(Washington, le 18 décembre 2020) – Le gouvernement des États-Unis devrait exempter tous les ressortissants camerounais vivant actuellement sur le territoire américain de toute mesure d’expulsion, en raison de l’existence au Cameroun de graves menaces pour leur sécurité, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.
Le gouvernement américain devrait octroyer aux Camerounais se trouvant actuellement aux États-Unis un statut de protection temporaire, destiné à préserver les citoyens et les résidents habituels de pays qui traversent des circonstances extraordinaires et temporaires d’un éventuel rapatriement vers ces pays, s’ils ne peuvent y retourner sans danger. Les autorités américaines devraient également enquêter sur des allégations selon lesquelles des agents des services de l’Immigration et des contrôles douaniers (Immigration and Customs Enforcement, ICE) ont brutalisé des demandeurs d’asile camerounais pour les contraindre à signer des documents relatifs à leur expulsion.
« Le gouvernement américain devrait suspendre les expulsions vers le Cameroun à cause des graves menaces pour leur vie et leur liberté auxquelles les Camerounais seraient exposés à leur retour dans leur pays », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique à Human Rights Watch. « Outre un risque généralisé de subir de graves dommages en raison de l’actuel climat de violence dans les régions de l’Extrême-Nord, du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, les personnes renvoyées au Cameroun sont également confrontées au risque de tortures et de mauvais traitements du fait de leur opposition, réelle ou supposée, au gouvernement. »
Les organisations de défense des immigrants et les médias ont affirmé que les agents de l’ICE ont expulsé plus de 90 Camerounais qui ont été placés à bord de deux avions en partance pour le Cameroun, en octobre et novembre 2020. Human Rights Watch a pu confirmer, sur la base de documents judiciaires et d’entretiens avec des avocats, des activistes et des bénévoles, qu’au moins plusieurs dizaines de ces expulsés avaient cherché, sans succès, à obtenir l’asile aux États-Unis.
Des centaines de civils ont été tués au Cameroun au cours de l’année passée dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, où les violences font rage depuis fin 2016, dans un contexte où des séparatistes armés cherchent à obtenir l’indépendance des régions où sont concentrés les membres de la minorité anglophone du pays. Ces violences ont provoqué le déplacement de dizaines de milliers de personnes au cours de l’année passée, qui s’ajoutent aux centaines de milliers qui ont fui leur domicile depuis le début des troubles.
Les forces de sécurité ont répondu de manière abusive aux attaques des séparatistes, prenant souvent pour cible les civils, leurs vies et leurs moyens d’existence. Les séparatistes armés ont tué, torturé, agressé et enlevé des centaines de personnes. Ils ont aussi empêché les travailleurs humanitaires et les enseignants de faire leur travail, privant de nombreux enfants d’accès à l’éducation. Peu de personnes responsables de graves violations ont été amenées à en répondre devant la justice depuis le début de la crise dans les régions anglophones fin 2016.
Dans la région de l’Extrême-Nord, le groupe islamiste armé Boko Haram a attaqué délibérément des civils, y compris des personnes déplacées à l’intérieur des frontières, commettant presque quotidiennement des meurtres, des enlèvements, des vols et des destructions de biens.
Le gouvernement a également réprimé les opposants politiques et les sympathisants des partis d’opposition, accusant de terrorisme et de rébellion des centaines de personnes qui avaient participé à des manifestations pacifiques en septembre 2020, et se servant de la pandémie de Covid-19 comme prétexte pour réduire au silence l’opposition et étouffer la dissidence.
Les anglophones expulsés au Cameroun encourent un grave risque d’abus de la part des forces de sécurité gouvernementales parce qu’ils sont susceptibles d’être soupçonnés d’avoir des liens avec les séparatistes, ou de la part des séparatistes eux-mêmes. La torture est monnaie courante dans les centres de détention, officiels ou non, notamment dans les bases militaires, où de nombreuses personnes sont détenues au secret.
Les Camerounais qui fuient la région de l’Extrême-Nord courent un grave risque d’arrestation et de détention arbitraires, de tortures, de traitements inhumains et dégradants, et de harcèlement s’ils sont expulsés, le gouvernement ayant accusé de nombreux habitants de soutenir Boko Haram. Les Camerounais qui sont perçus comme des sympathisants des partis d’opposition peuvent aussi se trouver menacés s’ils sont rapatriés, du fait de la répression de l’opposition politique par le gouvernement.
