(Washington, le 2 avril 2021) – La révocation par le président des États-Unis, Joe Biden, des sanctions punitives prises par son prédécesseur contre la Cour pénale internationale (CPI) supprime un obstacle important à la capacité de ce tribunal de rendre justice aux victimes des crimes les plus graves commis dans le monde, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le 2 avril, Biden a révoqué un décret précédent, émis en juin 2020 par le président américain d’alors, Donald Trump, qui permettait de geler les avoirs de responsables de la CPI et de leur interdire d’entrer sur le territoire américain, afin de gêner le travail de la Cour.
En annonçant la révocation du décret, le Secrétaire d’État, Antony Blinken, a déclaré : « Ces décisions reflètent notre analyse selon laquelle les mesures adoptées précédemment étaient inappropriées et inefficaces. » Le Département d’État a également levé les restrictions de visas qui avaient été mises en place.
« Les sanctions punitives et basées sur une logique perverse prises par l’administration Trump contre la CPI ont montré son mépris flagrant pour les victimes de graves crimes internationaux et pour les procureurs qui essayent de faire rendre des comptes aux responsables de ces crimes », a déclaré Richard Dicker, directeur du programme Justice internationale à Human Rights Watch. « En supprimant cette menace sans précédent pour la mondialisation du principe de l’État de droit, le président Biden a entamé le long processus de restauration de la crédibilité des États-Unis en matière d’administration d’une justice internationale via la CPI. »
L'administration Trump a mis son décret en application en septembre, en infligeant des sanctions à la Procureure de la Cour, Fatou Bensouda, et à un autre de ses responsables de haut rang, Phakiso Mochochoko. Elle avait menacé à plusieurs reprises d’intervenir pour bloquer les enquêtes de la CPI en Afghanistan et en Palestine. En 2019, l’administration Trump avait annulé le visa permettant à la Procureure d’entrer aux États-Unis.
Human Rights Watch avait exhorté l’administration Biden à révoquer le décret de Trump en toute priorité. Ce décret de l’administration Trump constituait une menace pour les efforts en vue d’établir l’État de droit dans le monde et pour le travail de la Cour en vue de rendre justice aux victimes.
Le décret Trump avait également causé appréhension et incertitude aux organisations non gouvernementales, aux consultants et aux avocats qui coopèrent avec la CPI dans leurs capacités respectives d’investigation et de décision. Plusieurs universitaires et professionnels, qui apportaient leur expertise au Bureau de la Procureure ou qui représentaient les victimes devant la Cour, ont contesté la constitutionnalité du décret, dans deux actions en justice devant un tribunal fédéral américain.
Plusieurs parlementaires américains ont exprimé leur opposition après que le décret eut été mis en pratique pour sanctionner les deux responsables de la CPI, tout comme des pays membres de la CPI, l’Union européenne et des organisations non gouvernementales actives aux États-Unis et dans le reste du monde. De manière significative, les pays membres de la CPI ont à plusieurs reprises affirmé collectivement leur soutien à la Cour, notamment lors de leur dernière réunion annuelle, en décembre.
Cependant, tout en révoquant le décret Trump, l’administration Biden a d’ores et déjà exprimé clairement qu’elle demeurait opposée aux « actions de la CPI » à l’égard des situations en Afghanistan et en Palestine. En réponse à la décision prise en mars par la Procureure d’ouvrir une enquête de la CPI sur la situation en Palestine, le Secrétaire d’État, Antony Blinken, a réitéré l’opposition des États-Unis à une telle enquête, contestant la compétence de la Cour en la matière. L’enquête de la Procureure ouvre enfin le chemin de la justice pour les victimes palestiniennes et israéliennes de graves crimes internationaux, a déclaré Human Rights Watch.
Les États membres de la CPI devraient tirer les leçons de la révocation du décret Trump et exprimer leur soutien à la Cour. Les pays qui ont créé la CPI devraient se tenir prêts à protéger cette institution cruciale contre toute mesure visant à remettre en cause son indépendance, a affirmé Human Rights Watch.
Les sanctions punitives étant abrogées, le gouvernement américain devrait réexaminer ses futures relations avec la CPI. Un porte-parole du Département d'État américain avait précédemment indiqué que l'administration pourrait envisager de reprendre la coopération avec la CPI, dans des « cas exceptionnels ». Même si des divergences subsisteront entre Washington et la Cour, l’administration Biden devrait chercher à régulariser sa coopération avec la CPI. La justice rendue par la CPI peut promouvoir d’importants intérêts politiques des États-Unis, comme l’a montré la condamnation, le 4 février, de Dominic Ongwen, un ancien dirigeant de la brutale Armée de résistance du seigneur (LRA). Le dossier Ongwen a mis en lumière le rôle très constructif que peuvent jouer les États-Unis qui, en l’occurrence, ont fourni un appui essentiel en vue de sa reddition à la Cour en 2015.
Quoique les États-Unis devraient s’efforcer de rejoindre les signataires du Statut de Rome, le traité fondateur de la Cour, même en tant que non-membre, ils peuvent faire avancer des affaires instruites par la CPI en fournissant des éléments de preuve, en coopérant à l’arrestation de fugitifs, en suggérant ou en approuvant des initiatives du Conseil de sécurité de l’ONU visant à soutenir la Cour, et en participant aux discussions de l’Assemblée des États parties, qui rassemble les 123 pays membres de la CPI.
« Certes, la CPI a ses limites, mais son rôle en tant qu’instance de dernier ressort pour juger les responsables des pires crimes est aujourd’hui plus nécessaire que jamais », a affirmé Richard Dicker. « L’administration Biden devrait soutenir la CPI, pour faire en sorte que les victimes aient une chance d’obtenir justice et que la coopération avec la Cour soit la règle, et non pas l’exception. »
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