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Rwanda : Un pas important vers la justice pour le génocide

L’un des principaux suspects a été arrêté en France

Félicien Kabuga. © Source : Département d’État américain

(Paris) – L’arrestation en France le 16 mai 2020 de Félicien Kabuga, l’un des cerveaux présumés du génocide au Rwanda, est un pas important vers la justice pour les victimes et les survivants 26 ans plus tard. Félicien Kabuga a été inculpé par un tribunal international jugeant les crimes de guerre pour génocide et crimes connexes perpétrés pendant le génocide de 1994, et vivait en France sous une fausse identité au moment de son arrestation.

« L’arrestation de Félicien Kabuga est une victoire importante pour les victimes et les survivants du génocide au Rwanda qui ont attendu plus de deux décennies pour voir cette figure majeure faire face à la justice », a déclaré Mausi Segun, directrice de la division Afrique de Human Rights Watch. « Les personnes impliquées dans de brutales atrocités devraient prendre note du fait que la loi peut rattraper tout le monde, même ceux qui semblent intouchables. »

Félicien Kabuga est en fuite depuis 1997, année où il a été pour la première fois inculpé par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Félicien Kabuga doit être jugé par le Mécanisme international appelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux (IRMCT), qui a été mis en place pour gérer les fonctions restantes du TPIR et du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie après que ces tribunaux ont été fermés. Le Mécanisme comprend deux divisions, l’une à Arusha en Tanzanie et l’autre à La Haye aux Pays-Bas.

Félicien Kabuga était proche du président rwandais Juvénal Habyarimana, qui est mort lorsque l’avion qui le transportait lui et le président burundais Cyprien Ntaryamira a été abattu au-dessus de la capitale rwandaise, Kigali, le 6 avril 1994. Le crash a marqué le début de trois mois de meurtres ethniques dans tout le Rwanda à une échelle sans précédent. Félicien Kabuga était l’un des principaux financeurs de la Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM), qui a commencé à émettre en avril 1993.

Entre avril et juillet 1994, des extrémistes politiques et militaires hutus ont orchestré le meurtre des trois quarts environ de la population tutsie du Rwanda, faisant plus d’un demi-million de morts. De nombreux Hutus qui ont tenté de cacher ou de protéger des Tutsis et ceux qui s’opposaient au génocide ont aussi été tués.

À la mi-juillet 1994, le Front patriotique rwandais (FPR), un groupe rebelle principalement tutsi basé en Ouganda qui luttait pour renverser le gouvernement rwandais depuis 1990, a pris le contrôle du pays. Ses troupes ont tué des milliers de civils en majorité hutus, même si l’ampleur et la nature de ces meurtres n’étaient pas comparables à celles du génocide.

Human Rights Watch a documenté le génocide et les crimes du FPR de 1994 en détail. Alison Des Forges, conseillère senior de la division Afrique de Human Rights Watch pendant près de deux décennies et éminente spécialiste du Rwanda, a publié un ouvrage de référence sur le génocide intitulé « Aucun témoin ne doit survivre ».

« La RTLM, qui avait incité au génocide avant le 6 avril, transmit les ordres d’exécution des tueries à partir de cette date », expliquait Alison Des Forges dans son ouvrage. « Elle appelait la population à ériger des barrières et à procéder à des fouilles, elle désignait les cibles et précisait les zones à attaquer. […] Ce moyen de communication était si important que les responsables demandaient aux citoyens d’écouter la radio en permanence, pour connaître les instructions du gouvernement intérimaire. »

Avec Human Rights Watch, Alison Des Forges a aussi documenté comment Félicien Kabuga a été impliqué dans la commande des milliers de machettes importées en 1993 et au début de l’année 1994, et a financé l’entraînement militaire de la milice de jeunes Interahamwe associée au parti de Juvénal Habyarimana, le Mouvement révolutionnaire national pour le Développement (MRND).

Le Conseil de sécurité des Nations Unies a créé le TPIR, basé à Arusha, en 1994 en réponse au génocide. Le tribunal a inculpé 93 personnes, a reconnu coupables et condamné 61 d’entre elles et en a acquitté 14. Il était censé juger principalement les suspects de haut rang et ceux qui ont joué un rôle majeur dans le génocide. Il a jugé et condamné plusieurs figures éminentes pour des crimes commis pendant le génocide, y compris l’ancien Premier ministre Jean Kambanda ; l’ancien chef d’état-major de l’armée, le général Augustin Bizimungu ; et l’ancien directeur de cabinet du ministère de la Défense, le colonel Théoneste Bagosora.

Le tribunal a réalisé des avancées notables et établi une jurisprudence dans le droit pénal international. Il a été le premier tribunal international à condamner une femme pour crimes de génocide, y compris le viol, et la première Cour internationale depuis le tribunal de Nuremberg en 1946 à condamner des responsables de médias pour crimes de génocide.

Cependant, le tribunal était soumis à des limites intrinsèques et a attiré les critiques. Le tribunal a traité un nombre relativement faible d’affaires et a eu des coûts de fonctionnement élevés. Les procès étaient souvent très longs et ralentis par des procédures bureaucratiques. Certains Rwandais ont critiqué le tribunal, mentionnant le manque de réparations pour les victimes et sa localisation hors du Rwanda, et se sont plaints du fait que les prisonniers étaient autorisés à parler aux médias.

Le refus du tribunal de juger les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis par le FPR en 1994 a été une lacune considérable du TPIR, a indiqué Human Rights Watch.

L’IRMCT, créé en 2010, a pour fonction de rechercher les derniers fugitifs inculpés par le tribunal, qui sont au nombre de sept. Il a conservé une compétence sur Félicien Kabuga ainsi que sur Augustin Bizimana, et Protais Mpiranya, tous deux en fuite. Cinq autres fugitifs doivent être jugés par les autorités rwandaises.

Le système judiciaire rwandais a aussi jugé un grand nombre de personnes suspectées de génocide, à la fois devant les tribunaux nationaux conventionnels et devant les tribunaux gacaca communautaires locaux. Les normes de ces procès ont varié considérablement et les interférences et les pressions politiques ont conduit à certains procès inéquitables. D’autres affaires se sont déroulées avec un plus grand respect de la procédure régulière. Les procès des tribunaux gacaca ont pris fin en 2012.

Les responsables judiciaires du mécanisme résiduel ont souligné la coopération avec la France, où Félicien Kabuga vivait secrètement avec sa famille au moment de son arrestation, et avec plusieurs autres gouvernements pour permettre son arrestation après tant d’années. Le ministère français de la Justice a indiqué dans un communiqué que Félicien Kabuga « avait impunément séjourné en Allemagne, en Belgique, au Congo-Kinshasa [République démocratique du Congo], au Kenya ou en Suisse ».

« L’arrestation des suspects peut être l’un des principaux défis auxquels sont confrontés les tribunaux internationaux pour rendre justice pour les crimes d’atrocités, car ils ne disposent pas de leurs propres forces de police », a conclu Mausi Segun. « Des questions sont toujours en suspens pour savoir comment Félicien Kabuga a réussi à échapper à la justice pendant plus de deux décennies, mais la coopération entre les gouvernements a permis aux victimes et aux rescapés de le voir enfin faire face à la justice, et elle devrait être renouvelée pour garantir l’arrestation d’autres fugitifs responsables de crimes de guerre internationaux. »

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