(Nairobi) – Le gouvernement éthiopien et les responsables de la sécurité de ce pays devraient agir avec retenue et prendre des mesures concrètes pour prévenir violences et pertes humaines lors du festival d’Irreecha, qui se tiendra le 1er octobre 2017, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport et une vidéo publiés aujourd’hui. Lors de l’édition de l’an dernier, de nombreuses personnes, probablement des centaines, ont péri dans un mouvement de foule, déclenché par le recours par les forces de sécurité à des gaz lacrymogènes et la fermeture des sorties.
Le rapport de 33 pages intitulé « Fuel on the Fire’: Security Force Response to the 2016 Irreecha Cultural Festival » (« De l’huile sur le feu : La réaction des forces de sécurité lors du festival culturel d’Irreecha de 2016 ») revient en détail sur l’utilisation de la force par le gouvernement éthiopien en réponse à des mouvements de foules à Irreecha en 2016. Le festival, auquel participe un public nombreux, est l’évènement culturel le plus important pour l’ethnie éthiopienne Oromo, forte de 40 millions de personnes, laquelle se réunit chaque année pour célébrer la fin des pluies et les récoltes. Human Rights Watch a conclu que les personnels de sécurité ont non seulement déclenché les mouvements de foule à l’origine de nombreux décès, mais ont ensuite abattu et tué certains éléments du public.
Security Force Response to the 2016 Irreecha Cultural Festival
« L’usage désastreux et disproportionné de la force par les forces de sécurité ne doit pas se répéter cette année », a déclaré Felix Horne, chercheur senior auprès de la division Afrique de Human Rights Watch. « Face à des griefs de longue date restés sans réponse, l’édition de cette année d’Irreecha pourrait être lourde de tensions. Le gouvernement et les forces de sécurité devraient prendre toutes les mesures nécessaires avant et pendant la tenue du festival pour protéger les vies humaines et atténuer les tensions. »
Human Rights Watch a mené plus de 50 entretiens en Éthiopie et à l’étranger avec des participants, des témoins, des personnels de santé entre autres, et analysé des dizaines de vidéos. Des dizaines de témoins se sont dits convaincus qu’il s’agissait d’un massacre planifié par le gouvernement. Human Rights Watch n’a réuni aucune preuve accréditant cette hypothèse, mais cette perception, associée aux deux dernières années de brutalités et de griefs irrésolus, fait de l’édition 2017 du festival une poudrière potentielle, selon Human Rights Watch.
Les tensions étaient déjà vives avant l’édition 2016 du festival d’Irreecha – qui se déroule chaque année à Bishoftu, à 40 kilomètres au sud-est d’Addis-Abeba – après un an de manifestations anti-gouvernementales et l’agression des force de sécurité qui ont fait plus d’un millier de morts et jeté des dizaines de milliers d’autres en prison. Le gouvernement a tenté de jouer un rôle plus important dans l’encadrement du festival que les années précédentes, y compris en imposant des mesures de sécurité draconiennes et en dépêchant des hélicoptères militaires volant à basse altitude. Un ancien chef traditionnel étroitement lié au gouvernement est également monté sur scène.
Tout ceci a contribué à une atmosphère tendue et à militariser une manifestation qui, lors de ses éditions antérieures, ne comptait pas de présence significative des forces de sécurité. Peu de temps après l’apparition de l’ancien chef traditionnel, un homme est monté sur scène et a hurlé des slogans anti-gouvernementaux. À mesure que la tension montait, les forces de sécurité ont lancé des gaz lacrymogènes, provoquant des mouvements de foule, qui a ont fait beaucoup de morts.
Certaines personnes ont été étouffées après être tombées dans une tranchée voisine, d’autres piétinées dans le chaos qui s’est ensuivi. D’autres ayant fui vers le lac Hora se sont noyées. Les forces de sécurité armées étaient présentes à toutes les sorties du site du festival, laissant peu d’options à ceux qui cherchaient à fuir. Immédiatement après les évènements, de nombreux témoins ont indiqué avoir vu des cadavres avec des blessures par balles. Deux témoins ont déclaré en outre avoir vu des agents en tenue civile en train de tirer sur la foule.
De nombreuses manifestations ont eu lieu autour de Bishoftu dans les heures suivant la manifestation. Des témoins ont affirmé que des gens ont été abattus. La semaine d’après, nombre de participants à Irreecha ont été arrêtés au sein de leurs communautés. La colère suscitée par les morts d’Irreecha a déclenché des troubles à travers toute la région d’Oromia, des foules de jeunes ayant détruit ou pillé des immeubles gouvernementaux et des entreprises privées. Le 9 octobre, le gouvernement a décrété l’état d’urgence qui contient des restrictions vagues et trop vastes des droits fondamentaux. Il n’a été levé qu’en août 2017.
Gemechu, âgé de 26 ans, a déclaré à Human Right Watch, « Le festival d’Irreecha en 2016 était différent de ce que nous avons connu. Nous étions déjà en colère contre le gouvernement après un an de manifestations, et lorsqu’il a tenté de prendre le contrôle de notre célébration sacrée, la foule s’est agitée, mais nous étions encore pacifiques. Les mêmes soldats qui nous ont tués pendant les manifestations de l’année écoulée nous ont pris pour cible avec des gaz lacrymogènes et des balles à Irreecha, déclenchant une véritable cohue. C’est de leur faute si tous ces gens sont morts. »
Aucune enquête crédible et indépendante sur les décès de 2016 n’a été ouverte. Le gouvernement a présenté ses condoléances suite aux pertes humaines, mais a déclaré que les forces de sécurité n’étaient pas armées, en dépit de preuves photographiques et vidéo du contraire. Le Premier ministre a félicité les forces de sécurité de leurs efforts pour « maintenir la paix et l’ordre public ». Les responsables gouvernementaux ont également déclaré à maintes reprises que la situation était exacerbée par les éléments « anti-paix » au sein de la foule.
Le gouvernement bloque systématiquement les enquêteurs indépendants et ne coopère pas avec les mécanismes internationaux. La Commission éthiopienne des droits de l’homme (EHRC), dont la propre enquête sur les incidents d’Irreecha en 2016 n’est pas crédible, dépend du gouvernement et n’est en aucun cas indépendante.
Les lignes directrices internationales, telles que les Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, stipulent que les forces de sécurité devraient chercher à éviter l’utilisation de la force et veiller à ce que son utilisation, le cas échéant, soit strictement proportionnelle à la gravité de l’infraction commise. Les forces de sécurité devraient faire preuve de retenue avec les gaz lacrymogènes dans des situations où leur utilisation pourrait provoquer la mort ou des blessures graves.
« La tragédie de l’an dernier a été déclenchée par l’échec du gouvernement à contrôler la manifestation », a conclu Felix Horne. « Cette année, le gouvernement devrait envisager une présence beaucoup plus limitée des forces de sécurité pour minimiser les risques de violence et, en tout état de cause, veiller à ce que les personnels déployés minimisent et cherchent à éviter tout recours à la force. »
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