines, raffineries et fonderies. Ces audits de tierces parties devraient être conçus sur la base des contributions de différents acteurs, y compris la société civile et des populations concernées, et devraient permettre la participation des communautés affectées sans qu’elles aient à craindre de représailles. Les constructeurs devraient également visiter les mines de bauxite, les raffineries d’alumine et les fonderies d’aluminium et rencontrer les populations locales qui subissent les conséquences de l’installation de ces sites.
Les constructeurs devraient alors élaborer des stratégies pour atténuer et s’attaquer aux violations des droits humains dans leurs chaînes d’approvisionnement en aluminium. Ils devraient par exemple s’engager aux côtés des mines, des raffineries et des fonderies impliquées dans des violations des droits humains et exiger d’elles qu’elles mettent en place dans un délai strict des programmes de mesures correctives et remédient aux préjudices causés aux victimes. Si les sites ne prenaient pas de mesures correctives dans un délai raisonnable, les constructeurs devraient alors refuser les pièces en aluminium qui en proviennent et exiger de leurs fournisseurs qu’ils mettent un terme à leur contrat avec ces sites.
Les constructeurs pourraient également envisager de mener des actions collectives, en collaboration avec des groupes de la société civile et d’autres acteurs clés pour prévenir les risques pour les droits humains communs à l’exploitation de bauxite, au raffinage de l’alumine et à la production d’aluminium dans un pays ou une région donnée. Ces initiatives pourraient comprendre par exemple l’audit des compagnies minières de la région pour comparer leurs pratiques et repérer les domaines qui requièrent généralement des améliorations.
Enfin, les constructeurs automobiles devraient élaborer des mécanismes de réclamation permettant à des communautés de déposer des plaintes concernant des violations de droits humains commises par des mines de bauxite et des producteurs d’aluminium dans leur chaîne d’approvisionnement Les constructeurs devraient également soutenir l’adoption de lois contraignant les entreprises à exercer une véritable responsabilité en matière de droits humains, créant ainsi une concurrence équitable dans l’ensemble du secteur et accentuant la pression sur leurs fournisseurs pour qu’ils respectent des droits humains.
L’histoire de Camara et de son village en Guinée n’est pas encore complètement écrite. Le consortium SMB, qui exploite le port à proximité du village, a le droit d’extraire de la bauxite dans la zone au moins jusqu’en 2031 et il restera assez de minerai dans la région de Boké pour poursuivre l’extraction bien au-delà de cette date. L’expérience de Camara face à ce consortium illustre l’immense déséquilibre des pouvoirs entre les populations touchées et les multinationales minières. En pesant de tout leur poids, les constructeurs automobiles peuvent faire progresser le respect des droits humains dans le secteur de l’aluminium et ainsi contribuer à un avenir meilleur pour le village de Camara et pour bien d’autres régions.
Méthodologie
Le présent rapport de Human Rights Watch et Inclusive Development International plaide pour la responsabilisation du secteur automobile, qui devrait prendre des mesures plus ambitieuses pour assurer le respect des droits humains dans la production d’aluminium, en particulier l’extraction et le raffinage de la bauxite, le minerai nécessaire à la fabrication de ce métal. L’aluminium est en effet essentiel au passage à des véhicules plus légers et plus respectueux de l’environnement, notamment les voitures électriques.
Conséquences de la production d’aluminium sur les droits humains
La description des conséquences de la production d’aluminium sur les droits humains s’appuie sur des recherches à distance sur les conséquences des activités de ce secteur à travers le monde, et notamment l’analyse des documents publiés par des industriels du secteur, des ONG et des journalistes. Le rapport s’appuie en outre sur une étude de cas portant sur l’extraction de bauxite en Guinée, le pays qui dispose des plus grands gisements au monde et se classe deuxième producteur de ce minerai. Cette étude illustre les effets de cette activité sur les droits humains. Le chapitre consacré à la Guinée s’attache en particulier aux cas de deux compagnies minières, la Société minière de Boké (SMB) et la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG) qui à elles seules représentaient plus de 70 % des exportations de bauxite guinéenne en 2019 et presque 60 % en 2020.
Les données rassemblées en Guinée se fondent sur des recherches approfondies menées par Human Rights Watch et Inclusive Development International. Human Rights Watch a effectué une recherche de terrain de plus de six semaines dans les zones de Guinée concernées par l’exploitation minière entre 2017 et 2019, qui ont servi de base à un rapport de 145 pages publié en 2018. En 2020, en pleine pandémie de Covid-19, Human Rights Watch a mené 18 entretiens téléphoniques avec des habitants de ces zones et des représentants d’ONG, des cadres de compagnie minière et des journalistes spécialistes du secteur minier. Les conclusions de Human Rights Watch au sujet du secteur minier en Guinée sont également basées sur l’analyse d’images satellites, l’examen des études d’impact environnemental et social et les audits menés par le gouvernement et les entreprises, ainsi que sur des correspondances et des échanges avec des représentants du gouvernement et des cadres des compagnies minières.
Inclusive Development International a également mené des recherches approfondies et des actions de plaidoyer en Guinée. En février 2019, aux côtés d’ONG guinéennes, Inclusive Development International a engagé une plainte pour le compte de treize villages subissant les activités de la CBG contre la Société financière internationale (IFC), un organe de la Banque mondiale qui a prêté 200 millions de dollars à l’entreprise pour étendre ses activités minières. La CBG et les populations des villages ont entamé une médiation conduite par le conseiller médiateur de l’IFC afin de trouver une solution aux préjudices subis par les populations locales. Inclusive Development International et deux ONG guinéennes accompagnent les représentants des communes dans cette procédure de médiation.
Avant de déposer cette plainte et par la suite, Inclusive Development International et des ONG guinéennes ont mené de longues recherches de preuves afin d’étayer leurs allégations quant aux conséquences des activités minières de la CBG sur les communautés locales. Ces recherches comprenaient des entretiens individuels, des discussions de groupes, une cartographie participative avec 17 villages concernés par les opérations de la CBG et une analyse des images satellites prises entre 1973 et 2019.
En dépit de la pandémie de Covid-19, Inclusive Development International est restée en contact étroit et permanent avec les treize communes associées à la plainte contre la CBG, s’est entretenue avec les représentants de ces habitants et a mené des recherches sur le terrain afin d’illustrer les effets de l’expansion des activités minières en 2020.
Human Rights Watch a écrit à la SMB et à la CBG en mai 2021 pour les informer de la publication de ce rapport et leur a demandé de lui communiquer des données à jour sur leurs pratiques sociales, environnementales et relatives aux droits humains. Human Rights Watch a également organisé une réunion en ligne avec la CBG en juin 2021, qui a été suivie de courriers de la SMB et de la CBG. Human Rights Watch a demandé en retour de plus amples précisions aux deux compagnies, notamment des commentaires sur la cartographie de leur chaîne d’approvisionnement. À l’heure de la rédaction de ce rapport, Human Rights Watch n’avait pas encore reçu de réponse à cette requête.
En mai 2021, Human Rights Watch a écrit au ministre des Mines et de la Géologie pour lui poser des questions sur la supervision du secteur de l’exploitation de la bauxite par le gouvernement. Le ministre a répondu en juin 2021. Des copies des courriers reçus de la CBG, de la SMB et du gouvernement guinéen sont disponibles sur le site internet de Human Rights Watch.
Approvisionnement en aluminium du secteur automobile
Les recherches menées aux fins du présent rapport sur l’approvisionnement en aluminium des constructeurs automobiles comprennent une cartographie de la chaîne logistique et des études des mesures prises par le secteur pour prendre en compte le respect des droits humains dans ses politiques d’achats.
Pour prouver les liens entre l’exploitation de la bauxite, la production d’aluminium et le secteur automobile mondial, Inclusive Development International a enquêté avec minutie pour identifier les maillons de la chaîne logistique qui relient la bauxite produite en Guinée, la principale étude de cas de ce rapport, et les pièces en aluminium utilisées par les constructeurs automobiles internationaux. Cette enquête, qui s’est déroulée entre 2017 et 2019, s’est appuyée sur des sources publiques et des données financières, d’import-export et d’expédition communiquées par les entreprises et des reportages de la presse.
Entre mai et octobre 2020, Human Rights Watch et Inclusive Development International ont mené une recherche à distance sur les politiques de responsabilité sociale des constructeurs automobiles en matière de droits humains et d’approvisionnement responsable et ont passé en revue les documents publiés par les constructeurs pour décrire leurs politiques d’achats et de développement durable, ainsi que les rapports produits par des ONG et des groupes du secteur. Les deux organisations ont ensuite écrit à douze constructeurs automobiles pour leur demander quelles mesures ils avaient mises en place pour assurer un approvisionnement responsable en aluminium. Nous avons identifié ces entreprises sur la base de plusieurs critères, y compris leurs parts du marché mondial de l’automobile et du marché mondial des véhicules électriques, et en cherchant à maintenir une certaine diversité géographique entre les entreprises ciblées.
Human Rights Watch et Inclusive Development International ont enfin rencontré les représentants de sept des douze entreprises contactées avant la publication de ce rapport. BMW (siège en Allemagne), Daimler (Allemagne), Ford (États-Unis), General Motors (États-Unis), le Groupe PSA (France, appartenant désormais au groupe Stellantis), Renault (France), et Volkswagen (Allemagne). Toyota (Japon) et Volvo (Suède) ont répondu à nos courriers par écrit. Nous n’avons pas reçu de réponse de BYD (Chine), Hyundai (Corée du Sud) et Tesla (États-Unis).
Dans le cadre de cette recherche, nous avons également parlé avec plusieurs représentants d’associations rassemblant des acteurs des secteurs de l’aluminium et de l’automobile, notamment Drive Sustainability, qui regroupe onze constructeurs parmi lesquels BMW, Daimler, Ford, Toyota, Volkswagen et Volvo, l’International Aluminium Association, une organisation professionnelle et l’Aluminium Stewardship Initiative (ASI), le principal programme de certification du secteur de l’aluminium. Nous avons contacté l’ASI par écrit en avril 2021 pour leur proposer nos observations sur un projet de révision de leurs normes. En juin 2021, nous leur avons également communiqué les conclusions préliminaires de ce rapport. L’ASI nous ont répondu lors des réunions que nous avons organisées en juin 2021 et l’ASI nous a également fait une réponse écrite.
L'aluminium et le secteur automobile
L’aluminium est un métal léger mais solide obtenu à partir de la bauxite, un minerai rouge[2]. On trouve des gisements de bauxite en Guinée, dont le sol abrite les réserves les plus abondantes au monde, mais aussi en Australie, qui en est actuellement le plus gros producteur et dans d’autres pays tels que le Brésil, la Chine, l’Inde, la Jamaïque et le Vietnam[3]. On obtient de l’aluminium primaire après un processus de raffinage durant lequel la bauxite est transformée en un produit intermédiaire, l’alumine, qui est fondu pour donner de l’aluminium[4]. Généralement, on estime qu’il faut quatre tonnes de bauxite séchée pour produire deux tonnes d’alumine et obtenir une tonne d’aluminium[5]. Certains producteurs d’aluminium sont « verticalement intégrés », c’est-à-dire qu’ils exploitent (seuls ou à plusieurs) leurs propres mines, raffineries et fonderies d’aluminium[6].
Avec 18 % de la consommation mondiale d’aluminium en 2019, les constructeurs automobiles constituent un utilisateur majeur industriel d’aluminium[7]. Bien que l’emploi de l’aluminium puisse varier selon les marques d’automobiles, les fabricants recourent actuellement à des pièces en aluminium pour les moteurs, châssis, structures de l’habitacle, panneaux de carrosserie, roues et de nombreux autres composants plus petits[8].
L’emploi de l’aluminium dans le secteur automobile s’est fortement accru à partir du moment où les constructeurs ont cherché à rendre les voitures thermiques plus légères pour améliorer leur rendement énergétique et réduire leurs émissions[9]. Une étude menée en Amérique du Nord a permis d’estimer que la teneur moyenne en aluminium des voitures était passée de 38 kilos par véhicule entre 1975 à 154 kilos en 2010 et à 211 kilos en 2020, soit 13 % du poids total du véhicule[10].
