(Genève) – Le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies devrait d’urgence établir une commission d’enquête sur la situation dans la région centrale du Kasaï en République démocratique du Congo, a déclaré aujourd’hui une coalition de 262 organisations non gouvernementales congolaises et de 9 organisations non gouvernementales internationales. La 35ème session du Conseil des droits de l’homme s’ouvre le 6 juin 2017, à Genève.
« Les violences dans la région du Kasaï ont causé d'immenses souffrances, les autorités congolaises se montrant incapables ou peu désireuses d’arrêter le carnage ou de faire en sorte que les responsables des abus rendent des comptes », a déclaré Ida Sawyer, directrice pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Une enquête internationale indépendante est nécessaire pour documenter les abus, identifier les responsables et aider à garantir la justice pour les victimes. »
Entre 500 et 1 000 personnes ont été tuées dans la région du Kasaï depuis que des violences de grande ampleur ont éclaté entre l’armée congolaise et le mouvement Kamuina Nsapu en août 2016, selon l’ONU. Les défenseurs des droits humains et les observateurs de l’ONU ont eu des difficultés à atteindre certaines parties de la région, aussi il se peut que le véritable nombre de morts soit beaucoup plus élevé.
Des militaires de l’armée congolaise ont fait un usage excessif de la force en violation du droit international, tuant de très nombreux membres et sympathisants présumés des Kamuina Nsapu, notamment un grand nombre de femmes et d’enfants. Des membres du groupe, armés en grande partie de bâtons et d’autres armes rudimentaires, ont recruté des enfants et ont mené des attaques ciblées contre le gouvernement, tuant des policiers, des militaires et des autorités locales.
Plus d’1,3 million de personnes dans la région ont été déplacées de leurs foyers au cours des derniers mois, dont plus de 23 500 ont fui vers l’Angola, pays voisin.
Deux membres du Groupe d’experts de l’ONU sur la RD Congo, Zaida Catalán, une Suédo-chilienne, et Michael J. Sharp, un Américain, ont été tués en mars 2017, alors qu’ils enquêtaient sur les violations généralisées des droits humains dans la région. On ne sait pas encore qui est responsable de ce crime. Les quatre Congolais qui les accompagnaient – leur interprète Betu Tshintela et trois conducteurs de moto – sont toujours portés disparus.
Les enquêteurs de l’ONU ont confirmé l’existence d’au moins 42 fosses communes dans la région du Grand Kasaï depuis août 2016.
Le 8 mars 2017, le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, a appelé à la création d’une commission d’enquête chargée de rendre compte des violences dans les Kasaïs. Les autorités congolaises se sont alors engagées à mener leur propre enquête, et le 22 mars elles ont accepté le soutien de l’ONU et de l’Union africaine (UA). Cette enquête n’a pas progressé de manière transparente ni crédible, et l’ONU et l’UA n’ont pas pu collaborer efficacement avec les enquêteurs congolais ni soutenir l’enquête congolaise, selon les organisations de la coalition.
Le 19 avril, le haut-commissaire a déclaré que les mesures nécessaires de la part du gouvernement congolais « pour qu’une enquête immédiate, transparente et indépendante, qui établisse les faits et les circonstances des violations et atteintes aux droits de l’homme et à la justice, soit mise en place » étaient jusque-là « manquantes. »
« Compte tenu des violations généralisés de l’armée, de l’implication présumée de hauts fonctionnaires et de l’ingérence antérieure dans des cas sensibles, la capacité du pouvoir judiciaire congolais d’enquêter de manière crédible sur les violences pose un sérieux doute », a déclaré Georges Kapiamba, président de l’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ). « Une enquête internationale indépendante est nécessaire pour faire toute la lumière sur ce qui se passe réellement dans les Kasaïs et identifier les responsables. »
Le conflit dans la région des Kasaï porterait sur le contrôle coutumier des chefferies locales, mais il existe également des liens clairs avec la dynamique politique nationale, l’armée congolaise soutenant le leadership de personnes considérées comme fidèles au président Joseph Kabila et à sa coalition politique, et certains groupes des Kamuina Nsapu soutenant des personnes considérées comme plus proches de l’opposition.
La violence s’est intensifiée après que les forces de sécurité de l’État ont tué Kamuina Nsapu, l’héritier apparent du trône d’une chefferie dans la région de Tshimbulu, en août. Depuis sa mort, le groupe qui a pris son nom s’est transformée davantage en un mouvement populaire qu’en un groupe armé organisé avec des structures de commandement claires. Certains membres des Kamuina Nsapu ont orienté leurs revendications vers la crise politique nationale, appelant le président Kabila à démissionner. Son second et dernier mandat autorisé par la constitution a pris fin le 19 décembre.
Au cours des derniers mois, les factions Kamuina Nsapu et d’autres groupes armés ont proliféré, certains groupes se battant les uns contre les autres. Des politiciens locaux auraient cherché à manipuler les tensions ethniques dans la région, encourageant les milices de certains groupes ethniques à attaquer des personnes d’autres groupes ethniques.
« L’engagement du Conseil des droits de l’homme est désormais essentiel pour aider à protéger les civils contre les violences et pour faire pression afin que les responsables des graves violations et abus commis par l’armée congolaise et par les groupes armés soient traduits en justice », a déclaré Paul Nsapu, secrétaire général adjoint à la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). « Un message fort est nécessaire pour montrer que ces crimes ne resteront pas impunis. »
Pour la liste complète des 262 organisations non gouvernementales congolaises et des 9 organisations non gouvernementales internationales appelant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies à établir une commission d’enquête sur la situation dans la région du Kasaï, veuillez suivre le lien: