(Jérusalem, le 20 novembre 2018) – La décision prise par Airbnb de cesser d’inclure sur sa plateforme de location des propriétés situées dans des colonies israéliennes illégales en Cisjordanie occupée est une mesure positive dont d’autres compagnies proposant des services similaires devraient s’inspirer, ont déclaré Human Rights Watch et Kerem Navot à l’occasion de la publication d’un rapport sur les activités d’Airbnb et de Booking.com dans ces colonies.
Le rapport de 65 pages, intitulé « Bed and Breakfast on Stolen Land: Tourist Rental Listings in West Bank Settlements » (« Chambres d’hôtes sur terres volées : Locations touristiques dans les colonies de peuplement de Cisjordanie »), décrit le statut de terres sur lesquelles des biens immobiliers ont été construits. Human Rights Watch et Kerem Navot ont évalué la manière dont Airbnb et Booking.com contribuent à rendre les colonies viables économiquement, et tirent profit des graves violations des droits humains et pratiques discriminatoires profondément enracinées qui en découlent. Les Israéliens et les étrangers peuvent louer des propriétés dans des colonies de peuplement, mais les détenteurs de cartes d’identité palestiniennes sont de faits interdits : il s’agit de la seule situation au monde aujourd’hui dans laquelle les deux organisations coauteurs du rapport ont déterminé que les hôtes Airbnb n’ont pas d’autre choix que de refuser des clients en fonction de leur nationalité ou ethnicité.
« En supprimant ses locations dans des colonies de peuplement illégales qui ferment leurs portes aux Palestiniens, Airbnb a pris position contre la discrimination, les déplacements involontaires et le vol de terres », a déclaré Arvind Ganesan, directeur de la division Entreprises et droits humains au sein de Human Rights Watch. « La poursuite des activités commerciales de Booking.com et d’autres compagnies dans ces colonies continue toutefois de renforcer le régime discriminatoire en Cisjordanie, avec ses deux classes d’habitants. »
La politique antidiscriminatoire d’Airbnb interdit la discrimination fondée sur la citoyenneté dans le cadre de ses activités aux États-Unis et dans l’Union européenne, mais elle le permet ailleurs, lorsque la législation interne l’autorise. En Cisjordanie, Airbnb avait souscrit à une politique selon laquelle un propriétaire terrien palestinien ne peut même pas louer une maison construite sur son propre terrain, sans parler de l’utilisation de ses propres terres aux fins de développement immobilier.
Afin de s’acquitter de leurs responsabilités au titre des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, Human Rights Watch et Kerem Navot estiment que Booking.com devrait suivre l’exemple d’Airbnb et cesser de référencer sur son site les locations de biens immobiliers situées dans les colonies de peuplement.
Les deux organisations ont examiné les cadastres israéliens et palestiniens, visité trois colonies de peuplement référencées sur Airbnb et demandé à 12 hôtes hébergés par Airbnb et Booking.com de s’entretenir avec elles. Human Rights Watch et Kerem Navot se sont également rendues dans plusieurs villages palestiniens proches des propriétés concernées dans les colonies, et entretenues avec cinq responsables, deux avocats et sept résidents dont les terres avaient été acquises par des colons. Le rapport reflète également les réponses reçues de la part d’Airbnb et Booking.com.
Entre mars et juillet 2018, Airbnb a référencé au moins 139 propriétés situées dans des colonies de peuplement, à l’exclusion de Jérusalem-Est. Booking.com en avait listé 26 au mois de juillet 2018. Dix-sept se trouvent sur des terres israéliennes dont les autorités israéliennes ont reconnu qu’elles appartenaient à des Palestiniens, mais a été confisquée pour l’usage exclusif d’Israéliens. Onze se trouvent dans des colonies établies en l’absence d’autorisation de l’armée israélienne, ce qui les rend également illégales en vertu de la loi israélienne. Toutes les colonies de peuplement israéliennes dans les territoires palestiniens occupés sont illégales au regard du droit international humanitaire.
Airbnb et Booking.com listent par exemple des locations dans la colonie d’Ofra, située au nord-est de Ramallah. Une location Airbnb se trouve sur une parcelle que l’Administration civile israélienne – la branche militaire israélienne chargée de la gestion des affaires civiles en Cisjordanie –, classe comme propriété de la famille d’Awni Shaaeb, un résident âgé de 70 ans du village palestinien voisin de Ein Yabroud. Shaaeb a déclaré à Human Rights Watch que les colons israéliens avaient commencé à s’emparer des terres en 1975 pour établir Ofra. Les photos aériennes obtenues par Kerem Navot montrent que des biens locatifs, désormais référencées sur Airbnb, ont été construits sur son terrain en 2006 ou 2007.