L’utilisation de l’aluminium dans les voitures est appelée croître encore, à mesure que le secteur se tourne vers les véhicules électriques et hybrides pour limiter les émissions de gaz à effet de serre et ainsi lutter contre les changements climatiques[11]. Deloitte, un cabinet de conseil, prévoit une hausse spectaculaire des ventes de véhicules électriques, qui passeraient de 2 millions en 2018 à 12 millions en 2025 puis à 21 millions en 2030[12].
Le faible poids de l’aluminium en fait un composant essentiel des voitures électriques, puisque c’est cette caractéristique qui permet d’accroître la distance qu’elles peuvent parcourir avant d’être rechargées[13]. L’aluminium peut également servir à fabriquer l’enveloppe des batteries électriques[14]. European Aluminium, une association rassemblant des industriels du secteur, a diffusé en 2018 une vidéo selon laquelle « la mobilité du futur est électrique… et le métal qui permet cet avenir électrique et écologique, c’est l’aluminium[15] ». L’International Aluminium Institute (IAI), une autre association professionnelle, estime que la demande en aluminium du secteur automobile doublera d’ici 2050, passant ainsi de 17 millions de tonnes en 2019 à près de 35 millions de tonnes[16].
L’aluminium est largement recyclable et la production d’aluminium recyclé, dit « aluminium secondaire », est plus efficace d’un point de vue énergétique et génère moins de déchets que la production d’aluminium à partir de bauxite[17]. L’aluminium primaire constitue cependant la majeure partie de l’aluminium fabriqué dans le monde et représente 66 % de la production de 2019, contre 34 % pour l’aluminium recyclé[18]. Dans le secteur automobile, l’IAI estime à 42 % la part de l’aluminium recyclé et à 58 % la part d’aluminium primaire[19]. L’IAI a même prévu qu’en 2050, l’aluminium primaire constituera encore 50 % du total produit dans le monde et que le secteur automobile en utilisera encore 45 %[20].
Conséquences de la production d’aluminium sur les droits humains
Expropriation des terres pour l’exploitation minière
L’extraction de la bauxite se faisant à ciel ouvert, elle requiert l’accès à de grandes surfaces de terres, forçant souvent la relocalisation de foyers ou de villages, réduisant l’accès à des fermes et à des pâtures, et menaçant l’accès au logement et à la nourriture ainsi que le droit à un niveau de vie adéquat [21].
En Australie, l’exploitation de la bauxite s’est implantée depuis des décennies sur des terres appartenant aux peuples autochtones, qui ont été souvent déplacés et dépossédés de leurs terres ancestrales[22]. Bien que l’Australie ait renforcé, à partir du milieu des années 1970, la protection des droits des peuples aborigènes et insulaires du détroit de Torres sur leurs terres, beaucoup continuent de se battre pour la restitution de celles qui leur ont été prises, pour la réparation des dommages causés à ces terres et pour leur droit d’exercer un contrôle sur l’extraction de ressources de ces sols et d’en tirer pleinement profit[23].
En Guinée, comme l’étude de cas décrite ci-après, l’extraction de bauxite est en plein essor dans des zones occupées par des populations qui disposent généralement de droits coutumiers ancestraux sur les terres. Une étude commanditée par le ministère guinéen des Mines et de la Géologie estimait en 2019 qu’au cours des vingt prochaines années, l’exploitation minière de la bauxite détruirait 858 kilomètres carrés de terres agricoles et plus de 4 700 kilomètres carrés de milieux naturels, une surface six fois plus vaste que la ville de New York[24]. Les familles guinéennes, qui souvent dépendent de l’agriculture pour leur subsistance, ne reçoivent généralement pas de terre de remplacement ni d’indemnisation adéquate de la part des compagnies minières, ce qui signifie que la perte de leurs terres les prive de leurs sources de revenu et risque de les plonger dans une pauvreté plus extrême encore[25].
Un accès compromis à l’eau
L’exploitation de la bauxite, à moins qu’elle ne soit menée de manière responsable, peut avoir de graves conséquences sur l’hydrologie des milieux alentour et menacer l’accès à l’eau[26]. L’exploitation minière à ciel ouvert peut accroître en effet l’érosion des sols et augmente la quantité de sédiments qui se déversent dans les rivières voisines et les courants. Petit à petit, le débit d’eau peut s’en trouver obstrué et la qualité de l’eau disponible pour les organismes aquatiques réduite[27]. Les sédiments peuvent également apporter de l’aluminium, des composés de fer, ou encore des métaux lourds présents dans la nature qui peuvent être dangereux à de fortes concentrations, ce qui réduit encore l’accès des populations locales à une eau pure[28].
En Malaisie, les images des rivières et des régions côtières polluées par les sédiments ont largement contribué à la décision du gouvernement d’interdire l’exploitation de la bauxite pour des raisons environnementales en janvier 2016[29]. Le gouvernement est revenu sur cette interdiction en mars 2019[30].
Au Ghana, une coalition d’ONG et de groupes citoyens a entamé une action en justice pour s’opposer à un projet de mine de bauxite dans la réserve de la forêt tropicale d’Atewa[31]. Ces demandeurs font valoir que le défrichement de la forêt pour l’exploitation de la bauxite menacerait l’accès à la nourriture et aux moyens de subsistance des populations locales et nuirait à la qualité comme à la quantité de l’eau potable des trois rivières sur lesquelles comptent des millions de personnes[32].
En Guinée, les habitants des zones touchées ont déclaré à Human Rights Watch et à Inclusive Development International que les sédiments provenant des mines de bauxite et des routes qui les desservent ont réduit la quantité et la qualité des eaux des rivières, ruisseaux et puits sur lesquelles ils comptent pour se laver, cuisiner et boire[33].
Conséquences du raffinage de l’alumine
Les raffineries sont généralement situées à proximité des mines d’où la bauxite est extraite afin de pouvoir la transporter facilement d’un site à l’autre[34]. Les raffineries d’alumine peuvent également causer de graves dégâts environnementaux et des impacts importants sur les droits humains. Le processus de raffinage, par exemple, génère de très grandes quantités d’un sous-produit caustique, connu sous le nom de « boue rouge ». La production d’une tonne d’alumine crée une à une tonne et demie de boue rouge[35]. La boue rouge est hautement basique et contient des composés ferreux et des oxydes métalliques qui peuvent nuire aux écosystèmes locaux[36]. Si elle n’est pas stockée proprement, elle peut contaminer les cours d’eau et porter préjudice aux personnes par simple contact[37].
La rupture d’un barrage qui avait été construit pour contenir de la boue rouge en Hongrie en octobre 2010 a causé l’inondation de plus de 250 maisons, tuant au moins dix personnes et en blessant 150 autres, dont certaines ont été brûlées par cette boue caustique à travers leurs vêtements, selon les reportages qui y ont été consacrés[38]. Dans l’État de Pará au Brésil, une organisation non gouvernementale qui représente plus de 11 000 personnes, y compris des peuples autochtones et des Afro-brésiliens, a engagé plusieurs actions en justice contre Norsk Hydro, une compagnie qui exploite une mine de bauxite, une raffinerie et une fonderie d’aluminium. Elle lui reproche la contamination de cours d’eau du bassin de l’Amazone[39]. Norsk Hydro a indiqué à Human Rights Watch qu’elle respectait le droit des demandeurs d’engager une action en justice et qu’elle y répondrait « sur la base des faits et des éléments de preuve qui seront demandés devant le tribunal ».[40]
Aluminium et changements climatiques
La production d’aluminium primaire est très gourmande en énergie[41], notamment en raison du processus de transformation de l’alumine en aluminium par électrolyse. La production d’aluminium émet ainsi plus d’un milliard de tonnes d’équivalent CO2 chaque année, soit près de 2 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre[42]. La production d’aluminium recyclé ou secondaire requiert environ un dixième de l’énergie nécessaire à la fabrication d’aluminium primaire[43].
L’empreinte carbone considérable du secteur de l’aluminium est en grande partie due à sa consommation d’électricité issue du charbon. À l’échelon mondial, 71 % de l’électricité consommée par la production d’aluminium provient de combustibles fossiles, et plus de 60 % de centrales à charbon[44]. Les fonderies d’aluminium chinoises, qui produisent plus de la moitié de l’aluminium primaire dans le monde, dépendent particulièrement du charbon, avec 90 % de l’aluminium chinois fabriqué avec de l’électricité issue de centrales à charbon en 2018[45]. Nombre des principaux producteurs chinois d’aluminium disposent de leur propre centrale à charbon extérieure au réseau électrique chinois. Près de 75 % de l’énergie utilisée en Chine par le secteur de l’aluminium est autoproduite[46].
Étude de cas : l’exploitation de la bauxite en Guinée
Le boom de la bauxite en Guinée
La Guinée est un petit pays riche en ressources d’Afrique de l’Ouest, qui compte près de 13,1 millions d’habitants[47]. Elle recèle les plus abondantes réserves de bauxite du monde (le minerai nécessaire pour fabriquer de l’aluminium) : plus d’un tiers des gisements connus[48]. Le sol de la Guinée renferme également des gisements de fer, de l’or et des diamants[49].
L’exploitation minière est de longue date une ressource importante pour l’économie guinéenne. Un rapport de la Banque mondiale d’août 2020 estime à 15 % la part que représente l’extraction minière dans le produit intérieur brut et entre 20 et 25 % ce qu’elle représente dans les recettes du gouvernement[50]. Mais en dépit de cette richesse minérale, la Guinée reste l’un des pays les plus pauvres du monde : elle figure au 174e rang des 189 états classés selon leur indice de développement humain en 2019[51].
Le secteur de la bauxite guinéen est en plein essor depuis 2015. Selon les chiffres de la Banque mondiale, les investissements étrangers dans l’exploitation de la bauxite de la région de Boké s’élèvent à 5 milliards de dollars depuis cette date[52]. La demande en bauxite guinéenne sur les marchés mondiaux est en forte hausse, notamment depuis que l’Indonésie et la Malaisie ont interdit l’exportation de bauxite, respectivement en 2014 et en 2016[53]. La Guinée est en passe de devenir le plus gros producteur de bauxite au monde, avec une part de marché passée de 4 % (soit 17 millions de tonnes) en 2014 à 22 % (82 millions de tonnes) en 2020[54]. Elle est déjà le plus gros exportateur de bauxite vers les raffineries chinoises, qui en 2020 produisaient plus de 56 % de l’aluminium primaire mondial tout en n’extrayant que 16 % de la bauxite mondiale[55]. La part de la Guinée sur le marché mondial de la bauxite va probablement croître encore dans les prochaines années, le gouvernement du pays entendant dépasser les 100 millions de tonnes par an[56].
La Société minière de Boké (SMB) et la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG) sont les deux entreprises étudiées dans ce rapport. Elles représentaient plus de 70 % des exportations de bauxite guinéenne en 2019 et près de 60 % en 2020[57]. La SMB est un consortium qui rassemble le plus gros producteur d’aluminium au monde, le China Hongqiao Group, qui exploite ses propres raffineries d’alumine et fonderies d’aluminium en Chine, ainsi que Winning International Group, une compagnie singapourienne de transport et une entreprise logistique guinéenne, United Mining Services International[58]. La CBG est une coentreprise appartenant conjointement au gouvernement guinéen et aux multinationales de l’extraction minière Rio Tinto, Alcoa et Dadco[59].
Rôle de la Guinée dans la chaîne d’approvisionnement internationale
L’expansion de l’exploitation de la bauxite en Guinée montre qu’elle joue un rôle croissant dans les chaînes d’approvisionnement mondial. Outre les raffineries chinoises, la bauxite provenant de Guinée est exportée vers des raffineries canadiennes, françaises, allemandes, irlandaises, russes, espagnoles et émiraties[60]. La Guinée elle-même a raffiné moins d’un million de tonnes sur les 82 millions qu’elle a produites en 2020. Le gouvernement guinéen entend accroître les capacités de raffinage de son pays dans les prochaines années[61].
Pour explorer en détail les liens entre l’industrie minière guinéenne et le secteur automobile mondial, Inclusive Development International a suivi la bauxite produite par la CBG et la SMB tout au long des chaînes logistiques mondiales. La CBG et la SMB disposent de permis d’exploitation courant respectivement jusqu’à 2040 et 2031 au moins, ce qui signifie que comme d’autres compagnies minières guinéennes, elles sont susceptibles de répondre à la demande mondiale pendant encore de nombreuses années[62].
