- En Haïti, des groupes criminels soumettent les filles et les femmes à d’horribles abus sexuels, et les survivantes ont peu accès aux services de protection et de soins en raison du manque de ressources et des difficultés à atteindre ceux qui existent.
- Les groupes criminels ont souvent eu recours à la violence sexuelle pour instiller la peur dans des territoires rivaux. À mesure que les affrontements entre gangs ont diminué, ils ont étendu le recours à la violence sexuelle, qui est désormais généralisée.
- Le gouvernement de transition devrait faire de la justice, de l'aide et des réparations pour les survivantes une priorité, et la communauté internationale devrait augmenter de toute urgence les financements pour restaurer l'État de droit, assurer une sécurité de base et reconstruire les systèmes de santé et de justice.
(Washington, le 25 novembre 2024) – Des groupes criminels en Haïti ont intensifié les attaques contre la population ces dernières semaines, notamment en soumettant des filles et des femmes à d’horribles abus sexuels, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. La communauté internationale devrait de toute urgence augmenter le financement destiné à soutenir une réponse sécuritaire fondée sur les droits, et à améliorer la capacité du gouvernement de transition, ainsi que des organisations locales et internationales, à répondre aux besoins des survivantes, qui ont un accès limité aux services de protection et de soins.
Des groupes criminels contrôlent plus de 80 % de la capitale et de ses environs, alors que la Police nationale haïtienne et la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS) autorisée par les Nations Unies, qui manque cruellement de ressources, luttent pour rétablir la sécurité. Les groupes criminels ont souvent eu recours à la violence sexuelle pour instiller la peur dans les territoires rivaux. Tandis que les combats entre ces groupes ont diminué en 2024, les attaques contre la population, la police et les infrastructures clés du pays ont augmenté, notamment par le biais d’un recours généralisé à la violence sexuelle.
« L’État de droit en Haïti est tellement défaillant que des membres de groupes criminels violent des filles ou des femmes sans craindre aucune conséquence », a déclaré Nathalye Cotrino, chercheuse auprès de la division Crises, conflits et armes à Human Rights Watch. « La communauté internationale devrait augmenter de toute urgence le financement de programmes complets visant à soutenir les survivantes de violences sexuelles, tout en veillant à ce que le gouvernement de transition et la Mission multinationale d’appui à la sécurité disposent des ressources nécessaires pour rétablir l’État de droit, assurer une sécurité de base et reconstruire les systèmes de santé et de justice. »
En juillet 2024, Human Rights Watch s’est entretenu avec 58 personnes à Port-au-Prince, dont des survivantes de violences sexuelles, des défenseurs des droits humains et des travailleurs humanitaires, des responsables du gouvernement de transition, des diplomates et des représentants de la société civile haïtienne et d’agences de l’ONU. Les chercheurs ont également mené des entretiens à distance avec 36 personnes, dont l'ancien ministre de la Santé publique et de la Population et des professionnels de la santé d'organisations haïtiennes et internationales, et ont examiné des données et des rapports de l'ONU et d’organisations haïtiennes et internationales. Human Rights Watch a contacté des porte-paroles de groupes criminels par le biais d’intermédiaires de confiance, mais les porte-paroles des groupes ont refusé de commenter.
Entre janvier et octobre, près de 4 000 filles et femmes ont signalé des violences sexuelles, notamment des viols collectifs, commises principalement par des membres de groupes criminels, selon le sous-secteur Violences basées sur le genre (VBG), qui comprend des groupes de femmes communautaires, des organisations internationales et des entités gouvernementales. Selon l’ONU, l’augmentation de cas impliquant des enfants est de 1 000 %, par rapport à la même période en 2023. Les défenseurs des droits humains et les travailleurs humanitaires ainsi que les responsables gouvernementaux ont indiqué qu'il s'agissait très probablement d'une fraction des cas, car la plupart ne sont pas signalés.
« Les bandits ne se soucient pas de leur âge », a déclaré un travailleur humanitaire. « Ils violent parce qu'ils ont le pouvoir. Parfois ils le font pendant des jours, voire des semaines. » De nombreuses survivantes souffrent des effets de violences physiques et de mauvais traitements ou se retrouvent enceintes, sans accès aux services médicaux, psychosociaux ou juridiques, même pour celles qui finissent par contracter des infections sexuellement transmissibles, qui touchent un grand nombre de survivantes, en particulier le VIH.
