Monsieur le président Flake, monsieur le chef de file de la minorité Booker, messieurs les autres membres de la sous-commission,
Je vous remercie vivement de m'avoir donné l'occasion de faire une déposition aujourd'hui sur la section 1502 de loi Dodd-Frank et son impact sur le commerce des « minéraux des conflits ». Human Rights Watch a documenté de nombreux abus commis en République démocratique du Congo depuis la chute de Mobutu Sese Séko et tout au long de la cruelle guerre civile que le pays a connue, ainsi que des violences et abus qui se poursuivent.
Depuis 2005, nous avons documenté les effets pernicieux du commerce de l'or sur les conditions de vie des civils dans l'est de la RD Congo. De nombreux groupes armés locaux, des rebelles soutenus par des pays étrangers et, parfois, l'armée nationale congolaise ont commis des meurtres, des viols et des pillages et enrôlé de force des enfants comme soldats, dans le cadres d'efforts pour obtenir ou conserver le contrôle de lucratives mines d'or, ce qui leur permettait de financer leurs mouvements aux pratiques abusives. Nous avons également documenté comment une grande compagnie minière a payé en 2005 un groupe rebelle pour qu'il explore sa zone de concession pour y trouver de l'or.
C'est pour ces raisons que Human Rights Watch a soutenu et continue de soutenir la disposition Dodd-Frank 1502. Nous ne l'avons jamais considérée comme une panacée pour faire cesser complètement les abus ou les violences en RD Congo. Nous la considérons plutôt comme un outil important au service d'un objectif spécifique : faire cesser les flux de fonds vers les groupes armés aux pratiques abusives qui tentent d'exploiter les lucratives ressources minières de la RD Congo, à travers davantage de transparence et de responsabilité.
Nous sommes ici aujourd'hui parce que la disposition Dodd-Frank 1502 risque d'être suspendue, voire même abrogée. Nous savons que la législation peut parfois être un outil inefficace et qu'elle peut avoir des conséquences imprévues. Conscients de ceci, nous nous réjouissons de la tenue d'une discussion sur les moyens dont la section 1502 pourrait atteindre ses objectives de manière plus efficace ; cependant, nous sommes fermement convaincus que sa suspension ou son abrogation serait néfaste à la sécurité, aux droits humains et aux entreprises qui font preuve de responsabilité. Pour être très clairs : si le président suspend la loi ou si le Congrès l'abroge, nous estimons que les répercussions seront très graves.
Cette audition survient à un moment critique pour la RD Congo. Au cours des deux dernières années, les responsables gouvernementaux et les forces de sécurité ont mené une brutale campagne de répression contre leurs concitoyens qui s'opposaient aux efforts du président Joseph Kabila pour se maintenir au pouvoir au-delà du 19 décembre 2016, date d'expiration des deux mandats consécutifs que lui autorisait la constitution. De nombreux manifestants pacifiques ont été tués, des activistes pro-démocratie et des dirigeants politiques d'opposition ont été emprisonnés, et des médias ont été fermés. Après de fortes pressions exercées par la communauté internationale — notamment l'adoption par les États-Unis de sanctions ciblées contre des responsables de haut rang, ainsi que d'autres mesures de fermeté soutenues par ce Congrès — le président Kabila a fait d'importantes concessions dans un accord conclu à la fin de l'année 2016 grâce à la médiation de l'Église catholique.
Cet accord prévoit l'organisation d'une élection présidentielle avant la fin de cette année et stipule clairement qu'il n'y aura ni amendement de la constitution ni référendum pour permettre à Kabila de briguer un troisième mandat. Toutefois, la mise en œuvre de l'accord est dans l'impasse, tandis que les violences entre diverses milices et les forces de sécurité congolaises sont en augmentation dans de nombreuses régions du pays, ce qui s'accompagne d'une hausse alarmante des violations des droits humains. Certaines de ces situations sont directement liées au fait que Kabila s'est maintenu au pouvoir après l'expiration de son mandat constitutionnel. Kabila a accepté de tenir des élections et de quitter le pouvoir, et les perspectives de stabilité dépendent probablement de sa volonté ou non de tenir cet engagement. La poursuite de l'implication américaine et de fermes pressions sur Kabila pour qu'il respecte sa parole est d'une importance critique.
