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Syrie/Russie : 12 civils tués près d’Idlib par des tirs d’artillerie

L’alliance syro-russe a frappé des civils lors d’une attaque illégale à Ariha

Mise à jour, 13 décembre 2021 : Après la publication de ce communiqué, Human Rights Watch s'est entretenu avec une témoin qui a affirmé avoir observé au moins sept obus d'artillerie de gros calibre tirés sur Ariha le 20 octobre à 8h00 du matin. Il a précisé que ces obus avaient été tirés d'une position où il avait vu des forces des 11ème et 14ème divisions de l'armée syrienne.

(Beyrouth, le 8 décembre 2021) – L’alliance militaire syro-russe a tiré au moins 14 obus d’artillerie de gros calibre sur la ville d’Ariha, dans le gouvernorat d’Idlib en Syrie, le 20 octobre 2021, tuant 12 civils et en blessant 24 autres, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. L’apparente absence de cibles militaires dans les zones touchées, où se trouvent des maisons d’habitation, des commerces, des écoles et des marchés, font fortement penser à une attaque menée sans discernement.

La Russie combat en Syrie aux côtés des forces armées syriennes depuis septembre 2015. En mars 2020, la Turquie et la Russie ont conclu un cessez-le-feu entre toutes les parties au conflit dans le gouvernorat d’Idlib, dans le nord-ouest du pays, zone actuellement contrôlée par les groupes armés anti-gouvernmentaux, dont certains ont des liens informels avec la Turquie. Des attaques de faible envergure ont continué malgré ce cessez-le-feu, mais l’attaque contre Ariha a été l’une des plus meurtrières pour les civils.

« La Syrie et la Russie semblent avoir violé les lois de la guerre, avec des conséquences dévastatrices pour les civils », a déclaré Belkis Wille, chercheuse senior auprès de la division Crises et conflits de Human Rights Watch. « Une fois encore, les enfants d’Idlib sont les victimes d’actions militaires impitoyables et illégales. »

L’attaque contre Ariha, ville d’environ 30 000 habitants, a commencé quelques minutes après que deux bombes artisanales attachées à un autobus militaire eurent explosé à Damas à 6h45 du matin, tuant 14 personnes. Un groupe armé de la région de Damas, Saraya Qassioun, a revendiqué la responsabilité de cet attentat plusieurs heures plus tard.

Human Rights Watch s’est entretenu à distance avec huit personnes qui ont été témoins de l’attaque contre Ariha, dont une qui a été blessée dans l’attaque, trois autres dont des membres de la famille ont été tués ou blessés, un secouriste et un prestataire de soins médicaux qui a soigné des victimes. L’organisation a analysé 52 vidéos et 64 photos prises pendant et juste après les attaques et téléchargées sur les réseaux sociaux, ou qui lui ont été communiquées directement. Human Rights Watch a également fourni un résumé de ses constats et posé des questions au sujet de l’attaque aux gouvernements syrien et russe, mais n’a pas reçu de réponse.

Le docteur Waseem Bakir, chef du Comité de la communauté médicale d’Ariha, nous a communiqué les noms des 12 civils, dont 4 enfants, tués dans l’attaque, et des 24 civils blessés, dont 6 enfants.

Trois des témoins ont affirmé avoir entendu, ce jour-là vers 7h00 du matin, des échanges d’artillerie non loin d’Ariha entre l’alliance syro-russe et les forces anti-gouvernementales et avoir par la suite entendu des voisins dire que ces échanges s’étaient produits dans le village de Ma’rzafa, à cinq kilomètres à l’est d’Ariha, où, selon eux, le groupe armé Hay’et Tahrir al-Sham (HTS) est présent.

Le premier obus d’artillerie est tombé sur Ariha environ une heure plus tard. Se basant sur les vidéos et photos que nous avons pu consulter, Human Rights Watch a documenté cinq points d’impact dans le centre de la ville, tous dans une zone d’environ 0,77 kilomètres carrés. Ces obus sont tombés à proximité d’écoles, de marchés et d’un abattoir de volailles, et ont endommagé deux bâtiments. Les témoins ont déclaré que les obus avaient également frappé près d’une clinique médicale. Human Rights Watch a documenté 14 détonations dans la ville, la plupart espacées de quelques minutes seulement.

Ces attaques ont été menées à une heure où les enfants vont à l’école. Un employé local du ministère de l’Éducation a affirmé que des obus étaient tombés à proximité directe de sept écoles, qui sont fréquentées par un total d’environ 3 800 enfants. Ariha compte actuellement 21 écoles, avec environ 260 employés et 6 600 élèves.

L’une des personnes tuées dans les attaques était une enseignante, Qamar al-Hafidh, âgée de 28 ans, morte à proximité de l’école de filles Abdul al-Hamid Ghanimi (aussi appelée l’école Banat Ariha) où elle travaillait, a indiqué l’employé du ministère de l’Éducation. Trois des enfants tués et l’un des blessés étaient sur le chemin de l’école au moment de l’attaque.

Les obus d’artillerie ont également touché un marché aux légumes et le principal marché de la ville, qui était soutenu par un projet des Nations Unies, endommageant au moins cinq étals et détruisant partiellement un immeuble de plusieurs étages et l’étage supérieur d’un autre. Un obus est également tombé à proximité d’une clinique, le Centre médical al-Ameen, causant la mort de Zakaria Bizee, 65 ans, qui se rendait à pied au domicile de sa mère pour le petit-déjeuner, a indiqué son frère. « Le secteur est resté calme pendant des mois et je ne sais pas pourquoi ils nous ont ciblés », a déclaré le frère qui, désormais, s’occupe des quatre enfants de Zakaria.

