(Conakry) – Les victimes et leurs proches réclament encore que justice soit rendue suite au meurtre de plus de 150 manifestants, aux viols et aux autres crimes perpétrés par les forces de sécurité guinéennes le 28 septembre 2009 dans un stade de la capitale, Conakry, ont déclaré aujourd’hui six organisations de défense des droits humains. Ces groupes sont l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (AVIPA), Les Mêmes Droits Pour Tous (MDT), l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme (OGDH), la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), Amnesty International et Human Rights Watch.
Les autorités guinéennes devraient immédiatement prendre des mesures concrètes pour que le procès puisse débuter dans les meilleurs délais, ont ajouté les organisations, car trop de temps a déjà été perdu. Les partenaires internationaux et régionaux de la Guinée, dont la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, devraient de leur côté faire pression pour que le procès démarre sans plus tarder. Le gouvernement ainsi que l’Union européenne, la France et les États-Unis se sont déjà engagés à soutenir le procès.
« Aux dernières nouvelles, le procès devait s’ouvrir en juin, mais il n’y a eu aucun progrès », a déclaré Asmaou Diallo, la présidente d’AVIPA. « Certes, la pandémie de Covid-19 a pu créer de nouvelles difficultés, mais par égard pour les victimes, le gouvernement devrait faire en sorte de s’atteler à nouveau à l’ouverture du procès ».
L’enquête menée par des juges d’instruction guinéens, ouverte en février 2010 et clôturée fin 2017, avait progressé lentement en raison d’obstacles politiques, financiers et logistiques. Mais dans un pays où l’impunité prévaut largement lorsque les forces de sécurité sont impliquées dans un crime, le seul fait de terminer l’instruction avait adressé un message fort et soulevé l’espoir que s’ouvre un procès qui pourrait rendre justice aux victimes.
Certains survivants du massacre sont décédés alors que l’affaire traînait en longueur. Les victimes toujours en vie continuent de réclamer justice. « Depuis ce jour-là, nous pleurons, puis nous séchons nos larmes en espérant que nous obtiendrons justice », déclarait une victime dans une vidéo que les organisations ont diffusée l’an passé sur la nécessité d’ouvrir le procès.
Plus de 13 suspects ont été inculpés – et 11 d’entre eux renvoyés au procès – dont d’actuels et d’anciens responsables de haut niveau. Parmi eux figurent Moussa Dadis Camara – actuellement en exil au Burkina Faso, l’ancien chef de la junte appelée Conseil national pour la démocratie et le développement, qui gouvernait la Guinée en septembre 2009, ainsi que son vice-président, Mamadouba Toto Camara. Certains suspects inculpés occupent toujours des postes d’influence, notamment Moussa Tiegboro Camara, qui est chargé de la lutte contre le trafic de stupéfiants et le crime organisé.
Abubakar « Toumba » Diakité, l’aide de camp de Dadis Camara, a également été inculpé. Après avoir échappé à la justice pendant plus de cinq ans, il a été extradé du Sénégal vers la Guinée en mars 2017.
Quatre autres personnes inculpées sont détenues à la prison centrale de Conakry, respectivement depuis 2010, 2011, 2013 et 2015. Leur détention provisoire est illégale, vu qu’elle excède la limite maximale autorisée par la loi guinéenne : 18 à 24 mois en matière criminelle.
La Cour pénale internationale (CPI) avait ouvert un examen préliminaire sur la situation en Guinée en octobre 2009. La CPI, conçue comme un tribunal de dernier recours pour les crimes les plus graves, prend le relais lorsque les tribunaux nationaux ne peuvent pas, ou ne veulent pas, instruire et juger ce type d’affaires.
Les organisations ont indiqué qu’elles sont de plus en plus préoccupées par le manque de volonté affiche à organiser ce procès en Guinée. A cet égard, le fait que le gouvernement actuel ait commis de nombreuses violations des droits humains pourrait entraver sa volonté d’organiser un procès contre des auteurs de crimes antérieurs à son avènement au pouvoir.