L’enquête d’Inclusive Development International au fil des chaînes logistiques s’est déroulée entre 2017 et 2019 et s’est appuyée sur des données publiques comme les comptes des entreprises, les chiffres de l’import-export, les registres d’expédition et d’autres rapports publics, pour pister la bauxite de la Guinée jusqu’aux multinationales de l’aluminium.
Dans le cas de la CBG, l’enquête a permis de découvrir que l’essentiel de la bauxite extraite est expédié vers les raffineries d’alumine et les fonderies d’aluminium d’Amérique du Nord et d’Europe qui appartiennent aux copropriétaires de la CBG, à savoir Rio Tinto, Alcoa et Dadco[63]. L’aluminium est ensuite transformé en produits semi-finis à destination de l’industrie, et en particulier des fournisseurs des plus gros constructeurs automobiles du monde. Le graphique ci-dessous illustre les caractéristiques principales de la chaîne d’approvisionnement de la CBG, basées sur une cartographie de la chaine réalisée de 2017 à 2019.
La bauxite de la SMB emprunte un itinéraire différent. Elle est acheminée vers la Chine et elle est achetée, raffinée et fondue par des sites appartenant au China Hongqiao Group, qui fait partie du consortium SMB[64]. Les raffineries et fonderies de China Hongqiao, qui produisent les plus grandes quantités d’aluminium primaire dans le monde, font venir la majeure partie de leur bauxite des mines guinéennes de la SMB[65]. L’aluminium produit par China Hongqiao est employé par des industriels chinois qui fournissent des pièces à nombre des principaux constructeurs automobiles mondiaux[66]. China Hongqiao fait observer dans son rapport annuel pour 2020 que « la société attachant aujourd’hui une grande importance aux économies d’énergie et à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de l’empreinte carbone, l’aluminium léger à destination de la production de véhicules motorisés devrait devenir essentiel à la croissance du secteur de transformation de l’aluminium[67] ». Le graphique ci-dessous illustre les principales caractéristiques de la chaîne logistique de la SMB, basées sur une cartographie de la chaine réalisée de 2017 à 2019.
Conséquences de l’exploitation minière de bauxite sur les droits humains en Guinée
La région de Boké, au nord-ouest de la Guinée, est le théâtre de l’essor de la bauxite. Les chiffres gouvernementaux estimaient la population de cette région à 1,3 million de personnes en 2020[68]. Comme dans d’autres parties de la Guinée, la région connaît des taux de pauvreté importants. Un recensement de 2014 concluait, sur la base de critères permettant d’évaluer le niveau de vie des personnes et leur accès à la santé et à l’éducation, que 73 % de la population vivait dans la pauvreté, un chiffre qui atteint 86 % dans les zones rurales[69].
Boké compte beaucoup sur l’agriculture : les données gouvernementales pour les années 2014 et 2015 estiment à 890 000 le nombre d’habitants de la région qui dépendent de l’agriculture pour leur subsistance, soit 80 % de la population[70]. La plupart des paysans vivent dans des villages ruraux entourés des terres qui sont cultivées par leurs familles ou leurs voisins depuis des générations. Beaucoup de villages ruraux tirent leur eau de puits ou de sources naturelles, bien qu’ils aient souvent des difficultés à trouver de l’eau pure et potable[71].
L’expansion de l’exploitation minière de bauxite dans la région de Boké promet des bénéfices importants : un rapport de la Banque mondiale sur l’économie guinéenne datant d’octobre 2020 souligne que « le secteur minier pourrait constituer un catalyseur essentiel du développement de l’économie locale »[72]. Le ministère des Mines et de la Géologie guinéen, dans un courrier adressé à Human Rights Watch en juin 2021, déclarait que l’exploitation minière permettait d’enrayer la pauvreté et faisait observer que les compagnies minières devaient affecter une part de leurs bénéfices au développement des communes locales[73].
Or, dans les communautés rurales qui entourent Boké et où se sont rendus Human Rights Watch et Inclusive Development International pour mener leurs recherches, les habitants ont souvent décrit une expérience bien différente. Les familles interrogées ont expliqué comment l’exploitation minière avait détruit les terres qu’elles cultivaient depuis des générations, détériorant l’environnement dont elles dépendent pour leur subsistance et leur alimentation[74]. Le rapport d’octobre 2020 de la Banque mondiale notait que « des tensions existent entre les populations rurales de la région de Boké, qui manquent souvent des services de base (eau, électricité) et ne trouvent pas que l’expansion du secteur minier apporte des bénéfices locaux suffisants »[75]. Une évaluation de 2017 de la Banque mondiale concluait qu’il était « urgent de réduire les conséquences environnementales néfastes du secteur minier, d’améliorer de manière spectaculaire sa contribution au bien-être socioéconomique et pour le pays, d’investir dans des activités économiques plus durables, diversifiées et qui n’excluent personne[76] ».
Des terres perdues au profit des mines
Les zones rurales de Guinée sont organisées selon des systèmes de droit coutumier (ou traditionnel)[77]. Une politique foncière gouvernementale de 2001 appelait à une formalisation des droits coutumiers sur la terre, mais elle n’a pas été mise en œuvre. La plupart des terres restent ainsi non répertoriées et donc à la merci de transferts par l’État ou d’achat par des entreprises privées[78]. Les normes internationales en matière de respect des droits humains protègent les personnes et les communautés, y compris celles qui bénéficient d’un droit coutumier sur les terres, de toute éviction forcée ou immixtion arbitraire dans leurs droits à la propriété et à la terre[79]. L’achat de terres pour l’exploitation minière, qu’elle soit permanente ou temporaire, ne devrait être possible qu’après un processus légal et autorisé d’expropriation ou à des conditions acceptées par les propriétaires coutumiers. Les personnes et communautés impactées devraient dans tous les cas recevoir une juste indemnisation, une terre de remplacement adéquate et un soutien à la réinstallation[80].
En Guinée cependant, les compagnies minières ont profité de l’absence d’un registre foncier — ainsi que des difficultés que connaissent les Guinéens pour faire reconnaître leurs droits devant les tribunaux — pour déterminer de manière arbitraire si elles indemniseraient les familles pour leurs terres, et le cas échéant, de combien[81]. Le ministère guinéen des Mines, dans un courrier adressé en juin 2021 à Human Rights Watch, a indiqué que l’acquisition de terres par les compagnies minières « intervient suite à un accord négocié entre le propriétaire et l’entreprise minière sous l’assistance des représentants des services techniques et des autorités locales concernés selon les meilleures pratiques internationales »[82]. En réalité cependant, les dizaines d’entretiens menés par Human Rights Watch et Inclusive Development International dans la région de Boké montrent que les populations locales ont bien peu de poids à l’heure de décider du type et du montant de l’indemnisation qu’elles reçoivent. Ces décisions sont prises par la compagnie minière et approuvées par le gouvernement. Les locaux n’ont d’autre choix que d’accepter la somme accordée[83]. Souvent, les populations rurales ne reçoivent ni terre de substitution ni indemnisation adéquate pour leurs terres, sans parler d’un quelconque soutien pour retrouver un moyen de subsistance[84].
Les pratiques de la CBG et de la SMB illustrent la manière dont les compagnies minières envisagent les droits des populations locales sur leurs terres. Depuis qu’elle a commencé à exporter de la bauxite en 1973, la CBG a petit à petit exploité de grandes parcelles de terres agricoles à l’orée de la ville de Sangaredi, où se concentrent ses activités minières[85]. En 2019, une cartographie participative de l’utilisation des terres, menée par les populations locales, des ONG guinéennes et Inclusive Development International sur la base d’une analyse des images satellites, a conclu que 17 villages avaient perdu au bas mot 80 kilomètres carrés de terres agricoles et de pâturages depuis 1980, au profit de la CBG[86]. Un point central de la plainte déposée par les populations touchées par le biais du mécanisme de responsabilisation de l’IFC porte sur les manquements de la CBG, qui ne propose pas de terres équivalentes en contrepartie ni de soutien à la restauration des moyens de subsistance détruits par la perte de la terre. Selon une plainte déposée en février 2019 pour le compte de treize communes :
Depuis le début de ses opérations dans la région de Sangaredi, la CBG a systématiquement minimisé et nié les droits fonciers coutumiers des communautés locales qui y vivaient, sous un système de régime foncier organisé, bien avant l’arrivée de la CBG. Ce faisant, la CBG, à l'instar d'autres sociétés minières en Guinée, a traité les terres rurales comme des terres appartenant à l'État, et a ignoré ou nié les droits fonciers coutumiers des paysans. En adoptant cette interprétation de la loi, la CBG a acquis des terres sans le consentement libre, éclairé et préalable des propriétaires fonciers coutumiers, sans suivre un processus d’expropriation publique, comme l’exige la législation nationale, et sans verser une indemnisation équitable[87].
La CBG a indiqué dans un courrier à Human Rights Watch en mai 2021 qu’elle travaillait à mettre à jour sa politique consacrée aux populations déplacées ou réinstallées et qu’elle rendrait publique la version révisée de cette politique au cours du troisième trimestre de 2021[88]. La CBG ajoutait que le cadre révisé de cette politique, qu’elle a dit avait été redéfini avec l’aide de représentants des populations locales « reconnaissait les droits fonciers coutumiers et imposait à la CBG d’aider les populations locales à développer de nouveaux moyens de subsistance et à se procurer de nouvelles terres lorsque cela était possible[89] ». La CBG a également fait valoir qu’elle avait lancé des programmes visant à appuyer la restauration des moyens de subsistance mis en péril par les activités des mines et « s’engage[ait] à préparer des programmes de restauration des moyens de subsistance dans toutes les localités établies touchées par l’expansion des activités minières de la CBG[90] ».
La manière dont la SMB envisage l’acquisition de terres diffère de celle de la CBG, mais demeure tout aussi problématique. Depuis qu’il a commencé ses activités en 2015, le consortium a acheté des terres aux paysans moyennant une somme versée en une seule fois, ce qui a permis à la compagnie d’acquérir des terres rapidement et de très vite s’étendre[91]. Cette méthode a cependant souvent été préjudiciable aux paysans, car n’étant pas habitués à gérer ou à investir de l’argent, ils se sont retrouvés sans ressources, soutien ou formation pour trouver de nouvelles terres ou de nouvelles sources de revenus[92]. Or, le droit international des droits humains et les normes de l’IFC précisent bien que les indemnisations financières seules ne sauraient remplacer les bénéfices durables qu’une terre apporte aux communautés paysannes[93]. La SMB elle-même relevait en 2018 que :
L’argent [versé à des personnes ou à des populations] représentent des montants très importants et peuvent déstabiliser soudainement l’équilibre budgétaire de certains foyers et villages. L’expérience nous a appris que les personnes recevant ces sommes peuvent les dépenser d’une manière que certains pourraient considérer comme déraisonnable (pas de vision budgétaire à moyen et long terme ; pas d’investissements dans des activités potentiellement créatrices de revenus)[94].
La SMB a, depuis 2018, aménagé de nouvelles terres agricoles dans certaines communes où elle exploite des terres, mais un notable local nous a dit en novembre 2020 que la surface des terres de remplacement était bien inférieure aux besoins de la population[95]. « La compagnie (SMB) n’a aménagé qu’un hectare de terre, où peuvent travailler cinquante personnes », nous a indiqué un porte-parole du village de Dapilon en décembre 2020[96]. « Ce n’est qu’une fraction de ce que beaucoup de gens ont perdu dans cette zone ». Les images satellites montrent que les familles de Dapilon (auquel l’un des ports de la SMB a emprunté le nom), et des villages alentour ont perdu au moins 200 hectares, soit 2 kilomètres carrés, au profit du consortium SMB depuis 2016.
Human Rights Watch, dans un courrier à la SMB daté de mai 2021, a demandé des précisions sur les terres de substitution qu’elle avait allouées aux populations touchées par ses activités, en particulier à Dapilon[97]. Dans sa réponse datée de juin 2021, la SMB n’a fourni aucune information sur les surfaces de terres de remplacement qu’elle a octroyées, mais a affirmé que les achats de terres étaient conformes au droit guinéen et aux normes internationales et que les populations locales avaient reçu une indemnisation équitable[98].
