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(Bagdad) – Le gouvernement irakien et le gouvernement de la région du Kurdistan (KRG) organisent des milliers de procès de personnes suspectées d’appartenance à l’organisation Etat Islamique en Irak et au Levant (également connue sous les noms d’ « Etat Islamique » et Daech), sans stratégie claire pour donner priorité aux pires violations des droits irakien et international, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. L’approche hasardeuse et les violations de procédure généralisées sont susceptibles d’aboutir sur des dénis de justice pour les victimes des pires abus de Daech, lorsque l’organisation contrôlait certaines parties de l’Irak.

Le rapport de 76 pages, « Justice biaisée : Responsabilité pour les crimes de Daech en Irak », se penche sur la sélection, la détention, les enquêtes et les poursuites judiciaires concernant certains des milliers de suspects de Daech en Irak. Human Rights Watch a identifié de graves lacunes juridiques qui fragilisent les efforts visant à traduire en justice les personnes suspectées d’appartenance de cette organisation terroriste. Plus dommageable encore, il n’existe aucune stratégie nationale pour garantir des poursuites crédibles contre les responsables des crimes les plus graves. Les poursuites ouvertes en vertu de la loi antiterroriste contre tous ceux qui ont un lien avec Daech, quel qu’il soit et même s’il est ténu, pourraient entraver la réconciliation inter-comunautaire et embouteiller les tribunaux et les prisons irakiennes pendant des décennies.

« L’organisation des procès de Daech est une occasion manquée pour l’Irak de montrer à son peuple, au monde et à Daech que c’est un État de droit, avec des garanties de procédure et une vraie justice, capable d’établir les responsabilités pour les crimes les plus graves et de promouvoir la réconciliation pour l’ensemble des communautés affectées par cette guerre », a déclaré Sarah Leah Whitson, Directrice exécutive de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « Pour la justice irakienne, un médecin ayant sauvé des vies sous Daech est aussi coupable qu’un responsable de crimes contre l’humanité. »

Le rapport sera transmis à des responsables gouvernementaux lors de tables rondes qui se tiendront à Erbil et à Bagdad. Ses conclusions s’appuient sur des informations recueillies à Erbil, dans le gouvernorat de Ninive et à Bagdad, entre novembre 2016 et juillet 2017. Les chercheurs de Human Rights Watch se sont rendus dans des prisons où étaient incarcérés des milliers de suspects de Daech et aux palais de justice de Ninive, Bagdad et Erbil, et se sont entretenus avec des fonctionnaires iraquiens et du KRG. Human Rights Watch a également interrogé une centaine de familles de suspects de Daech, et des dizaines de victimes et parents de victimes de l’organisation, ainsi que des représentants d’ONGs Irakiennes, des avocats et d’autres experts juridiques locaux.

Human Rights Watch a constaté que le gouvernement irakien et le KRG n’ont pas de stratégie nationale pour, d’une part, donner priorité aux poursuites contre les responsables des crimes les plus graves, et d’autre part, appréhender l’étendue et la diversité des crimes commis. Au lieu de se concentrer sur des actes ou crimes spécifiques, les autorités semblent poursuivre tous les suspects en détention en vertu des lois antiterroristes—c’est-à-dire principalement pour appartenance à Daech.

Human Rights Watch a identifié au moins 7.374 individus ainsi accusés depuis 2014, dont 92 ont été condamnés à mort et exécutés. Sur la base d’informations fournies par des officiels irakiens, des chercheurs estiment le nombre total de détenus pour appartenance supposée à Daech à 20.000 au moins.

Des enquêtes précédentes de Human Rights Watch s’inquiètaient de l’équité des mesures d’identification des ceux qui quittaient les zones contrôlées par Daech, et aussi des modalités de vérification des listes de suspects préparées par les forces de sécurité locales. Les individus identifiés à tort comme suspects peuvent passer plusieurs mois en détention arbitraire.

Les autorités irakiennes ont détenu des suspects de Daech dans des conditions de surpopulation parfois inhumaines, sans séparer les enfants détenus des adultes, a constaté Human Rights Watch. Les autorités ont ignoré les garanties de procédure. Selon la loi irakienne, les détenus doivent être présentés à un juge 24 heures au plus tard après leur arrestation, ont droit à la présence d’un avocat pendant les interrogatoires, et ont le droit de communiquer avec leurs familles, lesquelles doivent être notifées de leur détention. Des détenus ont également affirmé avoir torturés pour avouer leur appartenance à Daech.

Pour poursuivre en justice les suspects de Daech, le gouvernement irakien et les autorités du KRG ont recours à des lois antiterroristes qui brassent large, ce qui a permis aux juges d’inculper des individus qui n’ont pas commis d’actes violents. Certains avaient travaillé dans des hôpitaux administrés par Daech, d’autres étaient des cuisiniers qui préparaient à manger pour les combattants. Les lois antiterroristes prévoient des peines lourdes, allant jusqu’à la peine de mort ou la prison à vie, y compris pour la simple adhésion à Daech.

« Hier, j’avais le procès d’un cuisinier de Daech, et j’ai recommandé la peine capitale. Comment le combattant de Daech aurait-il pu exécuter quelqu’un s’il n’avait pas fait un bon repas la veille au soir? » , a déclaré un juge antiterroriste de premier plan à Human Rights Watch.

Accuser les suspects de Daech de violations des lois antiterroristes est souvent plus simple, sur le plan de la preuve, que de les poursuivre sur des points spécifiques du code pénal ; c’est d’autant plus vrai pour des crimes commis dans le chaos de la guerre. Mais par conséquent, cela devient plus difficile de hiérarchiser les crimes de Daech en Irak, et de les répertorier dans un dossier judiciaire complet. Les autorités n’ont également fait pas fait l’effort de solliciter la participation des victimes aux procès, même en qualité de témoins.

Les membres de Daech qui peuvent démontrer qu’ils ont rejoint l’organisation contre leur gré et n’ont pas participé à certains actes de violence peuvent être libérés après leur condamnation en vertu de la loi d’amnistie générale d’août 2016 (n ° 27/2016), mais les juges irakiens n’appliquent pas cette loi de manière cohérente. Le KRG n’a pas adopté de loi d’amnistie pour les condamnés ou les suspects de Daech, et un porte-parole a déclaré qu’aucune n’était actuellement à l’étude.

Les autorités devraient donner la priorité aux auteurs des crimes les plus graves. Pour ceux dont le seul crime a été d’adhérer à Daech, elles devraient envisager des alternatives aux poursuites—par exemple, la participation à des processus nationaux de vérité et de réconciliation.

Elles devraient, à tout le moins, abandonner les poursuites contre ceux dont les fonctions, sous Daech, ont contribué à la protection des droits humains de civils, comme le personnel soignant et et autres prestataires de services sociaux. Pour les enfants en particulier, les autorités devraient envisager des alternatives à la détention et aux poursuites pénales, et mettre au point des programmes de réadaptation et de réinsertion pour faciliter leur retour dans la société.

« La loi d’amnistie irakienne ne peut se substituer à une stratégie nationale qui proposerait, d’une part, des procès équitables, et de l’autre, des alternatives aux poursuites pour ceux qui n’ont pas pris part à la violence ou aux violations graves de Daech », a déclaré Whitson. « L’Irak a besoin d’un plan de réconciliation et de vérité, tout autant que d’un plan pour jeter les pires criminels en prison. »

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Dans la presse

Le Monde    LeVif.be    Le Temps    VOA Afrique

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