En effet, ces derniers mois, les autorités guinéennes ont harcelé, intimidé et arrêté arbitrairement des membres de l’opposition et des défenseurs des droits humains, dans une atmosphère d’insécurité liée aux restrictions imposées par la pandémie de Covid-19. Cela faisait suite à la violente répression des membres et sympathisants de l’opposition à laquelle se sont livrées les forces de sécurité avant et pendant les scrutins controversés du 22 mars, le référendum constitutionnel et les élections législatives.
Dans un tel contexte, les six organisations craignent que les autorités actuelles retardent encore davantage la perspective de tenir un tel procès. Il est important de prendre des mesures pour protéger les témoins, les victimes et les avocats concernés par l’affaire de 2009, ont déclaré les organisations. La tentative d’intrusion du siège des locaux de l’AVIPA pendant les scrutins controversés du 22 mars est une illustration des risques sécuritaires encourus par les acteurs dans ce procès.
Les victimes et leurs ayant droits vivent dans des conditions de précarité déplorables et ont besoin de recevoir de la part des autorités guinéennes une réparation adéquate, efficace et rapide.
En avril 2018, l’ancien ministre de la Justice, Cheick Sako, a mis en place un comité de pilotage chargé d’organiser le procès. Le comité a désigné la Cour d’appel de Conakry comme lieu du procès.
En janvier 2020, le ministre de la Justice, Mohammed Lamine Fofana, a annoncé aux Nations Unies que son gouvernement soutenait « sans équivoque » l’ouverture du procès. Alors qu’il avait assuré que les procédures démarreraient en juin 2020 dès que la construction de la salle du procès serait terminée, il n’y a eu aucune avancée concernant le procès.
En juin, Me Mory Doumbouya a été nommé ministre de la Justice. Le ministre Doumbouya a déclaré qu’il soutenait le procès, mais que la responsabilité de son organisation incombait à la justice.
Il est par ailleurs essentiel que le Bureau du Procureur de la CPI appelle fermement les autorités guinéennes à organiser le procès au plus vite, afin de donner une chance aux victimes encore en vie de participer à un procès qui marquerait une étape-clé de la lutte contre l’impunité en Guinée. Onze années suffisent largement pour préparer un procès d’une telle envergure, ont déclaré les organisations.
« Le procès du massacre du 28 septembre 2009 nécessite un appui politique au plus haut niveau afin de démarrer », a conclu Abdoul Gadiry Diallo, président de l’OGDH. « Notre espoir est que le président Condé et le ministre Doumbouya proclament son ouverture le plus rapidement possible. Il sera crucial de prendre les mesures appropriées pour garantir la participation de Dadis Camara et la sécurité des victimes et des témoins. »
Contexte
Peu avant midi, le 28 septembre 2009, plusieurs centaines d’agents des forces de sécurité guinéennes ont ouvert le feu sur des dizaines de milliers de personnes rassemblées pacifiquement dans le stade du 28-Septembre à Conakry, en vue d’une marche contre l’intention de Dadis Camara de se présenter à l’élection présidentielle. Les forces de sécurité ont également violé plus de 100 femmes, individuellement ou collectivement, et agressé sexuellement certaines d’entre elles avec des objets tels que des matraques ou des baïonnettes, pendant ces événements ou peu après. Les forces de sécurité ont tué plus de 150 personnes et en ont blessé des centaines d’autres.
Les forces de sécurité ont ensuite organisé une opération de dissimulation, bouclant tous les accès au stade et aux morgues et emportant les corps pour les enterrer dans des fosses communes, dont beaucoup doivent encore être identifiées.
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Le 28 sept 2009, 150 personnes ont été tuées par les forces de sécurité ds un stade à Conakry en Guinée, de nmbreuses autres violées.
11 ans + tard, les victimes attendent tjrs la justice , il faut ouvrir le procès sans plus tarder. https://t.co/h6Sr3PjX19 pic.twitter.com/KktTtjPmdc— HRW en français (@hrw_fr) September 28, 2020