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Soudan : Il faut tenir compte des appels à la justice

Omar el-Béchir et d’autres responsables d’atteintes aux droits humains devraient être traduits en justice

Omar el-Béchir salue ses partisans lors d’un rassemblement à Khartoum, au Soudan, le 9 janvier 2019. Il a été évincé du pouvoir trois mois plus tard, le 11 avril 2019. © 2019 Mahmoud Hjaj/AP Photo

(Nairobi) – Le conseil militaire de transition du Soudan devrait respecter ses engagements en faveur des droits humains et de la justice pour les crimes passés en transférant Omar el-Béchir, le président destitué, et d’autres fugitifs soudanais à la Cour pénale internationale (CPI). Les États parties à la CPI devraient accentuer la pression sur le conseil pour le transfert d’Omar el-Béchir et d’autres auteurs présumés de crimes de guerre au tribunal de La Haye sans plus tarder.

Le 17 avril 2019, les médias ont rapporté qu’Omar el-Béchir était détenu dans la prison de Kobar, à Khartoum. Le conseil militaire de transition a indiqué qu’il ne livrerait pas Omar el-Béchir pour qu’il soit jugé à la CPI, mais qu’il pourrait le juger dans son pays ou que le prochain gouvernement civil pourrait le faire.

« La nouvelle de la détention d’Omar el-Béchir donne une autre tournure aux événements qui se déroulent au Soudan et renforce les appels des manifestants à la justice et à la responsabilisation », a déclaré Jehanne Henry, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les États parties à la CPI devraient user de toute leur influence à Khartoum pour obtenir le transfert des fugitifs de la CPI vers le tribunal de La Haye et devraient prendre des mesures pour répondre aux décennies de répression et d’abus. »

Depuis que le conseil a pris le contrôle, les autorités ont libéré de nombreux détenus, y compris des étudiants du Darfour détenus sans chef d’inculpation depuis les manifestations de décembre 2018, et se sont, pour l’essentiel, abstenues de disperser les manifestations avec violence. Mais les autorités doivent encore exposer clairement leurs plans pour traduire en justice les principales figures qui ont supervisé les crimes graves perpétrés au Darfour, au Kordofan du Sud et ailleurs, ou le meurtre de manifestants.

Les manifestations se sont poursuivies, avec des appels à un transfert de pouvoir immédiat à un gouvernement civil, ainsi que pour demander l’arrestation de tous les dirigeants du parti du Congrès national (National Congress Party, NCP) qui était au pouvoir et des anciens dirigeants de l’agence nationale de sécurité soudanaise, le National Intelligence and Security Service (NISS). Les manifestants ont aussi appelé à la justice pour diverses violations des droits humains, y compris les meurtres de manifestants, les atrocités au Darfour et à Port-Soudan, et d’autres crimes commis par le gouvernement d’Omar el-Béchir.

Des manifestations ont eu lieu dans les principales villes soudanaises depuis la mi-décembre, à la fois en réaction au ralentissement économique du Soudan et pour mettre fin au pouvoir d’Omar el-Béchir. Les forces de sécurité soudanaises ont réprimé violemment ces manifestations, faisant usage d’une force létale excessive pour tuer des dizaines de manifestants et embarquant des centaines, possiblement des milliers, de personnes en vue de leur arrestation et leur détention.

Des observateurs soudanais sur le terrain estiment que plus de 100 manifestants ont été tués, dont bon nombre depuis le 6 avril, lorsque des manifestants ont convergé vers le quartier général de l’armée à Khartoum pour provoquer la destitution d’Omar el-Béchir. Les médias ont signalé qu’au Darfour au moins neuf personnes ont été tuées dans les opérations de répression au cours de la semaine dernière.

