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Liban : Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU devrait enquêter sur l’explosion de Beyrouth

Des organisations de défense des droits humains, des survivants et des victimes en appellent urgemment à la justice

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Cherbel a appelé à 18 heures. Il a parlé à notre fille. Elle était assise sur sa chaise haute. Il a dit : « Regarde papa, je suis dans le camion de pompiers. On va éteindre un incendie. »

J’ai senti cette chaleur très intense sur mon visage.

J’étais effrayée. Ils avaient l’air de dormir. Ou étaient-ils morts ?

Ma fille n’a que trois ans maintenant. Si elle me demande : «  Qui l’a tué ? » Que vais-je lui dire  Dois-je lui dire que je ne sais pas ? Que je ne sais pas qui l’a tué ? Que nous, au Liban, n’avons pas pu découvrir [la vérité] ? Non.

Cher Conseil des droits de l’homme. Nous comptons sur vous, car nous ne pouvons pas compter sur notre propre gouvernement.

Cher Conseil des droits de l’homme. En l’absence de vérité, nous ne pouvons pas aller de l’avant.

Le Liban attend.

(Beyrouth, le 15 septembre 2021) – Les États membres du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies (CDH) devraient mettre en place une mission d’enquête internationale, indépendante et impartiale, telle qu’une mission d’établissement des faits, pour un an, sur l’explosion du port de Beyrouth le 4 août 2020, ont déclaré aujourd’hui 145 groupes libanais et internationaux de défense des droits humains, des survivants et des familles de victimes dans une lettre commune. Cette lettre fait suite à un courrier similaire adressé par 115 organisations de défense des droits humains, survivants et familles de victimes en juin 2021.  

Personne n’a eu de comptes à rendre après l’explosion du port de Beyrouth il y a maintenant plus d’un an, qui a détruit plus de la moitié de la ville et tué au bas mot 218 personnes, parmi lesquelles des ressortissants libanais, bien sûr, mais aussi syriens, égyptiens, éthiopiens, bangladais, philippins, pakistanais, palestiniens, néerlandais, canadiens, allemands, français, australiens et américains.

« Les familles de victimes et les survivants de cette catastrophe en appellent de nouveau au Conseil des droits de l’homme. Il faut qu’il crée de toute urgence une mission d’enquête pour faire la lumière sur l’échec de l’État libanais à protéger leurs droits », a affirmé Aya Majzoub, chercheuse sur le Liban à Human Rights Watch. « Plus d’un an après l’explosion, les dirigeants libanais continuent à faire obstruction à l’enquête nationale, à la retarder et à la saper. »  

En février, un tribunal a dessaisi le juge nommé pour diriger l’enquête après que deux anciens ministres qu’il avait mis en cause ont porté plainte contre lui. Le juge Tarek Bitar, nommé le lendemain, a dû faire face à une campagne orchestrée contre lui par des hommes politiques et des hauts fonctionnaires après qu’il a demandé à convoquer et à citer à comparaître, des responsables politiques et de la sécurité de premier plan.

Les membres du gouvernement, et en particulier le Premier ministre par intérim Hassan Diab, ont refusé d’être auditionnés et les autorités ont refusé de lever l’immunité ou de permettre la mise en accusation de membres du parlement et de responsables de la sécurité. Des dirigeants politiques ont tenté de mettre en doute l’impartialité du juge Bitar, l’accusant de « politiser » cette affaire. Par ailleurs, les forces de sécurité libanaises ont, à au moins deux occasions, violemment réprimé les proches de victimes de l’explosion de Beyrouth qui s’étaient pacifiquement mobilisés contre ces obstructions.

« Cette réaction violente offre un témoignage glaçant du mépris des autorités pour la justice et de leur réticence à accorder aux victimes et à leurs proches un accès réel au processus d’enquête et le respect de leur droit d’en être informés et d’y participer », a déclaré Lynn Maalouf, directrice adjointe d’Amnesty International pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord. « Un an plus tard, l’écart entre l’enquête nationale et les normes établies par les experts des Nations unies l’année dernière ne pourrait pas être plus béant. »

La catastrophe a été causée par l’inflammation et l’explosion de tonnes de nitrate d’ammonium qui étaient entreposées à côté d’autres matériaux inflammables ou explosifs dans un hangar mal sécurisé au cœur d’une zone commerciale et résidentielle animée d’une ville densément peuplée, c’est-à-dire en totale contradiction avec les directives internationales sur le stockage et la manipulation sûrs du nitrate d’ammonium.

Human Rights Watch a recueilli des éléments de preuve qui montrent qu’un grand nombre de fonctionnaires de haut rang, de l’armée, de la sécurité et du gouvernement, connaissaient la grave menace que faisait peser la présence de ce stock de nitrate d’ammonium dans le port et avaient tacitement accepté ce risque mortel. Il s’agit d’une violation du droit à la vie au titre du droit international des droits de l’homme.  

« Mon gouvernement a fait ça » : graffiti que l’on pouvait lire le 9 août 2020, cinq jours après l’explosion du 4 août 2020 qui a partiellement dévasté le port de Beyrouth, au Liban. © 2020 AP Photo/Hussein Malla

Le droit à la vie est un droit autonome et inaliénable, prévu à l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), que le Liban a ratifié en 1972. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies, qui interprète le Pacte, a indiqué que les pays devaient respecter et garantir le droit à la vie contre les atteintes de la part de personnes ou d’entités, même si leur comportement n’est pas imputable à l’État.

Le Comité énonce en outre que « l’obligation de protéger le droit à la vie par la loi exige également des États parties qu’ils organisent tous les organes et structures de gouvernance de l’État par lesquels est exercée l’autorité publique d’une manière compatible avec la nécessité de respecter et garantir le droit à la vie, y compris en établissant par la loi des institutions et procédures adéquates en vue de prévenir toute privation de la vie, en faisant procéder à des enquêtes et des poursuites sur les cas présumés de privation illégale de la vie, en sanctionnant les responsables et en assurant une réparation intégrale ».

Les enquêtes sur les allégations de violation du droit à la vie doivent être « indépendantes, impartiales, promptes, approfondies, efficaces, crédibles et transparentes » et elles devraient notamment consister à évaluer la responsabilité juridique des supérieurs hiérarchiques à raison des violations du droit à la vie commises par leurs subordonnés ».

L’échec de l’enquête nationale à mettre en cause les responsables illustre tragiquement la culture de l’impunité des dirigeants qui caractérise de longue date le Liban. L’obstruction éhontée de la part des autorités à la recherche de la vérité et de la justice par les victimes prouve la nécessité d’une enquête internationale sur l’échec de l’État libanais à protéger le droit à la vie.

Une enquête internationale, qui ferait la lumière sur les défaillances de l’État libanais à protéger le droit à la vie n’entraverait pas l’enquête nationale, au contraire, elle la renforcerait, plaident les organisations. Les résultats d’une enquête internationale, menée conformément aux normes internationales et aux bonnes pratiques les plus exigeantes pourraient servir d’appui aux autorités libanaises qui enquêtent sur l’explosion et à tous ceux qui, sur place, s’efforcent de traduire en justice les personnes raisonnablement soupçonnées d’être pénalement responsables de cette catastrophe.  

Une enquête internationale permettrait en outre de conseiller le Liban et la communauté internationale sur les étapes à mettre en œuvre, à la fois pour remédier aux violations des droits humains et pour assurer qu’elles ne se reproduisent pas.

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