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Djibouti : Respecter les droits du pilote de l’armée de l’air emprisonné

Le gouvernement devrait en outre autoriser les manifestations pacifiques et protéger la liberté des médias

Une femme passe devant des vendeuses de rue dans la ville portuaire de Djibouti, capitale de la République de Djibouti qui est située dans la Corne de l’Afrique, à l’est de l’Éthiopie et face au golfe d’Aden. © 2015 AP Photo/Mosa'ab Elshamy

(Nairobi, le 2 juillet 2020) – Les autorités de Djibouti devraient enquêter de manière impartiale sur les allégations de mauvais traitements infligés à un ancien pilote des forces aériennes placé en détention, et veiller au respect de ses droits à une procédure régulière, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Les autorités ont réprimé les manifestations pacifiques organisées en réponse à la détention du pilote.

Fouad Youssouf Ali, ancien lieutenant des forces aériennes de Djibouti, s’est enfui vers l’Éthiopie voisine fin mars 2020, apparemment pour y demander l’asile. Avant son départ, il a rendu publique une vidéo portant des allégations de corruption contre un haut gradé et de discrimination fondée sur le clanisme, et appelant à un soulèvement armé contre le gouvernement. En avril, l’Éthiopie l’a expulsé vers Djibouti, où il a été accusé de trahison en l’absence d’un avocat. En juin, Fouad a diffusé une vidéo depuis sa cellule à la prison centrale de Gabode, dans laquelle il faisait état de traitements dégradants, déclenchant un tollé au sein de l’opinion publique et des rassemblements appelant à sa remise en liberté.

« Les autorités de Djibouti devraient enquêter de manière approfondie sur les allégations de mauvais traitements à l’encontre de Fouad Youssouf Ali et veiller à garantir ses droits fondamentaux », a déclaré Laetitia Bader, directrice pour la Corne de l’Afrique à Human Rights Watch. « Le gouvernement ne devrait pas instrumentaliser ce cas pour réprimer des manifestations publiques, en particulier à l’approche des élections nationales. »

Depuis que le président Ismael Omar Guelleh a pris ses fonctions en 1999, le gouvernement djiboutien a réprimé à maintes reprises les manifestations publiques sporadiques et considérablement restreint la liberté d’expression des médias, ainsi que les libertés d’association et de réunion pacifique. Ces restrictions se sont intensifiées à l’approche des élections présidentielles précédentes. Les prochaines présidentielles sont prévues en 2021.

Djibouti occupe une position stratégique dans le golfe d’Aden et abrite, entre autres, des bases militaires américaines, chinoises et françaises. Dans le but d’obtenir à la fin du mois de juin un mandat de deux ans comme membre non permanent au sein du Conseil de sécurité de l’ONU, le président Guelleh a argué du rôle pacificateur joué par son pays dans la Corne de l’Afrique. Les tensions avec l’Érythrée à la suite d’un conflit frontalier de trois jours en 2008, notamment lié au sort des prisonniers de guerre djiboutiens, ne sont toujours pas résolues.

Selon les proches de Fouad Youssouf Ali, avec qui s’est entretenu Human Rights Watch, celui-ci avait l’intention de demander l’asile en Éthiopie, mais il semble avoir été expulsé sommairement et détenu à Gabode sans avoir rapidement accès à un avocat ou pu rendre visite à sa famille. L’Éthiopie devrait enquêter pour savoir si les autorités ont respecté le droit de Fouad Youssouf Ali de demander l’asile, a recommandé Human Rights Watch.

Le 22 avril, les autorités djiboutiennes ont poursuivi Fouad Youssouf Ali en justice, sans lui permettre de faire appel à un avocat, l’accusant de trahison, y compris de commerce avec une puissance étrangère, l’Érythrée ; de diffamation des forces armées ; et d’incitation à la haine et au soulèvement public. L’accusation de trahison est passible d’une peine de prison à vie. Son avocat, Zakaria Abdellahi Ali, a déclaré à Human Rights Watch que Fouad Youssouf Ali avait été détenu pendant plus de 48 heures en vertu du code de procédure pénale avant d’être traduit en justice, et qu’il n’avait été autorisé à rencontrer Fouad Youssouf Ali que le 13 mai. Ses proches ont déclaré n’avoir été informé de son sort que le 25 avril, sans pouvoir le voir jusqu’au 7 juin.

