Skip to main content

France : un projet de loi pourrait compromettre les droits des demandeurs d’asile

Les parlementaires devraient amender le projet pour garantir l’accès à une protection

(Paris) – Le projet de loi « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie » examiné par les parlementaires français pourrait nuire à l’accès des demandeurs d’asile à une protection et devrait être amendé, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. L’Assemblée nationale examinera le projet de loi pendant la semaine du 16 avril. Le Sénat le discutera en mai.

Tentes dans un camp de migrants de fortune, dans une rue près des stations de métro Jaurès et Stalingrad à Paris (France), le 28 octobre 2016.  © 2016 Reuters

« Prétendant renforcer l’efficacité du système d’asile, le projet de loi comprend en fait une série de mesures qui restreindraient l’accès à la protection, » a déclaré Bénédicte Jeannerod, Directrice France à Human Rights Watch. « Les quelques mesures positives non négligeables contenues dans le projet de loi ne peuvent masquer les inquiétudes qu’il suscite ».

Human Rights Watch s’inquiète des mesures suivantes :

Manque d’équité dans les procédures accélérées

Le projet de loi réduirait la période de dépôt de demande d’asile de 120 jours à partir de la date d’entrée sur le territoire français, à 90 jours. Or, les demandeurs d’asile sont confrontés à d’importants obstacles pour parvenir à déposer leur demande, et dans de nombreux cas, il est difficile, voire impossible pour eux d’obtenir l’accompagnement juridique et l’assistance dont ils ont besoin, dans des délais réduits.

Les demandes déposées après ce délai seraient traitées dans le cadre de la procédure accélérée, ce qui pourrait réduire la qualité de l’examen des dossiers, en particulier dans les cas complexes. Le risque qu’un nombre accru de personnes loupent la date limite de dépôt en raison de la réduction des délais signifie que les officiers de protection devront examiner plus de dossiers en procédure accélérée, donc dans un temps bien plus limité pour leur instruction.

La procédure accélérée prévoit moins de garanties procédurales, en particulier en cas de recours. Dans le cadre de la procédure accélérée, l’Office Français de Protection des Réfugiés et des Apatrides (OFPRA) doit rendre une décision en 15 jours, contre six mois en procédure normale. Les appels des dossiers en procédure accélérée sont examinés par un juge unique à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), qui doit rendre sa décision en cinq semaines, contre cinq mois en procédure normale, en formation collégiale. Le placement en procédure accélérée de tous les demandeurs déposant leur demande hors-délai risque de prendre insuffisamment en considération les circonstances individuelles et la complexité de certains dossiers.

Les changements au droit d’asile proposés par ce projet de loi pourraient avoir un impact particulièrement négatif sur les demandeurs les plus vulnérables, plus à même de dépasser les délais et de voir leurs situations examinées de manière inadéquate, surtout si elles sont complexes.

Les autorités françaises devraient faire montre de l’attention nécessaire lorsqu’elles décident de placer en procédure accélérée un demandeur d’asile ayant dépassé le délai limite, et s’assurer que sa vulnérabilité et la complexité de sa situation sont prises en compte. A défaut de cela, elles risquent de contrevenir aux Lignes directrices sur la protection des droits de l’homme dans le contexte des procédures d’asile accélérées, adoptées en 2009 par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, comme l’a rappelé le Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe dans sa lettre aux parlementaires français.

Délai raccourci pour faire appel des refus

Le projet de loi réduirait d’un mois à quinze jours le délai pour déposer un recours pour tous les demandeurs d’asile ayant reçu une décision négative de l’OFPRA. Un délai aussi court pour préparer un dossier de recours, pouvant s’avérer technique et complexe et nécessitant un soutien juridique, risque de priver les demandeurs d’asile d’un recours effectif. Cela pourrait avoir de lourdes conséquences. En 2017, la CNDA a accordé une protection dans 8 006 cas, soit 16,8 pourcent des 53 581 recours enregistrés auprès d’elle. Le nombre de décisions positives de protection accordées par la CNDA montre l’importance de pouvoir faire appel d’une décision.

Des associations de défense des droits humains ont exprimé leurs préoccupations au sujet de cette réduction des délais, tout comme le Défenseur des droits, le Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, et le Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies.

