Mise à jour (le 24 mars 2017) – Des responsables de la justice militaire en République démocratique du Congo ont annoncé le 18 mars 2017 qu’ils avaient arrêté et inculpé sept militaires soupçonnées d’avoir tué au moins 13 membres présumés d’une milice à Mwanza Lomba, au Kasai-Central, en février. Les tueries étaient enregistrées dans une vidéo postée sur internet le 17 février.
La Mission des Nations Unies en RD Congo, la MONUSCO, a proposé son appui à l’enquête, mais a été empêchée d’accompagner les magistrats congolais sur le terrain.
« L’arrestation de militaires qui seraient impliqués dans les sérieuses violations des droits humains dans la région du Kasaï est une étape importante pour réduire la violence, » a déclaré Ida Sawyer, directrice pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Cependant, les fonctionnaires judiciaires congolais n’ont montré que peu de capacité ou de volonté d’enquêter de manière indépendante sur la chaîne de commandement militaire pour étudier le rôle de commandants de haut rang dans les tueries illégales et d’autres crimes. »
(Kinshasa) – Les autorités de la République démocratique du Congo devraient enquêter de manière complète et impartiale sur les meurtres commis par des militaires de l'armée congolaise présumés dans la région centrale du Kasaï, a déclaré aujourd'hui Human Rights Watch. Une vidéo postée sur Internet le 17 février 2017 montre des hommes en uniformes de l'armée congolaise tuant au moins 13 membres présumés d’une milice, dont certains armés de bâtons et de lance-pierres.
Ces fusillades semblent relever d’un usage excessif de la force létale dans une situation d’application des lois, a déclaré Human Rights Watch.
« Cette vidéo a capturé l’horreur de ces fusillades que le gouvernement congolais aurait autrement pu balayer sous le tapis », a déclaré Ida Sawyer, directrice pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Les autorités judiciaires devraient, avec l'aide de l’ONU, immédiatement mener une enquête complète et impartiale sur ces tueries et les autres violations présumées dans les provinces du Kasaï en vue de traduire les personnes responsables en justice ».
La vidéo de sept minutes montre plusieurs militaires s’approchant et ouvrant le feu sur un groupe de membres présumés de la milice Kamuina Nsapu, dont deux femmes et plusieurs individus semblant être des enfants. Plusieurs blessés graves sont abattus à bout portant, l'un des militaires les traitant de «bande d’animaux ». Plus tard, certains des militaires maltraitent les corps sans vie, violant leur dignité.
En juillet 2016, des violences de grande ampleur ont éclaté au Kasaï-Central avant de se propager aux provinces voisines du Kasaï et du Kasaï-Oriental. Le Bureau conjoint des Nations Unies aux droits de l'homme a recensé plus de 280 personnes tuées depuis juillet.
L’incident documenté par la vidéo se serait produit sur la route menant à Ntenda, dans la zone frontalière entre les provinces du Kasaï-Oriental et du Kasaï-Central. Au moins un militaire filmé dans la vidéo indique qu’il fait partie de l’armée, et un camion de l'armée apparaît dans la vidéo. Alors que les images correspondent aux informations que Human Rights Watch a reçues au sujet des violences récentes dans cette région, il n'a pas été possible de confirmer l’authenticité ou l’origine de la vidéo.
Le 17 février 2017, le ministre congolais de la Communication, Lambert Mende, a déclaré au New York Times que la vidéo n'avait pas été filmée en RD Congo et qu’il s’agissait d’une tentative de « ternir l'image de la RDC » fomentée par des organisations non gouvernementales. Le lendemain, il a déclaré que la vidéo était « vraisemblablement un montage » réalisé par « des pourfendeurs du gouvernement », et que le gouvernement avait déjà arrêté deux officiers subalternes en raison des « excès et abus » perpétrés dans le cadre d’opérations menées au Kasaï-Oriental à la fin de décembre 2016. La ministre des Droits de l'homme, Marie-Ange Mushobekwa, a déclaré à Reuters le 18 février 2017 qu’une enquête avait été ouverte au sujet de la vidéo.
Le 22 février, suite à une pression internationale croissante, y compris de la part de l’Union européenne, de la France et des États-Unis, le gouvernement a annoncé qu’il avait dépêché une commission d'enquête dans la région. Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme avait également appelé à l’ouverture d’une enquête, soulignant : « Il est temps d'arrêter une réaction militaire brutale qui ne fait rien pour s'attaquer aux causes profondes du conflit entre le gouvernement et les milices locales mais vise plutôt les civils sur la base de leurs liens présumés avec les milices ».