Le mois dernier, deux membres du Groupe d'Experts des Nations Unies sur la RD Congo, Michael Sharp, un Américain, et Zaida Catalán, une Suédoise, ont été tués alors qu'ils enquêtaient sur des violations généralisées des droits humains dans la région des Kasaïs, dans le centre du pays. Il n'a pas encore été possible d'établir clairement qui est responsable de ces meurtres. Ces dernières années, le Groupe d'Experts a joué un rôle clé dans la révélation de liens entre le commerce des ressources naturelles, les groupes armés, le contournement des sanctions et les violences en RD Congo.
Dans ce contexte, la suspension ou l'abrogation de la disposition Dodd-Frank 1502 rendrait encore pire la situation en RD Congo, qui est déjà explosive. Des groupes armés aux pratiques abusives, des factions au sein des forces de sécurité et d'autres réseaux opaques s'apparentant à des mafias et prétendument liés à des responsables gouvernementaux pourraient alors facilement reprendre le contrôle de zones minières lucratives de l'est de la RD Congo pour financer leurs activités. Ceci pourrait conduire à de nouveaux problèmes de sécurité dans toute cette région instable — où certains des neuf pays limitrophes de la RD Congo ont profité illégalement des vastes richesses minières du pays. Et cela pourrait également créer un risque direct de sécurité pour les États-Unis, qui ont clairement intérêt à promouvoir la stabilité et la paix dans la région du centre de l'Afrique.
La suspension de la loi Dodd-Frank 1502 serait également dommageable pour les compagnies américaines responsables qui ont accepté cette loi et les principes qui la sous-tendent, parmi lesquelles certaines des compagnies les plus performantes et les plus réputées, telles que Apple, Intel et Tiffany. Ces entreprises, ainsi que d'autres, se retrouveraient soudain désavantagées par rapport à d'autres compagnies qui, elles, préfèrent fonctionner dans l'opacité d'une manière qui peut aider au financement de groupes armés. L'abrogation de la loi punirait les entreprises responsables et récompenserait les irresponsables en instaurant une « course vers le bas », légalisant l'opacité de l'approvisionnement en minéraux des conflits, tout en désavantageant les compagnies qui choisissent d'assainir leurs chaînes d'approvisionnement.
En l'absence de la disposition 1502, des groupes de la société civile pourraient être amenés à demander l'imposition de sanctions ciblées sur le secteur des minéraux congolais s'il devient évident que des groupes armés aux pratiques abusives tirent profit de ce commerce. De telles sanctions ciblées sont caractéristiques de l'approche choisie ces dernières années par la communauté internationale pour faire face à des problèmes de ce type. Quoique compréhensible, c'est une approche beaucoup plus draconienne que la transparence et les procédures d'audit exigées par la règle 1502. Il s'agit donc là de graves conséquences pour la RD Congo, pour d'importantes entreprises américaines et pour les droits humains.
La suspension de la loi 1502 faciliterait le financement occulte de groupes armés
L'objectif fondamental de la loi Dodd-Frank 1502 est d'empêcher l'argent de parvenir dans les mains des groupes armés qui trafiquent et tirent profit de certains minerais. Des organisations de défense des droits humains, des entreprises responsables et le gouvernement américain ont partagé cet objectif pendant des années. Il est important de ne pas perdre de vue un des aspects de cette loi : il s'agit d'un cas rare où les principales institutions au sein et en dehors du gouvernement ont été d'accord sur la nature du problème, ont eu la volonté d'y mettre fin et sont parvenues à mettre en place une loi dans ce but. C'est une chose que le Congrès et l'administration devraient appuyer.
Sans cette loi, il serait plus facile pour les groupes armés aux pratiques abusives de se financer secrètement, ce qui pourrait aider à déstabiliser davantage certaines régions de la RD Congo. À la mi-mars, Bloomberg News a affirmé que le ministre congolais des Mines, Martin Kabwelulu, avait écrit à la Commission des opérations de bourse américaine (Securities and Exchange Commission, SEC), mettant en garde contre l'abrogation de la loi 1502 qui, selon lui, conduirait à une « escalade des activités des groupes armés non étatiques. » Les États-Unis ont cherché pendant des décennies à obtenir une désescalade de ces activités ; la suppression d'un outil qui peut aider à atteindre ce but viendrait entraver la réalisation d'un objectif ancien de la politique étrangère américaine.
