(Beyrouth) – Le 19 avril 2025, un tribunal tunisien a condamné 37 prévenus à des peines de 4 à 66 ans d’emprisonnement dans le cadre d’une affaire de « complot » aux motifs politiques, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le tribunal de première instance de Tunis a prononcé ces peines après seulement trois audiences dans ce procès de masse, sans permettre aux accusés de réellement présenter leur défense et ni leur accorder les autres garanties d’une procédure régulière.
Le 2 mai 2024, un procureur de Tunis a affirmé que des avocats, des opposants politiques, des activistes, des chercheurs et des hommes d’affaires complotaient en vue de renverser le président Kais Saied en déstabilisant le pays, et qu’ils fomentaient même son assassinat. Quarante personnes ont été inculpées et déférés au tribunal en vertu de nombreux articles du Code pénal tunisien et de la loi antiterroriste de 2015, dont certains articles prévoyant la peine de mort. Le procès a débuté le 4 mars. Des peines ont été prononcées contre 37 accusés, tandis que les trois autres ont des plaintes en attente de traitement auprès de la Cour de cassation.
« Le tribunal tunisien n’a même pas donné aux accusés un semblant de procès équitable. Il les a condamnés à de longues peines de prison après un procès de masse lors duquel ils n’ont pas pu se défendre correctement », a déclaré Bassam Khawaja, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Les autorités tunisiennes font clairement savoir que toute personne prenant part à l’opposition politique ou à un quelconque militantisme s’exposent à des années d’emprisonnement après un procès expéditif qui bafoue les procédures régulières ».
Selon le jugement que Human Rights Watch a examiné, le tribunal a condamné l’ancien ministre de la Justice et un haut dirigeant du parti d’opposition Ennahda, Noureddine Bhiri, à 43 ans de prison ; l’homme d’affaires Kamel Ltaief, à 66 ans et le politicien d’opposition Khayam Turki à 48 ans. Ghazi Chaouachi, Issam Chebbi, Jaouhar Ben Mbarek, Ridha Belhaj et Chaima Issa, opposants de premier plan, ont tous été condamnés à 18 ans de prison. Abdelhamid Jelassi, militant politique et ancien membre du parti Ennahda, et Said Ferjani, ancien député Ennahda, ont été condamnés à 13 ans de prison; Lazhar Akremi, avocat et ancien ministre, a lui été condamné à huit ans d’emprisonnement. Le tribunal a condamné 15 autres personnes, notamment la militant féministe en exil Bochra Belhaj Hamida, à 28 ans de prison.
La plupart des accusés ne sont pas en détention, certains se trouvent à l’étranger et ont été jugés par contumace. Au moins 12 d’entre eux ont été arrêtés en février 2023 et en janvier 2025, huit étaient toujours en détention. Certains ont été détenus de façon abusive pendant plus de deux ans avant le jugement, une durée supérieure à la durée maximum prévue en droit tunisien.
Dans cette affaire, les autorités tunisiennes ont pris des mesures supplémentaires portant atteinte au droit à un procès équitable. Le 26 février, avant la première audience, le président du tribunal et les magistrats ont ordonné aux prévenus en détention de comparaître en visioconférence, invoquant un « véritable danger ». La pratique des procès à distance est par essence abusive, puisqu’elle porte atteinte au droit des détenus à être présentés physiquement devant un juge afin qu’il puisse évaluer leur état de santé ainsi que la légalité et les conditions de leur détention.
Lors des audiences suivantes, le tribunal a interdit à des journalistes et des observateurs, dont Human Rights Watch, de pénétrer dans la salle d’audience. Une accusée, Chaima Issa, n’a elle non plus pas été autorisée à y entrer pour assister à son propre procès lors de la session du 11 avril.
Le 21 avril, des agents de la brigade antiterroriste de la Garde nationale ont arrêté Ahmed Souab, avocat dans cette affaire, à son domicile après qu’il a fait des déclarations aux médias concernant le verdict. Il a été placé en détention en vertu de la loi antiterroriste de 2015 et accusé d’« infractions terroristes et de droit commun », notamment de « menace de commettre des actes terroristes dans le but de contraindre une personne à se livrer à un acte ou à s’en abstenir et de mettre la vie d’une personne protégée en danger ».
D’autres avocats de la défense en Tunisie sont soumis à un harcèlement judiciaire accru et des poursuites pénales pour avoir légitimement exercé leur profession. Ayachi Hammami, ancien avocat de la défense dans l’affaire, lui-même devenu accusé en mai 2023, a été condamné à huit ans de prison.
Le gouvernement tunisien a recours à la détention arbitraire et à des poursuites motivées par des fins politiques afin d’intimider, de punir et de réduire au silence les critiques, a affirmé Human Rights Watch. Après la prise de contrôle des institutions étatiques par le président Kais Saied le 25 juillet 2021, les autorités ont considérablement renforcé leur répression de la dissidence. Depuis début 2023, elles ont intensifié les arrestations et détentions arbitraires de personnes de tout bord politique perçues comme critiques du gouvernement. Les attaques répétées des autorités contre le pouvoir judiciaire — notamment le démantèlement par Saied du Conseil supérieur de la magistrature — ont profondément sapé son indépendance et mis en péril le droit des Tunisiens à un procès équitable.
La Tunisie est un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, qui garantissent le droit à la liberté d’expression et d’assemblée, à un procès équitable et à ne pas faire l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire.
Les autorités tunisiennes devraient annuler ces condamnations, garantir des procès équitables et cesser de poursuivre des personnes pour avoir exercé leurs droits humains, a déclaré Human Rights Watch. Les partenaires internationaux de la Tunisie devraient rompre le silence, exhorter le gouvernement à mettre fin à la répression et à protéger l’espace de la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.
« Le simulacre de procès dans l’“affaire de complot” montre jusqu’où le gouvernement du président Kais Saied ira pour éliminer les derniers vestiges de l’opposition politique et de la liberté d’expression dans le pays », a déclaré Bassam Khawaja. « Les gouvernements concernés doivent s’exprimer, sans quoi les autorités tunisiennes continueront d’engager despoursuites abusives dans des affaires fabriquées de toutes pièces, tout en ne répondant pas la crise économique que traverse le pays », a-t-il conclu.