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République centrafricaine : Les civils pris pour cible dans une nouvelle flambée de violences

La mission de maintien de la paix de l'ONU devrait être reconduite et renforcée

Un milicien anti-balaka à Gambo, dans la province de Mboumou en République centrafricaine, le 16 août 2017.  © 2017 Alexis Huguet
(Nairobi) – Les violences contre les civils sont en forte hausse depuis quelques mois dans les régions du centre-sud et sud-est de la République centrafricaine. Afin de protéger les populations exposées, le Conseil de sécurité des Nations Unies devrait proroger le mandat de la mission de maintien de la paix de l'ONU, avant son expiration le 15 novembre 2017, et approuver la demande d'un renfort de 900 troupes supplémentaires formulée le 18 octobre par le Secrétaire général António Guterres.

Les forces de maintien de la paix de l'ONU ont joué un rôle important dans la protection des civils dans de nombreuses circonstances ; le Conseil de sécurité, qui se compose de 15 membres, devrait octroyer à cette mission de maintien de la paix, la MINUSCA, les ressources supplémentaires dont l'ONU affirme avoir besoin pour protéger les civils contre les agressions, y compris les abus sexuels.

« La fréquence des meurtres de civils en République centrafricaine en 2017 est alarmante et dans de nombreuses régions du pays, les civils ont désespérément besoin de protection », a déclaré Lewis Mudge, chercheur senior auprès de la division Afrique à Human Rights Watch. « Le Conseil de sécurité devrait donner à la mission les ressources dont elle a besoin pour protéger les civils, notamment un nombre de troupes suffisant pour faire face à la résurgence des violences qui les menacent et pour protéger les camps de personnes déplacées. »

En août, septembre et octobre, Human Rights Watch a documenté les meurtres d'au moins 249 civils perpétrés depuis mai par des groupes armés, pour la plupart dans les régions du centre-sud et sud-est du pays. Ce chiffre ne représente toutefois pas le nombre total de civils tués dans tout le pays, ni les nombreux meurtres commis dans des zones reculées et difficiles d'accès. 

Human Rights Watch a également documenté 25 cas de viols commis durant la même période par des membres de groupes armés dans la province de Basse-Kotto, qui s'inscrivent dans une tendance des groupes armés à recourir systématiquement au viol et aux abus sexuels contre les femmes et les filles, observée au cours de ces cinq dernières années.

Human Rights Watch a constaté, dans les cas documentés, que lorsque les militaires de maintien de la paix de l'ONU étaient à proximité ou pouvaient être déployés rapidement, ils étaient capables de contribuer à faire cesser les attaques contre les civils, ou de limiter les violences et sauver des vies. Dans d'autres cas, l'absence de ces troupes dans une zone a laissé les civils sans protection. Dix militaires de maintien de la paix ont été tués en 2017 dans des attaques commises à travers le pays par des groupes armés.

Les affrontements actuellement en cours ont forcé des dizaines de milliers de personnes à fuir leurs domiciles depuis mai, portant le nombre total des personnes déplacées à l'intérieur des frontières à 600 300, selon des chiffres de l'ONU, et le nombre total des réfugiés à 518 200, soit les niveaux les plus hauts depuis le milieu de l'année 2014.

La plupart des abus documentés par Human Rights Watch ont été commis par des factions des rebelles de la Séléka, notamment l'Union pour la paix en Centrafrique (UPC) et le Mouvement patriotique pour la Centrafrique (MPC), ainsi que par les forces anti-balaka. Certains meurtres ont été perpétrés par des hommes armés qui n'appartenaient apparemment à aucun de ces groupes.

République centrafricaine: Lieux où Human Rights Watch a documenté des attaques menées par des groupes armés contre des civils, Mai-Octobre 2017 © 2017 Human Rights Watch

Dans la province de Basse-Kotto, Human Rights Watch a documenté les meurtres de 188 civils entre mai et août, résultant d'attaques contre des civils lors d'hostilités entre des forces de l'UPC et anti-balaka, ainsi que les 25 viols mentionnés ci-dessus. Les militaires de maintien de la paix de l'ONU n'étaient pas présents dans la zone quand les attaques ont commencé, mais sont arrivés dans la ville d'Alindao quelques jours après le début des hostilités et ont réussi à faire cesser les agressions contre les civils. 

