(Nairobi, le 5 juillet 2017) – Des groupes armés en République centrafricaine ont tué des civils en toute impunité, aggravant les violences dans ce pays déchiré par un conflit armé, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.
Le rapport de 101 pages, intitulé « Meurtres impunis : Crimes de guerre, crimes contre l’humanité et la Cour pénale spéciale en République centrafricaine », présente un compte-rendu exhaustif des crimes de guerre commis dans trois provinces centrales du pays depuis la fin de 2014, notamment plus de 560 décès de civils et la destruction de plus de 4 200 maisons. Les crimes relèvent de la compétence de la Cour pénale internationale (CPI) et de la Cour pénale spéciale (CPS), un nouvel organe judiciaire qui, lorsqu'il sera opérationnel, mènera des enquêtes et des poursuites sur les graves violations des droits humains et les crimes de guerre commis dans le pays depuis 2003.
« Au cours des deux dernières années, des centaines de témoins nous ont décrit des crimes de guerre flagrants commis par les forces de la Séléka et par les combattants anti-balaka dans les régions de l’est et du centre de la République centrafricaine », a déclaré Lewis Mudge, chercheur auprès de la division Afrique de Human Rights Watch. « Le manque de justice pour ces crimes a laissé les combattants libres de terroriser les civils à volonté et a alimenté un cycle d’attaques de représailles persistantes. »
Le rapport examine le rôle de la CPS – un tribunal hybride unique intégré au sein du système national, et composé de juges et de procureurs nationaux et internationaux – qui est en train de devenir opérationnel. La CPS offre une occasion sans précédent de promouvoir la justice, mais elle nécessite un soutien financier et politique continu de la part du gouvernement et de ses partenaires internationaux, en particulier les Nations Unies, selon Human Rights Watch.
Human Rights Watch a interrogé des centaines de personnes pour le rapport, notamment des victimes, des proches des victimes, des témoins des attaques, ainsi que des membres du gouvernement, des Nations Unies et des organisations humanitaires, et d’autres personnes. Les annexes du rapport détaillent près de 120 attaques commises dans les provinces de Nana-Grébizi, Ouham et Ouaka depuis fin 2014. Le nombre total des attaques est vraisemblablement plus élevé.
Le 30 mai 2017, la mission de maintien de la paix de l’ONU dans le pays, la MINUSCA, et le Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme ont publié un rapport détaillé sur les graves violations des droits humains et du droit humanitaire international perpétrées en République centrafricaine depuis le 1er janvier 2003, mais ce rapport ne couvre que les crimes commis jusqu’en 2015.
Le meurtre de civils et la destruction de villages ont été au cœur des tactiques de combat des forces essentiellement musulmanes de la Séléka et de leurs adversaires, les groupes anti-balaka chrétiens et animistes, a constaté Human Rights Watch.
Dans tout le pays, des groupes armés ont contraint des dizaines de milliers de personnes à abandonner leurs maisons pour se réfugier dans la brousse, où des centaines d’entre elles sont mortes de froid, de maladie ou de faim. Les personnes handicapées ont été particulièrement exposées car elles ne pouvaient pas fuir rapidement et elles ont été confrontées à des obstacles pour accéder aux installations sanitaires, à la nourriture et aux soins médicaux dans les camps pour les personnes déplacées.
Dans l’un des cas présentés dans le rapport, des combattants appartenant à une faction de la Séléka appelée l’Union pour la Paix en Centrafrique (UPC) ont attaqué la localité de Yassin, dans la province de Ouaka, le 20 mars 2017, et ont tué au moins 18 civils. Un homme a décrit la façon dont il a perdu sa mère ainsi que trois enfants âgés de 13, 10 et 3 ans et un bébé de 7 mois. « Ma femme m'a dit par la suite que les enfants jouaient [à l'extérieur d'une hutte] avec le bébé quand l'attaque a commencé », a-t-il expliqué. « Nous les avons trouvés là, morts sur le tapis. Ils avaient tous été abattus. »
Les violences se sont intensifiées ces derniers mois dans les provinces de Haute Kotto et de Ouaka, alors que les factions concurrentes de la Séléka et les groupes anti-balaka luttent pour le contrôle du territoire et de ses riches ressources naturelles.
La mission de maintien de la paix des Nations Unies a parfois eu du mal à maintenir la sécurité, en particulier dans les provinces centrales. Au cours des derniers mois, certains groupes armés ont attaqué les Casques bleus de la MINUSCA, et en mai six ont été tués.
Le gouvernement et 13 des 14 groupes armés actifs dans le pays ont signé un accord de paix le 19 juin, qui comprend un cessez-le-feu et une représentation politique pour les groupes armés. Le lendemain, des combats dans la localité de Bria entre des combattants anti-balaka et une autre faction de la Séléka, le Front Populaire pour la Renaissance de la Centrafrique (FPRC), ont fait une centaine de morts, selon Reuters.
Les crimes que Human Rights Watch a documentés relèvent de la compétence de la CPI, qui a deux enquêtes en cours dans le pays. Mais la CPI n'a que la capacité de cibler les personnes les plus responsables de crimes graves. Les dizaines d'autres commandants qui portent une responsabilité pénale pour les atrocités, dont certains que Human Rights Watch a nommément identifiés, pourraient ne jamais être confrontés à la justice.
Pour combler cette lacune, le gouvernement a créé la CPS en juin 2015. Si la Cour reçoit les ressources et le soutien nécessaires, elle pourrait aider à servir la justice en République centrafricaine et créer un précédent pour d'autres pays, a déclaré Human Rights Watch.
Les progrès réalisés dans la mise en place de la CPS ont été lents, mais le gouvernement a procédé à des nominations pour des postes clés au cours des cinq derniers mois, notamment en ce qui concerne le Procureur spécial et plusieurs juges. Human Rights Watch a recommandé que le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra désigne un interlocuteur ou une interlocutrice au sein de son cabinet pour coordonner le travail avec la CPS, tout en respectant l'indépendance judiciaire de la cour.
La CPS fait face à d’imposants défis compte tenu de l'insécurité persistante dans le pays et de la fragilité du système judiciaire national. La mission de l’ONU et les gouvernements qui la soutiennent devraient aider à créer des systèmes robustes de protection des témoins et des victimes, assurer la sécurité du personnel de la Cour, et apporter leur assistance dans la conduite efficace des enquêtes. Pour renforcer le système judiciaire national, la formation et le soutien du personnel judiciaire devraient être ouverts aux autres professionnels du secteur de la justice dans la mesure du possible, selon Human Rights Watch.
La CPS a également besoin de davantage de financements pour pouvoir fonctionner efficacement. Les gouvernements partenaires se sont engagés à verser seulement 5,2 millions de $ US pour les 14 premiers mois du mandat renouvelable de la Cour d’une durée de cinq ans. Les bailleurs de fonds et l’ONU devraient soutenir la Cour de sorte qu’elle puisse mener à bien ses travaux.
« La Cour pénale spéciale n’est pas la réponse à tous les problèmes de la République centrafricaine, mais elle montrera aux groupes armés responsables d’exactions qu’ils ne peuvent plus continuer à tuer des civils impunément », a conclu Lewis Mudge. « Des procès équitables et crédibles pour les atrocités commises permettront de rendre justice aux victimes et renforceront le respect de l’État de droit. »
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