De nombreuses survivantes hésitent à signaler des violences sexuelles ou à rechercher des soins de santé par crainte de représailles, ont expliqué des survivantes et des travailleurs humanitaires. Nombre de celles qui recherchent des soins ne peuvent souvent pas le faire dans le délai critique de 72 heures pour accéder à la prophylaxie post-exposition et à la contraception d'urgence, soit parce que de nombreux établissements médicaux publics sont fermés en raison des violences, soit parce qu'elles ne disposent pas des ressources financières pour se rendre dans des centres de santé privés, ont déclaré les professionnels de la santé.
« Ces femmes sont extrêmement vulnérables », a déclaré un professionnel de la santé international. « Elles sont prises au piège de la pauvreté et luttent quotidiennement pour survivre. Lorsqu’elles [subissent] la violence du viol, elles ont également du mal à accéder à la protection et aux soins de santé. »
Il existe également à Haïti une interdiction totale de l'avortement. « Les femmes et les filles haïtiennes confrontées à la pauvreté ont recours à des avortements illégaux à risque, au péril de leur vie », a déclaré Pascale Solages, directrice de l'organisation de femmes Nègès Mawon. « Les avortements à risque sont la troisième cause de mortalité maternelle. »
« J'ai été violée par quatre hommes [en mai] alors que je marchais dans une rue de Brooklyn [un quartier de la commune de Cité Soleil dans la capitale, Port-au-Prince] », a expliqué une mère de quatre enfants âgée de 25 ans qui cherchait de l'eau pour ses enfants. « C’étaient des hommes de Gabriel [du groupe criminel G-Pèp]. Ils ne faisaient pas ça avant, mais maintenant ils font ce qu’ils veulent de nous toutes. Je ne pouvais pas aller chez le médecin, je n’avais pas d’argent. »
L'escalade de la violence criminelle, notamment les attaques et les pillages d'hôpitaux, a poussé le système de santé au bord de l’effondrement, et selon l’ancienne ministre de la Santé publique et de la Population, moins de 30 % des établissements de santé sont opérationnels dans la capitale. Cette situation entrave considérablement l’accès des victimes de violences sexuelles aux services de santé essentiels.
La pauvreté aggrave la situation, sachant que plus de 64 % de la population haïtienne de 11,7 millions de personnes vit avec moins de 3,65 dollars par jour, selon la Banque mondiale.
« Je vis dans la rue avec mes enfants », a déclaré une femme de 27 ans, enceinte de neuf mois et mère de trois enfants. « Parfois, nous restons trois ou quatre jours sans manger… Après qu’ils [les membres du groupe criminel G9] m’ont violée, j’étais dans un très mauvais état. J’ai eu une infection vaginale, mais je n’avais pas d’argent pour aller chez le médecin. »
Médecins Sans Frontières (MSF), qui dispense des soins d’urgence gratuits à Port-au-Prince depuis plus de 30 ans, a suspendu ses activités le 20 novembre. Cette décision fait suite aux attaques de groupes d’autodéfense contre des ambulances, des patients et du personnel médical de MSF, ainsi qu’aux menaces de mort et de viol contre le personnel de MSF de la part de membres de la Police nationale haïtienne. Les attaques et menaces contre MSF découlent des allégations de certains membres de la police haïtienne et de groupes d’autodéfense selon lesquelles l’organisation fournit un soutien médical à des membres de groupes criminels, au mépris du fait que, comme l’a déclaré MSF, l’organisation « fournit des soins à tous en fonction des seuls besoins médicaux ».
MSF a souvent été la seule option d’assistance aux victimes et aux survivantes dans les zones contrôlées par des groupes criminels. Cette suspension devrait affecter en moyenne plus de 1 100 patients par semaine, dont plus de 80 survivantes de violences basées sur la genre, qui ne peuvent pas accéder aux hôpitaux publics en raison de fermetures ou aux hôpitaux privés, que les victimes trouvent généralement inaccessibles ou inabordables.