Ce problème pourrait être aggravé davantage par les éventuelles coupes budgétaires que l'administration pourrait imposer aux efforts de maintien de la paix de l'ONU en RD Congo et par d'éventuelles coupes additionnelles dans l'aide étrangère à ce pays. La combinaison d'une suspension ou d'une abrogation de la loi 1502 et d'une diminution des soutiens financiers aux opérations de maintien de la paix et aux autres formes d'assistance étrangère pourrait faciliter la tâche des groupes armés aux pratiques abusives qui cherchent à tirer profit des mineraux des conflits, tout en réduisant les fonds alloués aux entités destinées à endiguer les conflits et à promouvoir la stabilité.
Compte tenu de l'intérêt depuis longtemps manifesté par le Congrès à l'égard de la RD Congo, de la situation fragile qui prévaut sur le terrain et des milliards de dollars dépensés par les États-Unis en faveur des efforts de maintien de la paix dans le pays, ce scénario serait extrêmement contreproductif pour les intérêts géopolitiques et sécuritaires des États-Unis.
Quoique imparfaite, la loi Dodd Frank a d'ores et déjà eu des effets positifs tangibles pour la population de l'est de la RD Congo et pour les entités qui cherchent à imposer une plus grande transparence. Depuis 2012, les opérations d'extraction dans la mine d'étain de Kalimbi à Nyabibwe, dans le Sud Kivu, par exemple, a adopté une méthode fonctionnelle de traçabilité, qui permet une production continue d'étain bénéfique aux ouvriers locaux, et non pas aux groupes armés aux pratiques abusives ou à des responsables militaires ou gouvernementaux corrompus.
Global Witness a affirmé qu'en 2012, le gouvernement congolais avait suspendu les opérations de deux compagnies chinoises parce qu'elles n'avaient pas fait preuve de diligence raisonnable vis-à-vis des règles de transparence et qu'il les soupçonnait de s'approvisionner auprès de groupes armés. Mais il est troublant de constater que la même année, Global Witness a affirmé que deux officiers de l'armée congolaise avaient été surpris en train d'essayer de passer en contrebande plus de 1 000 livres (453 kilos) de divers minéraux, notamment du coltan. Le gouvernement a refusé d'engager des poursuites, mais l'officier qui les a arrêtés et a tenté de mettre fin à ce trafic a été suspendu. Actuellement, cependant, nous avons certaines indications selon lesquelles les responsables gouvernementaux congolais commencent à prendre des mesures pour empêcher que les revenus tirés des minerais ne profitent illégalement aux groupes armés ou à des militaires.
Il importe également de rappeler quels types de groupes pourraient se trouver enhardis et enrichis si la transparence et les systèmes de contrôle exigés par la loi Dodd-Frank venaient à disparaître. Human Rights Watch et d'autres organisations ont documenté les abus commis par plusieurs groupes armés qui ont bénéficié de ce commerce et les dommages qu'ils ont causés. Parmi eux, figurent un groupe armé connu sous le nom de Nduma Défense du Congo-Renové (NDC-R), l'un des groupes aux pratiques les plus abusives sévissant dans l'est de la RD Congo et qui bénéficie grandement de l'exploitation incontrôlée et illicite de l'or dans la région. Jusqu'à présent, les efforts de traçabilité ont eu beaucoup plus d'impact sur le commerce de l'étain, du tantale et du tungstène que sur celui de l'or. Le NDC-R a commis de graves violations des droits humains, dont le meurtre de dizaines de civils et le recrutement d'enfants, au cours des deux dernières années.
Le mois dernier, mes collègues se sont rendus dans le territoire de Walikale au Nord Kivu, dans l'est de la RD Congo, et ont rencontré plusieurs anciens enfants-soldats du NDC-R, ainsi que des mineurs. Ils nous ont raconté comment ce groupe, dirigé par Guidon Shimiray Mwissa, prélève systématiquement des taxes sur le lucratif commerce de l'or sur des dizaines de sites d'extraction. En exerçant un monopole sur des biens comme l'alcool et les cigarettes dans les puits de mine et en taxant illégalement les employés qui travaillent dans ou aux alentours des mines, Guidon gagne plus de 20 000 dollars par mois. Selon certains de ses anciens cadres, il se livrerait également à un trafic consistant à échanger de l'or contre des armes.
