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Djibouti : Le gouvernement devrait autoriser les manifestations pacifiques

Les violences visant l’opposition peu avant les élections du 8 avril doivent cesser

(Londres, le 4 avril 2011) - Le gouvernement djiboutien devrait immédiatement mettre fin à la répression systématique qu'il mène à l'égard de l'opposition politique et de ceux qui émettent des critiques pacifiques, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Un scrutin présidentiel est prévu le 8 avril 2011, mais depuis le mois de février, le gouvernement a interdit toute manifestation et a procédé à des arrestations et poursuites arbitraires de manifestants pacifiques et de dirigeants de l'opposition.

« À l'approche des élections à Djibouti, le gouvernement a porté atteinte aux droits qui confèrent précisément à un scrutin son caractère libre et équitable », a expliqué Rona Peligal, directrice adjointe de la division Afrique de Human Rights Watch. « Les mouvements de contestation pacifiques organisés ailleurs dans la région ne justifient nullement le déni, par le gouvernement, des droits fondamentaux des citoyens. »

Depuis la dispersion, dans la violence, d'une manifestation pacifique organisée le 18 février et l'arrestation de dizaines de manifestants et de spectateurs, le gouvernement djiboutien a empêché à diverses reprises les rassemblements de contestataires. Les forces de sécurité ont réagi par la violence et procédé à des arrestations lorsque les manifestants ont quitté le périmètre assigné au rassemblement pour se diriger vers le stade national.

Le rassemblement du 18 février avait été convoqué pour protester contre un amendement à la constitution djiboutienne autorisant le Président Ismaël Omar Guelleh à briguer un troisième mandat le 8 avril. Les partis d'opposition s'élèvent également contre un système électoral opaque qui, à leurs yeux, privilégie injustement le président et son parti.

Parmi les personnes arrêtées le 18 février figurent trois dirigeants de partis de l'opposition politique qui ont été maintenus en garde à vue pendant un jour. Le gouvernement a ouvert des enquêtes judiciaires pour sédition à l'encontre de ces trois leaders mais ne les a pas inculpés. Plus de 100 personnes appréhendées ce jour-là ont été inculpées d'atteintes à l'intégrité physique ou psychique de la personne et de participation à une manifestation non autorisée.

Le 27 février, quelque 80 personnes ont été traduites devant un tribunal pour y être jugées. Après que le juge eut relaxé 40 accusés, les audiences ont été suspendues et le ministre de la Justice, Mohammed Barkat Abdillahi, a révoqué le juge et l'a remplacé. Des avocats de la défense ont signalé à Human Rights Watch que le nouveau juge s'était empressé de reconnaître coupables 25 accusés et les avait condamnés à des peines d'emprisonnement. Deux d'entre eux ont besoin de soins médicaux mais se sont vu refuser la visite d'un médecin. D'autres sont toujours incarcérés. Selon la Ligue Djiboutienne des Droits Humains (LDDH), principale organisation de défense des droits humains à Djibouti, ces détenus comptent parmi un total de 71 prisonniers politiques à Djibouti.

L'opposition avait prévu des actions de protestation chaque vendredi jusqu'à l'élection. Cependant, aucune manifestation n'a eu lieu le 25 février en raison d'une présence policière massive sur la place située près du stade national, lieu des manifestations précédentes, et dans la rue menant à la place. Le 3 mars, le ministre de l'Intérieur, Yacin Elmi Bouh, a refusé d'octroyer une autorisation de manifester le lendemain, invoquant les violences du 18 février.

Le 2 mars, le gouvernement a expulsé du pays Democracy International (DI). Cette organisation, qui envoie des missions internationales d'observation électorale et est financée par l'agence américaine pour le développement international USAID, avait fourni des experts au gouvernement djiboutien pour l'assister dans la préparation du scrutin. L'ordre d'expulsion accusait DI d'être une « organisation illégale » appuyant les activités « séditieuses » de l'opposition.

Le harcèlement de l'opposition se poursuit à l'approche du scrutin présidentiel, a déclaré Human Rights Watch. Le 11 mars, les autorités ont appréhendé quatre dirigeants de partis politiques et les ont emmenés comme par enchantement hors de la ville quelques heures avant la tenue d'une manifestation qu'ils avaient prévue plus tard dans la journée. Rien ne semble indiquer que le gouvernement avait obtenu des mandats d'arrestation. Les quatre dirigeants ont été libérés en début de soirée ; aucune manifestation n'a eu lieu en leur absence.