Les expulsions ne seraient plus suspendues dans l’attente d’un jugement en appel

Actuellement, le droit de faire appel d’une décision autorise les demandeurs d’asile à rester en France, en vertu de dispositions suspensives, qui suspendent l’expulsion tant que le jugement en appel n’est pas rendu. Mais le projet de loi établirait des appels non-suspensifs pour les « demandeurs ressortissants de pays d’origine sûrs, ceux dont la demande de réexamen aura été rejetée et ceux présentant une menace grave pour l’ordre public », créant le risque de voir des demandeurs d’asile se faire expulser du territoire français avant même qu’ils aient reçu la décision concernant leur recours.

La fin du recours suspensif automatique compromet le droit à un recours effectif, et signifie que des demandeurs d’asile pourraient être renvoyés dans leur pays même si la CNDA n’a pas encore entièrement statué sur leurs craintes de persécutions. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France en 2012, considérant que l’absence d’appel suspensif pour certaines catégories de demandeurs d’asile violait leur droit à un recours effectif, et la France avait, à juste titre, introduit un appel suspensif dans sa réforme du droit d’asile de 2015.  

Augmentation de la durée maximale de rétention

Le projet de loi prévoit également d’augmenter la durée maximale de rétention administrative en vue de procéder à une expulsion, de 45 à 90 jours, malgré les appels répétés de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté à ramener cette durée à 32 jours. Bien que le droit européen autorise les États membres à maintenir en rétention des personnes en attente d’expulsion pour une durée pouvant aller jusqu’à 18 mois, il permet également aux États d’adopter des dispositions plus favorables.

La rétention devrait être la plus courte possible et strictement nécessaire à l’exécution de l’arrêté d’expulsion, en vue de laquelle les autorités sont tenues de faire montre de la diligence requise. Selon les données des associations d’aide aux migrants, les étrangers sont expulsés après douze jours de rétention en moyenne (en France métropolitaine, en 2016). On peut ainsi douter que cette mesure soit justifiée – et encore moins nécessaire.

Enfants migrants en rétention

Le projet de loi n’aborde pas la question du placement en rétention des enfants migrants, alors qu’il aurait pu être l’opportunité d’abolir cette pratique. En effet, dans six cas, entre 2012 et 2016, la France a été condamnée par la CEDH, qui a statué que la rétention d’enfants violait l’interdiction des peines ou traitements inhumains. La France devrait s’assurer qu’aucun enfant n’est placé en centre de rétention et se conformer à l’Observation générale conjointe de novembre 2017 du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, ainsi qu’aux Vingt principes directeurs sur le retour forcé adoptés par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe en 2005.

Autres dispositions

Par ailleurs, le projet de loi contient des dispositions qui renforceraient la protection des enfants à risque de mutilations sexuelles, telles que l’excision ou la stérilisation forcée, ainsi que des mesures particulières pour les victimes de violences domestiques.

Il étendrait également certains droits pour les personnes reconnues comme réfugiés ou bénéficiant de la protection subsidiaire. Les bénéficiaires de la protection subsidiaire se verraient recevoir un titre de séjour de quatre ans, au lieu d’un an actuellement.

Une autre mesure consisterait à étendre le bénéfice de la réunification familiale aux parents et frères et sœurs d’un enfant reconnu réfugié ou admis au bénéfice de la protection subsidiaire. La mise en œuvre effective de cette mesure dépendra néanmoins de l’accompagnement et de l’accès des enfants non-accompagnés aux procédures d’asile. Il n’est pas trop tard pour les parlementaires français pour amender le projet de loi de façon à remédier aux obstacles auxquels ils font face, notamment les délais pour la nomination d’un administrateur ad hoc – prérequis nécessaire pour les demandes d’asile des moins de 18 ans –, un accompagnement insuffisant, et la longueur des procédures, a déclaré Human Rights Watch.

« Les parlementaires devraient amender le texte de manière qu’il garantisse l’accès au droit d’être protégés pour des personnes en danger dans leur pays, » conclut Bénédicte Jeannerod. « Si l’État français entend améliorer l’efficacité de son système d’asile, il devrait commencer par allouer des ressources suffisantes au système existant, et non punir les demandeurs d’asile pour ces déficiences en tronquant leurs droits », conclut Bénédicte Jeannerod.

----------------

Tweets :

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.