Omar el-Béchir a été destitué le 11 avril, lorsque le vice-président et ministre de la Défense en fonction, Awad Ibn Ouf, a dissous le gouvernement du Soudan, a suspendu sa constitution et a annoncé qu’un conseil militaire serait installé au pouvoir pour une période transitoire de deux ans. Il a déclaré qu’Omar el-Béchir était placé en résidence surveillée dans un « lieu sûr ». Le lendemain, Awad Ibn Ouf, qui figure parmi les responsables soudanais faisant l’objet de sanctions imposées par le gouvernement américain pour les crimes commis au Darfour, a démissionné et a été remplacé par Abdel Fattah al-Burhan, inspecteur général des forces armées et commandant des forces soudanaises combattant dans l’intervention militaire de la coalition sous commandement saoudien au Yémen.

Salah Gosh, responsable de la draconienne agence de sécurité soudanaise NISS, a aussi démissionné. Il a dirigé le NISS de 2004 à 2009 et à nouveau de 2018 à 2019. Il a supervisé les forces qui ont réprimé avec une violence létale plusieurs manifestations, y compris au cours des derniers mois et en septembre 2013 quand les forces de sécurité ont ouvert le feu sur des manifestants tuant plus de 170 personnes dans les rues de Khartoum, d’Omdurman et d’autres villes.

Le 13 avril, dans un discours prononcé en tant que chef du conseil militaire, Abdel Fattah al-Burhan a levé le couvre-feu imposé par Omar el-Béchir et s’est engagé en faveur du respect des droits humains, de la responsabilisation pour la corruption et de la justice pour les meurtres de manifestants et les autres violations des droits humains, entre autres promesses. Il a déclaré que certains membres du NCP, ancien parti au pouvoir, avaient été arrêtés. Depuis, le conseil a limogé plusieurs hauts responsables, y compris le procureur général.

Cependant, le conseil a nommé Mohamed Hamdan Dagalo, alias « Hemeti », commandant des Forces de soutien rapide (Rapid Support Forces, RSF) abusives, en tant qu’adjoint d’Abdel Fattah al-Burhan. Human Rights Watch et d’autres ont documenté les crimes graves commis par les RSF au Darfour et dans les zones de conflit dans les États du Kordofan du Sud et du Nil Bleu depuis 2013. Les RSF font aussi partie de la coalition militaire sous commandement saoudien au Yémen. Le rôle d’Hemeti en tant que chef adjoint du conseil militaire de transition ne devrait pas lui conférer une immunité pour les crimes commis par les forces qu’il commandait, a ajouté Human Rights Watch.

Human Rights Watch a documenté de graves violations des droits humains et des crimes de guerre potentiels au Darfour, dans le Kordofan du Sud et le Nil Bleu, ainsi que des incidents récurrents de répression dans le pays, y compris le meurtre de manifestants.

Omar el-Béchir est poursuivi par la CPI pour les chefs d’accusation de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre sur la base des attaques contre des civils au Darfour remontant à 2002, inclus dans un mandat d’arrêt émis en 2009 et un second mandat émis en 2010.

Des mandats d’arrêt de la CPI visant quatre autres suspects soudanais sont en suspens. Ces mandats concernent Ahmed Haroun, qui était le dirigeant par intérim du NCP et l’ancien gouverneur de l’État du Kordofan du Sud ; Abdulraheem Mohammed Hussein, ancien ministre de la Défense ; Ali Kosheib, un leader de milice ; et Abdallah Banda Abakaer, leader du mouvement pour la justice et l’égalité (Justice and Equality Movement, JEM), un groupe rebelle au Darfour.

Le 31 mars 2005, le Conseil de sécurité des Nations Unies a mandaté la Procureure de la CPI pour enquêter sur les crimes au Darfour en vertu de la résolution 1593. Le Soudan n’est pas membre de la CPI.

« Les événements dramatiques au Soudan laissent présager de nouvelles ouvertures pour rendre justice aux victimes des répressions violentes des manifestations et d’autres crimes commis contre les civils au cours des trois dernières décennies », a conclu Jehanne Henry. « Le conseil militaire de transition devrait mettre en œuvre ses promesses en remettant Omar el-Béchir et les autres personnes faisant l’objet de mandats d’arrêt de la CPI à la Cour immédiatement et en menant des enquêtes et en ouvrant des procédures judiciaires pour les autres abus. »

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