- Deux frappes israéliennes illégales menées en septembre et en novembre 2024 à Younine, dans le nord-est du Liban, ont manifestement constitué des attaques indiscriminées contre des civils.
- Un nombre croissant de preuves montrent que les forces israéliennes ont systématiquement failli à leur devoir de protéger les civils ou de distinguer de manière adéquate les civils et les cibles militaires, lors de leurs frappes menées au Liban en 2023 et 2024.
- Le gouvernement libanais devrait ouvrir la voie à la justice pour les familles endeuillées, notamment en conférant à la Cour pénale internationale la compétence pour enquêter sur ces crimes et engager des poursuites. Tous les pays, notamment les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et l'Allemagne, devraient suspendre leur assistance militaire et leurs ventes d'armes à Israël.
(Beyrouth) – Deux frappes illégales menées par Israël en septembre et en novembre 2024 à Younine, dans le nord-est du Liban, ont tué 33 civils dont 15 enfants, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui ; ces deux frappes ont manifestement constitué des attaques indiscriminées contre des civils.
Au moins une de ces deux attaques a été menée avec une bombe larguée par voie aérienne et équipée d'un kit de guidage GPS (Joint Direct Attack Munition, JDAM) fabriqué aux États-Unis. Les deux attaques devraient faire l'objet d'enquêtes en tant que crimes de guerre.
« Un nombre croissant de preuves montrent que les forces israéliennes ont systématiquement manqué à leur obligation de protéger les civils lors de leurs frappes menées au Liban en 2023 et 2024, ou de faire une distinction adéquate entre les cibles militaires d’une part, et les civils d’autre part », a déclaré Ramzi Kaiss, chercheur sur le Liban à Human Rights Watch. « Le gouvernement libanais devrait fournir aux familles endeuillées une voie vers la justice, notamment en conférant à la Cour pénale internationale la compétence d'enquêter et de poursuivre les auteurs de ces crimes. »
En mai 2024, le précédent gouvernement libanais est revenu sur une décision prise un mois plus tôt, qui conférait à la Cour pénale internationale (CPI) la compétence d'enquêter et de poursuivre les crimes graves commis sur le territoire libanais depuis le 7 octobre 2023. Le nouveau gouvernement libanais devrait d’urgence reconnaitre a nouveau cette compétence de la CPI, afin de conférer à son Procureur le mandat d'enquêter sur les crimes internationaux graves commis sur le territoire libanais.
Le 25 septembre 2024, une attaque a tué une famille de 23 personnes, toutes syriennes, dont 13 enfants, à Younine. Le 1er novembre, une frappe contre une maison à deux étages y a tué 10 personnes : cinq femmes, trois hommes et deux enfants, dont un jeune enfant âgé d'un an. Human Rights Watch n'a trouvé aucune preuve d'activité militaire, ni de cibles militaires, sur ces deux sites.
Human Rights Watch a également enquêté sur une troisième frappe à Younine, survenue le 21 novembre, qui a coûté la vie à une famille de quatre adultes. Les chercheurs ont vu plusieurs affiches du Hezbollah à Younine et en ligne, qui qualifiaient l'une des victimes masculines de « martyr », sans pouvoir vérifier qui avait conçu ces affiches ; un examen des photos de la tombe de cet homme indique qu'il pourrait s'agir d'un combattant du Hezbollah.
Entre novembre 2024 et février 2025, les chercheurs de Human Rights Watch se sont rendus sur les lieux des deux frappes à Younine, près de Baalbeck, dans l'est du Liban. Ils ont également visité le cimetière de Younine afin d’y examiner les lieux de sépulture des habitants du village tués lors des attaques israéliennes, notamment des combattants et des civils. Human Rights Watch a également examiné des photos et des vidéos partagées sur les réseaux sociaux au lendemain des frappes.
Human Rights Watch a mené des entretiens avec dix personnes ; certains entretiens ont été menés en personne sur les sites des deux frappes à Younine, et d'autres entretiens etaient téléphoniques. Des fragments d'armes découverts sur les sites des frappes du 25 septembre et du 21 novembre, et examinés par les chercheurs en armement de Human Rights Watch, indiquent que l'armée israélienne a utilisé une bombe polyvalente larguée par voie aérienne de la série MK-80, équipée d'un kit JDAM de fabrication américaine, le 25 septembre. Des restes d'armes découverts sur le site de la frappe du 1er novembre indiquent également l'utilisation d'une bombe polyvalente de la série MK-80.