Les organisations locales de femmes fournissent également des soins de santé, un soutien psychologique, un abri temporaire, une éducation, une réinsertion et une assistance juridique aux survivantes de violences sexuelles, souvent avec le soutien d’agences de l’ONU et d’autres organisations internationales. Ces organisations ont des moyens très limités et la plupart ne peuvent opérer que dans les zones contrôlées par le gouvernement. Beaucoup d’entre elles ont également été touchées par la récente escalade de la violence, les conduisant à suspendre leurs activités.
Les experts de l’ONU ont prévenu que les autorités haïtiennes ont également affaibli et sous-financé les institutions étatiques chargées de fournir des services essentiels et de protéger les droits humains. Alors que le gouvernement de transition a donné la priorité à la réouverture des établissements de santé fermés et à un meilleur accès à la justice pour les victimes, de hauts responsables du gouvernement ont déclaré qu'il manquait de ressources financières adéquates.
Le rétablissement des conditions de sécurité de base est également essentiel pour lutter contre les violences sexuelles. Les partenaires d’Haïti devraient fournir d’urgence les ressources nécessaires pour que la mission MMAS puisse fonctionner efficacement. En septembre, l’ONU n’avait reçu que 17 % des 16 millions de dollars nécessaires pour renforcer et élargir l’accès aux services essentiels pour les filles et les femmes. Le bureau des droits de l’homme de l’ONU en Haïti soutient la formation d'unités judiciaires spécialisées chargées d’enquêter et de poursuivre les responsables de crimes graves, notamment de violences sexuelles, mais le gouvernement de transition devrait publier un décret officiel les établissant afin qu'elles puissent être pleinement opérationnelles.
« Le gouvernement de transition devrait donner la priorité à la protection et à la prise en charge globale des survivantes de violences sexuelles », a conclu Nathalye Cotrino. « Les États-Unis, l’Union européenne, le Canada et d’autres gouvernements concernés en Amérique latine et au-delà devraient apporter un soutien financier pour aider le gouvernement et les groupes humanitaires à répondre à ces besoins. »
Pour plus de détails, des témoignages de victimes et des recommandations, veuillez voir ci-dessous.
Les survivantes de violences sexuelles sont mentionnées ici sans identification complète ou avec des pseudonymes afin de protéger leur vie privée.
Impact de la violence criminelle sur les filles et les femmes
Selon les Nations Unies, l’expansion des activités des groupes criminels en Haïti a contribué à une forte augmentation de la violence basée sur le genre, notamment la violence sexuelle, ciblant principalement les filles et les femmes. Les organisations locales et internationales ont également noté une augmentation alarmante du nombre de viols signalés entre avril et juin 2024, en particulier dans les municipalités de Carrefour, Cité Soleil, Croix-des-Bouquets, Delmas, Gressier et Port-au-Prince — des zones largement contrôlées par des groupes criminels — où certaines structures ont signalé à l'ONU avoir reçu jusqu’à 40 victimes de viol par jour.
En 2023, des groupes criminels ont régulièrement eu recours au viol comme une « arme de terreur » pour « punir » les filles et les femmes des territoires contrôlés par des groupes rivaux. Human Rights Watch a documenté de nombreux cas de viols, principalement à Brooklyn, Cité Soleil, où se sont déroulés d'intenses affrontements entre deux grandes coalitions, la fédération G-Pèp, qui contrôlait Brooklyn, et l'alliance G9, qui contrôlait les quartiers environnants et cherchait à étendre son territoire. Des membres de la G9 commettaient fréquemment des viols collectifs infligés à des femmes et des filles de Brooklyn, pour semer la peur et les punir parce qu'elles vivaient dans la zone contrôlée par le groupe rival.
À fin février, la formation de l’alliance « Viv Ansam », composée de grandes coalitions criminelles, dont G9 et G-Pèp, a modifié la dynamique. À mesure que les affrontements entre les groupes criminels ont diminué, ceux-ci ont étendu le recours à la violence sexuelle, la généralisant, notamment contre les filles et les femmes cherchant refuge dans des sites informels après avoir été déplacées.
