Bruxelles - Les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne doivent faire savoir aux gouvernements hongrois et polonais que les atteintes à l’État de droit n’ont pas leur place dans l’UE. À la veille de la nouvelle session du Conseil des Affaires générales le 22 juin 2021, « il faut renforcer la surveillance de leurs violations des droits humains », estiment aujourd’hui Amnesty International, Human Rights Watch, la Commission internationale de juristes (CIJ), la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), l’Open Society European Policy Institute (OSEPI) et Reporters sans frontières (RSF).
Les ministres des États membres de l’UE, réunis en session du Conseil « Affaires générales » le 22 juin 2021, discuteront de la situation en Pologne et en Hongrie dans le cadre de la procédure de l’article 7. L’article 7 est le mécanisme prévu par le traité de l’UE pour demander des comptes aux gouvernements dont les actions menacent l’État de droit, les droits humains et les principes démocratiques de l’Union.
« Les actions de la Pologne et de la Hongrie montrent que le fait de laisser libre cours aux violations de l’état de droit mine les institutions démocratiques. Cela finit par affecter les droits humains et la vie de chacun dans ces pays », a déclaré Philippe Dam, directeur du plaidoyer pour l’Europe et l’Asie centrale à Human Rights Watch.
« Les auditions du 22 juin sont un bon début, mais il faut aller beaucoup plus loin pour prouver la détermination des États membres à protéger les valeurs démocratiques de l’UE. Il s’agit de réaffirmer, haut et fort, qu’il n’y a pas de place dans l’UE pour ceux qui les renient », a déclaré Elena Crespi, responsable du programme Europe de l’Ouest à la FIDH.
La reprise des auditions sur la situation en Hongrie et en Pologne au titre de l’article 7 est un signal fort du Conseil indiquant que les violations des principes de l’UE ne passeront pas inaperçues au sein de l’Union, estiment les organisations. Mais les ministres de l’UE ont la responsabilité de rattraper le temps perdu et de se montrer prêts à prendre de nouvelles mesures, alors que la situation dans les deux pays continue de se détériorer.
La Commission européenne a invoqué l’article 7 en décembre 2017 pour la première fois depuis sa création, en réponse à l’érosion spectaculaire de l’indépendance judiciaire en Pologne par le gouvernement du parti Droit et Justice (PiS). Mais le Conseil de l’UE, composé des États membres, n’a pas tenu d’audience officielle sur la situation depuis septembre 2018.
Le Parlement européen a ensuite déclenché l’article 7 en septembre 2018 pour la Hongrie, en raison des attaques délibérées répétées contre les institutions démocratiques et les droits de l’homme par le gouvernement dirigé par le Fidesz. Mais là encore, le Conseil n’a pas convoqué d’audience sur la question depuis décembre 2019. Les fonctionnaires de l’UE ont soutenu que les discussions liées à l’article 7 ne pouvaient pas avoir lieu pendant la pandémie de Covid-19, prétendument parce que les ministres de l’UE ne pourraient pas se réunir en personne pendant cette période.
Alors que l’action de l’UE est au point mort, le gouvernement polonais a continué à renforcer son emprise sur le système judiciaire. De nombreux juges et procureurs ont fait l’objet de procédures disciplinaires arbitraires pour s’être élevés contre des réformes judiciaires problématiques. Le gouvernement s’est servi d’un tribunal constitutionnel compromis sur le plan politique, pour contourner les objections du parlement vis-à-vis des efforts déployés, visant à saper les institutions indépendantes et à éroder les droits dans tous les domaines. Les inquiétudes concernant le fonctionnement du Tribunal portent notamment sur la mauvaise gestion des affaires par son président et sur le changement illégal de la composition des bancs d’audience déjà désignés.
En octobre 2020, à la demande du gouvernement polonais, le Tribunal constitutionnel a gravement compromis l’accès aux droits sexuels et reproductifs des femmes en Pologne ; pour ce faire, il a étendu l’interdiction existante de l’avortement aux cas de « malformation grave et irréversible du fœtus ou de maladie incurable qui menace la vie du fœtus ». En avril, le gouvernement a utilisé le même tribunal pour mettre fin au mandat du médiateur des droits humains du pays, malgré les retards dans la nomination de son successeur. Le gouvernement utilise également le Tribunal constitutionnel pour obtenir des décisions sur la validité de la Convention d’Istanbul. Elle porte sur la prévention de la violence à l’égard des femmes. Il s’agit, sur le fond, de saper la nature contraignante des décisions de la Cour de justice de l’UE sur le droit polonais.