Awni Shaaeb a déclaré qu’il n’avait jamais eu la possibilité de consentir à la location sur son terrain ou à en tirer profit. Bien que citoyen américain ayant vécu aux États-Unis pendant plus de trois décennies, Shaaeb ne peut pénétrer à Ofra pour se rendre sur la propriété en location, car il est détenteur d’une carte d’identité palestinienne. « Quand quelqu’un occupe vos terres, c’est illégal », a-t-il déclaré. « Quand quelqu’un construit sur vos terres, met un bien en location et en tire profit, c’est l’injustice même. »
En outre, 81 autres propriétés figurant sur les sites d’Airbnb et de Booking.com sont situées sur des terres déclarées comme publiques par Israël, dans le cadre d’un système qui inclut toutefois souvent dans la pratique des terres palestiniennes privées. Les autorités israéliennes distribuent ces terres « publiques » aux civils israéliens en Cisjordanie, en violation du droit international humanitaire. Ce faisant, elles exercent également une discrimination à l’égard des Palestiniens, puisque 99,75% des terrains constructibles situés sur 60 % du territoire de la Cisjordanie placée sous contrôle direct d’Israël sont réservés aux civils israéliens et à peine 0,25 % aux Palestiniens.
En juillet 2018, 76 locations d’Airbnb et Booking.com en Cisjordanie occupée étaient référencées à tort comme se trouvant en Israël.
« Airbnb et Booking.com référencent des propriétés non seulement dans des colonies de Cisjordanie qui sont illégales en vertu du droit international humanitaire, mais également dans des avant-postes reculés qui sont en outre illégaux en vertu du droit israélien, certains classés à tort en Israël », a déclaré Dror Etkes, directeur de Kerem Navot. « Les clients qui pensent réserver un séjour en Israël peuvent très bien se retrouver en vacances dans une colonie de peuplement illégale en Cisjordanie. »
Contacté par Human Rights Watch, le directeur des politiques mondiales d’Airbnb a répondu que la compagnie ne tient pas ses hôtes pour responsables des restrictions d’accès imposées par les autorités gouvernementales, comparant la situation à celle dans laquelle un gouvernement refuserait un visa à un touriste.
Les Palestiniens, cependant, ne sont pas des étrangers, mais forment la population locale dont les lois de l’occupation sont censées protéger les intérêts et le bien-être. En lieu et place, ils se retrouvent déplacés et victimes de discriminations.
Booking.com a déclaré ne fournir qu’une plate-forme pour la mise à disposition de propriétés, un service qui n’implique pas de soutien aux colonies de peuplement. Cependant, cette activité contribue à la viabilité économique des colonies et à la perception de leur légitimité. Aucune des deux sociétés ne peut atténuer les graves violations des droits inhérentes à l’entreprise de colonisation ni éviter d’y contribuer, car leurs activités se déroulent sur des terres saisies illégalement et dans des conditions de discrimination qui les empêchent effectivement de louer des propriétés à des résidents palestiniens de Cisjordanie.
Les deux sociétés ont partiellement corrigé le libellé de locations supposées se trouver en Israël. Toutefois, même si toutes ces locations étaient correctement référencées, Airbnb et Booking.com ne respecteraient toujours pas leurs obligations au titre des Principes directeurs de l’ONU. Human Rights Watch et Kerem Navot estiment que le seul moyen pour Airbnb et Booking.com de respecter leurs obligations en matière de droits humains est de cesser de référencer des propriétés situées dans les colonies de peuplement.