Dans ces conditions, de nombreux Camerounais correspondent à la définition d’un réfugié telle qu’elle figure en droit américain et en droit international en matière d’asile. Les Camerounais actuellement en Afrique seront également reconnus comme tels en vertu de la définition élargie du réfugié retenue dans la Convention de 1969 de l’Organisation de l’Unité africaine régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique, laquelle reconnaît comme un réfugié toute personne qui a fui son pays « du fait d’une agression, d’une occupation extérieure, d’une domination étrangère ou d’événements troublant gravement l’ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d’origine ou du pays dont elle a la nationalité. »
Quoique les taux d’approbation du droit d’asile montrent que de nombreux Camerounais se trouvant actuellement aux États-Unis remplissent les critères requis pour l’octroi de l’asile ou pour la levée de toute mesure d'expulsion à cause des risques de persécution dans leur pays d’origine, le gouvernement américain devrait considérer les Camerounais comme éligibles pour recevoir un statut de protection temporaire du fait du « conflit armé qui se poursuit à l’intérieur de leur pays … [et] de conditions extraordinaires et temporaires », qui constituent des menaces plus larges de nature à empêcher les citoyens du Cameroun d’y retourner en toute sécurité, comme les définit le droit américain.
En dépit de la diversité et de la persistance des risques au Cameroun, le taux d’octroi de l’asile à des Camerounais dans les tribunaux américains de l’immigration est passé de 81% durant l’année fiscale 2019 à 62% pour l’année fiscale 2020. Les Camerounais, ainsi que les demandeurs d’asile d’autres pays d’Afrique, ont été de plus en plus systématiquement placés en détention sous l’administration Trump. Des études ont permis d’établir que les immigrants placés en détention étaient en général moins susceptibles de recevoir une assistance juridique et d’obtenir l’asile ou d’autres formes de protection contre une éventuelle expulsion. L’administration Trump a également apporté de nombreuses modifications au système d’octroi de l’asile, destinées à rendre extrêmement difficile l’obtention de l’asile par qui que ce soit.
Des plaintes récemment déposées par des défenseurs américains des droits des immigrants font état d’abus commis par le personnel de l’ICE contre des demandeurs d’asile camerounais en détention. Parmi ces abus, figurent des menaces, des tentatives de coercition et des violences physiques pour forcer les demandeurs d’asile à signer des documents relatifs à leur expulsion. Ces plaintes devraient elles aussi faire l’objet d’enquêtes et des mesures correctives devraient être prises par le département de la Sécurité du territoire.
Les deux vols connus ayant ramené au Cameroun des personnes expulsées des États-Unis, le 13 octobre et le 11 novembre, auraient transporté respectivement 57 et 37 Camerounais. Ces 94 Camerounais expulsés par l’ICE lors des deux premiers mois de l’année fiscale 2021 dépassent déjà le nombre total des ressortissants camerounais renvoyés par l’ICE au Cameroun lors des années fiscales 2020 (49), 2019 (74) et 2018 (68).
Human Rights Watch a par ailleurs appelé le gouvernement américain à suspendre toutes les expulsions lors de la pandémie de coronavirus, afin d’éviter de contribuer à la propagation du virus à travers le monde.
« Les Camerounais qui fuient des dangers très réels dans leur pays méritent une protection contre les abus et une évaluation équitable de leurs demandes d’asile, ainsi que les autres formes de protection prévues par la loi américaine », a affirmé Ilaria Allegrozzi. « Le gouvernement américain devrait suspendre les expulsions de Camerounais et s’assurer que toutes les allégations concernant des abus commis par des agents de l’ICE fassent l’objet d’enquêtes appropriées et impartiales. »
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#ÉtatsUnis : il faut éviter d'expulser les #Camerounais vers leur pays, compte tenu des sérieux risques auxquels ils pourraient être confrontés à leur retour. https://t.co/ax4dh78bCW
— HRW en français (@hrw_fr) December 18, 2020