Le ministère des Mines guinéen a indiqué à Human Rights Watch en juin 2021 qu’il allait prendre des mesures pour renforcer le cadre légal régissant les droits fonciers dans le secteur minier. Le gouvernement élabore actuellement un document de référence sur la manière dont les institutions publiques et privées devraient envisager l’achat de terres, qui doit les orienter dans « la gestion des impacts liés à la compensation et à la réinstallation, conformément à la législation nationale et aux meilleures pratiques internationales en la matière[99] ».
Conséquences de l’exploitation minière sur l’environnement local et le droit à une eau pure
L’exploitation de la bauxite dans la région de Boké a des conséquences dommageables sur l’environnement de nombreuses populations locales, notamment sur leur accès à l’eau. La cartographie participative menée en 2019 par Inclusive Development International avec des habitants a conclu que les activités de la CBG avaient pollué ou détruit 91 sources d’eau qui desservaient 17 villages, en raison de leur obstruction par des sédiments et du développement de l’infrastructure de la mine[100]. La CBG a affirmé dans un courrier de mai 2021 à Human Rights Watch qu’en 2018 elle avait mis en place un programme de gestion de l’eau, qui comprend des mesures visant à lutter contre l’érosion due aux activités minières, afin de protéger les ressources des communes locales. Elle a également soutenu avoir restauré et installé des puits dans les villages qui jouxtent ses mines, dont quinze au cours de la seule année 2020[101].
Avant la publication du rapport de Human Rights Watch sur l’exploitation minière de la bauxite, des dizaines de personnes vivant dans plus de treize villages avaient indiqué à Human Rights Watch que les sources d’eau sur lesquelles ils comptaient pour boire, se laver et cuisiner avaient subi des dégâts depuis l’arrivée des activités minières de la SMB[102]. « La compagnie a coupé les rivières où nous puisions de l’eau lorsqu’elle a construit les routes qui desservent sa mine, sans nous en avertir. Les sédiments et les rochers provenant de la construction de la route se sont accumulés dans le cours d’eau », a déclaré un responsable de Djoumayah, un village voisin de la mine de Malapouya, qui appartient à la SMB[103]. SMB a affirmé dans un courrier à Human Rights Watch en juin 2021 qu’elle avoir adopté un programme de gestion de l’eau qui comprend des mesures visant à réduire son impact, comme la déviation de l’eau charriant des sédiments des sites miniers vers des réservoirs[104]. La SMB a également indiqué avoir construit, au cours des trois dernières années, 87 forages et 10 puits améliorés pour les populations locales. Elle aurait également abondé chaque année des fonds de développement local de la région de Boké, à hauteur de 2,1 millions de dollars pour 2020[105].
Outre celles des projets miniers individuels, les conséquences cumulatives à long terme de l’exploitation minière pourraient avoir des répercussions profondes sur l’environnement de la région de Boké[106]. Le rapport d’octobre 2020 de la Banque mondiale signalait : « la gestion des effets cumulés [du secteur minier guinéen] dépassera inévitablement la portée d’un investissement individuel et requerra des capacités de planification proactive et de suivi de la part du gouvernement, capacités qui manquent actuellement[107] ».
« Tout ce qui faisait de Fassaly un village a disparu » :L’expérience d’un paysan face à l’exploitation minière de la bauxite en GuinéeKounssa Bailo Barry, 30 ans, vit avec son épouse dans le village rural guinéen de Fassaly Foutabhé, au cœur de la région Boké, où l’on exploite la bauxite[108]. Les terres qui entourent Fassaly Foutabhé sont exploitées par la Compagnie des bauxites de Guinée (CBG), qui s’est implantée dans la région en 1973. Barry explique que les activités de la CBG ont peu à peu détruit les terres et les sources d’eau du village, ses ressources les plus précieuses[109]. Barry estime que sa communauté a perdu 80 % de ses terres agricoles au profit de la compagnie. « Tout ce qui faisait de Fassaly un village a disparu », regrette-t-il. « Et nous ne profitons même pas de ce qui causé sa destruction ». Barry précise que la CBG a versé aux habitants une indemnisation pour les cultures et les arbres qui se trouvaient sur ces terres, mais rien pour les terres elles-mêmes[110]. « C’est comme perdre votre maison et ne recevoir de compensation que pour les meubles qui s’y trouvaient », renchérit un militant des droits humains guinéen[111]. La CBG a affirmé qu’elle indemnisait les populations locales lorsque leur situation économique souffrait de ses activités et qu’elle travaillait à la révision du cadre d’indemnisation et des principes de compensation selon lesquels elle procédait à l’achat de terres[112]. Barry loue des terres dans un village voisin, mais il estime que sa famille élargie récolte désormais entre dix et quinze sacs d'arachides par an (la principale culture de rente) alors qu’elle en récoltait entre 40 et 80 avant les récentes acquisitions de terres par la CBG. « Nous utilisons le peu qui nous reste pour notre consommation et pour envoyer nos enfants à l’école. Nous avons dû faire des choix dans nos besoins immédiats. » Outre une indemnisation convenable, Barry voudrait que la CBG aide les familles à faire enregistrer leurs droits coutumiers sur la terre, et qu’elle s’engage à réhabiliter et à rendre les terres aux familles après qu’elle les aura exploitées. Barry précise que la CBG a laissé certaines terres de Fassaly Foutabhé pour permettre aux habitants de planter des légumes, mais que ces terres sont peu irriguées et elles ne remplacent qu’une partie des terres qui ont été perdues au profit de la mine. Dans un courrier de mai 2021, la CBG a affirmé avoir entamé un processus de restauration des moyens de subsistance qui bénéficie à 98 personnes à Fassaly Foutabhé et avoir investi dans des terres, des infrastructures et du matériel pour aider à la préservation des moyens de subsistance[113]. L’exploitation de la bauxite a également nui à l’approvisionnement en eau des habitants de Fassaly Foutabhé[114]. Barry indique que depuis 2017, les sources naturelles où les villageois puisaient de l’eau potable et d’irrigation ont commencé à se tarir. La CBG a répondu dans son courrier de mai 2021 qu’elle installait et restaurait des puits dans les villages qui bordent ses mines et qu’elle avait foré onze puits pour contribuer à l’agriculture et à l’élevage à Fassaly Foutabhé et dans un village voisin[115]. « Nous avons besoin d’eau pure pour boire », explique Barry. « Et la CBG doit trouver une solution plus pérenne aux préjudices qu’ont subi nos sources et nos cours d’eau, car nous en aurons besoin tant qu’il y aura un village ici. » Barry est encouragé par le fait que la CBG a finalement accepté d’engager une médiation avec treize communes, y compris Fassaly Foutabhé. « Nous espérons que la CBG respectera ses engagements envers les villages qu’elle a tourmentés depuis si longtemps », dit-il. Mais il ajoute qu’il est essentiel que les entreprises qui achètent de la bauxite guinéenne soient davantage conscientes des conséquences de l’exploitation minière sur les droits humains. « Si les compagnies minières peuvent fouler aux pieds les droits des habitants pour trouver de la bauxite, c’est parce que leurs clients le leur permettent », conclut-il. |
Une supervision défaillante du gouvernement
Le gouvernement de la Guinée, bien que conscient des dégâts causés par l’extraction minière, n’a pas fait assez pour exiger que les compagnies minières se conforment à des normes strictes en matière de respect de l’environnement et des droits humains[116].
Dans le cas de la SMB, par exemple, le rapport de 2018 de Human Rights Watch concluait que le consortium avait obtenu un permis en 2015 alors qu’il avait présenté des évaluations de l’impact environnemental et social qui ne tenaient pas correctement compte des effets du projet et ne prévoyaient pas de mesures permettant de les réduire convenablement[117]. La SMB a affirmé en 2018 avoir mandaté une société internationale de conseil pour mener de nouvelles études d’impact et concevoir un nouveau plan de gestion environnementale et sociale (PGES) pour ses sites miniers[118]. Elle a également soutenu en 2018 que « dès que cette étude, étalée sur 12 mois sera[it] disponible, elle sera[it] partagée ; y compris les monitorings et documents de suivi/évaluation » sur son site internet[119]. Ces études d’impact, si elles ont été conduites sérieusement, devraient avoir pris en compte les conséquences des activités de la SMB sur les villages voisins de la région de Boké depuis 2015 et proposé des recommandations pour y remédier[120].
SMB a indiqué à Human Rights Watch en juin 2021 que la nouvelle étude d’impact et le nouveau PGES rédigés par la société internationale de conseil étaient désormais terminés et avaient été approuvés par le gouvernement guinéen en juin 2020[121]. Le consortium, cependant, n’a ni publié l’étude d’impact révisé ni son nouveau PGES. Pour en obtenir une copie, la SMB a renvoyé Human Rights Watch vers une agence du gouvernement guinéen au sein du ministère de l’environnement. Human Rights Watch a contacté l’agence en question, qui nous a répondu qu’elle n’avait pas évalué d’EIES ni de PGES pour la SMB, d’autant que, selon l’agence, ces évaluations et plan de gestion ne nécessitaient pas d’agrément[122]. Human Rights Watch a réécrit à la SMB pour demander une copie de ces études, mais n’a pas reçu de réponse à ce jour. La CBG en revanche publie l’ensemble de ses évaluations des impacts environnementaux et sociaux sur son site internet et mène chaque année des audits de ses pratiques environnementales, sociales et de gouvernance, qu’elle publie également[123].
Le rapport de 2018 de Human Rights Watch mettait en lumière tout un éventail de facteurs qui expliquent l’échec du gouvernement guinéen à assurer convenablement le respect, par les compagnies minières, de normes environnementales et sociales ambitieuses. Y figuraient en bonne place le manque de ressources allouées aux agences de supervision des compagnies minières et l’accent mis par le gouvernement sur la croissance rapide de ce secteur plutôt que sur des garde-fous sociaux et environnementaux[124]. Mais d’autres facteurs pourraient éventuellement être en jeu : un rapport de 2018 commandité par Drive Sustainability et la Responsible Minerals Initiative, qui rassemble 360 entreprises et promeut un approvisionnement responsable, a qualifié l’état de droit de la Guinée de « très faible » et son expérience de la corruption de « très grande »[125]. Le Natural Resource Governance Institute, une ONG, a publié en 2021 une mise à jour de son indice de gouvernance des ressources, qui évalue la gestion de leurs ressources minérales par les gouvernements. Le chapitre sur la Guinée fait état de bons résultats dans plusieurs domaines, notamment sa gestion des revenus des mines (qualifiée de « satisfaisante ») et les conditions dans lesquelles sont implantées et réalisées les activités minières (« bonnes »), mais pointe plusieurs problèmes comme la lutte contre la corruption (« faible ») et l’état de droit (« défaillant »)[126].
Dans un courrier adressé à Human Rights Watch en juin 2021, le ministère des Mines guinéen a indiqué que depuis 2011, le gouvernement guinéen « œuvre inlassablement pour un développement minier durable » et que « depuis plusieurs années, le gouvernement met[tait] tout en œuvre pour que cette législation minière et environnementale soit respectée.[127] » Le courrier du ministère décrit également une longue liste de réformes mises en œuvre pour renforcer la supervision du secteur minier par le gouvernement et signale que celui-ci a négocié et signé en juin 2021 un nouvel accord de financement de 65 millions de dollars par la Banque mondiale pour renforcer encore sa gestion des ressources naturelles et de l’environnement[128].
Un besoin urgent d’amélioration
L’urgence de remédier aux atteintes aux droits humains et à l’environnement dans le secteur de l’aluminium guinéen se fait d’autant plus pressante car le raffinage de l’alumine en Guinée pourrait connaître une forte expansion : quelque huit compagnies minières envisagent de bâtir des raffineries d’alumine en Guinée[129]. Le ministère des Mines a fait valoir dans son courrier de juin 2021 à Human Rights Watch que la mise en place d’industries de transformation locale, « au-delà de la création de plus-values, facilitera le développement d’une économie de services qui prendra ainsi le pas sur une économie basée sur l’extraction[130] ».
