Aide à la personne et justice - Aminetou Mint Ely
Après vingt ans d’activisme où elle a aidé les survivantes de viol en Mauritanie, Aminetou Mint Ely n’a rien perdu du feu sacré qui l’anime.
Toujours vêtue d’une melahfa colorée, l’habit traditionnel porté par certaines Mauritaniennes, Aminetou Mint Ely en impose, qu’elle soit en train d’assister aux procès des femmes qu’elle soutient, de visiter les centres de son organisation, dispersés dans tout le pays, ou de s’adresser à son réseau de travailleurs sociaux.
Quand on la rencontre, il semble presque qu’elle porte en elle les histoires des femmes et des filles qu’elle a aidées, dans la détermination qu’on lit dans ses yeux, dans les traits de son visage et dans la frustration qu’elle ressent de voir que les choses ne changent pas plus vite en Mauritanie.
Son organisation, l’Association des femmes chefs de famille, propose une aide financière pour les soins médicaux, un soutien psychologique et une assistance juridique. Elle aide les survivantes de viol à réintégrer la société, à trouver du travail et à reconstruire leur vie.
Par hasard, le siège de son association se trouve juste en face de la maison d’hôte où Candy Ofime logeait lors de son premier séjour en Mauritanie.
« Elle est venue prendre le petit-déjeuner avec moi », confie la chercheuse de Human Rights Watch. « Sa passion et son expertise sont saisissantes, elle est vite devenue une source d’inspiration. »
L’association n’a pas les moyens de proposer un logement aux femmes et filles qui essaient de fuir la violence et le viol, mais cela n’arrête pas Aminetou Mint Ely, qui les héberge souvent pendant une nuit ou deux, lorsqu’elles n’ont nulle part où aller.
« Son équipe a confiance en elle et cette confiance irradie jusqu’aux survivantes avec qui elle travaille. »
L’activiste, qui n’a jamais été du genre à rester assise dans son bureau, n’hésite pas à affronter les routes en mauvais état et la chaleur saharienne pour sillonner le pays, rendant visite à son réseau de contacts et s’adressant aux gens des communautés rurales, souvent touchés par ces problèmes eux aussi, mais parfois oubliés.
« [Une grande partie des] victimes vient des familles les plus démunies, des communautés les plus pauvres, les plus marginalisées, avec notamment parmi elles des survivantes de l’esclavage ou de ses conséquences », a-t-elle expliqué à Candy Ofime. Son association offre également des cours d’alphabétisation et s’efforce d’aider les femmes à sortir de la pauvreté.
La Mauritanie a été le dernier pays au monde à interdire l’esclavage, l’abolissant seulement en 1981 et le criminalisant en 2007.
Aminetou Mint Ely œuvre également en vue de l’adoption une loi sur les violences fondées sur le genre, qui pourrait conférer aux femmes et aux filles un certain niveau de protection – bien que le zina resterait un crime si l’État se refuse à amender ce projet de loi, qui doit être réévaluer par l’Assemblée Nationale..
« Lorsque quelqu’un commet un viol, il doit répondre de ses actes », conclut l’activiste.
Expression artistique - Amy Sow
Un jour, Aminetou Mint Ely est allée voir l’exposition d’une artiste locale, s’est arrêtée devant les toiles et s’est sentie bouleversée par la force de ces tableaux.
Cette artiste, c’était Amy Sow, une Afro-Mauritanienne qui possède et dirige une galerie d’art à Nouakchott, la capitale mauritanienne.
L’exposition raconte les histoires de victimes de violences fondées sur le genre. Les visiteurs entrent dans une pièce sombre. Des portraits, plus grands que nature, de femmes qui ont été violées ou agressées sont accrochés dans l’obscurité, au-dessus d’informations sur leur agression. Les visiteurs sont munis d’une lampe torche et, pour discerner quoi que ce soit, sont obligés d’éclairer les survivantes, illuminant ainsi leur douleur.
En dehors de l’endroit obscur où sont accrochés les tableaux, la galerie elle-même n’est que lumière, faite de bois, pneus et autres matériaux recyclés. Il s’agit d’une des premières galeries d’art à avoir pour propriétaire et gérante une femme mauritanienne. Amy utilise son espace pour appuyer d’autres artistes et créer un art qui adresse un message.
« Elle est très soucieuse de la façon dont elle peut employer son art », souligne Candy Ofime, qui a rencontré Amy Sow un dimanche, sous une chaleur brûlante, et l’a interviewée assise dans un fauteuil en pneus recyclés, dans la cour verdoyante de la galerie. C’est alors qu’Amy a confié à notre chercheuse qu’elle-même avait survécu à un viol.
« Cela m’a réellement émue », commente Candy Ofime. Ici, comme dans beaucoup de pays, les victimes de viol passent souvent toute leur vie sans jamais en parler à personne.
Vêtue de son foulard habituel, Amy a décrit son exposition comme « en quelque sorte, un cri de femmes » – un moyen, pour les femmes, de dire non à la violence et de réclamer que les criminels soient jugés.