La suspension de la loi Dodd-Frank 1502 rendrait encore plus facile pour d'autres groupes armés aux pratiques abusives et pour des responsables corrompus de s'enrichir de la même façon que Guidon en rendant le commerce des minerais encore plus opaque et en facilitant les transactions avec les groupes armés. Ceci aggraverait encore une situation qui est déjà mauvaise.
La suspension ou l'abrogation de la section 1502 de la loi Dodd-Frank désavantagerait les compagnies américaines responsables
La suspension ou l'abrogation de la section 1502 de la loi Dodd-Frank aurait un impact négatif sur certaines compagnies américaines parmi les plus performantes, comme Tiffany, Intel et Apple. Ces entreprises ont pris d'importantes mesures pour maintenir leurs chaînes d'approvisionnement à distance de tout lien avec les abus commis en RD Congo et elles se retrouveraient dans une position désavantageuse dans leur compétition avec des compagnies enclines à opérer de manière moins responsable.
Les compagnies responsables ont travaillé durement pour se conformer aux exigences de la règle 1502. En mars 2016, Apple a annoncé que la totalité de sa chaîne d'approvisionnement en minerais potentiellement issus de zones de conflit avait fait l'objet d'un audit afin de s'assurer qu'elle était en conformité avec les exigences de Dodd-Frank 1502. Cette initiative a été largement saluée par les organisations de défense des droits humains. Quoique ses approvisionnements ne provenaient pas entièrement de zones libres de tout conflit, la compagnie est parvenue à instaurer le type de procédure de vérification nécessaire pour éliminer de sa chaîne d'approvisionnement les minerais qui alimentent les conflits. Il a fallu à la compagnie environ six ans de travail soutenu sur le terrain et avec ses fournisseurs pour atteindre cet objectif. Mais Apple ne se contente pas de se soucier de ses obligations légales ; la compagnie essaye également de nettoyer sa chaîne d'approvisionnement en cobalt après avoir fait l'objet d'une surveillance suite à l'apparition de problèmes le long de cette chaîne.
Intel a commencé à examiner les minerais potentiellement issus de zones de conflit en 2008 et a affirmé que depuis 2013, ses microprocesseurs étaient sans composants provenant de zones de conflit. La compagnie a affirmé être en voie de faire en sorte que la totalité de sa base de produit soit sans lien avec les conflits. Il lui a fallu plusieurs années pour assurer le contrôle de ses chaînes d'approvisionnement et pour se doter de la capacité de se fournir auprès de mines dûment contrôlées.
Intel a également commandé une importante étude sur l'attitude de la génération du millénaire au sujet des minerais issus des zones de conflit. Cette étude apporte des renseignements utiles sur la mentalité de consommateurs essentiels. 97% des personnes interrogées ont estimé que les compagnies devraient « agir d'une manière qui soit bénéfique à la société. » Près de 70% ont affirmé qu'elles éviteraient de recourir à des compagnies qu'elles considèreraient comme n'étant pas socialement responsables. Environ 70% se sont dites concernées par les minerais qui alimentent les conflits après avoir été informées à leur sujet, et un pourcentage similaire ont affirmé que la manière dont une compagnie se comportait au sujet des minéraux en provenance de zones de conflit influencerait leur propre attitude vis-à-vis de ses produits. Dodd-Frank 1502 apporte aux consommateurs les informations dont ils ont besoin pour prendre leurs décisions, aide les compagnies à satisfaire ces attentes et isole celles qui ne le font pas.
Tiffany & Co., l'une des entreprises de bijouterie les plus célèbres et les plus prestigieuses du monde, a également investi un temps et des ressources considérables pour s'assurer qu'elle contrôle suffisamment sa chaîne d'approvisionnement pour en exclure les minerais de conflits. Elle effectue des examens détaillés de ses chaînes mondiales d'approvisonnement. Elle coopère, comme d'autres compagnies, à des programmes visant à soutenir des fonderies non liées à des zones conflit, entre autres initiatives. La compagnie a fait cet investissement pour s'assurer que ses produits sont sans lien avec des conflits.
Chacune de ces compagnies est emblématique des États-Unis et a une position de premier plan dans son industrie. Et aucune d'elles ne souhaite que Dodd-Frank 1502 ou des règlementations comparables disparaissent.