Les nouvelles raffineries d’alumine, cependant, risquent également d’ajouter au poids social et environnemental que représente le secteur minier pour les populations locales. Une étude d’impact environnemental et social de février 2021 portant sur un projet de raffinerie de la SMB dans la région de Boké, par exemple, a montré que la raffinerie produira l’électricité nécessaire à la transformation de la bauxite en alumine au moyen d’un générateur à charbon. Ce charbon sera fourni par la Chine[131]. Même en veillant à limiter leurs émissions, les générateurs à charbon sont polluants : ils produisent du dioxyde de soufre et des oxydes d’azote qui peuvent provoquer de l’asthme, des cancers, des maladies cardiaques et pulmonaires ainsi que des troubles neurologiques, tout en émettant de grandes quantités de dioxyde de carbone qui contribuent au réchauffement climatique[132].
La SMB a affirmé dans son courrier de juin 2021 à Human Rights Watch que le gouvernement avait approuvé l’étude d’impact pour la raffinerie, mais que la compagnie étudiait encore d’autres sources d’énergie[133]. Le ministère guinéen des Mines a indiqué dans un courrier daté de juin 2021 : « Les répercussions liées à l’alimentation énergétique de la raffinerie et les moyens prévus pour les atténuer font l’objet d’une attention particulière par l’Administration, notamment des actions de maitrise des rejets de poussières, fumée et gaz qui seront mises en place pour améliorer la qualité de l’air[134] ».
Une cause à laquelle rallier le secteur automobile ?
En amont de la publication de ce rapport, Human Rights Watch a demandé au ministère des Mines guinéen, à la SMB et à la CBG quel rôle pourraient jouer les secteurs automobiles et de l’aluminium pour appuyer le respect des droits humains dans l’industrie minière. Le ministère des Mines a répondu qu’il « reste ainsi ouvert et prêt à examiner toute initiative ou mesure d’accompagnement adaptée au contexte du pays qui permet de garantir l’évolution et l’amélioration des pratiques du secteur minier[135] ». La SMB a déclaré : « Les industries consommatrices d’aluminium, et en particulier l’industrie automobile, peuvent jouer un rôle déterminant pour l’amélioration des normes environnementales et sociales dans toute la chaîne de valeur de l’aluminium[136] ». La CBG a indiqué croire « dans les rôles de plaidoyer, de mobilisation, d’approvisionnement, de certification et d’audit des différents acteurs, y compris la société civile, les ONG et les compagnies de production et de transformation de la bauxite, les industries consommatrices d’aluminium et les gouvernements, aux fins de promouvoir des discussions honnêtes, transparentes et de bonne foi sur les questions environnementales, sociales et de droits humains dans le secteur de la bauxite[137] ».
Alors que le secteur de la bauxite joue un rôle croissant dans les chaînes logistiques du monde entier, les constructeurs automobiles, par les contrats qu’ils passent avec leurs fournisseurs et les compagnies minières auprès desquels ils s’approvisionnent, devraient assurer que les populations locales guinéennes bénéficient de la production d’aluminium plutôt qu’elles en pâtissent.
Pratiques des constructeurs automobiles en matière d’approvisionnement responsable
Secteur automobile et diligence raisonnable en matière de droits humains
En vertu des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, les entreprises sont tenues d’instaurer des processus de diligence raisonnable en matière de droits humains afin d’identifier et prévenir les atteintes aux droits humains et de fournir des voies de recours à tous les niveaux de leur chaîne d’approvisionnement.[138] Les entreprises dont les opérations ou les produits sont directement associés à des impacts négatifs sur les droits humains, y compris en raison de leur chaîne d’approvisionnement, doivent prendre des mesures appropriées, notamment utilisant leur influence pour arrêter et remédier les violations de droits humains.[139] Les entreprises doivent veiller au respect des droits humains dans leurs opérations même si un gouvernement national ne dispose pas du cadre réglementaire nécessaire ou s’il ne peut ou ne veut pas protéger les droits humains.[140]
Au-delà des Principes directeurs de l’ONU, la majorité des constructeurs automobiles étudiés dans le présent rapport ont pris leurs propres engagements à l’égard d’une diligence raisonnable en matière de droits humains. Dans le cadre de l’initiative Drive Sustainability, onze constructeurs de premier plan, dont BMW, Daimler, Ford, Toyota, Volkswagen et Volvo, ont adopté en 2017 les principes directeurs « Global Automotive Sustainability », au titre desquels ils s’engagent à « s’approvisionner de manière responsable en matériaux entrant dans la fabrication de leurs produits ».[141] Les directives de mise en œuvre de ces principes indiquent que les entreprises « sont tenues d’exercer un devoir de diligence afin de comprendre l’origine des matériaux entrant dans la fabrication de leurs produits » et « doivent chercher à réduire le risque d’atteintes potentielles aux droits humains dans leurs opérations et dans leurs relations d’affaires en identifiant les risques et en remédiant dans les meilleurs délais à toute non-conformité ».[142]
La mesure dans laquelle les constructeurs automobiles ont traduit dans les faits leurs engagements à l’égard d’une diligence raisonnable dédiée aux droits humains varie d’une entreprise à l’autre. Cependant, globalement, le secteur automobile a encore beaucoup de travail à faire. En juin 2020, un rapport d’Investor Advocates for Social Justice, une ONG qui œuvre en faveur d’investissements responsables, a étudié en détail les politiques et pratiques de diligence raisonnable en matière de droits humains de 23 entreprises du secteur automobile.[143] Le rapport concluait : « Le secteur automobile ne fait pas preuve de respect à l’égard des droits humains », « les risques les plus graves pour le secteur en matière de droits humains se situent au sein de la chaîne d’approvisionnement » et « la chaîne d’approvisionnement manque de transparence ou de surveillance pour assurer un suivi même dans le cas des fournisseurs directs. »[144]
Pour les besoins du présent rapport, Human Rights Watch et Inclusive Development International ont interrogé des constructeurs automobiles sur leur approche globale à l’égard de la diligence raisonnable en matière de droits humains ainsi que sur leur stratégie spécifique s’agissant de l’aluminium. Un grand nombre d’entreprises contactées ont déclaré disposer de normes accessibles publiquement exigeant de leurs fournisseurs directs qu’ils veillent à respecter les droits humains, ou les encourageant à faire preuve d’un tel respect. Dans une plus ou moins grande mesure, ces normes exigent des fournisseurs qu’ils collaborent avec les entreprises situées en amont de leur chaîne d’approvisionnement afin de veiller au respect des droits humains, ou les encouragent à le faire.[145]
Mais si les engagements publics des constructeurs automobiles en matière de normes relatives aux droits humains sont importants, leur application et leur suivi doivent être considérablement renforcés. Dans son rapport sur les pratiques de diligence raisonnable en matière de droits humains adoptées par les entreprises automobiles, Investor Advocates for Social Justice a conclu :
Il n’existe pas d’engagements ayant force exécutoire qui se transmettent d’un fournisseur à un autre tout au long de la chaîne d’approvisionnement, ou alors ils ne font pas l’objet d’un suivi. […] Rares sont les entreprises qui disposent de systèmes de gestion fiables leur permettant d’intégrer pleinement des critères axés sur les droits humains dans leurs fonctions commerciales, par exemple dans l’évaluation des fournisseurs avant la conclusion de contrats, dans la prise en compte des droits humains lors des décisions d’achat et dans le suivi du respect des critères liés aux droits humains dans les contrats.[146]
La priorité aux minerais qui jouent un rôle clé dans la fabrication des véhicules électriques
Les dirigeants du secteur automobile ont déclaré qu’il était extrêmement difficile de surveiller le comportement de leurs fournisseurs, y compris des mesures que ceux-ci prennent pour s’approvisionner de manière responsable, d’autant plus que ces entreprises comptent des milliers de fournisseurs directs, chacun d’eux faisant lui-même partie de chaînes d’approvisionnement complexes.[147]
Les constructeurs automobiles ont donc souvent choisi de focaliser leurs efforts de diligence dédiés à leur chaîne d’approvisionnement sur certains matériaux prioritaires. Dans certains cas, la décision d’accorder la priorité à tel ou tel matériau s’appuie sur des exigences réglementaires, notamment l’obligation, en vertu des lois américaines et européennes, de soumettre l’approvisionnement en or, en étain, en tungstène et en tantale à un exercice de diligence raisonnable axé sur les droits humains.[148] Dans d’autres cas, les constructeurs automobiles ont réalisé leur propre évaluation des matériaux à prioriser, d’après des facteurs tels que le risque d’atteintes aux droits humains, le risque réputationnel, la quantité de matériaux achetés et leur capacité à modifier le comportement de leurs fournisseurs.[149]
Cette stratégie a conduit de nombreux constructeurs automobiles à se concentrer en priorité sur certains minerais critiques pour les véhicules électriques, tels que le cobalt qui entre dans la fabrication des batteries électriques.[150] De nombreux rapports dressés par des groupes de défense des droits humains sur le travail des enfants et d’autres atteintes aux droits humains au sein des communautés qui exploitent le cobalt en République démocratique du Congo, d’où provenait environ 70 % de la production mondiale en 2019, ont attiré l’attention sur le risque d’atteintes aux droits humains dans la chaîne d’approvisionnement en cobalt.[151] Huit des neuf constructeurs automobiles qui ont répondu à Human Rights Watch et Inclusive Development International ont déclaré avoir pris au moins certaines mesures afin de traiter spécifiquement le risque d’atteintes aux droits humains dans leur chaîne d’approvisionnement en cobalt.[152]
Des constructeurs ont également commencé à consacrer de manière prioritaire leurs efforts de diligence en matière de droits humains à d’autres matériaux nécessaires à la fabrication des batteries automobiles, comme le lithium.[153]
Pour certaines entreprises, la décision de prioriser la surveillance de la chaîne d’approvisionnement en minerais entrant dans la fabrication des batteries électriques résulte en partie d’une exigence de cohérence entre des véhicules respectueux de l’environnement et un approvisionnement responsable. Ullrich Gereke, responsable de la stratégie des achats du Groupe Volkswagen, a ainsi déclaré en novembre 2020 : « Un approvisionnement en matières premières durable et responsable est primordial pour notre stratégie de e-mobilité. »[154] Le président de BMW Europe, Manfred Schoch, a quant à lui affirmé en 2019 : « La croissance de l’électromobilité entraîne des transformations de plus en plus importantes au niveau de la chaîne d’approvisionnement. […] Lors de ses achats de nouveaux matériaux, par exemple de cobalt ou de lithium […], le Groupe BMW se démène pour assurer des conditions de travail équitables et respecter les droits humains. »[155]
L’aluminium : un matériau dans l’angle mort du secteur
Malgré le rôle central que joue l’aluminium dans la fabrication de véhicules plus écologiques, l’impact de la production de ce métal – et de l’exploitation de la bauxite en particulier – sur les droits humains reste dans l’angle mort de l’industrie automobile. Bien que le niveau de connaissance des constructeurs automobiles de leurs chaînes d’approvisionnement varie, aucun des neuf qui ont répondu à Human Rights Watch et Inclusive Development International n’avait, avant d’être contacté pour les besoins de ce rapport, cartographié sa chaîne d’approvisionnement en aluminium afin de comprendre les risques particuliers qui y sont associés en matière de droits humains. Ainsi, interrogées sur les liens entre leurs opérations et la CBG et la SMB, les deux compagnies minières guinéennes étudiées ci-dessus, les entreprises automobiles ont soit refusé de divulguer des informations sur leur chaîne d’approvisionnement, soit affirmé ne pas la surveiller jusqu’au niveau de la mine.[156] Seuls deux constructeurs, Volkswagen et Daimler, ont reconnu par écrit qu’ils auraient peut-être des liens avec une de ces deux mines voire les deux.[157]