L'armée israélienne n'a pas averti les civils en leur transmettant un ordre d’évacuation avant les deux frappes, ont déclaré des habitants de Younine à Human Rights Watch. Human Rights Watch a vérifié cette affirmation en examinant les publications sur les réseaux sociaux du porte-parole en langue arabe de l'armée israélienne, ainsi que les chaînes Telegram en langue arabe de cette armée, qui diffusent généralement de tels avertissements appelant à l’évacuation d’un site.
Le 24 mars, Human Rights Watch a envoyé à l'armée israélienne une lettre résumant ses constatations et comprenant plusieurs questions, mais n'a reçu aucune réponse.
En vertu du droit international humanitaire, toutes les parties à un conflit sont tenues, en tout temps, de faire la distinction entre combattants et civils et de ne diriger leurs attaques que contre les combattants ou d'autres objectifs militaires. Les individus qui commettent de graves violations des lois de la guerre avec une intention criminelle – c'est-à-dire intentionnellement ou par imprudence – peuvent être poursuivis pour crimes de guerre. Ils peuvent également être tenus pénalement responsables d'avoir aidé, facilité, aidé ou encouragé un crime de guerre. Tous les gouvernements participant à un conflit armé sont tenus d'enquêter sur les crimes de guerre présumés commis par des membres de leurs forces armées.
Lorsqu'elles mènent une attaque, les parties belligérantes doivent prendre toutes les précautions possibles pour minimiser les dommages causés aux civils et aux biens civils. Cela inclut la prise de toutes les mesures nécessaires pour vérifier que les cibles sont des objectifs militaires.
Entre octobre 2023 et décembre 2024, les attaques israéliennes au Liban ont tué plus de 4 000 personnes et déplacé plus d'un million de personnes. Depuis l'entrée en vigueur de l'accord de cessez-le-feu du 27 novembre entre Israël et le Hezbollah, les attaques israéliennes auraient tué au moins 146 personnes au Liban, dont au moins 26 personnes qui tentaient de regagner des villes et villages où les forces israéliennes ne s'étaient pas encore retirées. Au 20 mars, près de 100 000 personnes étaient déplacées dans le pays en raison du récent conflit, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM).
Le Liban et les autres États membres des Nations Unies devraient ouvrir une enquête internationale sur toutes les violations des droits humains commises par toutes les parties impliquées dans le conflit au Liban. Une telle enquête devrait viser à documenter les crimes en cours, recueillir des preuves et rendre publics ses conclusions. Le gouvernement libanais devrait également renforcer sa coopération avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) et les enquêtes en cours sur les attaques israéliennes au Liban, afin de garantir une documentation précise au sujet des attaques illégales, notamment des crimes de guerre commis entre octobre 2023 et décembre 2024.
En fournissant à Israël des armes qui ont été utilisées à plusieurs reprises pour commettre des crimes de guerre apparents, les États-Unis se sont rendus complices de leur utilisation illégale. Human Rights Watch a précédemment documenté l'utilisation illicite d'armes américaines lors de deux attaques illégales menées au Liban par Israël : l’une menée contre des secouristes en mars 2024, et l’autre menée de manière apparemment délibérée contre des journalistes en octobre 2024.
Fournir une assistance militaire à Israël viole la législation américaine, qui interdit les transferts d'armes vers « tout pays dont le gouvernement commet de façon récurrente de graves violations des droits humains internationalement reconnus ». Tous les États, y compris les principaux alliés d'Israël tels que les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada et l'Allemagne, devraient suspendre leur assistance militaire et leurs ventes d'armes à Israël.
Le parlement libanais devrait également ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, a ajouté Human Rights Watch.
« Les pays qui continuent de fournir des armes à Israël, notamment les États-Unis, doivent prendre conscience que leur soutien militaire continu, malgré de nombreuses preuves d'attaques illégales, les rend complices du meurtre illégal de civils », a conclu Ramzi Kaiss. « Les victimes ont droit à la justice et à des réparations, et les auteurs de ces violations devraient être tenus de rendre des comptes. »
Frappe aérienne israélienne du 25 septembre 2024
Le 25 septembre 2024, peu après 22 heures, une frappe aérienne israélienne a touché un immeuble résidentiel le long de la route principale reliant Baalbek et Qaa, près d’un carrefour menant au centre de la ville de Younine, tuant 22 membres d'une famille syrienne, dont 13 enfants. Un autre membre de la famille est décédé huit jours plus tard dans un hôpital de Damas des suites de ses blessures. Sept personnes ont survécu à l'attaque, dont trois Libanais ; six d’entre elles souffraient de blessures diverses.