Lorsqu'il est apparu que la disposition 1502 pourrait être suspendue, Tiffany a publié une déclaration dans laquelle elle affirmait : « Nous croyons fermement que le maintien en place d'une règlementation fédérale relative au sourçage des minéraux de conflits constitue un cadre d'activité important pour l'industrie, établissant les bases d'une protection des droits humains et d'efforts de responsabilisation du sourçage en RD Congo et au-delà. Nous exhortons le Congrès à soutenir une législation qui promeut efficacement des attitudes de diligence raisonnable et de transparence dans le sourçage de tous les métaux et pierres précieuses issus de zones de conflit. »
Richline Group, un groupe de bijouterie appartenant à la compagnie Berkshire Hathaway de Warren Buffet, s'est également prononcé en faveur de la législation, affirmant que « la section 1502 s'est avérée comme étant un premier pas important et efficace dans les efforts visant à créer en RD Congo une industrie minière qui échappe à l'influence des conflits et qui bénéficie aux professionnels légitimes plutôt qu'aux individus qui se livrent à l'extortion et aux violences », ajoutant: « nous appuyons totalement la poursuite de l'application de la section 1502. »
Me basant sur mon expérience personnelle, je sais que le PDG d'une de ces compagnies était très réservé au sujet de la règle Dodd-Frank 1502 lorsqu'elle a pris force de loi, mais que cette personne a vu par la suite que c'était une chose que sa compagnie pouvait mettre en œuvre, d'une part parce que c'était beaucoup moins coûteux et laborieux que’elle ne l'avait cru tout d'abord, d'autre part parce que c'était la bonne chose à faire pour la compagnie.
Le soutien apporté à la loi Dodd-Frank par de grandes entreprises illustre la conséquence fâcheuse que causerait sa suspension ou son abrogation: cela créerait une compétition inéquitable, désavantageant d'importantes sociétés américaines par rapport à des compagnies qui ne veulent pas faire la lumière sur leurs chaînes d'approvisionnement ou, pire encore, ne se soucient pas de savoir si leurs activités mènent au financement secret de groupes armés en RD Congo. Dans cette optique, l'abrogation de la loi 1502 créerait une incitation perverse à se comporter de manière moins responsable et entraverait les efforts des compagnies responsables. Tiffany, Apple, Intel et Richline se sont déclarées convaincues que tenir les minerais de conflits hors de leurs chaînes d'approvisionnement était la juste attitude à adopter et ont affirmé qu'elles continueraient à le faire. Mais sans règlementation, leur attitude responsable aurait un coût très élevé pour elles. Dodd-Frank a l'avantage de niveler le champ de compétition et d'assurer que les compagnies responsables ne soient pas pénalisées pour avoir fait ce qui est bien, tout en exigeant des autres qu'elles se conforment à des normes minimales.
En outre, 129 investisseurs détenteurs d'actifs d'une valeur combinée d'environ 5 000 milliards de dollars ont également exhorté le gouvernement américain à maintenir la loi en place et à s'assurer de la poursuite de son application.
Les États-Unis devraient garder le cap qu'ils ont suivi avec succès pendant des décennies: être le premier pays à adopter une loi forte assurant que les compagnies se comportent de manière responsable, puis œuvrer avec diligence pour s'assurer que les autres fassent de même. C'est ce qu'ils ont fait avec la Loi sur les pratiques étrangères corrompues (Foreign Corrupt Practices Act). Les États-Unis ont adopté cette loi en 1977, puis se sont efforcés de convaincre d'autres pays d'adopter des principes similaires et maintenant, il existe un important régime mondial anti-corruption qui inclut de nombreux pays eux-mêmes dotés d'une ferme législation anti-corruption. Des institutions multilatérales comme l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) et les Nations Unies ont également mis au point leurs propres normes. Les États-Unis ont joué un rôle de premier plan dans ces efforts — en partie parce qu'ils donnaient eux-mêmes le bon exemple.
Cette approche a prévalu également avec la loi 1502. Son adoption par les États-Unis a amené l'Union européenne (UE) et l'OCDE, par exemple, à développer leurs propres normes relatives aux minéraux en provenance de zones de conflit, lesquelles, au moins dans le cas de l'UE, s'appliqueront à un large éventail de compagnies qui ne sont pas sous juridiction américaine. Tout récemment, en mars, le Parlement européen a approuvé de nouvelles règles concernant les minerais provenant de zones de conflit. Cette approche instaure une compétition vertueuse dans laquelle les compagnies américaines jouent un rôle de leadership, alors que la suspension de la loi 1502 créerait une course vers le bas qui nuirait aux compagnies américaines.