« Les groupes criminels abusent de quiconque [sur leurs territoires] pour quelque raison que ce soit, car ils représentent l'autorité », selon un expert haïtien en matière de sécurité. « Les dirigeants, les membres de niveau intermédiaire et les membres de base violent tous les filles et les femmes simplement parce qu'ils le peuvent, et personne ne les en empêche. »
Les filles et les femmes sont interceptées dans les espaces publics alors qu’elles se déplacent à pied ou utilisent les transports en commun. Les membres de groupes criminels les emmènent dans des lieux proches, généralement des maisons à moitié détruites et abandonnées, où ils les menacent, les frappent et les violent. Nombre d’entre elles sont victimes de viols collectifs. Les défenseurs des droits humains et les travailleurs humanitaires ont signalé des cas de femmes et de filles violées en plein jour dans les bus publics et dans la rue.
« Il y a deux mois, alors que je mendiais de la nourriture dans la rue, trois hommes du groupe de Gabriel [G-Pèp] m’ont attrapée… et m’ont jetée face contre terre. Ils m’ont violée, et ils ne se souciaient pas du fait que j’étais enceinte », a déclaré Aurélie G., 27, habitante de Brooklyn. « J’avais trop peur pour résister. Ils avaient tous des armes… Quand ils ont fini, ils m’ont plaqué le visage contre le trottoir et m’ont insultée, disant que nous étions toutes à eux et qu’ils pouvaient faire de nous ce qu’ils voulaient. »
Bridget C., une jeune fille de 14 ans de la commune de Croix-des-Bouquets, a déclaré avoir été enlevée à son domicile et violée par des membres du groupe criminel 400 Mawozo fin février :
Il était presque 10 heures du matin. Plus de 10 bandits sont arrivés... Deux d'entre eux m'ont attrapée par les bras et m'ont traînée dans une autre maison... [Là], ils m'ont emmenée dans une pièce où se trouvaient six [autres] filles. Ils m'ont attachée à une chaise... cinq hommes m'ont violée ce jour-là. Ils m'ont frappée à la tête avec leurs poings plusieurs fois... J'ai passé cinq jours dans cette maison et chaque jour j'ai été violée par des hommes différents... Les autres filles ont également été violées et battues.
« [Le viol des femmes] est devenu tellement normal que la plupart des femmes qui viennent nous voir disent : ‘Ils m’ont violée, mais au moins ils ne m’ont pas tuée’, résignées à ce sort », a déclaré une travailleuse humanitaire.
Les filles et les femmes qui ont fui leur foyer en raison de la violence sont également violées dans des sites informels pour personnes déplacées à l’intérieur du pays « dans le cadre d’une tactique délibérée visant à contrôler l’accès des femmes à la rare assistance humanitaire disponible », a expliqué ONU Femmes.
Les survivantes manquent d’accès aux services essentiels
Au cours des deux dernières décennies, le gouvernement haïtien a considérablement réduit les investissements dans les soins de santé publics. Si l’on tient compte de l’inflation et que l’on mesure les dépenses par habitant, Haïti est l’un des 16 pays qui ont dépensé moins en soins de santé publics en 2021 qu’en 2000.
Les ministères de la Santé publique et de la Population, de la Condition féminine et des Droits des femmes, ainsi que de la Justice et de la Sécurité publique disposent d'un plan national de lutte contre les violences à l'égard des femmes, notamment les violences sexuelles, d’ici 2027. Ce plan est largement soutenu par l'ONU et dispose du sous-cluster des Violence basées sur le genre (VBG) en tant que mécanisme de coordination. Cependant, les survivantes de violences sexuelles continuent de se voir confrontées à un accès limité, voire inexistant, aux services publics essentiels, notamment à la protection et aux soins de santé.
