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Algérie : Une nouvelle vague d’expulsions de migrants

Les autorités semblent recourir au profilage racial et procéder à des expulsions sommaires d’Africains subsahariens

Des hommes expulsés de l'Algérie font la queue peu après leur arrivée à Bamako, au Mali, le 25 octobre 2017.   © 2017 Bukary Dao / Le Républicain

(Beyrouth) – Depuis le 25 août 2017, les autorités algériennes ont procédé à des rafles d’Africains subsahariens se trouvant à Alger et aux abords de la ville, expulsant plus de 3 000 d’entre eux vers le Niger, sans leur donner la possibilité de contester cette mesure, a déclaré aujourd’hui Human Rights Watch. Parmi les personnes expulsées figurent des migrants ayant vécu et travaillé pendant des années en Algérie, des femmes enceintes, des familles avec des nouveau-nés et environ 25 enfants non accompagnés.

« Rien ne justifie de regrouper des gens en fonction de leur couleur de peau, puis de les déporter en masse », a déclaré Sarah Leah Whitson, directrice de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch. « L’autorité dont dispose un État pour contrôler ses frontières n’est pas un blanc-seing pour traiter ces personnes comme des criminels ou leur refuser le droit de séjour au motif de leur ethnicité. »

Des sources crédibles à Alger ont indiqué à Human Rights Watch que, parmi les personnes détenues initialement, figuraient15 réfugiés et demandeurs d’asile. Ils ont été ensuite relâchés après vérification de leur statut par les autorités.

Le 7 juillet dernier, Ahmed Ouyahia, le chef de cabinet du président Abdelaziz Bouteflika, a assimilé les migrants à une « source de criminalité et de stupéfiants », affirmant que les autorités doivent protéger la population algérienne de ce « chaos ». Le 11 juillet, Abdelkader Messahel, le ministre algérien des Affaires étrangères, a déclaré que les migrants « font peser une menace sur la sécurité nationale ».

Lors des vagues successives d’arrestations, les forces de sécurité ont rassemblé des migrants subsahariens dans les rues, sur des chantiers de construction – où nombre d’entre sont employés – et à leurs domiciles. Les migrants ont été conduits dans un établissement de Zeralda, une banlieue de la capitale, où ils sont restés entre un et trois jours, dans des salles bondées, en l’absence de matelas et de nourriture suffisante, ont confié des témoins à Human Rights Watch. Les migrants ont ensuite été transportés à 1 900 kilomètres au sud dans un camp situé à Tamanrasset, puis expulsés vers le Niger, selon des témoins et des contacts sur place.

Trois migrants subsahariens interrogés séparément par téléphone par Human Rights Watch se sont dits convaincus que les gendarmes s’en sont pris à eux en raison de la couleur de leur peau. « Quand les ouvriers noirs ont vu les gendarmes, ils ont tenté de s’enfuir, mais ont été poursuivis et contraints de monter dans le fourgon », a relaté un migrant arrêté juste auparavant dans des circonstances similaires. « Ils ont procédé à l’arrestation de sept hommes ».

Une organisation non gouvernementale basée à Gao, au Mali, a indiqué que plusieurs Maliens ont également été expulsés à la frontière séparant ce pays de l’Algérie, une région dangereuse où sévissent des groupes armés, notamment ceux liés à Al-Qaïda.

D’après le Comité international de secours, qui administre un programme d’assistance aux migrants à Agadez, au Niger, parmi les individus expulsés figuraient des Nigériens mais aussi des centaines de ressortissants du Mali, du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, de la Guinée, tous des pays d’Afrique subsaharienne. Le Comité a précisé à Human Rights Watch que les migrants ont été expulsés par vagues successives, le premier convoi étant arrivé à Agadez le 25 août, le dernier le 25 octobre. Le Comité a enregistré 3 232 migrants en provenance d’Algérie, dont 396 femmes et 850 enfants, y compris 25 enfants non accompagnés.

En vertu du droit international, l’Algérie dispose de l’autorité requise pour contrôler ses propres frontières et les personnes qui se trouvent sur son territoire en situation irrégulière, mais devrait accorder à chaque personne concernée une voie de recours pour contester son expulsion. L’Algérie ne devrait pas exercer de discrimination fondée sur l’ethnicité ni soumettre les migrants à une détention arbitraire et à un traitement inhumain et dégradant.

En outre, en tant qu’État partie à la Convention de 1951 sur les réfugiés et à la Convention de 1987 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, l’Algérie ne peut expulser de force un réfugié, un demandeur d’asile ou toute autre personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture ou à un traitement inhumain et dégradant. Les demandes de toute personne exprimant de telles craintes devraient être examinées dans le cadre de procédures complètes et équitables pendant qu’elle est autorisée à séjourner dans le pays.

L’Algérie est également un État partie à la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille, qui interdit les mesures d’expulsion collective de travailleurs migrants et de leurs familles et exige que chaque cas d’expulsion soit examiné et tranché sur une base individuelle. La Convention s’applique à tous les travailleurs migrants et à leurs familles, quel que soit leur statut juridique ou professionnel.

En décembre 2016, Human Rights Watch avait documenté un précédent rassemblement de plus de 1 400 migrants subsahariens, dont plusieurs centaines ont été reconduits au Niger.

Expulsions vers le Niger

Les migrants interrogés par Human Rights Watch ont tous déclaré que les autorités n’avaient pas cherché à vérifier leur situation ou leur statut, et ne les avaient pas davantage informés de leurs droits ou permis de contacter les représentants consulaires de leur pays d’origine.