« Ils m'ont frappée et jetée au sol », a déclaré « Francine », âgée de 34 ans, au sujet des combattants de l'UPC. « Puis ils ont commencé à me violer. Mon fils [âgé de 5 ans] regardait et a voulu m'aider. Mais ils lui ont tiré une balle dans le flanc et il est mort. »

Le 29 juillet, des combattants de la faction MPC de la Séléka ont attaqué un camp pour personnes déplacées à Batangafo et les quartiers alentour, tuant au moins 15 personnes, dont trois qui étaient handicapées, et incendiant environ 230 maisons et huttes de fortune dans le camp. Une des victimes handicapées, Gérard Namsoa, 56 ans, n'a pas pu s'enfuir quand sa maison a été incendiée. « Il a essayé de sortir en rampant mais il n'a pas pu s'échapper à temps », a déclaré l'un de ses proches.

Le 13 mai, des forces anti-balaka ont attaqué le quartier musulman de Tokoyo à Bangassou, dans la province de Mboumou. Neuf survivants qui ont pu s'enfuir jusqu'à Bangui ont estimé que les combattants avaient tué au moins 12 civils, dont l'imam de la ville, Mahamat Saleh, alors qu'ils tentaient de se réfugier dans la mosquée. Les militaires de maintien de la paix ont transporté les musulmans de la mosquée à l'église catholique, où ils continuent de leur fournir une protection. Environ 1 500 civils musulmans sont réfugiés dans ce lieu, selon des sources de l'ONU et des habitants qui ont récemment fui.

Les civils de la région orientale du pays avaient jusqu'ici échappé aux nombreuses attaques ciblées perpétrées ces dernières années en République centrafricaine, mais ils sont maintenant plus vulnérables après le retrait des troupes de l'armée ougandaise et des conseillers militaires américains au début de 2017. Ces forces avaient été déployées dans la région pour lancer des opérations contre l'Armée de résistance du seigneur (Lord’s Resistance Army, LRA), un groupe armé ougandais.  

Dans la ville de Zemio, qui bénéficiait auparavant de la protection des troupes ougandaises, au moins 28 civils ont été tués depuis fin juin, notamment lors d'une attaque perpétrée par un groupe armé local le 28 juin et d'une autre attaque par le même groupe contre un camp de personnes déplacées le 17 août. Ces deux attaques, menées par des musulmans armés locaux sans lien évident avec la Séléka, sont perçues comme ayant pu constituer un acte préventif en raison de la présence croissante de miliciens anti-balaka dans ce secteur. Un contingent de la MINUSCA est stationné dans cette ville depuis 2015, mais il n'a pas été en mesure de protéger les civils lors de ces attaques. Depuis ces événements, la plupart des habitants de la ville se sont enfuis en République démocratique du Congo, voisine.

La MINUSCA a été déployée en République centrafricaine en septembre 2014 et compte actuellement 12 342 membres armés. Aux termes du chapitre VII de la Charte de l'ONU, elle est autorisée à prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger la population civile des menaces de violence physique et « mettre en œuvre […] une stratégie de protection des civils à l'échelle de la mission, ».

Dans les zones les plus exposées aux violences, l'ONU devrait élargir ses patrouilles et, en conformité avec le mandat de la mission, recourir à une force appropriée pour protéger les civils se trouvant sous une menace imminente, a déclaré Human Rights Watch. Le Conseil de sécurité devrait s'assurer que la mission dispose de toutes les ressources dont elle a besoin pour protéger les civils, y compris les 900 troupes supplémentaires demandées par le Secrétaire général.  

Pour lutter contre la culture bien enracinée de l'impunité pour les crimes de guerre, le gouvernement national, l'ONU et les bailleurs de fonds de la République centrafricaine devraient accentuer leur soutien à la Cour pénale spéciale (CPS) – nouvel organe judiciaire doté de juges et procureurs nationaux et internationaux et mandaté pour enquêter sur les graves violations des droits humains commises dans le pays depuis 2003 et juger leurs responsables. Ce nouveau tribunal offre une chance de faire rendre des comptes aux commandants de toutes les parties au conflit qui se sont rendus responsables de crimes de guerre, a affirmé Human Rights Watch.

Faire en sorte que les personnes responsables d'abus soient traduites en justice – quel que soit leur grade ou leur poste – est crucial si l'on veut mettre fin aux cycles de violence et d'abus en République centrafricaine.
Lewis Mudge

Chercheur senior, division Afrique, Human Rights Watch

La mission de l'ONU devrait continuer à apporter son appui technique et logistique à la CPS, afin d'assurer qu'elle puisse rapidement devenir opérationnelle et effectuer efficacement des enquêtes et des poursuites judiciaires. Les organes nationaux et internationaux devraient également assurer un soutien continu afin de renforcer le système judiciaire national.