« Lorsqu’une survivante de violences sexuelles arrive dans un établissement public, elle reçoit des soins immédiats », a déclaré l’ancien ministre de la Santé publique et de la Population. « Un processus de sélection identifie ses besoins, suivi de soins réactifs pour faire face aux risques potentiels de grossesse ainsi qu’un processus d’orientation vers une assistance psychologique. Des kits d'hygiène sont fournis lorsque cela est possible [en raison de pénuries] pour favoriser leur bien-être. Ces services constituent un ensemble essentiel visant à répondre aux besoins complexes des survivantes. »
Cependant, toutes les victimes n’ont pas accès au système de santé du fait d’obstacles importants. Le système public souffre d’un sous-financement chronique, de pénuries de ressources et d’un déficit critique de personnel. Actuellement, seuls deux des cinq hôpitaux publics du pays sont opérationnels, et même ceux-ci souffrent d’un manque d’équipement et de personnel médical, alors que plus de 40 000 agents de santé ont fui le pays en raison de la violence, selon le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH). La plupart des établissements privés ont fermé et de nombreuses victimes n'ont pas les moyens de bénéficier de leurs services, ont indiqué des travailleurs humanitaires et des défenseurs des droits humains.
De nombreuses victimes s’adressent aux organisations internationales et locales du sous-cluster VBG pour accéder à des services de protection et de santé. Cependant, malgré les efforts de leurs membres, des obstacles importants subsistent quant à coordonner une réponse efficace. Le sous-cluster « produit des données systématiques sur les incidents violents, mais il ne fonctionne pas efficacement… en partie à cause de la rotation des responsables faisant office de points focaux, du manque de clarté sur les rôles et de l’incertitude quant aux ressources disponibles », a déclaré un responsable humanitaire.
Dans les zones contrôlées par les groupes criminels, la plupart des centres de santé ne fonctionnent pas. Avant la récente suspension, les centres de MSF étaient souvent la seule option pour la prise en charge des victimes, et même tous fonctionnaient de manière intermittente, notamment à Drouillard, Turgeau, Tabarre, Carrefour, ainsi que ses cliniques mobiles, notamment à Cité Soleil. Depuis la suspension, MSF ne fournit des soins qu'aux patients déjà hospitalisés et n'acceptera plus de nouvelles admissions. « MSF est présent mais nous n'avons pas d'autres établissements vers lesquels orienter [les victimes] pour des soins médicaux, encore moins un soutien psychologique », a déclaré une travailleuse de l'Oganizasyon Fanm Vanyan an Aksyon (OFAVA), une organisation haïtienne de défense des droits des femmes, avant que MSF n'annonce la suspension de ses opérations.
« Après avoir été violée, j’ai eu une infection vaginale, mais je ne pouvais pas aller chez le médecin car il n’y en avait pas à proximité et je n’avais pas d’argent », a déclaré Emanuela B., une survivante de violences sexuelles de Cité Soleil.
Selon le Fonds des Nations Unies pour la population, seul un quart des victimes de viol signalées peuvent accéder aux soins de santé dans le délai critique de 72 heures pour un traitement post-viol. « C’est déchirant de voir des femmes arriver longtemps après l’agression, présentant des symptômes d’infections sexuellement transmissibles comme le VIH qui auraient pu être traitées efficacement si elles avaient eu un accès rapide aux services de santé », a déclaré une défenseure des droits humains.
« J’ai contracté le VIH », a déclaré Ellie M., une veuve de 29 ans, survivante de violences sexuelles et mère de quatre enfants qui vit à Brooklyn. Elle a été enlevée et violée collectivement pendant cinq heures par des membres armés de la coalition criminelle G9. « Ensuite, ils m’ont tiré une balle dans le pied », a-t-elle expliqué. « [Quand] je suis allée à l’hôpital, [les médecins] ont découvert que j’étais infectée… C’était trop tard. Puis [j’ai appris que] j’étais enceinte. »
Le bébé d’Ellie n’a pas été diagnostiqué séropositif à la naissance. Les médecins lui ont déconseillé d’allaiter pour prévenir l’infection, mais elle n’avait pas les moyens d’acheter du lait maternisé. Lorsqu’Ellie s’est entretenue avec Human Rights Watch, le bébé, alors âgé de trois mois, avait développé des taches rouges sur le dos, les jambes et les pieds, et Ellie craignait qu’elle ait contracté le VIH. « Le médecin m’a donné une carte pour des médicaments mensuels, mais c’est juste pour moi, pas pour le bébé », a-t-elle confié.
