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Guatemala : Des milliers de personnes exposées à des souffrances inutiles en fin de vie

Le gouvernement devrait d’urgence modifier la réglementation relative à l’accès aux antalgiques

Un couloir de l’unité de services de soins palliatifs à l'Institut national du cancer du Guatemala, photographié en août 2015. © 2015 Human Rights Watch

(Ciudad de Guatemala) – Des milliers de patients atteints de maladies incurables au Guatemala souffrent inutilement de douleurs intenses parce qu’ils ne peuvent pas se procurer les médicaments antalgiques appropriés, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.

Le rapport de 62 pages, intitulé « ‘Punishing the Patient’: Ensuring Access to Pain Treatment in Guatemala » («‘C’est le patient qui est puni’ : Garantir l’accès au traitement de la douleur au Guatemala ») , documente la façon dont les règlementations sur le contrôle des drogues au Guatemala – visant à prévenir l’abus des drogues – rendent presqu’impossible à de nombreux patients atteints de cancer et d’autres maladies à un stade avancé d’obtenir des médicaments puissants contre la douleur comme la morphine. Des patients ont décrit leur extrême souffrance et d'autres symptômes, ainsi que leur lutte pour faire face à un pronostic sombre. Ils ont déclaré qu'ils devaient consulter plusieurs médecins du fait que nombre d’entre eux n'étaient pas en mesure de traiter adéquatement la douleur. De nombreux patients ont expliqué qu'ils étaient contraints à de longs déplacements dans des bus bondés pour se rendre jusqu’aux hôpitaux qui proposent un traitement contre la douleur.

« De nombreux patients au Guatemala sont exposés à des souffrances insupportables en fin de vie, mais cela pourrait être évité », a déclaré Diederik Lohman, directeur adjoint de la division Santé et droits humains à Human Rights Watch. « Avec quelques mesures simples et peu coûteuses, le gouvernement pourrait considérablement améliorer le sort de ces patients. »

Le rapport s’appuie sur des entretiens approfondis menés auprès de 79 personnes – dont 37 personnes atteintes de cancer, ou des membres de leur famille – et 38 travailleurs du domaine de la santé. Human Rights Watch a également identifié le manque de politiques de soins palliatifs et le fait qu'aucune des écoles de médecine du Guatemala n'inclut des soins palliatifs pour les étudiants en médecine comme étant des obstacles à des soins médicaux appropriés en fin de vie.

Human Rights Watch estime qu’au moins 5 000 Guatémaltèques atteints de cancer et de VIH/SIDA vivent et meurent dans la souffrance chaque année parce qu’ils ne peuvent pas obtenir de morphine ni d’autres analgésiques opioïdes. Environ 28 500 Guatémaltèques – dont environ 1 500 enfants – ont besoin de soins palliatifs chaque année. Ces chiffres sont susceptibles d'augmenter avec les gains d'espérance de vie au Guatemala

L'Organisation mondiale de la santé considère la morphine comme un médicament essentiel pour le traitement de la douleur modérée à sévère.

Comme la morphine est fabriquée à partir de la plante de pavot, le droit international exige que les gouvernements réglementent l’accès à ce médicament, qu’il s’agisse du contrôle des personnes en faisant la demande ou de la manière de l’obtenir. De telles règlementations devraient toutefois trouver un équilibre entre assurer que les patients puissent obtenir de la morphine lorsqu'ils en ont besoin et éviter toute mauvaise utilisation, selon Human Rights Watch.

Or Human Rights Watch a conclu que les règlementations du Guatemala n’avaient pas atteint cet équilibre. Au lieu de cela, ces règlementations se préoccupent presque uniquement du contrôle des médicaments opioïdes contre la douleur, avec peu de considération pour les patients. Les réglementations du Guatemala sont beaucoup plus restrictives que celles prescrites par le droit international et elles se distinguent de celles des autres pays de la région, comme le Costa Rica, le Mexique et le Panama.

Gabriel Morales, un patient atteint d’un cancer abdominal, a expliqué à Human Rights Watch qu’il devait se déplacer en bus pendant plus de sept heures tous les 10 à 15 jours afin de se procurer des médicaments antidouleur à Guatemala City : « Je dois me lever à 1h du matin, marcher sur à peu près un demi kilomètre, et prendre le bus de 2h30le matin. J’arrive à la périphérie de Guatemala City vers 8h du matin, et là je prends un deuxième bus jusqu’au centre ville. »

Un médecin a déclaré : « Je pleure pour tous les patients que je ne peux pas recevoir. Il y a tellement de personnes qui n'ont pas accès à un médecin pouvant prescrire des opioïdes ou même à quelqu'un qui puisse les adresser à un médecin capable de les leur prescrire. » Seulement 50 à 60 médecins sur les quelque 14 000 que compte le pays, et tous situés à Guatemala City, peuvent prescrire de la morphine. Cela est dû au fait que selon les réglementations du Guatemala, un médecin doit utiliser un carnet d’ordonnances spécial pour prescrire de la morphine et d’autres analgésiques opioïdes, mais la procédure pour se procurer ce carnet est inutilement compliquée, a constaté Human Rights Watch.

Les médecins ne devraient pas avoir à repousser les limites de la loi pour fournir des soins appropriés à leurs patients.
Diederik Lohman

Directeur adjoint de la division Santé et droits humains

Les patients ou leurs familles doivent ensuite obtenir un timbre dans un bureau du ministère de la Santé à Guatemala City afin de valider l’ordonnance avant qu’une pharmacie puisse délivrer les médicaments. Human Rights Watch ne connaît aucun autre pays exigeant ce type de validation, qui rend pratiquement impossible pour de nombreux patients d’obtenir les médicaments.

Human Rights Watch a constaté que les réglementations restrictives du Guatemala posent aux médecins un problème éthique grave. Souvent, ils ne peuvent offrir des soins appropriés à leurs patients, comme l’exige leur serment professionnel, sans contourner ou violer la loi et s'exposer ainsi à des sanctions disciplinaires ou pénales potentielles.

Certains hôpitaux de Guatemala City ont trouvé des solutions créatives pour contourner la procédure complexe en permettant aux pharmacies hospitalières, qui fournissent normalement des médicaments uniquement aux patients hospitalisés, de distribuer de la morphine aux patients qui ne sont pas hospitalisés. Cette pratique, que plusieurs gouvernements consécutifs ont tolérée, a atténué la situation pour certains patients, mais une solution permanente et à l'échelle du pays est requise d'urgence, selon Human Rights Watch. 

Plusieurs médecins ont également déclaré qu'ils acceptaient et réutilisaient les analgésiques opioïdes que les familles ont abandonnés lorsqu'un être cher décède, pratique qui n'est pas légale au Guatemala mais qui a également été tolérée. Quelques travailleurs de la santé ont indiqué avoir suggéré à leurs patients d'essayer d'acheter des médicaments contre la douleur sur le marché noir, car les obtenir de façon légale n’était pas possible.

« Les médecins ne devraient pas avoir à repousser les limites de la loi pour fournir des soins appropriés à leurs patients », a conclu Diederik Lohman. « Ce gouvernement a l'occasion de résoudre ce problème persistant une fois pour toutes. »

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