« Faire en sorte que les personnes responsables d'abus soient traduites en justice – quel que soit leur grade ou leur poste – est crucial si l'on veut mettre fin aux cycles de violence et d'abus en République centrafricaine », a affirmé Lewis Mudge. « Le gouvernement de Bangui, l'ONU et les habituels bailleurs de fonds du pays devraient faire le nécessaire pour donner à la Cour pénale spéciale les ressources, le personnel et l'appui technique dont elle a besoin. »

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Contexte

La République centrafricaine est en crise depuis fin 2012, lorsque les rebelles majoritairement musulmans de la Séléka ont renversé l'ancien président François Bozizé et se sont emparés du pouvoir à l'issue d'une campagne militaire marquée par la violence et la terreur. En réaction, des groupes appelés anti-balaka se sont formés et ont commencé à mener des attaques de représailles contre les civils musulmans vers le milieu de 2013. En 2014, les forces de l'Union africaine (UA) et les forces françaises ont chassé la Séléka de la capitale, Bangui.

Après deux ans de gouvernement intérimaire, des élections relativement pacifiques ont eu lieu et Faustin-Archange Touadéra a prêté serment en tant que nouveau président en mars 2016. Depuis lors, les violences et les attaques contre les civils ont continué, alors que les factions de la Séléka et les groupes anti-balaka contrôlent encore de vastes zones du pays, en particulier dans les régions de l'est et du centre.

De nombreux groupes armés, dont l'UPC et le MPC qui sont deux factions de la Séléka, ont signé un accord de cessez-le-feu le 19 juin. Un autre cessez-le-feu a été signé le 9 octobre, également entre plusieurs groupes armés, dont l'UPC, le MPC et certains groupes anti-balaka.

Human Rights Watch a documenté des meurtres commis récemment dans ou aux alentours des villes d'Alindao, Mobaye et Zangba, dans la province de Basse-Kotto; Batangafo, dans la province d'Ouham; Bangassou, dans la province de Mboumou; et Zemio, dans la province du Haut-Mboumou. Dans certains cas, des camps de personnes déplacées et des prestataires d'assistance humanitaire ont été attaqués.

L'Union pour la paix en Centrafrique (UPC)

L'UPC est contrôlée par Ali Darassa Mahamant, ancien commandant d'un groupe rebelle tchadien, le Front populaire pour le redressement (FPR). Darassa a rejoined la Séléka et a créé officiellement l'UPC en septembre 2014. Jusqu'au début de 2017, il était basé à Bambari, dans la province de Ouaka. En février, la MINUSCA a demandé à Darassa de quitter Bambari. Il est maintenant basé à Alindao.

L'UPC a des liens étroits avec l'ethnie peule, et des Peuls armés ont souvent combattu avec l'UPC lors d'attaques.

Le Mouvement patriotique pour la Centrafrique (MPC)

Mahamat Al Khatim est le commandant militaire du Mouvement patriotique pour la Centrafrique (MPC), qui contrôle des territoires dans le centre-nord du pays. Ce groupe est souvent allié à une autre faction issue de la Séléka, le Front Populaire pour la Renaissance de la Centrafrique (FPRC). Des combattants du FPRC et du MPC ont tué des civils lors d'attaques dans le passé, par exemple lorsqu'ils ont détruit un camp de personnes déplacées à Kaga-Bandoro en octobre 2016, tuant au moins 37 civils et en blessant 57.

Ces groupes ont également combattu contre l'UPC au cours de l'année écoulée et se sont parfois alliés à des combattants anti-balaka.

 Alindao, province de Basse-Kotto

Le 9 mai 2017, des combattants de l'UPC et des musulmans locaux ont attaqué Alindao, s'en prenant tout particulièrement aux quartiers de Paris-Congo et Banguiville. Des habitants ont déclaré à Human Rights Watch qu'ils avaient vu des anti-balaka dans ces secteurs, ce qui a très probablement déclenché les attaques. Des survivants et des témoins ont affirmé que les assaillants avaient fait du porte-à-porte à la recherche d'hommes à tuer et, dans certains cas, de femmes ou de filles à violer.

Une survivante de Paris-Congo a vu les Séléka tuer un membre de sa famille, Édouard Ngakoto, âgé de 65 ans, après que les combattants soient entrés dans le quartier:

Édouard nous a dit de tous nous cacher sous le lit. Nous avons entendu les Séléka enfoncer notre porte à coups de hache et de machette. Les attaquants sont entrés et ont hurlé que tous les hommes devaient sortir. Édouard est sorti pour qu'ils ne me trouvent pas. J'ai vu les Séléka le tirer au dehors et je l'ai entendu crier alors qu'ils le frappaient à coups de machettes… Puis ils m'ont chassée, avec certains de mes enfants, hors de la maison et y ont mis le feu … Tandis que je courais, j'ai vu son corps. Il avait été frappé à la tête à coups de machette et ils lui avaient ouvert le ventre à coups de couteau.