Dadi

Âgée de 32 ans et originaire du Cameroun, Dadi a vécu à Alger avec son mari pendant cinq ans et occupé une série d’emplois temporaires. Elle a expliqué que des gendarmes l’avaient arrêtée et placée dans un fourgon le 11 octobre, vers 10 heures du matin, à la sortie d’un bus, dans son quartier de Derouicha, à Ain Berriane. Elle a indiqué qu’elle n’avait rien d’autre sur elle que son passeport. Les gendarmes ont ensuite procédé à l’arrestation d’autres Subsahariens :

Ils se sont rendus sur un chantier de construction. Lorsque les travailleurs noirs ont vu les gendarmes, ils ont tenté de s’enfuir, mais ont été poursuivis et contraints de monter dans le fourgon. Ils ont arrêté sept hommes en tout et nous ont conduits au poste de gendarmerie de Bellevue.

Dadi a expliqué que les migrants ont été ensuite transférés au camp de Zeralda, où les autorités ont pris leurs empreintes digitales et les médecins les ont examinés. Les autorités du camp l’ont placée dans une grande salle où elle était la seule femme au milieu de centaines d’hommes.

À 19 heures, des travailleurs du Croissant-Rouge algérien se sont rendus sur place et obtenu des gendarmes de la mettre dans une autre pièce, où se trouvaient de nombreuses femmes, dont certaines étaient enceintes ou accompagnées d’enfants, ainsi que des enfants non accompagnés. Ces femmes étaient originaires du Mali, du Cameroun, du Libéria, du Niger et d’autres pays, a-t-elle relevé. Elle a assuré avoir passé deux nuits dans le camp de Zeralda, en dormant sur du carton, en l’absence de lits.

Le 13 octobre, a-t-elle indiqué, les autorités les ont mis à bord d’autobus. Elle en a compté 13, chacun transportant des douzaines d’hommes, de femmes et d’enfants, direction Tamanrasset, où ils sont arrivés le 15 octobre, à 15 heures. Les autorités les ont emmenés dans un camp situé à l’extérieur de la ville, dans des conteneurs qu’elle a décrits comme « décents », équipés de lits et de toilettes. Le 16 octobre, les autorités l’ont mise de nouveau à bord d’un bus avec 14 autres femmes et enfants en direction de la frontière nigérienne, d’où un camion les a transportés jusqu’à Agadez. Lorsque Human Rights Watch a joint Dadi au téléphone le 24 octobre, elle logeait chez un membre de sa famille camerounaise à Agadez, dans l’espoir de retrouver son mari, qui se trouve toujours en Algérie.

Yves

Human Rights Watch s’est entretenu par téléphone avec Yves, un jardinier ivoirien qui travaille à Alger. Il a déclaré avoir été arrêté le 11 octobre à 10 heures avec sa femme et leur bébé âgé d’un mois, alors qu’ils tentaient de héler un taxi à la sortie d’un hôpital de la banlieue de Douera, où ils s’étaient rendus pour faire vacciner leur nourrisson. Selon Yves, les gendarmes ne leur ont pas demandé leurs papiers ni expliqué la raison de leur arrestation. Il leur a montré les documents de l’hôpital que sa femme avait sur elle, lesquels prouvaient qu’elle avait accouché un mois plus tôt, mais les gendarmes ont refusé de les laisser partir.

Après les avoir fait monter dans leur fourgon, les gendarmes ont procédé à l’arrestation d’autres personnes de couleur noire à travers la ville. Ils ont été conduits au poste de police, puis au camp de Zeralda, où ils sont restés jusqu’à 22 heures, avant d’être remis en liberté grâce à l’intervention du Croissant-Rouge. Yves a dit qu’il s’est réfugié chez lui, par crainte d’être arrêté. Les gendarmes ne lui ont pas restitué son passeport, qui lui avait été confisqué.

Dramane

Dramane, un Ivoirien âgé de 23 ans qui vivait à Alger depuis un an et y travaillait comme peintre en bâtiment, a confié par téléphone à Human Rights Watch avoir été arrêté le 20 octobre sur un chantier, avec quatre autres hommes. Les gendarmes, qui ne leur ont pas demandé leurs papiers, les ont fait monter à bord d’un fourgon sans leur laisser le temps de récupérer leurs affaires ou de prendre de l’argent chez eux. Les gendarmes les ont conduits au camp de Zeralda, où Dramane a affirmé n’avoir rien eu à manger entre 10 heures et 22 heures. Les gendarmes de Zeralda, a-t-il ajouté, leur ont annoncé leur transfert le lendemain à Tamanrasset. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de le joindre à nouveau pour en savoir davantage sur sa situation.

Expulsions vers le Mali

Human Rights Watch n’a pas été en mesure de déterminer le nombre exact de migrants expulsés vers le Mali. Éric-Alain Kamdem, le coordinateur de la Maison des migrants, a déclaré à Human Rights Watch que cette organisation non gouvernementale avait aidé huit Maliens expulsés d’Algérie et arrivés à Gao le 23 octobre. Ceux-ci lui ont expliqué avoir été mis à bord de bus par les forces de sécurité algériennes à Tamanrasset, pour être reconduits au Mali, où ils ont été déposés au bord de la route, en plein désert. Des chauffeurs de poids-lourds locaux les ont emmenés jusqu’à Assamaka, puis à Gao, selon Kamdem.

 

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