Un obus a éclaté à proximité de l’abattoir de volailles, tuant un homme qui y travaillait, Mahmoud al-Sarih, 28 ans, a déclaré le frère de celui-ci. Le cousin d’al-Sarih, qui travaille aussi dans l’établissement et a été blessé, a précisé que lui-même, al-Sarih et au moins cinq autres personnes se trouvaient sur place quand l’attaque contre Ariha a commencé. Il a indiqué qu’al-Sarih était sorti du bâtiment pour avoir une meilleure connexion d’internet afin de pouvoir recevoir des informations concernant l’attaque, lorsque l’obus est tombé.

« Le souffle de l’explosion m’a projeté contre le mur », a déclaré le cousin. « Pendant quelques instants, je ne voyais plus rien à travers la poussière et je ne savais pas ce qu’il m’était arrivé. Finalement, j’ai réussi à sortir pour voir ce qu’il était advenu des autres. J’ai trouvé Mahmoud mort, ainsi qu’un garçon qui s’appelait Ibrahim et n’avait que 16 ans. C’était le premier jour de travail d’Ibrahim au magasin d’à côté. »

Le frère d’al-Sarih a déclaré: « Quand je suis arrivé à la maison, j’ai vu le corps de Mahmoud qui était déjà dans l’ambulance. J’ai voulu le voir une dernière fois mais quand j’ai regardé, j’ai vu qu’il était complètement défiguré. »

Les sept témoins interrogés ont tous affirmé n’avoir pas connaissance de l’existence de cibles militaires à proximité des six points d’impact des obus au moment des attaques. Aucun personnel ou équipement militaire n’est visible sur les vidéos et les photos des cinq sites que Human Rights Watch a pu examiner.

L’attaque contre Ariha cadre avec une tendance avérée d’attaques illégales de la part des forces syriennes et russes, qui tuent des civils. En septembre, Human Rights Watch a documenté 46 attaques aériennes et terrestresdocumented 46 Syrian-Russian attacks across Idlib lors des 11 mois ayant précédé le cessez-le-feu, y compris le recours à des armes à sous-munitions, qui ont tué au moins 224 civils et en ont blessé 561. Se basant sur des entretiens et sur l’analyse d’images satellite, de photos et de vidéos, Human Rights Watch a constaté que les attaques répétées des forces armées syriennes et russes contre les infrastructures civiles dans le gouvernorat d’Idlib constituaient apparemment des crimes de guerre et pourraient même équivaloir à des crimes contre l’humanité. Trois de ces 46 attaques se sont produites à Ariha.

La fin du cessez-le-feu et une reprise des combats exposerait les civils à de nouvelles attaques illégales et pourrait provoquer de nouveaux déplacements massifs, avec des conséquences catastrophiques sur le plan humanitaire, a déclaré Human Rights Watch. Des personnes déplacées pourraient essayer de franchir la frontière nord de la Syrie, où les forces turques ont précédemment refoulé, renvoyé de force et même tiré sur des personnes qui fuyaient le conflit, en violation du droit international.

Le droit international humanitaire, ou les lois de la guerre, obligent toutes les parties à un conflit à diriger leurs attaques sur des objectifs militaires et à éviter de porter préjudice à des civils ou à des biens civils. Les attaques dans lesquelles il n’y a pas de cible militaire évidente, qui sont menées sans discernement ou qui causent aux civils des dommages hors de proportion avec les avantages militaires attendus, sont illégales. L’utilisation d’armes explosives pouvant affecter de vastes zones, telles que les munitions à large rayon d’impact et celles qui sont par essence imprécises, doivent être évitées dans les zones peuplées, où leurs effets prévisibles vont bien au-delà de cibles précises. La façon dont les 14 obus d’artillerie de gros calibre ont été utilisés dans la dernière attaque contre Ariha, frappant à proximité de boutiques, de maisons et d’écoles, place cette attaque dans cette catégorie.

Human Rights Watch et d’autres ont documenté à plusieurs reprises l’usage d’armes explosives à large rayon d’impact dans des zones peuplées et leur effet dévastateur pour les civils et les infrastructures civiles, notamment des morts et des blessés, des dommages ou des destructions d’écoles ou d’hôpitaux et des effets négatifs sur l’accès à des moyens de subsistance. Les parties en guerre devraient s’abstenir de recourir aux armes explosives à large portée dans les zones peuplées, à cause des dommages prévisibles qu’elles causent aux civils. Les États devraient soutenir l’adoption d’une déclaration politique forte sur les dommages que les armes explosives causent aux civils et s’engager à éviter de recourir à celles qui ont un large rayon d’impact dans les zones peuplées.

Étant donné l’actuel blocage au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies, les gouvernements, individuellement, et les blocs régionaux devraient, comme solution intérimaire, imposer des sanctions ciblées aux dirigeants civils et aux commandants militaires qui sont impliqués de manière crédible dans la commission continuelle de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou d’autres violations graves, et cela devrait inclure des commandants russes. Les gouvernements concernés devraient faire en sorte que leurs autorités de justice pénale soient habilitées à enquêter et à intenter des procès dans certaines affaires criminelles sur la base du principe de la compétence universelle, contre des commandants et des responsables impliqués dans des crimes de guerre, en se fondant notamment sur la doctrine de la responsabilité de commandement.

« Toutes les parties devraient redoubler d’efforts pour protéger les civils dans ce conflit de Syrie qui dure depuis 10 ans », a affirmé Belkis Wille. « Les autres gouvernements devraient user de leur influence et se servir des outils juridiques, économiques et politiques dont ils disposent pour se tenir aux côtés des civils d’Idlib et éviter une crise humanitaire. »

Informations détaillées en ligne dans la version intégrale en anglais :
www.hrw.org/news/2021/12/08/syria/russia-12-civilians-dead-idlib-artillery-attacks

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