- Le fonds souverain d’Arabie saoudite, le Public Investment Fund (PIF), contrôlé par le prince héritier Mohammed ben Salmane, a facilité des violations des droits humains et a tiré profit de divers abus.
- Le prince héritier a utilisé le pouvoir économique de ce fonds pour commettre de graves violations des droits humains et investir dans des événements sportifs internationaux pour redorer son image.
- Les entreprises étrangères devraient procéder à des analyses d'impact en matière de droits humains avant de collaborer avec le fonds et s’abstenir de toute activité susceptible de renforcer la réputation d’entités gouvernementales ou de dirigeants accusés de manière crédible de graves violations des droits humains.
(Beyrouth) – Le fonds souverain de l’Arabie saoudite, le Fonds d’investissement public (Public Investment Fund, PIF), a facilité des violations des droits humains et a tiré profit de divers abus, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.
Le rapport de 95 pages, intitulé « The Man Who Bought The World: Rights Abuses Linked to Saudi Arabia’s Public Investment Fund and Its Chairman, Mohammad bin Salman » (« L’homme qui acheta le monde : Violations des droits humains liées au Fonds d’investissement public de l’Arabie saoudite présidé par Mohammed ben Salmane »), a révélé que l’immense richesse de l’État saoudien provenant des combustibles fossiles est contrôlée de facto par une seule personne, le prince héritier Mohammed ben Salmane. Human Rights Watch a constaté que le prince héritier exerce cet énorme pouvoir économique de manière largement arbitraire et hautement personnalisée plutôt que dans l'intérêt du peuple saoudien, et que le fonds PIF est utilisé pour blanchir les abus de son gouvernement.
« Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane exerce un pouvoir sans contrôle sur le Fonds d’investissement public du pays, d’une valeur de près de mille milliards de dollars », a déclaré Joey Shea, chercheuse sur l’Arabie saoudite à Human Rights Watch. « Le prince héritier a utilisé le pouvoir économique du fonds souverain saoudien pour commettre de graves violations des droits humains et blanchir la réputation du pays entachée par ces abus. »
Les fonds souverains sont des fonds d’investissement gouvernementaux provenant généralement de recettes publiques, d’excédents commerciaux et de réserves, et investis dans le pays concerné ainsi qu’à l’étranger. Dans plusieurs pays, les fonds souverains ont été constitués grâce aux revenus pétroliers.
Le rapport s’appuie sur l'examen de déclarations gouvernementales, de documents judiciaires saoudiens, de lois et décrets gouvernementaux saoudiens, de documents publiés lors de procédures judiciaires au Canada et aux États-Unis, de dossiers et rapports d’entreprises, d'enquêtes et d'analyses menées par des journalistes, des experts financiers et des universitaires, ainsi que des entretiens avec des activistes et des dissidents saoudiens, des journalistes, des experts et des avocats ayant une longue expérience en Arabie saoudite.
Le fonds PIF a bénéficié directement de graves violations des droits humains commises sous l’autorité de son président, le prince héritier Mohammed ben Salmane (parfois surnommé « MBS »). Il s’agit notamment de la répression « anti-corruption » menée par le prince héritier en 2017, marquée par des détentions arbitraires, des mauvais traitements infligés aux détenus et l’extorsion de biens appartenant à des membres de l’élite saoudienne.
Le fonds PIF a aussi facilité, par l’intermédiaire d’entreprises détenues et contrôlées par Mohammed ben Salmane, de graves violations des droits humains dans lesquelles il serait impliqué. Parmi ces violations figure l’assassinat en 2018 du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, l’un des principaux opposants ayant critiqué la répression « anti-corruption ». Sky Prime Aviation, l’une des sociétés transférées au fonds PIF lors de cette vague de répression, était propriétaire des deux avions utilisés en 2018 par des agents saoudiens pour se rendre à Istanbul, où ils ont assassiné Khashoggi.
Mohammed ben Salmane a remanié le cadre de gouvernance du fonds PIF et a concentré un immense degré de contrôle et de surveillance de ce fonds entre ses mains, ce qui lui a permis de diriger unilatéralement d’énormes sommes de la richesse de l’État vers des « mégaprojets » qui ne contribuent guère à la réalisation des droits économiques, sociaux ou culturels en Arabie saoudite.
Les populations les plus marginalisées d’Arabie saoudite – les travailleurs migrants, les communautés rurales et les habitants pauvres et de la classe ouvrière – ont été les premières victimes des abus liés aux projets du fonds. Le capital du fonds PIF a été utilisé pour des projets pour lesquels des résidents ont été expulsés de force, des travailleurs migrants ont été soumis à de graves abus et des communautés ont été réduites au silence.
Human Rights Watch a recueilli des preuves de violations liées à certains des « mégaprojets » phares financés par le fonds PIF, notamment la région NEOM, une zone économique et nouvelle ville futuriste sur les rives de la mer Rouge, ainsi que Jeddah Central, un projet de développement urbain à Djeddah.