Une autre vidéo montre une fille non armée saignant sur le sol devant le gouvernorat à Kananga, capitale de la province du Kasaï-Central. On entend des hommes l’interroger et refuser de l'emmener à l’hôpital. Ils lui donnent des coups de pied dans le visage à deux reprises. Un témoin a par la suite déclaré à France 24 que des militaires avaient tiré sur la fille le 27 janvier, le jour où la vidéo a été filmée, et qu’elle était décédée plus tard ce jour-là. Il a également vu au moins trois autres cadavres.
Les Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois stipulent que ces derniers « auront recours autant que possible à des moyens non violents avant de faire usage de la force ou d'armes à feu » ; et que les armes à feu ne peuvent être utilisées qu’ « en cas de légitime défense ou pour défendre des tiers contre une menace imminente de mort ou de blessure grave. » Les responsables de l'application des lois doivent donner un avertissement clair de leur intention d'utiliser des armes à feu, en laissant un délai suffisant pour que l'avertissement puisse être suivi d'effet.
Le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH) a reçu des informations selon lesquelles des militaires de l’armée congolaise auraient tué au moins 101 personnes, dont 39 femmes, lors d’une éruption de violences impliquant la milice Kamuina Nsapu entre le 9 et le 13 février, dans et autour de la ville de Tshimbulu, dans la province du Kasaï-Central. Selon plusieurs sources, les soldats « ont ouvertement tiré avec des mitrailleuses lorsqu'ils ont vu les miliciens, armés principalement de machettes et de lances ». La milice Nsapu aurait recruté de nombreux enfants. Les membres de la milice se croiraient investis de pouvoirs magiques qui, selon eux, les rendraient invulnérables aux balles.
Ces dernières années, cette région centrale de la RD Congo était largement pacifique. C’est la région d’origine et le principal bastion du parti d’opposition Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), et de son feu président, Étienne Tshisekedi, décédé le 1er février. La violence serait liée au contrôle coutumier sur les chefferies locales, mais il existe également des liens clairs avec la dynamique politique nationale, l’armée congolaise soutenant le leadership d’individus considérés comme loyaux envers le président Joseph Kabila et sa coalition politique, tandis que les milices soutiennent des individus considérés comme plus proches de l'opposition.
Des dizaines de milliers de personnes ont été affectées par les violences dans les Kasaïs, selon le Bureau des Nations Unies de la coordination des affaires humanitaires (OCHA).
Les violences dans les Kasaïs viennent s’ajouter aux autres qui se sont intensifiées à travers le pays au cours des derniers mois, faisant plusieurs centaines de morts, notamment dans les provinces du Tanganyika et du Nord-Kivu, ainsi que dans la capitale, Kinshasa. Une partie de ces violences est liée aux tentatives de Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir au-delà de la limite constitutionnelle de deux mandats, le second ayant expiré le 19 décembre 2016. Un accord politique fragile facilité par l’Église catholique a permis à Kabila de rester au pouvoir jusqu'aux élections, qui doivent se tenir d’ici à la fin 2017. Mais il existe d’énormes défis pour mener à bien l'accord et de sérieux doutes persistent quant à savoir si Kabila et d'autres dirigeants politiques ont réellement la volonté d’organiser des élections, a déclaré Human Rights Watch.
Le Conseil des droits de l'homme de l'ONU discutera de la situation des droits de l'homme en RD Congo lors de sa prochaine session, qui débutera à la fin du mois de février. Compte tenu de l’ampleur des violences dans les Kasaïs et d'autres régions de la RD Congo, et de la possibilité d'une nouvelle détérioration de la situation des droits humains dans les mois à venir, le Conseil devrait désigner un expert indépendant ou une équipe d'experts capables de se déployer rapidement pour surveiller et faire rapport sur la situation en RD Congo.
Le Conseil de sécurité de l’ONU, les États-Unis et l’Union européenne devraient également envisager des sanctions ciblées supplémentaires, y compris des interdictions de voyager et des gels d’avoirs, à l’encontre des principaux responsables des graves violations des droits humains dans les Kasaïs et ailleurs en RD Congo.
« Les violences localisées, les conflits armés et les graves tensions politiques à travers la RD Congo font craindre un peu plus que le pays est une poudrière prête à exploser », a déclaré Ida Sawyer. « La mobilisation internationale aux plus hauts niveaux est cruciale pour aider à protéger les civils contre de nouvelles violences, faire pression pour que justice soit rendue pour les violations graves, et assurer la tenue d’élections crédibles dans les temps afin d’édifier un pays plus démocratique et respectueux des droits ».
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