Cinq ans après l'entrée en vigueur de ces règles, des progrès peuvent être constatés. Il existe plus de 200 fonderies opérant hors de l'influence des conflits et, comme je l'ai dit précédemment, d'importantes compagnies s'efforcent de se mettre en totale conformité avec la loi et ne veulent pas que celle-ci disparaisse. En outre, d'autres autorités sont en train de mettre au point leurs propres règles, dans le même esprit.
Au plan international, l'Association des opérateurs du marché de l'or (Bullion Market Association) de Londres et le Centre des transactions sur les denrées (Multi-Commodities Center) de Dubai sont en train de mettre en place des politiques visant à faire face au problème des fonds illicites générés par le trafic des minéraux. En RD Congo, l'International Tin Supply Chain Initiative, qui vise à assainir les chaînes d'approvisionnement en étain, s'efforce également d'appuyer les efforts des compagnies en matière de diligence raisonnable. Toutes ces initiatives sont relativement nouvelles et leur efficacité n'est pas encore connue, mais elles reflètent le mouvement général créé par la loi 1502 et ce qui pourrait être perdu si elle était abrogée.
Sur le terrain, d'importants segments de la société civile congolaise sont généralement favorables à la loi. Comme l'a écrit le Dr. Denis Mukwege dans le New York Times en 2015, « une industrie minière libérée de l'influence des conflits bénéficierait grandement à la population de la RD Congo et contribuerait à mettre fin aux violences indicibles qu'elle a subies depuis des années. Les outils législatifs pour y parvenir sont disponibles pour les décideurs internationaux mais ils doivent être adoptés et mis en œuvre. » Ce point de vue est partagé par de nombreuses organisations de la société civile.
Les limites de la section 1502 de la loi Dodd-Frank
Il y a de très fortes raisons de maintenir en place la loi 1502, mais nous ne voulons pas minimiser le fait qu'elle présente certaines faiblesses, ni prétendre que la mise en application de la loi a été parfaite, ni suggérer qu'elle est la seule réponse possible aux conflits et aux abus commis dans l'est de la RD Congo.
Lors de la période ayant suivi l'adoption de la loi Dodd Frank en 2010 et avant la finalisation de ses règles d'application en 2012, l'incertitude, de mauvaises informations et d'autres facteurs ont entraîné des conséquences négatives sur le terrain. L'incertitude qui régnait avant l'émission des règles définitives d'application a provoqué un boycottage de facto, les compagnies évitant de s'approvisionner en RD Congo. Il existe aussi des preuves que les violences liées à l'extraction des minerais n'ont pas diminué pendant cette période.
Cependant, ces problèmes ne sont pas uniquement dûs à la loi Dodd-Frank 1502. Le gouvernement Kabila en a aggravé l'impact économique négatif quand il a ordonné un moratoire de six mois sur toute l'extraction minière dans les Kivus en 2010. Entre 2010 et 2012, soit la période qui s'est écoulée entre l'adoption de la loi 1502 et la mise en œuvre de ses règles définitives, les compagnies ont choisi de boycotter la RD Congo, puisque rien dans la loi ne les obligeait à cesser de faire des affaires avec ce pays. Ces mesures, combinées à l'incertitude au sujet des règles définitives de la loi Dodd-Frank, ont créé des problèmes.
Il y a encore des informations selon lesquelles les mineurs artisanaux font face à des problèmes, notamment les bas prix qui affectent les mineurs de coltan.
Un autre problème essentiel vient du fait que les compagnies américaines sont encore lentes à se conformer à la loi. En 2015, Global Witness et Amnesty International ont affirmé que jusqu'à 80% des compagnies sous revue ne révélaient pas et ne supervisaient pas de manière appropriée leur chaîne d'approvisionnement en minéraux provenant de zones de conflit. Il s'agit là d'un champ important de croissance et de développement — car cela peut aider à renforcer l'impact positif de la loi et à créer un champ d'action plus équitable pour toutes les compagnies le long de la chaîne.
La voie vers l'avant
Nous sommes ouverts à des propositions constructives pour faire en sorte que la loi Dodd-Frank 1502 soit plus efficace. La suspension ou l'abrogation de la loi ne permettra pas d'atteindre cet objectif et, au contraire, désavantagerait les compagnies responsables, tout en créant probablement davantage d'instabilité dans certaines régions de la RD Congo et en rendant plus facile pour les groupes armés aux pratiques abusives de financer leurs activités.