Le 9 mai, à Alindao, des combattants de l'UPC ont attaqué un groupe de civils, tuant par balles Bruno Bagaza, 48 ans, un volontaire de la Croix-Rouge qui était en uniforme. Puis ils ont tué son neveu de 16 ans, prénommé Grâce-à-Dieu, à coups de machette. « Les Séléka n'ont pas écouté ces hommes alors qu'ils les imploraient de les épargner », a déclaré un témoin. « Ils les ont tués et ont jeté leurs cadavres dans le puits. »

Un membre de la famille de Bruno Bagaza a déclaré :

C'était tendu. Bruno a mis son emblème de la Croix-Rouge et nous sommes restés dans la maison. Les tirs se sont rapprochés et peu après, des gens sont arrivés et ont enfoncé la porte. Ils étaient sept, c'étaient des Peuls membres de la Séléka, armés de kalachnikovs et de machettes. Ils ont crié à Bruno : « Tu es un commandant anti-balaka ! » Bruno a affirmé que non, mais l'un d'eux lui a tiré une balle dans la poitrine. Ils ont traîné son corps dehors et l'ont jeté dans un puits dans la cour … Puis les Peuls sont retournés dans la maison et ont vu Grâce-à-Dieu. Ils l'ont tiré hors de la maison et l'ont tué à coups de machettes. Il criait : « Pardonnez-moi! Pardonnez-moi ! Je ne sais même pas ce que j'ai fait ! » L'un des Séléka qui le frappaient a dit : « Aujourd'hui, nous allons en finir avec vous tous. » Quand il est mort, ils ont jeté son corps dans le puits.

Le même jour, des combattants de la Séléka ont tué par balles un homme de 75 ans, Dieudonné Kpambagnin, à son domicile dans le quartier de Paris-Congo. Son fils a déclaré :

Ils étaient tous en uniforme et avaient des kalachnikovs. Ils ont demandé de l'argent à mon père mais il a dit qu'il n'en avait pas. Puis ils nous ont dit de rentrer avec eux dans la maison. Ils ont de nouveau demandé de l'argent et mon père a dit : « Je n'en ai pas, si vous voulez, vous n'avez qu'à me tuer. » Un combattant a vu un petit coffre-fort contenant des pièces de monnaie pour l'église et l'a secoué. Il a dit : « Tu as dit qu'il n'y avait pas d'argent… qu'est-ce que c'est que ça ? » Mon père a essayé d'expliquer que c'était pour l'église mais un des Séléka lui a dit de se mettre à genoux. Une fois agenouillé, il lui a tiré une balle dans la tête.

L'UPC et des civils musulmans ont incendié des centaines de maisons à Banguiville et à Paris-Congo. À la date du 5 octobre, environ 18 000 personnes vivaient dans un camp pour déplacés à la paroisse catholique de la ville.

Violences sexuelles en Basse-Kotto

Des survivantes de violences sexuelles interrogées par Human Rights Watch ont déclaré que des combattants les avaient agressées chez elles, lors de raids effectués porte-à-porte ou alors qu'elles fuyaient les violences. Des victimes ont affirmé que des combattants Séléka de l'UPC avaient violé au moins 30 autres femmes et un homme qui se trouvaient avec elles dans leurs maisons ou alors qu'ils s'enfuyaient. Dans plusieurs cas, les viols ont été aggravés par des violences supplémentaires, y compris des tortures ou les meurtres de membres des familles des victimes. Des combattants ont violé certaines victimes devant leurs enfants ou devant d'autres membres de leurs familles.

« Irène », 36 ans, a raconté qu'elle était devant sa maison dans le quartier de Banguiville à Alindao le 9 mai lorsque des forces Séléka de l'UPC sont apparues, ont pointé leurs armes sur elle et exigé que son mari sorte de la maison. Il a essayé de fuir mais les combattants lui ont tiré dans les jambes. Quand la fille de 5 ans du couple a commencé à pleurer, les Séléka l'ont attachée à un poteau devant la maison. Irène affirme que deux des combattants l'ont violée et qu'elle a été forcée de regarder alors leur commandant violait son mari, avant de le tuer et de tuer leur fille:

Quand l'un d'eux m'a prise de force, mon mari a dit: « Non, c'est une femme pauvre. Ne lui faites pas de mal. » Un autre est venu et lui a dit de se taire et de se déshabiller… Leur chef a dit: « Moi, je vais coucher avec son mari. » Quand j'ai baissé la tête, il m'a ordonné de la relever et de regarder. Quand j'ai crié « Il n'y a pas de raison de nous faire du mal à tous les deux », l'un d'eux a dit: « Tais-toi. » Ils m'ont mis un morceau de tissu sur la bouche. Deux hommes m'ont pris les jambes. Ils les ont maintenues écartées. Quand le premier a fini de me violer, il a demandé à un autre homme d'apporter un morceau de vêtement. Il a pris [ce morceau de tissu] et l'a mis dans mon vagin pour nettoyer après le premier homme. Je ne pouvais rien faire d'autre que crier. Cela faisait trop mal.

Ma fille pleurait. L'un d'eux a dit : « Pourquoi l'enfant pleure-t-il comme ça? » Je les ai entendus la tuer… Je les ai entendus tirer, puis c'est devenu silencieux. Je n'entendais plus ma fille.

Ils ont tué mon mari de deux balles dans la tête… Avant qu'ils ne me violent, je les ai vus commencer à le torturer. Ils ont pris un morceau de bois et l'ont frappé avec. Ils ont pris un poignard de l'armée et lui en ont donné des coups dans les bras. Ils ont écrit leurs noms sur ses bras avec ce couteau. Je me suis mise à pleurer, je ne pouvais plus m'arrêter. 

« Mélanie », 31 ans, a également affirmé que des combattants Séléka de l'UPC l'avaient violée et avaient tué son mari à Banguiville le 9 mai. Des combattants de la Séléka ont fait irruption dans leur maison, ont forcé le mari de Mélanie à se déshabiller, l'ont ligoté avec des cordes et l'ont emmené, a-t-elle raconté. Puis ils l’ont attaquée :

Deux d'entre eux m'ont interceptée. Ils m'ont violée. Quant aux autres femmes qui étaient avec moi, d'autres [combattants] ont commencé à les violer. Elles étaient six – elles ont toutes été violées aussi… Quand [les combattants] ont fini, ils m'ont dit de partir vite. Je me suis enfuie dans les champs. Je souffrais vraiment… J'avais des blessures au vagin – je ne pouvais pas marcher.

Mélanie a trouvé le cadavre de son mari le lendemain, la gorge tranchée et avec plusieurs balles dans le ventre.

Mélanie a ajouté qu'elle n'avait pas reçu immédiatement de soins médicaux car l'hôpital de la ville avait été saccagé et ne fonctionnait plus. Quand elle a reçu des soins à Bangui, elle a été déclarée séropositive, ce qu'elle attribue au viol, bien que Human Rights Watch ne puisse pas confirmer quel était son statut vis-à-vis du virus VIH du sida avant le viol.

La plupart des victimes de violences sexuelles interrogées ont déclaré qu'elles n'avaient pas reçu de soins médicaux ou d'assistance psychologique, essentiels après un viol, avant d'arriver à Bangui, plusieurs jours ou semaines plus tard, et certaines n'avaient reçu aucun soin post-viol. Les retards dans l'accès à des soins étaient souvent causés par le non-fonctionnement de certains services, la méconnaissance de ces services ou le manque d'argent pour financer des soins médicaux et certains coûts associés.

 Le camp pour personnes déplacées d'Alindao

Au moins 32 personnes ont été tuées dans ou aux alentours de la ville d'Alindao depuis les affrontements du 9 mai, souvent après qu'elles eurent quitté le camp pour personnes déplacées en ville pour aller chercher du bois pour le feu ou de la nourriture.

« Gervais », 32 ans, a déclaré que deux combattants de l'UPC circulant à moto l'avaient interpellé en compagnie de deux amis le 21 août, sur la route menant à la localité proche de Mingala, alors qu'ils cherchaient de la nourriture. Les combattants ont accusé ces trois hommes d'être des voleurs et leur ont pris leur argent et leurs téléphones. Un des miliciens a alors emmené les deux autres hommes, Rodrigue Balipou, 36 ans, et Oban Bakoumbou, 30 ans, à pied vers la base de l'UPC la plus proche, tandis que « Gervais » attendait que l'autre combattant répare la moto. « J'ai vu mes deux amis partir, puis j'ai entendu des coups de feu », a dit « Gervais ». « J'avais peur. Ils nous avaient déjà pris notre argent, donc je savais que la seule raison pour laquelle ils nous gardaient était de nous tuer. J'ai décidé de m'enfuir. Alors que je m'enfuyais, le combattant de la Séléka a tiré sur moi mais j'ai réussi à me cacher. » « Gervais » a précisé qu'il n'avait pas revu Balipou ou Bakoumbou depuis lors et présumait qu'ils étaient morts.