Lors d'une visite sur le site le 2 décembre, les chercheurs ont pu examiner les restes d'une bombe équipée d'un kit de guidage JDAM fabriqué aux États-Unis, retrouvés parmi les décombres.
L'armée israélienne n'a pas commenté directement la frappe, mais a indiqué sur X et Telegram le lendemain matin que ses forces avaient frappé environ 75 cibles du Hezbollah dans la région de la Bekaa et dans le sud du Liban pendant la nuit, notamment « des installations de stockage d'armes, des lanceurs prêts à tirer, des terroristes et des infrastructures terroristes ».
Le maire de Younine, Ali Kassas, a déclaré que deux autres frappes aériennes avaient ciblé la ville plus tôt dans la journée. Human Rights Watch n'a trouvé aucune preuve de la présence d'une cible militaire dans la zone de la frappe du 25 septembre ; toutes les personnes interrogées ont insisté sur l'absence de combattants et de matériel militaire dans le bâtiment, et au-delà, dans le quartier.
« Nous essayons encore de comprendre cette frappe, d'en trouver la raison », a déclaré le maire, Ali Kassas. « Nous ne comprenons toujours pas pourquoi ils ont ciblé un bâtiment rempli de Syriens. Ils ne sont même pas libanais. Toute la [zone du] carrefour est principalement habitée par des Syriens, de nombreux […] camps se trouvent aux alentours et la plupart des bâtiments sont loués à des Syriens. »
Frappe aérienne israélienne du 1er novembre 2024
Le 1er novembre 2024 vers 14 heures, une frappe israélienne contre le quartier d'al-Salah à Younine a détruit un immeuble de deux étages.
Des chercheurs de Human Rights Watch se sont rendus sur place le 2 décembre 2024 et le 12 février 2025, et ont mené un entretien avec Ali Salah, qui a perdu dix membres de sa famille lors de la frappe. Ali Salah vivait dans le même quartier et se trouvait à proximité au moment de l'attaque. Le 12 février, Human Rights Watch a également recueilli le témoignage d’un autre voisin et proche de la famille Salah qui vivait dans le même quartier ; le 21 mars, Human Rights Watch a mené un entretien téléphonique avec le maire de Younine au sujet de la frappe.
Ali Salah a fourni les noms des 10 membres de sa famille qui ont été victimes de la frappe israélienne : ses deux sœurs, Wadha, née en 1959, et Fairouz, née en 1975 ; ses deux beaux-frères, Haidar Mahdi Salah (peintre et propriétaire d'un supermarché) et Mohammad Mahdi Salah (chauffeur de taxi) ; ses deux nièces, Elissar, 27 ans, et Zeina, 17 ans ; son neveu Ali Haidar Salah, 30 ans ; la femme d’Ali, Nour Boudaq ; leur fils Haidar, âgé d'un an, et la belle-mère d’Ali, Um Bachir Boudaq.
L'armée israélienne n'a pas commenté directement cette frappe. Cependant, un message publié sur le compte Telegram des forces armées israéliennes le 2 novembre, au lendemain de la frappe, indiquait ceci : « Au cours de la dernière journée, [l'armée de l'air israélienne] a frappé plus de 120 cibles terroristes appartenant au Hamas et au Hezbollah. Parmi celles-ci figuraient des sites de lancement de missiles antichars, des terroristes, des infrastructures terroristes, des installations de stockage d'armes et des centres de commandement au Liban. »
Human Rights Watch a mené des recherches « source ouverte » sur la frappe, notamment sur les noms des personnes tuées, afin de déterminer s'il s'agissait de combattants. Les chercheurs n'ont trouvé aucun élément indiquant la présence de combattants ou d'un objectif militaire sur le site de la frappe. Toutes les personnes interrogées ont déclaré qu'aucun avertissement ni ordre d'évacuation n'avait été donné aux habitants avant la frappe.
Informations plus détaillées sur les deux frappes : en ligne en anglais.
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