« Aucune compagnie ne peut s’ériger en exemple à suivre en matière de justice sociale ou de lutte contre la discrimination tout en tirant profit d’annonces pour des locations situées sur des terres volées à des personnes sous occupation qui sont elles-mêmes empêchées d’y séjourner », a conclu Arvind Ganesan. « La promesse d’Airbnb selon laquelle vous pouvez ‘‘être chez vous partout’’ a longtemps exclu les Palestiniens de Cisjordanie. »
Extraits d’annonces de locations dans des colonies israéliennes illégales en Cisjordanie
« On nous demande souvent : Jérusalem-Ouest ou Est? Réponse: Ouest. Il n’y a pas d’Arabes [sic] ici. »
- Annonce Airbnb à Jérusalem-Est occupée
«Vous recherchez une expérience personnalisée en Israël hors des sentiers battus? ... Située dans la ‘‘Galilée de Jérusalem’’, au milieu de vignobles, de vergers et de sources naturelles… nous accueillons des couples pour des nuitées, des événements sur mesure dans des logements d’inspiration hôtel-boutique et des ateliers uniques en leur genre. »
- Annonce Airbnb dans un avant-poste israélien, illégal en vertu des lois internationales et israéliennes
« Cette villa climatisée possède quatre chambres, une télévision à écran plat avec chaînes câblées et une cuisine équipée d’un lave-vaisselle et d’un four… Vous pourrez également profiter d’un bain à remous. Un service de location de voitures est disponible sur ce site. »
- Annonce sur Booking.com
« L’un des projets immobiliers les plus récents à Jérusalem et vous trouverez de très nombreuses familles locales dans la région. Il y a des parcs tout autour et des voisins juifs amicaux à chaque tournant. »
- Annonce sur Airbnb
« Des logements dans le style hôtel-boutique en plein cœur d’Israël. »
- Annonce sur Airbnb
« L’appartement est idéal pour les couples, les gens seuls aventureux, les hommes et femmes d’affaires et les familles (avec enfants)… dans un emplacement idéal pour explorer Israël. »
- Annonce sur Booking.com
« Je propose une petite maison indépendante dans notre beau jardin situé dans une enclave résidentielle protégée des collines de la Judée biblique… une touche personnelle unique, telle que des draps en coton biologique, ou une option petit-déjeuner végétalien ou végétarien. Des produits locaux sont utilisés, y compris fruits et herbes de saison. »
- Annonce sur Airbnb
Dans les médias
Le Monde Times of Israel (FR) 20 Minutes France24 Le Parisien
Tweets
#Israël #Colonies >> #Airbnb mettra fin à ses annonces de locations dans les colonies en #Cisjordanie, considérées illégales selon le droit international. Une mesure saluée par HRW à l'occasion de la publication d'un rapport à ce sujet. https://t.co/PdghUBarUf
— HRW en français (@hrw_fr) 20 novembre 2018
[VIDÉO] #Cisjordanie : Les locations touristiques dans les #colonies aggravent la discrimination contre les Palestiniens. Courte vidéo tournée avant le retrait d’Airbnb de cette région. https://t.co/x4BDyjnHWb (sous-titres FR)
— HRW en français (@hrw_fr) 20 novembre 2018
La plateforme américaine #Airbnb renonce à proposer des logements à louer dans les colonies israéliennes en Cisjordanie occupée.
— AJ+ français (@ajplusfrancais) 20 novembre 2018
Depuis 2016, @hrw interpellait Airbnb sur ces locations jugées illégales par le droit international. pic.twitter.com/SVpY26c0Wl
Mise à jour 2019
Cisjordanie : Airbnb revient sur sa décision de se retirer des colonies israéliennes https://t.co/wD6ZrJolHG pic.twitter.com/SQNiZJRKXv
— FRANCE 24 Français (@France24_fr) 10 avril 2019
En continuant d’attirer des touristes ds les zones occupées, le site, devient «complice de la violation des droits humains dans les colonies». De fait, si un Palestinien peut réserver un séjour en territoire occupé, il risque de ne pas pouvoir s’y rendre. #israël @goldsteinricky https://t.co/BA7kfHJNAV
— HRW en français (@hrw_fr) 23 avril 2019
L’#UE impose l’étiquetage des marchandises des #colonies #israéliennes. Ceci permettra d’éviter l’achat de produits qui risquent d'être liés à des "violations du droit international humanitaire", a observé @LotteLeicht1 @hrw. https://t.co/Qckw5zvmYR via @Panorapost_ma pic.twitter.com/cdT15AnEeZ
— HRW en français (@hrw_fr) November 13, 2019
#Cisjordanie : les #colonies #israéliennes restent #illégales, selon le Bureau des droits de l’homme de l’#ONU, contredisant ainsi la récente annonce par les États-Unis. HRW partage le point de vue de l'ONU. https://t.co/1UWsIwHKsN via @ONUinfo #HCDH @UNHumanRights
— HRW en français (@hrw_fr) November 20, 2019