Le camp de personnes déplacées d'Alindao en République centrafricaine, qui abrite environ 18 000 personnes, dont la plupart ont fui en abandonnant leurs maisons quand des combattants de l'UPC ont attaqué la ville en mai 2017.  © 2017 Lewis Mudge/Human Rights Watch

Le coordinateur politique de l'UPC, Hassan Bouba, a nié que les membres de l'UPC aient commis des abus le 9 mai ou depuis cette date et a accusé les forces anti-balaka d'être responsables des violences et des attaques contre les civils. Des miliciens anti-balaka avaient attaqué l'UPC et s'en étaient pris à des civils dans les quartiers de Paris-Congo et Banguiville pendant les semaines précédant le 9 mai, a-t-il affirmé, mais Human Rights Watch n'a obtenu aucune confirmation de ces incidents à Alindao. « Nous n'avons jamais attaqué Paris-Congo ou Banguiville », a déclaré Bouba à Human Rights Watch le 8 septembre. « Les anti-balaka ont expulsé des gens de leurs maisons par la force et affirmé qu'ils les tueraient s'ils ne rejoignaient pas le camp installé à l'église catholique. Les anti-balaka ont incendié les maisons à Alindao. »

Le 10 octobre, le président Touadéra a nommé Bouba conseiller présidentiel.

Un contingent de la MINUSCA à Alindao a aidé des gens à récupérer les corps de membres de leurs familles qui avaient été tués. Cependant, l'absence de sécurité fait que les réfugiés ont peur de quitter le camp, de reconstruire leurs maisons détruites ou de retourner dans leurs anciens quartiers.

Bangassou 

Le 13 mai, vers 5h00 du matin, des combattants anti-balaka à Bangassou ont attaqué le quartier musulman de la ville, Tokoyo. Neuf résidents interrogés à Bangui ont déclaré qu'ils avaient entendu des rumeurs sur l'imminence d'une attaque pendant plusieurs semaines.

« Quand la fusillade a commencé, j'ai pris mes enfants et nous avons couru jusqu'à la mosquée », a déclaré une survivante, « Rachida », 35 ans. « J'ai vu des anti-balaka tirer sur nous. Ils avaient des fusils artisanaux et des kalachnikovs. » L'imam, Mahamat Saleh, a été tué alors qu'il s'enfuyait, en même temps qu'au moins 11 autres civils, ont affirmé Rachida et plusieurs autres personnes.

Des volontaires de la Croix-Rouge creusent une fosse commune près de la mosquée centrale de Bangassou, dans la province de Mboumou en République centrafricaine, après l'attaque du 13 mai par les anti-balaka, lors de laquelle 12 civils ont été tués.  © 2017 Gérard Ouambou

Environ 2 000 personnes ont passé trois jours à la mosquée centrale de la ville, encerclées par les anti-balaka et protégées sporadiquement par les forces de la MINUSCA, ont affirmé les habitants. Certains hommes musulmans se sont défendus avec leurs propres fusils mais les anti-balaka ont continué de tirer en direction de l'enceinte de la mosquée. Des personnes qui avaient trouvé refuge à la mosquée ont déclaré que la présence de la MINUSCA dans la ville et son recours à la force contre les anti-balaka avaient permis d'empêcher un massacre.

Le 16 mai, des troupes de la MINUSCA ont escorté les personnes réfugiées à la mosquée jusqu'à la paroisse catholique de la ville, où environ 1 500 personnes continuent d'être protégées.

Vers le 7 juin, les anti-balaka ont détruit la mosquée centrale, ont affirmé des habitants.

 Zemio

La ville de Zemio avait été épargnée par les violences jusqu'à cette année, quand les forces ougandaises affectées à l'Initiative de coopération régionale pour l'élimination de la LRA (RCI-LRA), une mission de l'Union africaine (UA), ont mis fin à leur mission et quitté le pays. Bien que l'UA ait récemment prorogé son mandat, la composante militaire de la RCI-LRA a été supprimée. La MINUSCA dispose d'un petit contingent à Zemio depuis le départ des forces ougandaises. 

Alors que se répandait la nouvelle de l'attaque contre la mosquée à Bangassou le 13 mai, la tension a commencé à monter entre les zones musulmanes et non musulmanes de la ville, selon le témoignage de nombreux habitants. Ces tensions ont culminé en une attaque des quartiers non musulmans par des musulmans armés le 28 juin, qui a fait 12 morts parmi les civils.