« À mon sens, elle s’efforce de briser le silence sur le sujet en utilisant des outils artistiques », conclut Candy Ofime.
Confiance en soi et autonomie - Dioully Oumar Diallo
Arrivée dans un centre pour la jeunesse, Candy Ofime s’est frayée un chemin au milieu d’une cinquantaine de garçons qui criaient alors qu’il jouaient au football sur un terrain en plein air, descendant plusieurs allées sinueuses, avant de se retrouver dans une pièce minuscule remplie d’adolescentes prêtes au combat.
Dès qu’elle est entrée, l’énergie qui y régnait l’a submergée.
« Certaines filles arrivaient, enlevaient leur vêtements traditionnels, découvrant les vêtements de sport qu’elles portaient en dessous, et voilà, elles étaient prêtes », raconte Candy.
Les filles, de 14 à 18 ans pour la plupart, sont là pour recevoir un entraînement d’autodéfense et d’autonomisation. Alors que les entraîneurs leur montrent comment contrer une clé et jeter un attaquant sur les tapis de sol, on sent l’énergie bouillonner dans la pièce.
La fondatrice de RIM Self Defense, Dioully Oumar Diallo, fait en sorte que les moniteurs viennent chercher les filles dans leur quartier et qu’ils les y dépose en sécurité après chaque cours. C’est via une vidéo sur YouTube, où elle parle de son combat contre les violences faites aux femmes, que Candy Ofime a découvert Dioully Oumar Diallo. En plus des cours d’autodéfense, la jeune Mauritanienne a mis en place l’application TaxiSecure, qui permet aux femmes et aux filles d’envoyer un message d’urgence via leurs téléphones portables si elles se sentent menacées dans un taxi – un endroit que beaucoup d’activistes qualifient de dangereux pour les femmes ou les filles seules.
Les idées innovantes de Dioully Oumar Diallo ont donné envie à la chercheuse de Human Rights Watch de discuter avec elle de l’avenir de l’activisme en Mauritanie. L’objectif de cette militante est de conférer aux femmes les compétences dont elles ont besoin pour se protéger et rendre coup pour coup.
« Les jeunes femmes comme elle incarnent l’avenir de la défense des droits des femmes en Mauritanie », estime Candy Ofime. « Elles créent ces nouveaux espaces où les femmes peuvent devenir autonomes, elles font avancer la discussion ; et tout cela sans doute ni hésitations. »
Pour Dioully Oumar Diallo, le message est très simple : « Il ne faut pas qu’elles aient peur, elles ont le droit d’être capables de se défendre, parce que leur corps leur appartient ».
Soins médicaux et soutien psychologique - Amparo Fernández del Río
Avec un seul médecin légiste pour tout le système national de santé publique, il y a peu de chances qu’une femme qui a été violée bénéficie d’analyses médico-légales adéquates. Le fait que les données médicales sont rarement enregistrées correctement, peut réduire leurs chances de succès au tribunal.
Amparo Fernández del Río est la coordonnatrice du bureau Mauritanie de l’organisation non gouvernementale Médicos del Mundo, association espagnole affiliée à Médecins du Monde. Elle cherche à abattre les nombreux obstacles que rencontrent les femmes lorsqu’elles essaient de se faire soigner après avoir subi des violences sexuelles.
Amparo Fernández del Río travaille avec des groupes mauritaniens afin de veiller à ce que les survivantes de viol reçoivent tout l’appui dont elles ont besoin. Mais c’est bien l’unité mise en place par son organisation, au sein de l’hôpital Mère et Enfant de Nouakchott, qui fournit le type de soins médicaux qui sont les plus importants dans les premières 24 heures après une agression, que ce soit en termes de médicaments, de chirurgie ou de soutien psychologique. Et tout ceci, l’unité le fournit gratuitement.
« Nous dispensons les soins nécessaires sans qu’il soit obligatoire de passer d’abord par la case police », a-t-elle expliqué à Candy Ofime.
En effet, en Mauritanie, certains médecins refusent d’examiner les survivantes de viol à moins qu’elles n’aient préalablement obtenu une réquisition de la police. Ceci oblige de nombreuses femmes et filles à rapporter leur agression à la police afin d’être soignées.
Par ailleurs, Amparo Fernández del Río s’efforce de remédier au manque important d’assistance psychologique professionnelle. En mai, un psychologue à plein temps a rejoint l’unité – l’un des rares en Mauritanie qui se consacre à aider ainsi les femmes et filles violées.
Amparo Fernández del Río note également que les viols sont comptabilisés comme « accidents de la voie publique », la même catégorie que pour les accidents de voiture, ce qui fait qu’il est impossible de recueillir des données fiables et détaillées sur les viols et violences sexuelles qui ont lieu dans le pays.
« Elle a observé toutes ces failles du système et, tout simplement, œuvre sans relâche auprès des décideurs public pour les corriger les unes après les autres », témoigne Candy Ofime.
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Deux autres témoignages vidéo : Zeinabou Taleb Moussa (activiste) et Houleye Kane (journaliste)
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