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République centrafricaine : Un ministre inculpé pour atrocités

L’arrestation par la Cour pénale spéciale d’un ancien chef de groupe armé constitue une étape importante pour la justice du pays

Hassan Bouba Ali (à droite) et Ali Darassa (au centre), entourés d'autres dirigeants de l'UPC, lors d'une réunion tenue à la base de ce groupe armé à Alindao, en République centrafricaine, en octobre 2017. © 2017 Alexis Huguet

(Nairobi) – La Cour pénale spéciale (CPS) de la République centrafricaine a arrêté et inculpé un ministre du gouvernement pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, permettant au pays de franchir une étape importante en matière de justice, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Une audience de placement en détention du ministre et ancien chef de groupe armé, Hassan Bouba Ali, connu sous le nom de Hassan Bouba, aura lieu le 26 novembre 2021, selon une décision de justice consultée par Human Rights Watch.

Bouba était un dirigeant de l’Unité pour la Paix en Centrafrique (UPC), un groupe rebelle issu de la coalition fracturée de la Seleka. En 2017, il a été nommé conseiller spécial du président, puis ministre de l’Élevage et de la santé animale en décembre 2020.

« L’UPC s’est rendue responsable de nombreux crimes graves en République centrafricaine depuis 2014 », a déclaré Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale chez Human Rights Watch. « L’arrestation de Bouba envoie un message fort, à savoir que même les plus puissants peuvent se retrouver sous le coup de la loi, tout en redonnant aux nombreuses victimes des crimes de l’UPC l’espoir qu’elles pourront un jour obtenir justice ».

L’UPC a commencé à commettre de graves exactions dans la province de Ouaka en 2014, avant de se séparer de la faction rebelle Seleka. De 2014 à 2017, Human Rights Watch a documenté  les décès d’au moins 246 civils, des dizaines de cas de viols et d’esclavage sexuel et la destruction de 2 046 maisons incendiées par l’UPC dans la province de la Ouaka. En 2017, l’UPC a commencé à s’étendre dans les préfectures de Basse-Kotto et de Mbomou.

En 2017, Human Rights Watch a documenté les décès d’au moins 188 civils dans des combats entre l’UPC et des combattants anti-balaka dans la préfecture de Basse-Kotto, la plupart tués par l’UPC. Les cas documentés par Human Rights Watch impliquant l’UPC ne représentent très probablement qu’une fraction du total des victimes.

Bouba a été exclu du groupe rebelle en janvier dernier, après une flambée de violence dans le pays due au déclenchement, en décembre 2020, d’une nouvelle rébellion dont l’UPC faisait partie. Il a été arrêté à son bureau le 19 novembre.

La Cour pénale spéciale a publié un communiqué de presse le 22 novembre indiquant que Bouba avait été arrêté, sans donner de détails sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre qui lui sont reprochés. Bouba est détenu dans un camp militaire à l’extérieur de Bangui.  

La CPS est une cour novatrice créée pour lutter contre l’impunité généralisée des crimes graves commis en République centrafricaine. La cour est composée de juges et procureurs internationaux et nationaux, et bénéficie d’une assistance internationale. Elle est habilitée à juger les crimes graves commis pendant les conflits armés que le pays connaît depuis 2003. Les normes internationalement acceptées pour des procès équitables, notamment la présomption d’innocence et l’exigence que la culpabilité soit prouvée de manière indubitable, sont inscrites dans le Règlement de procédure et de preuve de la CPS.

Bien que la loi portant création de la cour ait été adoptée en 2015, cette dernière n’a officiellement commencé à fonctionner qu’en 2018. La CPS a été créée après les consultations nationales de 2015, connues sous le nom de Forum de Bangui, qui avaient donné la priorité à la justice et déclaré qu’« aucune amnistie » ne serait tolérée pour les personnes responsables de crimes internationaux et pour leurs complices.

Les accusations portées contre Bouba surviennent deux mois après l’arrestation d’une autre figure de premier plan par la CPS. Le capitaine Eugène Ngaïkosset – connu dans le pays sous le nom de « Boucher de Paoua » – dont l’arrestation a été confirmée le 4 septembre, est poursuivi pour crimes contre l’humanité. Ngaïkosset dirigeait une unité de la garde présidentielle impliquée dans de nombreux crimes, notamment le meurtre de plusieurs dizaines de civils au moins et l’incendie de milliers de maisons dans le nord-ouest et le nord-est du pays entre 2005 et 2007.

Bouba aurait accédé au poste de numéro deux de l’UPC en octobre 2015 après que son prédécesseur, Hemat Nejad, a été tué dans une embuscade à Bangui. Human Rights Watch a parlé à, et rencontré, Bouba à plusieurs reprises entre 2015 et 2021, et lui a fait part des recherches que l’organisation a menées sur les crimes commis par l’UPC.

L’UPC a fait pression pour obtenir une amnistie générale pendant les 18 mois de pourparlers de paix négociés par l’Union africaine. L’accord de paix, finalisé à Khartoum, au Soudan, en février 2019, est vague sur les mesures nécessaires pour assurer la justice post-conflit et ne mentionne pas de processus judicaire spécifique. Il reconnaît toutefois le rôle joué par l’impunité dans l’enracinement de la violence. Bien que l’accord ne mentionne pas une quelconque amnistie, Bouba a déclaré à Human Rights Watch en février 2019 que pour l’UPC, l’accord de paix signifiait une amnistie générale. « Si le gouvernement arrête un membre d’un groupe armé, alors il n’y a plus d’accord », a-t-il dit.

Le 8 septembre, le procureur suppléant de la CPS, Alain Tolmo, a annoncé que la cour comptait tenir ses premiers procès avant la fin de l’année, et qu’elle avait de multiples affaires en cours d’instruction. La cour est basée à Bangui, ce qui permettra aux Centrafricains touchés par ces crimes de suivre et d’interagir plus facilement avec les efforts visant à garantir que les suspects répondent de leurs actes devant la justice, a déclaré Human Rights Watch. Les efforts déployés par la CPS dans le domaine judiciaire vont de pair avec les enquêtes et poursuites de la Cour pénale internationale concernant les crimes graves commis dans le pays, et avec certaines affaires portant sur des crimes moins graves liés au conflit et portées devant les tribunaux pénaux ordinaires du pays.

La CPS est en proie à des difficultés de financement et a besoin d’un soutien accru pour continuer à faire son important travail, a déclaré Human Rights Watch. Plusieurs organisations, dont Human Rights Watch, ont écrit au Sénat américain le 18 novembre pour demander le renouvellement de l’importante contribution de 3 millions de dollars US du gouvernement américain à la cour.

« La Cour pénale spéciale joue un rôle essentiel en contribuant à mettre fin à l’impunité généralisée en République centrafricaine », a conclu Lewis Mudge. « Lorsque Bouba a été promu ministre, beaucoup ont pensé qu’il s’agissait d’un exemple de plus illustrant combien commettre des crimes graves pouvait être payant en République centrafricaine. Son arrestation est un avertissement pour d’autres suspects qui occupent des postes de pouvoir : le règne de l’impunité dans le pays touche peut-être à sa fin. »

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