La complexité des chaînes d’approvisionnement en aluminium est l’une des principales raisons invoquées par plusieurs constructeurs pour justifier leur incapacité à identifier la source de leurs produits en aluminium.[158] Volkswagen, par exemple, dans un courrier daté de juin 2021, a déclaré : « En raison de la forte diversité et du grand nombre de pièces qui entrent dans la fabrication de nos véhicules et contiennent de l’aluminium, il n’est pas possible à l’heure actuelle de disposer d’un processus de suivi et de localisation de tous les matériaux jusqu’au niveau de leur exploitation et d’avoir 100 % de transparence sur toutes les pièces en aluminium. »[159] BMW a affirmé : « La chaîne d’approvisionnement est extrêmement complexe, par conséquent une traçabilité totale jusqu’à la mine ou à la raffinerie n’est pour l’instant pas possible. »[160] Daimler a indiqué : « À travers nos [échanges] avec nos fournisseurs [d’aluminium], nous nous sommes rendu compte qu’un grand nombre d’entre eux ne disposaient pas encore de systèmes de traçabilité adéquats pour établir un lien avec le site minier. »[161] BMW et Daimler ont déclaré que des considérations liées à la confidentialité avec leurs fournisseurs, ou entre fournisseurs et sous-fournisseurs, empêchaient une traçabilité totale jusqu’au niveau de la mine.[162A] Ford n’a pas affirmé que la confidentialité empêchait la traçabilité totale, mais a indiqué que l’entreprise « ne peut pas divulguer les liens dans leurs chaines de valeur jusqu’au niveau de la mine, à cause de ses obligations de confidentialité avec leurs fournisseurs. » [162b]
Plusieurs constructeurs automobiles ont toutefois reconnu que des efforts plus importants devaient être fournis pour comprendre les chaînes d’approvisionnement en aluminium et les risques d’atteintes aux droits humains qui y sont associés.[163] Volvo, par exemple, a déclaré dans un courrier adressé en décembre 2020 : « Nous avons fait une priorisation de matières premières pour nos activités d’approvisionnement responsable. L’aluminium/la bauxite font partie des matériaux qui, à notre avis, doivent faire l’objet d’études et d’évaluations supplémentaires pour en identifier les risques et impacts potentiels.[164]. » Au moins un constructeur automobile a affirmé que la complexité des chaînes d’approvisionnement en aluminium ne devrait pas forcément empêcher une diligence raisonnable plus poussée en matière de droits humains, ajoutant que même si les constructeurs automobiles n’ont pas dans l’immédiat de chaînes d’approvisionnement entièrement traçables, ils peuvent collaborer avec leurs fournisseurs afin d’identifier et de traiter les « points sensibles » s’il existe un risque significatif d’atteintes aux droits humains.[165]
La certification, un outil propice à l’approvisionnement responsable
Si les efforts de l’industrie automobile pour s’approvisionner en aluminium de manière responsable sont globalement limités, plusieurs constructeurs, à savoir BMW, Daimler et Audi, qui se charge des achats d’aluminium pour le Groupe Volkswagen, ont rejoint l’Aluminium Stewardship Initiative (ASI), un programme de certification sectoriel visant à « reconnaître et encourager de manière collaborative la production, l’approvisionnement et la gestion responsables de l’aluminium [166]. » À l’échelle mondiale, l’importance accrue de l’approvisionnement responsable et du devoir de diligence en matière de droits humains a contribué à la création de différents programmes de certification comme celui de l’ASI, établis par des initiatives multipartites (IMP) ou des associations sectorielles pour vérifier les mines et d’autres sites selon une norme convenue.[167]
L’ASI, créée en 2015, compte plus de 150 membres, parmi lesquels des compagnies minières, de raffineries, des utilisateurs industriels d’aluminium et des groupes de la société civile [168] L’ASI a mis au point une norme de performance (Performance Standard) qui regroupe des facteurs sociaux, environnementaux et liés aux droits humains, selon laquelle tout acteur de la chaîne d’approvisionnement en aluminium – opération minière, usine de traitement ou site de fabrication – peut prétendre à obtenir une certification.[169] Les entreprises peuvent rejoindre l’ASI à condition qu’elles s’engagent à certifier au moins l’un de leurs sites (un site contrôlé par l’entreprise, pas nécessairement un site minier) à l’aune de la norme de performance dans les deux ans suivant leur adhésion. La certification suppose que des audits indépendants attestent du respect de cette norme sur ce site[170]. L’ASI a également élaboré une norme de chaîne de contrôle (Chain of Custody) que les entreprises peuvent utiliser pour prouver qu’un produit final en aluminium provient d’une mine, d’une raffinerie, d’une fonderie et d’un fabricant qui respectent toutes les normes de performance de l’ASI.[171]
En juin 2021, l’ASI avait certifié 92 sites sur la base de sa norme de performance, dans plus de quarante pays[172]. En 2019, 7 % de la bauxite avait été produite dans le monde par des sites certifiés selon les exigences de la norme de la chaîne de contrôle de l’ASI, ainsi que près de 4 % de l’alumine mondiale et un peu plus d’1 % des lingots d’aluminium[173]. L’ASI a déclaré que son analyse préliminaire avait montré que 16 % de la bauxite produite en 2020 dans le monde était certifiée au titre de la norme de la chaîne de contrôle de l’ASI, ce qui représentait « une très bonne année sur le plan de la croissance annuelle[174] ». L’ASI a également affirmé que ses données indiquaient qu’11 % des mines de bauxite en service, 11 % des raffineries d’aluminium et 20 % des fonderies d’aluminium étaient certifiées sur la base de sa norme de performance[175].
Volkswagen, BMW et Daimler ont indiqué à Human Rights Watch et Inclusive Development International qu’elles encourageaient les mines, les raffineries et les fonderies à rejoindre l’ASI et à accroître la quantité d’aluminium certifié à travers le monde[176]. Volkswagen a par exemple déclaré dans un courrier daté de juin 2021 que « [son] objectif était d’augmenter la part de matériaux certifiés dans [son] portefeuille… [Nous pensons] que la croissance de la part de l’aluminium certifié sur le marché, y compris la part des activités minières certifiées est la voie à suivre pour parvenir à des chaînes d’approvisionnement plus durables [177] ». Volkswagen a indiqué qu’une de ses marques exigeait que certains composants de sa chaîne logistique soient en aluminium certifié[178]. Daimler a également fait valoir que cette entreprise exigeait une certification de l’ASI pour tous ses achats auprès « des fournisseurs d’aluminium primaire qui approvisionnent ses usines d’emboutissage et ses fonderies en Europe » et qu’en « envoyant un signal clair sur la demande, l’entreprise entendait appuyer la généralisation de l’ASI sur le marché[179] ».
Les procédures de certification peuvent aider les entreprises à s’approvisionner de manière responsable en définissant et en clarifiant des normes sectorielles et en fournissant aux constructeurs automobiles des informations relatives à la conformité des mines, raffineries et fonderies de leur chaîne logistique à ces normes. La participation aux programmes de certification ne saurait cependant exonérer les compagnies de leurs responsabilités quant au besoin de détecter les atteintes aux droits humains au sein de leur chaine d’approvisionnement et de remédier aux préjudices subis par les victimes des activités des entreprises[180]. Les audits par les tierces parties, un élément essentiel de la certification, ont d’importantes limitations : éventuels conflits d’intérêts, connaissances lacunaires des auditeurs en matière de droits humains, consultation inadaptée des populations concernées[181]. Les efforts des constructeurs automobiles pour s’approvisionner en aluminium certifié ne devraient être qu’une partie d’un processus de responsabilité plus large, qui devrait comprendre la cartographie de la chaîne logistique, une analyse des risques, des mesures d’atténuation des impacts négatifs, des vérifications, des mécanismes de gestion des griefs, des comptes-rendus publics et une implication directe auprès des mines, des raffineries et des fonderies qui ne respecteraient pas leurs obligations relatives aux droits humains.
Les différentes caractéristiques des programmes de certification traduisent également d’importantes variations de leur efficacité en matière de promotion des droits humains. Dans le cas de l’ASI, en dépit de ses éventuels avantages, l’initiative a aussi les limitations importantes. Le conseil d’administration de l’ASI n’accorde pas aux populations touchées et aux groupes de la société civile une participation et des droits de vote égaux à ceux des représentants des industries de l’amont et de l’aval, même s’il permet la participation et les apports de la société civile et d’acteurs étrangers au secteur[182]. L’ONG MSI Integrity a fait observer dans un rapport daté de juillet 2020 que lorsque les groupes de la société civile disposaient d’une représentation ou de droits minoritaires au sein des organes de direction d’initiatives multipartites, la tendance de ces initiatives à éviter tout changement significatif de leurs normes ou de leurs systèmes de supervision s’en trouvait accrue, notamment pour ce qui a trait aux réformes qui renforceraient les protections des populations locales en matière de droits humains et qui imposeraient aux entreprises des obligations supérieures à cet égard[183].
Fiona Solomon, la présidente-directrice générale (PDG) de l’ASI a affirmé dans un courrier à Human Rights Watch et Inclusive Development International daté de juillet 2021 que le conseil d’administration de l’ASI était chargé de la gouvernance d’entreprise de l’initiative, mais que seule la commission des normes (« Standards Committee ») de l’ASI, qui compte autant de représentants du secteur que de représentants communautaires et de la société civile, était chargée des normes et des procédures de vérification de l’initiative[184]. Le conseil de l’ASI adopte les normes une fois qu’elles ont été définies par la commission des normes, mais la supervision du conseil se limite à vérifier que la commission a bien suivi la procédure et « évalué les risques matériels[185] ». L’ASI dispose également d’un forum des peuples autochtones (Indigenous Peoples Advisory Forum, IPAF) composé de groupes autochtones, de communautés et de représentants de la société civile concernés par les activités du secteur de l’aluminium et qui fonctionne comme « une plateforme de dialogue et d’engagement entre l’ASI et des représentants de peuples autochtones[186] ». La commission des normes de l’ASI comprend au moins deux membres de l’IPAF[187].
La commission des normes de l’ASI révise actuellement ses normes et Human Rights Watch et Inclusive Development International ont écrit au secrétariat de l’ASI en avril 2021 pour présenter des observations sur les propositions de révision[188]. Les principaux problèmes identifiés dans le courrier portaient sur la nécessité d’accroître la protection des personnes qui ont perdu des terres au profit des mines, notamment celles qui disposaient de droits coutumiers, et d’articuler plus clairement le droit des populations locales à participer à l’exploitation des ressources naturelles et à en bénéficier[189]. Le courrier saluait la décision de l’ASI d’intégrer une exigence de diligence raisonnable approfondie à la norme, conformément au Guide de l’OCDE sur le devoir de diligence pour des chaînes d’approvisionnement responsables en minerais provenant de zones de conflit ou à haut risque[190], mais soulignait également que les normes de l’ASI devraient exiger des entreprises qu’elles suivent des procédures de diligence raisonnable concernant l’éventail complet de violations des droits humains dans leurs chaines d’approvisionnement, qu’il s’agisse de zones de conflit ou à haut risque ou ailleurs[191]. Les propositions de révision des normes de l’ASI contiennent des formulations plus fermes en matière de gestion des émissions de gaz à effet de serre des fonderies d’aluminium, notamment en ce qu’elles exigent des membres qu’ils réduisent le volume d’émissions par tonne d’aluminium fabriquée et qu’ils fixent des objectifs absolus de réduction des émissions conformes à l’engagement le plus ambitieux de l’accord de Paris sur le climat de maintenir le réchauffement climatique en deçà des 1,5 °Celsius[192].
Plus largement, les exigences en matière de droits humains de la norme de performance de l’ASI ne sont pas suffisamment détaillées et ne traduisent pas les différents aspects des droits humains en des critères permettant d’évaluer les politiques et pratiques des entreprises. La partie de la norme de performance révisée de l’ASI sur le déplacement physique des habitants, par exemple, prévoit que les entreprises élaborent un plan de réinstallation des populations déplacées (« Resettlement Action Plan ») conformément aux normes de l’IFC et exige que ce plan soit actualisé et amélioré afin d’assurer que « les conditions de vie des populations et leurs options en termes de sources de revenus soient équivalentes ou meilleures qu’avant leur déménagement[193] ». Les normes de l’IFC en matière de réinstallation sont extrêmement longues et les réinstallations elles-mêmes sont très complexes. La norme de performance de l’ASI ne traduise pas la norme de l’IFC en critères spécifiques permettant aux auditeurs d’évaluer un plan de réinstallation ou les efforts des entreprises afin d’assurer le maintien ou l’amélioration des conditions de vie des populations touchées[194].