Les survivantes de violences sexuelles ne bénéficient pratiquement d'aucun soutien pour faire face à l'impact psychologique de leur expérience. « Après les soins médicaux, le plus grand besoin [des survivantes] est un soutien en matière de santé mentale », a déclaré une psychologue d’une organisation internationale. « Les femmes se sentent désespérées et sont mentalement affectées par des souffrances, des horreurs et des douleurs inimaginables… Nous avons des patientes atteintes de TSPT [trouble de stress post-traumatique] qui souffrent de troubles du sommeil, d’anxiété, de troubles alimentaires, de désespoir et de pensées suicidaires. »
Bien que Bridget C., 14 ans, ait bénéficié d’un abri, d’un soutien psychologique et de soins de santé de la part d’une organisation locale, elle souffrait de symptômes de stress post-traumatique lorsqu’elle s’est entretenue avec Human Rights Watch, cinq mois après que des membres d’un groupe criminel l’avaient violée : « Je fais encore de nombreux cauchemars à propos de ce que ces hommes m’ont fait. Je me réveille au milieu de la nuit en hurlant de peur et en sueur. Parfois, je me cache sous le lit. »
Même si certaines organisations locales, financées principalement par l'ONU, gèrent des refuges, elles ne sont pas en mesure de répondre à la demande élevée. « Nous recevons un grand nombre de cas de jeunes femmes victimes de viol qui tombent enceintes », a déclaré une représentante d’une organisation locale. « [Elles] n’ont souvent ni maison ni famille. Nous ne pouvons leur fournir un refuge que pour une courte période — un ou deux mois — car nous ne disposons pas de ressources suffisantes. »
Les survivantes de violences sexuelles qui tombent enceintes n’ont pas accès à des services d’avortement sécurisés, car l’avortement demeure criminalisé, le gouvernement de transition ayant reporté à 2025 une proposition visant à le décriminaliser jusqu’à 12 semaines de grossesse. « Les femmes sont doublement victimisées », a déclaré une travailleuse humanitaire. « Elles sont violées, maltraitées, enceintes et malades… Elles n’ont pas accès à des services d’avortement sécurisés. »
Les victimes de violences sexuelles n’ont en grande majorité pas accès à la justice ni aux réparations. La violence criminelle a également rendu le système judiciaire pratiquement inopérant. Bien que le gouvernement ait pris certaines mesures pour répondre aux revendications du personnel judiciaire en grève ainsi que pour relocaliser certains tribunaux, les principaux tribunaux de première instance de Port-au-Prince et de Croix-des-Bouquets ne sont pas opérationnels.
Amandine P., mère de cinq enfants et âgée de 34 ans, a été déplacée du quartier de Carrefour Feuilles à Port-au-Prince, à la suite d’une attaque violente au cours de laquelle elle a été violée et son mari tué par des membres du groupe criminel Grand Ravine. « Je n’ai pas porté plainte parce qu’il n’existe pas de système judiciaire fiable ni opérationnel », a-t-elle confié. « Je suis dans une situation vraiment désespérée. Je veux que justice soit faite, pas seulement pour moi, mais pour les autres familles victimisées. »
Plusieurs organisations de la société civile, dont le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH), ont documenté des violations de droits humains commises par des groupes criminels et aidé les victimes à porter plainte. Elles ont toutefois indiqué que les progrès en matière de poursuites contre les auteurs de ces actes étaient minimes et qu’aucune avancée notable n’avait été constatée à Port-au-Prince.
L’impunité est la norme. L’absence de registre officiel des cas et d’un mécanisme permettant d’évaluer l’avancement des enquêtes aggrave la situation. « Les viols et les viols collectifs se multiplient en Haïti », a déclaré Rosy Auguste Ducena, directrice des programmes du RNDDH. « Les survivantes de violences sexuelles sont ignorées par les autorités judiciaires, qui omettent de faire respecter la reddition de comptes pour ces crimes ou de rendre justice. En Haïti, les filles et les femmes sont constamment en danger. »
Recommandations
Haïti a besoin d’une stratégie exhaustive pour protéger les survivantes de violences sexuelles et leur garantir l’accès aux services essentiels, impliquant à la fois des actions immédiates et des stratégies à long terme.