En Hongrie, le gouvernement a pris prétexte de la pandémie de Covid-19 pour intensifier ses attaques contre l’État de droit et les institutions publiques, accroître le pouvoir exécutif et limiter les droits de l’homme, notamment les droits à la liberté d’expression, d’information et de réunion pacifique. La Hongrie a finalement respecté la décision de la Cour de l’UE de juin 2020 en abrogeant une loi de 2017 obligeant les organisations de la société civile recevant plus de 20 000 EUR par an de fonds étrangers, à s’enregistrer comme étant financées par l’étranger. Mais dans le même temps, le gouvernement a présenté un nouveau projet de loi exigeant que l’Office national d’audit d’État effectue des inspections financières annuelles des organisations de la société civile qui déclarent plus de 55 000 EUR. Le risque : créer une nouvelle méthode pour diaboliser et entraver le travail des groupes de surveillance. Le projet de loi ne touche pas à la loi controversée de 2018 qui criminalise les groupes apportant une aide aux demandeurs d’asile.
En juillet 2020, le rédacteur en chef du plus grand quotidien indépendant en ligne de Hongrie, Index.hu, a été licencié à la suite d’une prise de contrôle financier de la société contrôlant ses revenus par une personne ayant des liens étroits avec le parti au pouvoir dans le pays. En septembre, le Conseil des médias, un organisme de réglementation de la radiodiffusion lié à l’exécutif après des changements controversés adoptés au début de la décennie, a révoqué la fréquence de la station de radio indépendante Klubradio de Budapest, l’obligeant à cesser ses émissions. Le 9 juin, la Commission européenne a ouvert une nouvelle procédure judiciaire contre la Hongrie au motif que la décision de retirer Klubradio des ondes était discriminatoire et non transparente.
Des groupes de la société civile en Pologne, en Hongrie et ailleurs dans l’UE ont critiqué le Conseil européen et la Commission européenne pour ne pas avoir défendu les valeurs fondatrices de l’Union que sont le respect des droits de l’homme et l’État de droit dans les pays qui les enfreignent.
En décembre, l’UE a mis en place un nouveau mécanisme conditionnant les financements européens au respect de l’État de droit, mais la Commission européenne et le Conseil ont tous deux succombé au chantage de la Hongrie et de la Pologne et ont annoncé qu’ils ne commenceraient pas à appliquer cette mesure avant l’automne. Le 10 juin, le Parlement européen a assigné la Commission européenne en justice si elle retarde encore la mise en œuvre du mécanisme.
Les ministres européens devraient continuer à organiser des auditions régulières sur la situation en Pologne et en Hongrie et prendre toutes les mesures disponibles au titre de l’article 7 pour demander aux deux gouvernements de rendre des comptes sur la violation des valeurs fondamentales de l’UE. Ces mesures devraient inclure l’adoption de recommandations spécifiques en matière d’état de droit que les gouvernements polonais et hongrois devraient mettre en œuvre dans un délai déterminé et, en l’absence de mesures concrètes pour s’y conformer, travailler à l’obtention du vote des quatre cinquièmes requis pour déterminer qu’il existe un risque clair de violation grave des valeurs protégées par le traité de l’UE. Une telle détermination ouvrirait la possibilité de sanctions que le Conseil pourrait adopter, à l’unanimité, pour réagir à cette violation.
« Après des années de tergiversations, il est important que les États de l’UE s’unissent enfin pour examiner la situation en Pologne et en Hongrie », a déclaré Eve Geddie, directrice du bureau des institutions européennes d’Amnesty International.
« Les États de l’UE ont le devoir d’agir ensemble pour mettre un terme à l’évidement des institutions publiques et aux attaques contre l’État de droit en Pologne, en Hongrie et dans tout autre État membre, qui menacent les valeurs européennes fondamentales », a déclaré Natacha Kazatchkine, analyste politique senior à l’Open Society European Policy Institute.
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