Les autorités saoudiennes ont expulsé de force des membres de la tribu Huwaitat, qui habitent depuis des siècles la province de Tabuk, où est prévue la construction de NEOM, ont arrêté ceux qui protestaient contre leurs expulsions et ont tué un habitant qui manifestait. Deux résidents ont été condamnés à 50 ans de prison et trois à la peine de mort pour avoir résisté aux expulsions forcées.
La Jeddah Central Development Company, détenue à 100 % par le fonds PIF et chargée de la réalisation du projet Jeddah Central, a expulsé de force de nombreux Saoudiens des classes moyennes et inférieures, d’étrangers et de travailleurs migrants de leurs logements dans les quartiers ouvriers autrefois dynamiques de Djeddah pour transformer la zone en un quartier commercial et touristique de luxe.
En vertu des normes internationales en matière de droits humains, le gouvernement saoudien devrait progressivement réaliser les droits économiques, sociaux et culturels au maximum des ressources disponibles, y compris celles contrôlées par le fonds PIF. Selon la Commission économique et sociale des Nations Unies pour l’Asie occidentale, l'Arabie saoudite affiche un taux de pauvreté de 13,6 % – le taux le plus élevé parmi les six pays membres du Conseil de coopération du Golfe (Gulf Cooperation Council, CCG) – ce qui signifie que la pauvreté touche près d’« un citoyen sur sept en Arabie saoudite ». Ce chiffre n’inclut pas tous les résidents saoudiens, en particulier les travailleurs migrants qui représentent environ 42 % de la population.
Le fonds PIF, sous la présidence de Mohammed ben Salmane, fonctionne avec peu de transparence et de responsabilité, ce qui suscite des préoccupations quant à la manière dont ces fonds sont investis et gérés dans le respect de ces normes internationales.
L’existence d'une source de revenus centralisée, comme les revenus pétroliers, peut exacerber les abus et la mauvaise gouvernance d’un dirigeant non démocratique ou d’une élite dirigeante en lui fournissant les moyens financiers de consolider son pouvoir et de s’enrichir sans rendre de comptes. Ces problèmes sont clairement présents en Arabie saoudite et augmentent le risque important que Mohammed ben Salmane utilise le fonds PIF pour consolider son autorité de facto en lui fournissant un accès direct et un contrôle sur près de mille milliards de dollars de la richesse saoudienne, a déclaré Human Rights Watch.
Human Rights Watch n’a trouvé aucune preuve que les projets financés par le fonds PIF aient fait progresser les obligations du gouvernement de respecter les droits économiques, sociaux et culturels de la population saoudienne. Le gouvernement saoudien ne définit ni ne divulgue de données de base sur la pauvreté, ni ne fixe de seuil de pauvreté, ce qui laisse penser que le taux de pauvreté est bien plus élevé que celui rapporté par l’ONU, affectant particulièrement les groupes économiquement marginalisés et vulnérables aux abus systématiques en matière de travail.
Les investissements du fonds PIF aux États-Unis, au Royaume-Uni et ailleurs dans le monde ont été utilisés par l'Arabie saoudite comme un outil de pouvoir et d’influence à l'international. Ces investissements, notamment dans des événements sportifs comme le circuit de golf LIV, la Coupe du monde FIFA 2034 et le club de football de Premier League Newcastle United, au Royaume-Uni, constituent un élément central des opérations d’influence de l’Arabie saoudite à l’étranger. Ces investissements visent à obtenir un soutien étranger sans réserve au programme de Mohammed ben Salmane, à diffuser de fausses informations sur le bilan du gouvernement saoudien en matière de droits, à prévenir toute surveillance de la situation, à faire taire les critiques et à saper les institutions qui ont pour mandat d'assurer la transparence et la reddition de compte, a constaté Human Rights Watch.
En tant qu’entité étatique, le fonds PIF a l’obligation de respecter les engagements internationaux de l’Arabie saoudite en matière de droits humains. Les entreprises ont, quant à elles, la responsabilité d’éviter de causer ou de contribuer à des atteintes aux droits humains. Conformément à ces responsabilités, les entreprises devraient procéder à une étude d'impact approfondie et indépendante en matière de droits humains avant toute collaboration avec le fonds PIF et devraient s’abstenir de toute activité susceptible de renforcer la réputation d’entités gouvernementales ou de dirigeants accusés de graves abus récemment et de manière crédible. Lorsque des atteintes graves aux droits humains découlant de la collaboration avec le fonds PIF sont inévitables, les entreprises devraient suspendre cette collaboration.
« Les entreprises ayant des liens avec le Fonds d’investissement public saoudien ont la responsabilité de mettre fin à cette collaboration si de graves violations des droits humains liées au fonds PIF sont inévitables », a conclu Joey Shea.
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