Si les groupes industriels ou les compagnies elles-mêmes ont des idées spécifiques sur les moyens de rendre la loi 1502 plus efficace, vous devriez vous assurer qu'ils les fassent connaître. Il y a déjà des indications selon lesquelles les coûts de la mise en œuvre de la loi 1502 diminuent de manière significative au fur et à mesure que de nouveaux outils sont développés pour faciliter les efforts pour s'y conformer. ELM Sustainability Partners a effectué une évaluation de l'impact de la loi et a constaté que les coûts totaux supportés par l'industrie pour se mettre en conformité représentaient seulement 15 à 26% des coûts d'origine qui avaient été rapportés par la SEC. Simultanément, l'est de la RD Congo a fait état de chiffres d'exportations records pour l'étain et le tantale libres de l'influence des conflits en 2016.
Vous devriez également commander une étude — peut-être de la part du GAO — sur les moyens de promouvoir sur le terrain les minerais non affectés par les conflits, et sur des mesures incitatives plus fortes pour promouvoir et récompenser les compagnies responsables.
Malheureusement, les principaux détracteurs de la loi dans l'industrie, à savoir l'Association nationale des fabricants (National Association of Manufacturers), n'ont pas présenté de propositions spécifiques qui amélioreraient la loi 1502 pour la rendre plus efficace. De nombreuses organisations discutent régulièrement de l'application de la loi avec d'importantes compagnies et ont écouté attentivement leurs préoccupations et leurs critiques.
Par principe, nous estimons que les compagnies faisant preuve de responsabilité dans n'importe quel secteur devraient être récompensées pour avoir protégé les droits humains dans le cadre de leurs opérations, et que les autres devraient être dûment incitées à faire de même. D'une manière générale, le coût du capital pour les compagnies responsables qui se conforment à la loi devrait être inférieur à ce qu'il est pour les compagnies qui ne s'y conforment pas et les compagnies responsables devraient se voir offrir davantage de possibilités.
Dans ce contexte, nous vous encourageons à soutenir les propositions faites par les associations industrielles d'avantager les compagnies respectueuses de la loi 1502 dans les attributions de marchés gouvernementaux, ainsi que les efforts des investisseurs responsables pour favoriser et appuyer ces compagnies plutôt que d'autres. Et, bien que nous ne soyons pas experts en matière de politique fiscale, cela vaudrait la peine que le Congrès, entre autres, examine comment utiliser les crédits d'impôt ou d'autres moyens d'incitation comparables pour faciliter la mise en application de la loi 1502, parce que cela aiderait à réduire les coûts de cette application pour les compagnies.
Pour finir, nous suggérons au Congrès d'encourager les efforts visant à soutenir et promouvoir l'installation sur le terrain de fonderies libres de l'influence des conflits. Le principal moyen de le faire est de s'assurer que davantage d'entreprises se conforment à la loi et s'approvisionnent auprès de mines et de fonderies responsables. Compte tenu du fait que les États-Unis demeurent le plus gros pays donateur de la Banque mondiale, il serait intéressant d'examiner comment cette institution pourrait aider le gouvernement et l'industrie de la RD Congo à développer un marché indépendant de tout conflit.
Conclusion
La situation en RD Congo est complexe. Mais il est très probable que la suspension de la loi Dodd-Frank 1502 ou son abrogation contribuerait à une plus grande instabilité, créerait un désavantage compétitif pour les compagnies responsables, et pourrait créer un troublant paradoxe par lequel, alors que l'assistance américaine à la RD Congo et aux opérations de maintien de la paix de l'ONU diminuerait, les possibilités pour les groupes armés aux pratiques abusives de gagner de l'argent grâce aux minéraux issus des zones de conflit augmenteraient. Les États-Unis risqueraient également d'être dépassés par d'autres pays dans un domaine où ils ont établi un exemple au niveau mondial – ce n'est pas ce que le Congrès devrait chercher à encourager ou à soutenir.
À l'inverse, nous espérons que l'administration et le Congrès chercheront à améliorer la loi 1502, à soutenir les compagnies responsables et à choisir une approche globale du défi consistant à empêcher les revenus tirés des minéraux issus des zones de conflit de tomber aux mains de groupes armés aux pratiques abusives, qu'il s'agisse de milices, de rebelles, de mafias ou de troupes gouvernementales.