Un habitant de Zemio a déclaré :

Je travaillais au marché ce matin-là. J'ai entendu des coups de feu. J'ai vu des gens courir, puis j'ai vu des personnes venues des quartiers musulmans qui attaquaient. J'ai fermé ma boutique et j'ai couru chez moi pour récupérer ma famille. Je voyais les assaillants – ils étaient habillés diversement : certains portaient des vêtements militaires, d'autres étaient en civil. Ils attaquaient les gens et pillaient et incendiaient des maisons. Ils tiraient sur tous les hommes qu'ils voyaient. J'ai continué de courir. J'ai emmené ma famille dans les bois environnants pour nous cacher. Ce soir-là, je suis retourné en ville. Notre maison et notre boutique avaient été détruites. J'ai vu des cadavres dans les rues.

Un autre habitant a déclaré s'être enfui dans les bois environnants quand l'attaque a commencé, puis être retourné en ville plus tard dans la journée :

Vers midi, je suis retourné en ville avec quelques autres hommes pour évaluer les dégâts. Les assaillants étaient allés de quartier en quartier. J'ai vu des fragments du cadavre d'un homme que je connaissais, Mbolix – il avait été taillé en pièces à coups de machette. Nous avons recueilli les fragments de corps et les avons mis dans un sac pour les enterrer. Je suis allé ensuite chez ma grand-mère ; elle avait été brûlée vive dans sa maison. Elle avait environ 72 ans. Cela m'a traumatisé.

Après l'attaque, une grande partie de la population de la ville a installé un camp pour personnes déplacées près de l'hôpital. Les tensions se sont encore accrues lorsque des groupes anti-balaka de la ville ont commencé à se battre contre les musulmans. Le 11 juillet, des hommes armés ont pénétré dans l'hôpital et ont menacé les patients musulmans, selon des habitants. Ils ont tiré sur ces personnes hospitalisées et ont frappé un bébé à la tête, causant sa mort immédiate, ont affirmé des organisations non gouvernementales et des habitants.

Le 17 août, des musulmans armés ont attaqué le camp de personnes déplacées, tuant au moins sept civils. « Quand les tirs se sont rapprochés, cela a été la pagaille », a déclaré « Thierry », un habitant du camp. « Les gens s'enfuyaient comme ils pouvaient pour se réfugier dans la brousse. J'ai dû sauter par-dessus des corps pour me sauver. » Un autre résident, « Alphonse », a déclaré qu'il se trouvait à l'extérieur du camp quand l'attaque a commencé et qu'il était retourné au camp en courant pour chercher sa famille. « La fusillade était trop intense et je me suis caché », a-t-il dit. « J'ai vu les anti-balaka dans le camp, essayant de dire à la population de se cacher. Puis les musulmans sont arrivés et ont commencé à tirer sur les anti-balaka. Mais en fait, il ne se souciaient pas vraiment de l'identité de leurs cibles, ils tiraient sur tous les hommes qu'ils voyaient. »

Batangafo

Batangafo, dans la province d'Ouham, a également connu un pic d'agressions contre les civils. Le 29 juillet, des combattants du MPC ont attaqué les quartiers situés à proximité du camp de déplacés en ville, puis ont attaqué le camp lui-même, incendiant plus de 220 huttes. Ces violences, qui ont commencé comme des combats de représailles entre les anti-balaka et le MPC au sujet de motos volées, ont fait au moins 15 morts parmi les civils.

Un témoin, une nièce de Robert Kangabé, 62 ans, le chef du quartier de Zibobaga, a déclaré que son oncle souffrait d'un handicap physique et marchait avec difficulté :

Quand les assaillants sont venus vers nous, tout le monde s'est enfui. Mon oncle, qui marchait avec une canne, ne pouvait pas courir. Je suis resté avec lui car nous pensions que les Séléka ne le tueraient pas, parce qu'il est vieux et ne peut guère se déplacer. Les Séléka ont enfoncé la porte, sont entrés et ont cherché de l'argent. Pendant ce temps, un des combattants a fait lever mon oncle et l'a fait sortir. Mon oncle a dit : « Je ne suis pas un anti-balaka, cela ne se peut pas, je suis le chef du quartier. » Mais ils lui ont ordonné de partir à pied. Il a commencé à marcher lentement, puis ils lui ont tiré deux fois dans le dos.