Ce manque de précision de la norme de performance de l’ASI est à comparer avec les exigences bien plus détaillées de la norme élaborée par l’Initiative for Responsible Mining Assurance (IRMA), un programme de certification minier qui compte parmi ses membres BMW, Ford et Daimler. La norme de l’IRMA ne porte que sur les activités des compagnies minières et pas sur les sites plus en aval dans la chaîne d’approvisionnement, bien que l’IRMA soit en train de mettre en place une norme relative au traitement qui s’appliquera aux fonderies et aux raffineries[195]. La norme de l’IRMA, qui à ce jour n’a été adoptée par aucune mine de bauxite mais l’a été par des mines exploitant d’autres minerais, traduit chacun de ses éléments en critères détaillés permettant d’évaluer les mines[196]. La partie de la norme de l’IRMA sur la réinstallation des personnes déplacées, par exemple, bien qu’elle ne soit pas encore mise au point, comprend 28 critères à l’aune desquelles évaluer les politiques et pratiques d’une compagnie minière en la matière, de l’implication de la population pendant la réinstallation, au suivi et à l’évaluation a posteriori des effets de la réinstallation sur les foyers[197]. Human Rights Watch est membre du conseil d’administration d’IRMA.
Outre le manque de précision de sa norme de performance, le processus actuel de certification de l’ASI ne comprend pas suffisamment de garanties permettant d’assurer que les audits par des tierces parties nécessaires à la certification parviennent évaluer la manière dont les entreprises respectent les droits des communautés. À l’heure actuelle, par exemple, la norme de l’ASI ne détaille pas suffisamment quand et comment les auditeurs devraient consulter les populations locales et les questions sur lesquelles ils devraient rechercher leur contribution[198]. Les instructions relatives à la norme de l’IRMA sur l’exploitation minière, en revanche, prévoient les « moyens de vérification » qui décrivent quand et sur quels sujets les auditeurs devraient consulter les communautés touchées ou les groupes de la société civile[199]. Le manuel de l’ASI manque également d’instructions sur la manière dont devrait être conduite la mobilisation des populations touchés pour qu’ils s’engagent librement dans le processus, la portée requise de la consultation des populations locales et la manière dont les rapports d’audit devraient rendre compte des expériences et des points de vue de la population[200]. Fiona Solomon, la PDG de l’ASI, a indiqué dans son courrier de juillet 2021 à Human Rights Watch : « la révision actuelle des normes vise entre autres à mieux guider les auditeurs sur la manière de consulter et de mobiliser les populations touchées. Nous concevons également de nouveaux modules de formation des auditeurs pour 2022[201] ».
L’ASI publie actuellement un résumé de l’audit mené pour chacune des certifications, mais ces résumés ne sont pas suffisamment précis pour permettre aux acteurs extérieurs, y compris les communautés locales et les groupes de la société civile, d’enquêter sur la qualité de l’audit et d’assurer que la compagnie minière remédie aux défaillances identifiées. Ce manque de détail dans les résumés de rapports d’audit résulte en partie de l’absence de critères détaillés pour l’évaluation de la norme de performance de l’ASI. Mais les résumés d’audit ne donnent pas non plus suffisamment d’informations sur la raison pour laquelle une compagnie ne se conforme pas à la norme de performance de l’ASI. Leur analyse se limite généralement à quelques brèves observations[202]. Ainsi, les acteurs extérieurs ne peuvent identifier convenablement ce qu’une entreprise fait bien et les lacunes qu’il lui reste à combler d’après le résumé. La PDG de l’ASI, Fiona Solomon, a fait valoir que « les auditeurs préparent un résumé qui doit montrer clairement au lecteur comment ils en sont arrivés à la conclusion de conformité ou de non-conformité des activités de l’entreprise[203]. » À la différence de ceux de l’ASI, les deux résumés de rapports d’audit publiés jusqu’à présent par l’IRMA fournissent des explications claires des raisons pour lesquelles une entreprise remplit ou remplit partiellement les critères détaillés de la norme[204]. En revanche, les résumés de rapports d’audit de l’IRMA ne comportent aucune explication lorsqu’une entreprise est considérée comme ne satisfaisant pas à un critère spécifique de l’IRMA.
L’ASI dispose d’un mécanisme de réclamation à la disposition des personnes qui estimeraient qu’une compagnie membre de l’ASI ou un site certifié par l’ASI est associé à une atteinte aux droits humains[205]. Le processus de vérification et de plainte de l’ASI ouvre une voie permettant l’exclusion d’une entreprise membre en raison de graves violations des droits humains, mais ne l’impose pas[206]. La dirigeante de l’ASI, Fiona Solomon, a déclaré que si une entreprise membre était impliquée dans de graves violations des droits humains, « elle devrait mettre en place un programme de mesures correctives (remèdes) dans un délai donné… et que d’autres sanctions (exclusion des membres ou perte de la certification) pourraient s’appliquer[207] ».
L’avenir des programmes de certification des chaînes d’approvisionnement en aluminium
Malgré les limitations qui caractérisent les programmes de certification comme celui de l’ASI, leur utilisation actuelle par plusieurs constructeurs montre que la certification est appelée à rester une stratégie clé pour les constructeurs. D’autres ont également indiqué qu’ils rejoindraient prochainement des mécanismes de certification. Volvo a ainsi déclaré en mai 2021 : « Nous passons actuellement en revue les différentes normes existantes, le but étant d’adhérer au moins à l’une d’entre elles dans un avenir proche[208]. »Volvo a ajouté que, lors de ses futurs achats, elle exigerait que l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement en aluminium de ses fournisseurs « soit vérifié par un tiers pour s’assurer que chaque acteur emploie des pratiques d’approvisionnement en minerais responsables[209] ».
Si la certification doit demeurer un outil clé du devoir de diligence en matière de droits humains, les constructeurs automobiles devront user de leur influence pour veiller à ce que les programmes de certification remplissent les normes les plus strictes en matière de droits humains et élaborent des mécanismes transparents et fiables pour vérifier la conduite des entreprises par rapport à ces normes.
Des membres de l’ASI, dont BMW et Daimler, se sont engagés à continuer d’y adhérer, tout en poussant l’initiative à s’améliorer, notamment au moyen de son processus permanent de révision des normes.[210] BMW et Daimler espèrent que l’ASI se rapprochera des normes de l’IRMA et de son processus de vérification ; BMW a ainsi qualifié l’IRMA de « référence pour le processus de révision des normes de l’ASI [211]. » Daimler a affirmé dans un courrier adressé en mai 2021 : « Nous sommes en pourparlers avec les deux initiatives de certification (l’ASI et l’IRMA) afin d’avancer vers une approche commune transparente en vue d’une reconnaissance mutuelle ou d’une interopérabilité[212]. » La dirigeante de l’ASI, Mme Solomon, a indiqué en juillet 2021 que « dans le cadre de la révision actuelle de nos normes, nous examinons d’autres normes du secteur, dont celle de l’IRMA. C’est en définitive la commission des normes de l’ASI, pluripartite, informée par les processus de consultation du public, qui déterminera le contenu des normes de l’ASI, en tenant compte de la nature et du bien-fondé des questions de durabilité pour la chaîne de valeur de l’aluminium ».
Il est probable que la demande croissante d’aluminium certifié des constructeurs incitera un plus grand nombre d’entreprises minières à rejoindre un programme de certification. La CBG, l’une des deux compagnies minières guinéennes étudiées en détail dans le présent rapport, a déclaré dans un courrier adressé à Human Rights Watch en mai 2021 qu’elle était devenue membre de l’ASI[213]. La CBG a aussi affirmé que les audits et les certifications tiers pouvaient aider à « fournir au marché des informations plus transparentes[214]. » Le processus de médiation entre la CBG et les communautés affectées par ses opérations se poursuit, et les efforts de la compagnie pour obtenir la certification ASI seront déterminants, non seulement pour savoir si la CBG est prête à traiter et résoudre les impacts actuels et passés de ses opérations sur les terres et l’environnement des communautés, mais aussi pour connaître le niveau de rigueur et de transparence du processus de certification de l’ASI. Il conviendrait notamment de demander à la CBG de remédier aux violations anciennes des droits des titulaires de droits coutumiers et des droits d’accès à l’eau d’une manière conforme aux normes de l’ASI sur ces questions. Les normes de l’ASI prévoient des mesures correctives pour les violations des droits humains, mais devraient exiger plus spécifiquement des programmes de mesures correctives pour les violations des droits humains anciennes ou récentes pour qu’un site se mette en règle vis-à-vis des normes de l’ASI et de leurs objectifs[215].
La SMB, l’autre opération minière guinéenne dont il est question dans ce rapport, a déclaré en juin 2021 dans une lettre adressée à Human Rights Watch que les programmes de certification, et les audits indépendants qu’ils exigent, peuvent favoriser l’adoption de meilleures pratiques dans le secteur. La SMB a précisé cependant qu’elle s’était engagée à appliquer des normes établies par des organisations internationales « plus reconnues », telles que l’IFC et la Banque mondiale[216]. La SMB a ajouté qu’en exigeant des audits indépendants pour démontrer la conformité à ces normes internationales, notamment l’évaluation révisée de l’impact environnemental et social commanditée par la SMB en 2018, le consortium offrait « une garantie importante de transparence dans le milieu extractif[217] ». Les audits de la SMB cependant, manquent de nombreux garde-fous qui sont pourtant inhérents aux programmes de certification, quelles que soient les limites de ces programmes. Les audits de la SMB, par exemple, ne font pas appel à des auditeurs accrédités par une initiative de certification, qui ne sont donc pas tenus d’appliquer la méthodologie établie par l’initiative, et qui n’évaluent pas systématiquement la SMB par rapport aux normes de l’initiative. En outre, la SMB n’a même pas publié de résumé de ses propres audits.
Recommandations aux constructeurs automobiles
Des signaux positifs
Étant donné l’importance croissante de l’aluminium pour l’industrie automobile, il est essentiel que les constructeurs abordent la question de l’impact de la production d’aluminium sur les droits humains. À ce jour, les efforts limités de la part des constructeurs automobiles à s’approvisionner en aluminium de façon responsable a majoritairement consisté à participer dans des programmes de certification comme l’Aluminium Stewardship Initiative, qui assure par l’intermédiaire de tierces parties une surveillance des mines, des raffineries et des fonderies. Comme nous l’avons vu ci-dessus, les achats d’aluminium certifié ne devraient être qu’un élément parmi d’autres de la diligence raisonnable, laquelle comprend une cartographie des chaînes d’approvisionnement et la divulgation de l’identité des différentes entités qui les composent, une analyse des risques, des mécanismes de gestion des griefs et un engagement direct avec les mines, les raffineries et les fonderies impliquées dans les atteintes aux droits humains.