Le 3 juin, Fouad Youssouf Ali a diffusé une vidéo filmée en isolement cellulaire, dans laquelle il fait état de conditions de détention désastreuses et de symptômes d’une grave affection cutanée. La vidéo, visionnée par Human Rights Watch, montre Fouad Youssouf Ali dans une minuscule cellule sans fenêtre, occupée pour l’essentiel par une latrine. La vidéo a déclenché un tollé général et des manifestations les 4 et 5 juin dans la capitale Djibouti, y compris dans la banlieue de Balbala, et à Ali Sabieh, la deuxième plus grande ville du pays.

Des organisations de défense des droits humains ont documenté le traitement inhumain de détenus politiques à Gabode, y compris le décès en détention en 2017 de Mohamed Ahmed en 2017, un membre de l’opposition politique détenu pour des motifs politiques, en raison de son mauvais état de santé.

L’avocat de Fouad Youssouf Ali a demandé au tribunal le transfert de celui-ci à l’hôpital ou sa remise en liberté provisoire. Le 18 juin, la cour d’appel a rejeté cette demande suite à une évaluation médicale par des médecins commis d’office, qui auraient conclu que l’assistance médicale que Fouad pouvait recevoir en détention était adéquate. 

Les autorités ont publiquement nié les allégations de mauvais traitements de Fouad. Le 11 juin, le bureau du président a accusé Fouad d’avoir « mis en scène » ses conditions de détention. Le procureur général, Djama Souleiman Ali, a déclaré aux médias que les personnes détenues dans des cellules d’isolement ont quotidiennement accès à une cour et que le ministre de la Justice a ordonné une enquête sur les circonstances dans lesquelles la vidéo a été filmée et les conditions dans la prison.

L’épouse de Fouad Youssouf Ali, Samira Djama, a déclaré à Human Rights Watch que sa famille était constamment harcelée depuis que Fouad avait fui le pays. Le 27 mars, les autorités l’ont détenue avec deux de ses enfants, âgés de 13 et 16 ans, ainsi que 15 autres membres de la famille et un voisin. Elle affirme avoir été détenue pendant une semaine au poste de police central et interrogée à plusieurs reprises au sujet de son mari.

Les autorités, qui ont déclaré que les manifestations ayant suivi la diffusion de la vidéo n’étaient « pas autorisées », ont déployé les forces de sécurité pour les disperser. À Ali Sabieh, ont indiqué les médias, les forces de sécurité ont tiré à balles réelles. Les autorités devraient enquêter de manière impartiale sur tous les cas de force excessive et meurtrière contre des manifestants, a déclaré Human Rights Watch.

Selon les médias, les manifestations sporadiques appelant à la remise en liberté de Fouad Youssouf Ali se sont poursuivies. Les forces de sécurité ont arrêté des dizaines de manifestants, selon les informations, dont deux journalistes de la Voix de Djibouti : Kassim Nour Abar, arrêté tôt le 5 juin à son domicile d’Ali Sabieh, et Mohamed Ibrahim Waiss, arrêté le 7 dans la capitale. Ils ont été détenus sans être traduits en justice dans le délai légal de 48 heures, avant d’être relâchés.

Le 11 juin, le cabinet présidentiel a déclaré que plusieurs individus avaient été arrêtés lors de manifestations, « dont plusieurs se faisaient passer pour des journalistes ». Des membres de La Voix de Djibouti, un média privé créé par le chef du parti d’opposition Mouvement pour le renouveau démocratique, ont été victimes d’intimidations et d’arrestations arbitraires répétées, ont indiqué ce quotidien et d’autres médias.

Avant les élections présidentielles de 2011, a rappelé Human Rights Watch, les autorités avaient interdit toute manifestation et arrêté et poursuivi de manière arbitraire des manifestants pacifiques et des dirigeants de l’opposition.

Fin 2015, suite à l’annonce que le président Guelleh briguait un quatrième mandat, les médias et les organisations de défense des droits humains avaient signalé l’arrestation de dizaines de partisans de l’opposition qui avaient protesté contre cette décision. Le 23 décembre 2015, au moins 19 personnes avaient été tuées lors d’un rassemblement public à l’occasion d’une fête religieuse célébrée à Balbala. En décembre de la même année, le gouvernement avait adopté une loi d’urgence autorisant le Conseil des ministres à dissoudre toute organisation considérée comme une menace à l’ordre public.

Djibouti est un État partie au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui interdit la détention arbitraire et les traitements cruels, inhumains et dégradants, et protège les droits à l’assistance d’un avocat et à un procès équitable, ainsi que les libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique.

« Les dirigeants de Djibouti aspirent à une plus grande reconnaissance internationale », a conclu Laetitia Bader. « Ils devraient commencer par promouvoir les droits humains à domicile, notamment en respectant les manifestations pacifiques, la liberté des médias et les droits des détenus. »

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