Un autre habitant de Batangafo, « Pierre », s'est enfui vers le camp de déplacés quand l'attaque a commencé. Son frère, Jacob Goumalao, âgé de 57 ans, a refusé de s'enfuir, préférant rester et protéger ses biens. « J'ai vu les Séléka s'approcher de la maison de Jacob d'une distance d'environ 200 mètres », a déclaré « Pierre ». « C'étaient des Séléka de la ville, ils étaient en uniforme. Je les ai vus demander de l'argent à Jacob, mais il a dit qu'il n'en avait pas. Alors ils lui ont tiré deux balles dans la poitrine, puis ils l'ont fouillé. »

« Edith », 47 ans, a déclaré qu'elle s'était cachée dans une concession familiale dans le quartier de Tarabanda à la périphérie du camp. Quand la Séléka a commencé son attaque contre le camp de déplacés, une cinquantaine de personnes se sont enfuies vers la concession familiale, a-t-elle dit. Ils se cachaient dans quelques bâtiments, c'étaient essentiellement des femmes et des enfants, quand les Séléka sont entrés dans la concession et ont annoncé qu'ils cherchaient des hommes. Un membre de la famille d’Edith âgé de 51 ans, Victor Ouingaïfonan, se cachait dans une des maisons.

Des combattants du Mouvement patriotique pour la Centrafrique (MPC) et des civils musulmans armés ont essayé de tuer cet homme, prénommé « Emmanuel », à coups de machette à Batangafo, dans la province d'Ouham en République centrafricaine, le 29 juillet 2017.  © 2017 Lewis Mudge/Human Rights Watch

« Ils ont tiré Victor de sa cachette et l'ont emmené dehors », a déclaré Edith. « L'un des Séléka lui a tiré dans la poitrine. Comme il respirait encore, un autre milicien s'est approché et l'a égorgé. Il n'a même pas eu le temps de les supplier de lui laisser la vie sauve, ils l'ont abattu immédiatement. » Puis les Séléka ont traîné dehors Dieudonné Wabone, un aveugle âgé de 60 ans. « Ils ont alors trouvé Dieudonné qui se cachait parmi les femmes », a déclaré Edith. « Alors qu'ils le traînaient dehors, il leur a dit : ‘Mes enfants, regardez-moi. Je suis vieux et aveugle. J'allais au camp pour chercher de la nourriture. Pourquoi me tuer ?’ Les Séléka n'ont pas répondu, ils lui ont tiré dans la poitrine. »

 « Emmanuel », qui a affirmé avoir survécu à une attaque de la Séléka le 29 juillet, a déclaré :

Je me rendais en courant du camp vers l'hôpital quand je suis tombé sur un groupe de miliciens de la Séléka. Ils étaient en train de piller des maisons. Ils étaient six. Quand ils m'ont vu, ils m'ont encerclé et m'ont dit de vider mes poches. Je leur ai donné mon téléphone et le peu d'argent que j'avais sur moi. J'ai essayé de leur expliquer que je n'étais pas un anti-balaka mais ils n'ont même pas essayé de comprendre. L'un d'eux m'a frappé à la tête avec une machette. Je suis tombé face contre terre et il m'a frappé dans le dos. Ils ont commencé à me donner des coups de machette dans les bras et des coups de pied, jusqu'à ce que je perde connaissance. Puis ils ont fini par partir, ils ont dû croire que j'étais mort.

Le chef du MPC à Batangafo, Abdullahi Mamat, a déclaré qu'il était arrivé à Batangafo aux alentours du 23 août et qu'il n'était pas au courant de l'attaque. Cependant, il a indiqué qu'il avait été envoyé là-bas après que le précédent commandant, Yaya Moussa, eut « fait des erreurs. »

Certaines sources ont dit à Human Rights Watch que le contingent de la MINUSCA, recourant à la force, avait protégé les civils dans cette zone le 29 juillet, plusieurs heures après le début de l'attaque.

Le 1er septembre, un chercheur de Human Rights Watch a relevé la présence de miliciens anti-balaka armés dans le camp pour personnes déplacées de Batangafo. Des habitants du camp ont déclaré que les anti-balaka avaient pour habitude d'arrêter des gens arbitrairement et d'exiger de l'argent contre leur remise en liberté.

Gambo

Le 5 août, des forces appartenant apparemment aux combattants de l'UPC et des musulmans locaux ont attaqué et tué six volontaires travaillant pour la Croix-Rouge à Gambo, dans la province de Mboumou. La MINUSCA n'était pas présente à Gambo, mais a envoyé des troupes dans la zone juste après ces meurtres.

Kembe

Le 10 octobre, au moins 20 musulmans ont été tués par des groupes d'auto-défense – des groupes chrétiens et animistes qui sont souvent alliés aux anti-balaka – à Kembe, en Basse-Kotto. Des troupes de la MINUSCA ont été envoyées à Kembe juste après cette attaque. 

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