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Tunisie : L’Instance Vérité et Dignité soumet une affaire en vue d’un procès

Les tribunaux spéciaux apportent un nouvel espoir de justice

Le siège de l'Instance Vérité et Dignité, à Tunis. © Instance de Vérité et Dignité

(Tunis, le 23 mai 2018) – L’Instance Vérité et Dignité de Tunisie a transmis le 18 mai 2018 sa première affaire criminelle liée au soulèvement de 2011 pour qu’elle soit jugée par un système de tribunaux spéciaux, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Le dossier sur cette affaire criminelle, soumis à la Chambre judiciaire spécialisée du tribunal de Kasserine, porte sur le meurtre de 20 manifestants et les blessures infligées à 16 autres par arme à feu dans les villes de Kasserine et Tala lors des soulèvements de début 2011. Des tribunaux militaires avaient déjà jugé ces affaires en 2012 et 2014, lors de procès biaisés qui avaient débouché sur des peines légères.

« Plus de sept ans après les meurtres, rouvrir ces dossiers apporte aux victimes et survivants une nouvelle opportunité que justice soit rendue à leur souffrance », a déclaré Amna Guellali, directrice du bureau de Tunis à Human Rights Watch. « Il sagit dune étape significative de l’avancée difficile de la Tunisie vers la justice transitionnelle. »

La chambre de Kasserine est une des 13 chambres spécialisées mises en place par la loi tunisienne sur la justice transitionnelle dans les gouvernorats de tout le pays, afin de juger les violations des droits humains commises lors des présidences de Habib Bourguiba, de 1956 à 1987, et de son successeur, Zine el-Abidine Ben Ali.

Lors des révoltes populaires en Tunisie qui ont chassé Ben Ali du pouvoir en janvier 2011, les forces de sécurité ont tué 132 manifestants et blessé des centaines d’autres à travers le pays. De nombreux cas de décès et de blessures enregistrés entre le 17 décembre 2010 et le 14 janvier 2011,  et documentés par Human Rights Watch, ont été causés par l’usage injustifiable de la force létale par les forces de sécurité.

En juin 2012, le tribunal militaire de première instance du Kef avait reconnu Ben Ali coupable de complicité de meurtre dans les événements de Kasserine et Tala et l’avait condamné par contumace à une peine de prison à perpétuité. D’autres hauts responsables avaient été condamnés à des peines allant jusqu’à 12 ans de prison.

Le 12 avril 2014, la Cour d’appel militaire a confirmé la peine de perpétuité de Ben Ali, mais a réévalué les chefs d’inculpation contre le ministre de l’Intérieur et le chef des services de sécurité de l’époque, ainsi que d’autres coaccusés, réduisant leur peine à trois ans de prison. Ils ont tous été libérés après avoir purgé leur peine. Après avoir examiné ces dossiers, Human Rights Watch a conclu que les procédures judiciaires étaient défectueuses et n’avaient pas permis de rendre justice aux victimes.

Les nouveaux procès concerneront 24 accusés, dont Ben Ali, le ministre de l’Intérieur et les officiers qui commandaient les services de sécurité, inculpés d’homicides et de crimes contre l’humanité.

Depuis qu’elle a été instaurée en 2014, l’Instance Vérité et Dignité (IVD) a enquêté sur des cas de graves violations des droits humains commises entre 1955 et 2013. La loi sur la justice transitionnelle a donné mandat à l’Instance pour transmettre les affaires criminelles graves aux chambres spécialisées, qui « statueront sur les affaires relatives aux violations graves des droits de l'homme [...], à savoir notamment lhomicide volontaire, le viol et toute autre forme de violence sexuelle, la torture, la disparition forcée, la peine de mort sans la garantie d'un procès équitable ». La loi exige que les juges présidant ces chambres, qui sont mises en place au sein du système juridictionnel du pays, suivent une formation spécifique en matière de justice transitionnelle.

Le dossier Tala-Kasserine est le septième transmis par l’Instance aux chambres spécialisées. Les six premiers dossiers concernaient des crimes commis dans les années 1990 ou avant. Le premier de ces procès, celui de la disparition forcée de Kamel Matmati, un activiste islamiste, s’ouvrira le 29 mai. Les autres dossiers portent sur une exécution extrajudiciaire et quatre décès en détention.

Ces nouveaux procès devront respecter les droits des accusés, a déclaré Human Rights Watch.

Un problème qui risque de se poser relève du principe de la « double incrimination » – autrement dit, le fait qu’en vertu du droit international, les accusés ont le droit de ne pas être jugés deux fois pour la même infraction. Le Comité des droits de l’homme des Nations Unies a établi que ce principe n’était pas violé si un tribunal d’instance plus élevée cassait le verdict et ordonnait que l’affaire soit rejugée, ou si le procès était rouvert en raison de circonstances exceptionnelles, comme la découverte de nouvelles preuves. En vertu du statut de Rome instaurant la Cour pénale internationale (auquel la Tunisie est partie), pour les procès qui se tiennent devant la CPI alors que la personne a déjà été jugée par un autre tribunal, on ne considère pas qu’ils violent ce principe si l’objectif des procédures antérieures était de mettre la personne à l’abri de sa responsabilité pénale, ou si ces procédures n’avaient pas été menées dans l’indépendance et l’impartialité, d’une façon qui visait à éviter que la personne rende des comptes devant la justice.

Le tribunal militaire avait jugé les accusés pour des actes commis par les forces de sécurité placées sous leur commandement. Or la loi tunisienne est mal outillée pour s’attaquer à la responsabilité du commandement, un concept clé du droit pénal international, qui rend les commandants militaires et les supérieurs hiérarchiques civils responsables des crimes graves commis par leurs subordonnés, si ces supérieurs étaient au courant de ces crimes, ou avaient des raisons de l’être, et n'ont pris aucune mesure raisonnable pour les empêcher ou les sanctionner. La chambre spécialisée devrait prendre en considération ce concept du droit international coutumier – la responsabilité du commandement – dans son jugement de cette affaire. Par ailleurs, les législateurs tunisiens devraient introduire une nouvelle disposition sur la responsabilité du commandement dans le code pénal, conforme à la façon dont il est défini en droit international, et intégrer le Statut de Rome dans la législation tunisienne.

Version intégrale de ce communiqué en anglais, comprenant des informations supplémentaires :
www.hrw.org/news/2018/05/23/tunisia-truth-commission-sends-uprising-case-trial

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