Les partis de l'opposition politique, faisant valoir que le gouvernement Guelleh a rendu impossible la tenue de tout scrutin démocratique, ont choisi de ne pas présenter de candidats à l'élection présidentielle, se livrant de fait à un boycott. Le gouvernement s'est servi de cette décision comme excuse pour refuser de délivrer des permis autorisant la tenue de rassemblements devant le siège de l'opposition le 25 mars. Même si les rassemblements étaient destinés à attirer l'attention sur ce que l'opposition considère être des politiques contestables plutôt qu'à soutenir un candidat, le Ministère de l'Intérieur a déclaré que seuls les partis présentant des candidats pouvaient organiser des rassemblements publics au cours des deux semaines de cycle électoral.

L'interdiction générale frappant les manifestations enfreint l'article 15 de la constitution djiboutienne, qui protège le droit à la liberté d'expression. Elle viole également les articles 19 et 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel Djibouti est un État partie, qui consacrent le droit à la liberté d'expression et le droit de réunion pacifique.

« Le harcèlement constant et les menaces répétées à l'encontre des leaders de l'opposition, ainsi que le refus de délivrer des autorisations de manifester, constituent des abus de pouvoir flagrants », a souligné Rona Peligal. « Manifester pacifiquement est un droit fondamental inhérent à toute société démocratique. »

Contexte
Depuis l'indépendance de Djibouti en 1977, la présidence du pays est assumée par une dynastie politique. En 1999, le Président Guelleh a succédé à son oncle, seule autre personne à avoir occupé la fonction de président. Guelleh a été réélu en 2005, alors que les partis de l'opposition boycottaient le scrutin, soutenant qu'ils n'auraient pu avoir librement accès à l'électorat et que le système électoral permettait aisément de frauder.

En avril 2005, immédiatement après sa réélection, Guelleh a déclaré au quotidien français Le Monde qu'il ne serait pas favorable à un amendement constitutionnel l'autorisant à assumer un troisième mandat. En 2008, la coalition de Guelleh a remporté tous les sièges au parlement djiboutien, après un nouveau boycott des élections par les partis d'opposition, ces derniers invoquant le caractère antidémocratique du système. En avril 2010, le parlement a modifié la constitution, abolissant la limitation du nombre de mandats.

À la suite de la décision de l'opposition de ne pas présenter de candidats contre Guelleh lors du prochain scrutin, seul un autre candidat reste en lice pour la présidentielle, l'ancien président de la Cour constitutionnelle, Mohammed Warsama Raguah.

Fin 2010, DI a publié un rapport recommandant vivement au gouvernement de mettre sur pied une commission électorale indépendante et de réformer par ailleurs un système électoral opaque afin de répondre aux normes internationales minimales. Aucune des recommandations de DI n'a été mise en œuvre.

Djibouti ne possède pas de médias indépendants. C'est le gouvernement qui dirige le seul journal, la seule station de radio et la seule chaîne de télévision du pays. Un journal indépendant,  Le Renouveau, a été fermé en 2007 après que son rédacteur en chef eut été poursuivi en justice pour diffamation et eut fui le pays.

La LDDH, dirigée par Jean-Paul Noël Abdi, est la principale organisation de défense des droits humains à Djibouti. Noël Abdi a été arrêté à de nombreuses reprises en raison de son travail en faveur des droits humains. Il est actuellement inculpé de participation présumée à un mouvement insurrectionnel et encourt jusqu'à 15 ans de réclusion criminelle. Human Rights Watch n'a obtenu aucun élément crédible démontrant une quelconque implication de Noël Abdi dans un mouvement insurrectionnel. Noël Abdi a été remis en liberté pour raisons de santé, mais l'inculpation à son encontre n'a pas été levée.

Les gouvernements français et américain disposent de bases militaires à Djibouti et fournissent une assistance importante au gouvernement djiboutien. Ni l'un ni l'autre n'ont condamné publiquement les récents événements et la détérioration de la situation des droits humains dans le pays.

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