Skip to main content

CPI : La Jordanie a manqué à son devoir d’arrêter le Président soudanais Omar el-Béchir

La Chambre d’appel de la Cour pénale internationale a statué que les États ont l’obligation d’arrêter les dirigeants visés par un mandat d’arrêt

Omar el-Béchir salue ses partisans lors d’un rassemblement à Khartoum, au Soudan, le 9 janvier 2019. Il a été évincé du pouvoir trois mois plus tard, le 11 avril 2019. © 2019 Mahmoud Hjaj/AP Photo

(Genève) – Le 6 mai 2019, la Cour pénale internationale (CPI) a confirmé que la Jordanie avait manqué à ses obligations juridiques internationales de procéder à l’arrestation du président soudanais Omar el-Béchir lors d’une visite effectuée par ce chef d’État en 2017, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. La Chambre d’appel de la CPI a conclu qu’un chef d’État en exercice ne bénéficie pas de l’immunité pour des crimes graves présumés, même s’il dirige un pays qui n’a pas encore rejoint la CPI.

El-Béchir, qui a été destitué le 11 avril 2019 après quatre mois de protestations massives à travers tout le Soudan, est visé par un mandat d’arrêt de la CPI pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre présumés dans le cadre de la campagne contre-insurrectionnelle violente menée par Khartoum dans la région du Darfour. Ce conflit a provoqué la mort de plus de 300 000 personnes et le déplacement de plusieurs millions d’autres. La décision rendue aujourd’hui était relative à une visite officielle en Jordanie, État partie au Statut de Rome de la CPI, lors d’un sommet de la Ligue arabe qui s’est tenu en mars 2017.

« Dans une importante décision, la CPI a conclu que les dirigeants sous le coup de chefs d’accusation émis par cette juridiction ne sont pas à l’abri d’une arrestation », a déclaré Elise Keppler, directrice adjointe du programme Justice internationale à Human Rights Watch. « Cette décision contribue à garantir que les victimes d’atrocités de masse ont accès à la justice, même lorsque les plus hauts responsables gouvernementaux sont impliqués dans des crimes. »

Le Soudan n’est pas partie au Statut de Rome de la CPI, mais en 2005, le Conseil de sécurité de l’ONU a renvoyé la situation au Darfour à la Cour. Le procureur de la CPI a ouvert une enquête et des mandats d’arrêt ont été émis en 2009 et 2010 contre el-Béchir. Au moment de sa visite, la Jordanie avait déclaré ne pas être contrainte d’arrêter el-Béchir compte tenu de son statut de dirigeant d’un État non membre de la CPI.

Les cinq juges de la Chambre d’appel ont confirmé à l’unanimité la décision de la Chambre préliminaire II, selon laquelle la Jordanie était tenue d’arrêter el-Béchir lorsque celui-ci se trouvait sur son territoire. Ils ont estimé qu’il n’y avait pas d’immunité pour les chefs d’État vis-à-vis d’un tribunal internationale compétente. En conséquence, les juges ont conclu à l’absence préalable d’une notion d’immunité pour les chefs d’État – qui protège les dirigeants sur un sol étranger contre le risque d’arrestation – qui aurait dû être levée.

La Chambre d’appel a en outre estimé que la résolution du Conseil de sécurité qui a renvoyé le Darfour à la CPI exige également que le Soudan coopère pleinement avec elle. Les juges ont estimé que cette obligation impose à Khartoum de veiller à ce que toute immunité éventuelle ne fasse pas obstacle au fonctionnement de cette juridiction.

La Chambre d’appel a statué que la Jordanie était également tenue d’arrêter el-Béchir, le royaume hachémite et le Soudan étant tous deux parties à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, qui fait obligation à ses signataires de prévenir et punir le crime de génocide, l’un des chefs d’accusation qui pèse sur el-Béchir.

La Chambre d’appel a en outre conclu, à la majorité, que la Chambre préliminaire avait utilisé à tort son pouvoir discrétionnaire en référant la non-coopération de la Jordanie à l’Assemblée des Etats parties et au Conseil de sécurité de l’ONU, sur la base d’une conclusion erronée selon laquelle la Jordanie n’avait pas demandé la tenue de consultations avec la Cour.

Le Soudan a, à plusieurs reprises, fait obstruction à l’enquête de la CPI au Darfour et quatre autres individus sont toujours visés par un mandat d’arrêt de la Cour pour des crimes présumés commis au Darfour.

Lors de sa présidence, el-Béchir avait cherché à maintenir sa légitimité – et à bafouer la CPI – en se rendant à l’étranger alors qu’il était visé par un mandat d’arrêt. Il a été reçu par certains pays, membres et non membres de la CPI, tandis que d’autres ont clairement indiqué qu’il n’était pas le bienvenu sur leur territoire ou reprogrammé des réunions pour éviter sa présence. Des organisations non gouvernementales en Afrique et dans le reste du monde ont fait campagne pour obtenir sa reddition.

Le 17 avril, les médias ont indiqué qu’el-Béchir était détenu dans la prison de Kober à Khartoum, la capitale soudanaise. Le conseil militaire de transition, qui a pris le contrôle du pays, a déclaré qu’il ne livrerait pas el-Béchir à la CPI, mais que celui-ci pourrait être jugé au Soudan ou qu’un futur gouvernement civil pourrait le faire. Human Rights Watch a exhorté le conseil militaire de transition à remettre rapidement el-Béchir à la CPI.

La Chambre d’appel de la CPI a entendu les plaidoiries du 10 au 14 septembre 2018. Les procureurs de la CPI enquêtent sur el-Béchir depuis 2005, lorsque le Conseil de sécurité avait saisi cette juridiction de la situation au Darfour. Deux mandats d’arrêt non exécutés visant el-Béchir sont liés à l’enquête sur cinq chefs d’accusation de crimes contre l’humanité, sur deux chefs de crimes de guerre et sur trois chefs de génocide. La CPI avait précédemment constaté que des États parties au statut de Rome, notamment l’Afrique du Sud, le Tchad, l’Ouganda, le Malawi et Djibouti, avaient manqué à leurs obligations de membres de la CPI en ne procédant pas à l’arrestation d’el-Béchir au moment de ses visites officielles dans ces pays.

« Qu’il soit président ou prisonnier au Soudan, el-Béchir reste un fugitif de la CPI pour les crimes les plus graves commis au Darfour », a conclu Élise Keppler. « El-Béchir devrait être livré à la CPI pour répondre des accusations portées contre lui. »

--------------------

Tweets

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.