Les bailleurs de fonds d’Haïti et les autres pays concernés devraient :
- Fournir les ressources financières et humaines nécessaires pour renforcer la capacité de la Police nationale haïtienne et de la Mission multinationale d’appui à la sécurité à lutter contre les groupes criminels.
- Mobiliser d’urgence des fonds internationaux supplémentaires pour soutenir les programmes de santé et de protection visant à fournir des soins d’urgence, notamment un soutien psychosocial et une contraception d’urgence, aux survivantes de violences sexuelles ainsi qu’à leurs familles.
- Soutenir les efforts du sous-cluster Violences basées sur le genre pour établir, étendre et améliorer la coordination interne entre les réseaux de services de soutien aux survivantes de violences sexuelles, notamment une assistance médicale, psychologique et juridique, ainsi qu’un accès à la contraception d’urgence, à la prévention ainsi qu’au traitement du VIH, et fournir les ressources nécessaires, estimées à 16 millions de dollars US.
- Exhorter le gouvernement à établir un système robuste pour surveiller les incidents de violence sexuelle et s’assurer que ceux-ci soient signalés et documentés de manière efficace.
- Soutenir les organisations locales et internationales en leur fournissant des ressources et une expertise technique accrues afin qu’elles puissent renforcer leur présence, étendre leur couverture à davantage de victimes ainsi que développer des activités visant à apporter une réponse exhaustive aux besoins des victimes, en coordination avec les entités étatiques pour offrir des abris, une éducation et d’autres services.
- Octroyer aux agences des Nations Unies les ressources nécessaires pour fournir une expertise technique afin de former les fonctionnaires judiciaires, notamment les procureurs et les juges, afin de prévenir de nouveaux traumatismes ainsi que la discrimination ou la stigmatisation basées sur le genre tout au long des procédures judiciaires, et de traiter les cas impliquant des enfants survivantes de manière appropriée.
Le gouvernement de transition d’Haïti devrait :
- Renforcer le système de santé haïtien, en se concentrant à court terme sur la réactivation rapide et efficace des centres de santé et des hôpitaux qui ont suspendu leurs activités et en ayant pour objectif à long terme de garantir que les établissements médicaux, en particulier dans les zones touchées par la violence criminelle, fournissent des soins et des services complets.
- Éviter de nouvelles réductions du financement des soins de santé et se fixer comme objectif de dépenser, par le biais de fonds publics générés au niveau national, l’équivalent d’au moins 5 % du PIB ou 15 % des dépenses publiques générales pour les soins de santé, ou un montant qui assure par ailleurs le maximum de ressources disponibles pour la réalisation du droit à la santé. 5 % du PIB et 15 % des dépenses publiques générales sont deux indicateurs courants, tirés d’accords internationaux et utilisés pour évaluer dans quelle mesure les pays accordent la priorité aux dépenses de santé, conformément à leurs obligations en matière de droits humains.
- Poursuivre de toute urgence des changements législatifs pour décriminaliser l'avortement. Cela devrait inclure la suppression de l’avortement du code pénal afin de le mettre en conformité avec les normes internationales des droits humains, en veillant à ce que personne ne fasse l’objet d’accusations criminelles pour avoir sollicité des services d’avortement.
- Promouvoir le respect des infrastructures de santé ainsi que des missions médicales par tous les acteurs, notamment la Police nationale haïtienne et les groupes criminels, en permettant aux équipes médicales locales et internationales d'opérer même dans les zones sous le contrôle de groupes criminels, ainsi qu’en garantissant que les survivantes de violences sexuelles aient un accès rapide et sûr aux soins médicaux, notamment à la contraception d’urgence, à la prophylaxie post-exposition ainsi qu’aux soins liés à l’avortement.
- Assurer l’ouverture rapide d’enquêtes disciplinaires et criminelles sur l’implication présumée de policiers dans des menaces et des attaques signalées par MSF.
- Veiller à ce que les filles et les femmes victimes de violences sexuelles aient accès à la justice, à l’assistance juridique et aux réparations. Cela comprend la publication d’un décret visant à créer des unités judiciaires spécialisées, avec le soutien du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.
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Articles
LaLibre.be Le Devoir LaPresse.ca
RTS.ch Juno7 (Haïti) Le Nouvelliste
VBI (entretien avec Nathalye Cotrino)