Certains constructeurs automobiles ont déjà commencé à mettre en œuvre ces mesures. Ainsi, tant à titre individuel que collectif, certains ont commencé à cartographier leurs chaînes d’approvisionnement en aluminium et à analyser les risques connexes d’atteintes aux droits humains. En mai 2021, Drive Sustainability, une coalition de 11 fabricants automobiles, a lancé un projet pour évaluer les risques d’atteintes aux droits humains dans les chaînes d’approvisionnement en aluminium et de neuf autres matières premières ; d’après la coalition, cela pourrait présager une action collective visant à renforcer les normes au sein des chaînes d’approvisionnement du secteur automobile.[218] Volvo a déclaré dans une lettre adressée en mai 2021 qu’elle avait commencé à cartographier sa chaîne d’approvisionnement en aluminium et qu’elle exigerait désormais des fournisseurs d’aluminium qu’ils établissent « une traçabilité complète des matériaux » à tous les niveaux.[219]
Des constructeurs automobiles, dont Audi/Volkswagen, BMW, Daimler, Renault et Volvo, ont aussi lancé un dialogue avec leurs fournisseurs sur les risques d’atteintes aux droits humains dans le secteur de l’aluminium. Daimler a déclaré dans une lettre datée de mai 2021 avoir « mené un dialogue avec tous ses fournisseurs directs d’aluminium, un entité du secteur intermédiaire et trois compagnies minières » sur les solutions à apporter pour gérer les risques associés à l’exploitation de la bauxite.[220] Norsk Hydro, un important fournisseur de composants en aluminium auprès du secteur automobile, a envoyé un courrier à la CBG en décembre 2020, en mettant en copie Daimler, Audi, BMW et le Groupe PSA, pour faire part de son soutien à la médiation entre CBG et des communautés en Guinée.[221] Norsk Hydro a déclaré à Human Rights Watch dans une lettre de juin 2021 que la compagnie « a été contactée par plusieurs clients du secteur automobile concernant notre approvisionnement en bauxite et trouvent positif cet intérêt accru pour les droits humains[222]. »
Enfin, les constructeurs automobiles ont déjà commencé à se rapprocher du secteur de l’aluminium pour promouvoir un respect accru des droits humains. En juin 2021, des représentants de Drive Sustainability ont écrit à l’Aluminium Association, qui regroupe une dizaine d’entreprises des secteurs de la fabrication et de la commercialisation de produits en aluminium, pour obtenir des informations sur les efforts déployés par ses membres au titre de la diligence raisonnable en matière de droits humains, faire part de ses préoccupations quant aux risques présents dans le secteur minier guinéen et exprimer son soutien à l’égard du processus de médiation en cours entre la CBG et les communautés affectées.[223] Plusieurs constructeurs, dont Volkswagen, ont contacté la CBG directement, ainsi que ses copropriétaires, Alcoa, Dadco et Rio Tinto, pour leur demander de participer à la médiation de manière constructive.[224] BMW a également déclaré publiquement que si la bauxite était exploitée dans la forêt d’Atewa, au Ghana, contrairement aux obligations prises par le Ghana en vertu de la Convention sur la biodiversité biologique des Nations Unies et l’Accord de Paris sur le climat, elle ne saurait accepter dans sa chaîne d’approvisionnement de l’aluminium qui provient de cette forêt.[225]
Prochaines étapes
Les mesures positives prises à ce jour par les constructeurs automobiles ne devraient être que le début d’une démarche plus globale visant à faire face aux impacts de la production d’aluminium sur les droits humains.
Les constructeurs automobiles devraient commencer par s’assurer que des normes contraignantes en matière d’environnement et de droits humains soient intégrées dans leurs conventions d’achat avec leurs fournisseurs directs. Ces conventions devraient par ailleurs requérir des fournisseurs qu’ils imposent les mêmes exigences à tous les niveaux de leur chaîne d’approvisionnement, jusqu’à la mine. Ces normes devraient être des exigences juridiques exécutoires offrant des voies de recours en cas de violation. Les voies de recours devront inclure l’adoption par les fournisseurs de plans d’actions correctives assortis d’un calendrier en cas d’atteintes aux droits humains et, en cas de violation persistante, la résiliation des contrats d’approvisionnement.
Les constructeurs automobiles ne doivent toutefois pas compter exclusivement sur leurs fournisseurs pour respecter les normes en matière d’environnement et de droits humains. Ils devraient cartographier leurs chaînes d’approvisionnement en aluminium afin de comprendre d’où proviennent leurs achats et quels sont les principaux risques d’atteintes aux droits humains. Ils devraient aussi collaborer au partage d’informations sur les chaînes d’approvisionnement en aluminium et les risques connexes.
Les constructeurs automobiles devraient rendre publique l’information sur leurs chaînes d’approvisionnement en aluminium, y compris sur les mines, les raffineries et les fonderies auprès desquelles ils s’approvisionnent. L’expérience d’autres secteurs, notamment de l’habillement, suggère que la transparence de la chaîne d’approvisionnement est un outil puissant pour promouvoir les droits humains, faire avancer les pratiques commerciales éthiques et renforcer la confiance entre parties prenantes.[226] La publication des noms des mines, des raffineries et des fonderies permet aux communautés et aux défenseurs des droits humains d’alerter les constructeurs automobiles en cas d’atteintes aux droits humains.
Après avoir cartographié et divulgué des détails sur leurs chaînes d’approvisionnement en aluminium, les constructeurs automobiles devraient régulièrement évaluer les risques d’atteintes aux droits humains, y compris dans le cadre de l’exploitation de la bauxite, du raffinage de l’alumine et des fonderies d’aluminium. Cette évaluation des risques devrait être réalisée au moyen d’audits tiers sur les sites, raffineries ou fonderies problématiques, ainsi qu’à travers un dialogue avec les ONG et les groupes de la société civile. Les audits devraient être commandités par les constructeurs automobiles eux-mêmes, ou leurs fournisseurs de premier niveau, et non par la compagnie minière, afin d’éviter tout conflit d’intérêts. Les contrats d’audit devraient requérir la participation d’un large éventail de membres des communautés affectées tout au long du processus, inclure des garde-fous pour éviter que les participants ne se sentent intimidés et exiger que les expériences et perspectives des communautés soient incluses dans le rapport d’audit final et ses conclusions. Les auditeurs devraient avoir démontré qu’ils disposent d’une expertise dans le domaine des droits humains et que leurs précédents audits et rapports affichent une intégrité et une indépendance irréprochables. Les constructeurs automobiles devraient également se rendre dans les mines de bauxite, les raffineries d’alumine et les fonderies d’aluminium et rencontrer les communautés affectées par ces sites. Les constructeurs automobiles pourraient envisager de se regrouper pour réaliser des évaluations conjointes, par exemple au moyen d’initiatives collectives telles que Drive Sustainability.
Les constructeurs automobiles devraient, en fonction du résultat de leur cartographie de la chaîne d’approvisionnement et de leur évaluation des risques, se concentrer sur des mesures aussi bien individuelles que collectives pour faire face aux risques d’atteintes aux droits humains. Il pourrait notamment s’agir de se rapprocher des mines, des raffineries ou des fonderies impliquées dans les atteintes aux droits humains pour les aider à élaborer des plans d’actions correctives assortis d’un calendrier et de voies de recours pour les victimes. Ces plans devraient cibler toute question liée aux droits humains qui aura été identifiée lors d’un audit ou par les communautés et les groupes de la société civile. Ces plans devraient par ailleurs inclure des mesures permettant aux constructeurs automobiles de vérifier qu’ils sont effectivement mis en œuvre, y compris par un dialogue permanent avec les populations touchées et les groupes de la société civile. Si une mine, une raffinerie ou une fonderie ne prend pas de mesures correctives adéquates dans des délais raisonnables, les constructeurs automobiles devront refuser les pièces en aluminium qui proviennent du site en question et exiger de leurs fournisseurs qu’ils mettent fin à leurs relations commerciales avec ce site.
Le secteur automobile devrait également envisager une action collective pour faire face aux risques d’atteintes aux droits humains communs aux filières de l’exploitation de la bauxite, du raffinage d’alumine ou de la production d’aluminium dans un pays ou une région donnée. Il convient de noter que certains constructeurs automobiles collaborent avec d’autres parties prenantes, y compris des groupes de la société civile, afin de financer et d’élaborer des programmes de développement propices à une gouvernance accrue dans les secteurs miniers gravement exposés à des risques d’atteintes aux droits humains, notamment dans le secteur de l’exploitation du lithium dans la région du Salar d’Atacama, au Chili, et dans la filière du cobalt en RD Congo.[227] Les représentants du secteur automobile devraient évaluer la pertinence d’initiatives similaires dans des contextes comme celui de la Guinée, où le secteur de l’aluminium suscite d’importantes préoccupations en matière d’environnement et de droits humains. Une telle initiative pourrait comprendre un éventuel audit des différentes compagnies minières de la région ou pays afin de comparer leurs pratiques et d’identifier les domaines communs à améliorer.
Outre des mesures proactives pour faire face aux risques d’atteintes aux droits humains dans leurs chaînes d’approvisionnement, les constructeurs automobiles devraient élaborer des mécanismes de gestion des griefs permettant aux communautés affectées de porter plainte en cas d’atteintes aux droits humains commises au sein de la chaîne d’approvisionnement du constructeur. Ces mécanismes devront être conçus après consultation approfondie d’un large éventail d’acteurs, parmi lesquels les populations touchées et des groupes de défense des droits humains. Ils doivent en outre être légitimes, accessibles et équitables et remplir les autres critères d’efficacité énoncés dans les Principes des Nations Unies[228]. Les constructeurs automobiles qui ont connaissance de griefs impliquant des mines de bauxite ou d’autres sites de leur chaîne d’approvisionnement en aluminium devraient faire pression sur la compagnie en question, y compris en l’accompagnant et en lui demandant de résoudre les griefs rapidement et efficacement, faute de quoi elle risquera d’être exclue de futurs contrats d’achat. En exerçant de telles pressions, les consommateurs d’aluminium peuvent jouer un rôle important en poussant les compagnies minières à résoudre les plaintes des communautés de manière constructive.
Enfin, les constructeurs automobiles devraient soutenir l’élaboration de lois exigeant de tous les acteurs commerciaux qu’ils adoptent une démarche sérieuse de diligence raisonnable en matière de droits humains, y compris au sein de leurs chaînes d’approvisionnement. Bien que des normes volontaires encouragent les entreprises à respecter les droits humains, les atteintes associées à la production d’aluminium et à d’autres formes d’extraction de ressources naturelles restent extrêmement nombreuses. En définitive, seul un devoir de diligence obligatoire en matière de droits humains – qu’il s’agisse de lois nationales ou régionales – permettra d’instaurer une situation équitable et de faire avancer l’ensemble du secteur dans la bonne direction. La filière automobile devrait encourager les efforts permanents visant l’adoption d’une législation obligatoire qui régit la diligence raisonnable en matière de droits humains, par exemple dans l’Union européenne, mais aussi encourager des mesures législatives similaires dans d’autres juridictions, telles que les États-Unis, qui ont encore un long chemin à parcourir avant qu’un devoir de diligence de cet ordre soit adopté.[229]
Remerciements
Ce rapport a été rédigé par Jim Wormington, chercheur senior sur les questions des droits relatifs à l’environnement et aux ressources naturelles auprès de la division Afrique à Human Rights Watch, ainsi que par Natalie Bugalski, directrice du département Juridique et politique à Inclusive Development International, et Coleen Scott, collaboratrice auprès de ce département. Jim Wormington, Natalie Bugalski et Coleen Scott ont également effectué les travaux de recherche pour les besoins du rapport.
Ida Sawyer, directrice adjointe de la division Afrique, a édité le rapport pour Human Rights Watch. Clive Baldwin, conseiller juridique senior, a fourni une analyse juridique, et Babatunde Olugboji, directeur adjoint du département Programmes, a apporté une analyse programmatique pour Human Rights Watch. Le rapport a également été révisé par Aruna Kashyap, directrice adjointe de la division Entreprises et droits humains ; Juliane Kippenberg, directrice adjointe de la division Droits des enfants ; Juliana Nnoku-Mewanu, chercheuse senior auprès de la division Droits des femmes, Felix Horne, chercheur senior, et Luciana Tellez-Chavez, chercheuse auprès de la division Environnement et droits humains, tous au sein de Human Rights Watch. Ce rapport a aussi bénéficié de la révision rédactionnelle d’Aoife Croucher, collaboratrice de la division Afrique à Human Rights Watch, et de Birgit Schwarz, responsable de la communication au service Médias de Human Rights Watch. La traduction en français a été réalisée par Catherine Dauvergne-Newman et Hélène Tagand, et relue par Jim Wormington et Peter Huvos.
David Pred, directeur exécutif d’Inclusive Development International, a édité ce rapport pour cette organisation. Mark Grimsditch, directeur du China Global Program, s’est chargé de l’examen programmatique pour Inclusive Development International. La recherche sur les chaînes d’approvisionnement a été révisée par Dustin Roasa, directeur de la recherche à Inclusive Development International.
Chandler Spaid, éditeur adjoint auprès du département Multimédias à Human Rights Watch, et Ifé Fatunase, directrice de ce département, ont produit et édité la vidéo qui accompagne le rapport.
Travis Carr, coordinateur des publications et de la photographie, ont contribué à la sélection et à la présentation des photographies utilisées dans le rapport. Fitzroy Hepkins, responsable administratif, a préparé le rapport aux fins de publication.