(Washington, le 10 février 2017) – Une proposition apparemment en cours d'examen par l'administration Trump pour suspendre une règle qui oblige les sociétés à révéler l'origine de leurs sources d'approvisionnement en or et autres « minéraux potentiellement issus de zones de conflit » risque d’enrichir les groupes armés commettant des abus en Afrique.
La suspension de la règle, connue sous le nom de loi Dodd-Frank 1502, saperait les efforts positifs déployés pour éliminer les minéraux issus de zones de conflit de la chaîne d'approvisionnement des grandes entreprises. Le commerce de ces minéraux a enrichi les groupes armés aux pratiques abusives en RD Congo et dans les pays voisins, a déclaré Human Rights Watch.
« Si l'administration Trump veut "assainir le marais", cela n'a aucun sens d’affaiblir l’action des entreprises qui tentent d’empêcher l’enrichissement de malfrats aux pratiques abusives », a déclaré Arvind Ganesan, directeur de la division Entreprises et droits humains à Human Rights Watch. « De nombreuses entreprises de premier plan ont adopté la règle Dodd-Frank et prouvé qu'elle fonctionne. »
Cette manœuvre suspendrait la mise en œuvre de la loi 1502 pendant deux ans et pourrait présager d'une visée pour abroger la loi sous-jacente. La suspension génèrerait un handicap concurrentiel pour les entreprises responsables et profiterait à d'autres qui ne souhaitent pas divulguer leurs sources d'approvisionnement pour décourager le commerce des minéraux issus de zones de conflit, a déclaré Human Rights Watch.
Si la règle était suspendue, les États-Unis seraient également à la traîne sur l'échiquier mondial des efforts visant à mettre fin au commerce des minéraux issus de zones de conflit. L'Union européenne envisage une règle semblable et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a élaboré des directives qui encouragent le déploiement d'efforts similaires par les multinationales.
La loi a été adoptée en 2010 afin de mettre un frein au commerce des minéraux issus de zones de conflit. Ces minéraux représentent un enjeu international du fait qu'ils sont des composants fondamentaux de l'industrie électronique, de la bijouterie et de l'aérospatiale.
La Securities and Exchange Commission (SEC) a finalisé la règle qui rend la loi Dodd-Frank 1502 opérationnelle en 2012, mais la règle modifiée est entrée en vigueur en 2014 suite à un recours juridique. Depuis sa mise en œuvre, de grandes entreprises comme Apple, Intel, et Tiffany & Co ont déployé des efforts adéquats pour se conformer à la règle. Tiffany & Co a vivement recommandé de laisser la règle en place. D'autres entreprises l’ont bien accueillie également et ont déclaré que ces efforts visant à garantir que leurs opérations n'ont pas de lien avec les conflits font maintenant partie intégrante de leurs pratiques.
Un rapport de Human Rights Watch de 2005 intitulé « Le fléau de l'or » a documenté la manière dont les groupes armés locaux se disputant le contrôle des mines d'or et des routes commerciales en RD Congo ont commis des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité en utilisant les bénéfices tirés de l'or pour financer leurs activités et acheter des armes.
Dans un cas, lors d'un conflit qui dura 18 mois en 2002 et 2003, des groupes armés ont lutté pour contrôler une ville minière située dans la région de l'Ituri. Tandis que la ville a changé de main cinq fois, les chefs de guerre ont massacré 2 000 civils, procédé à des exécutions sommaires, violé, torturé et perpétré d'autres abus contre des civils. Ils ont également arrêté de manière arbitraire des individus perçus comme leurs ennemis. Des dizaines de milliers de civils ont dû fuir leur domicile, laissant derrière eux tout ou partie de leurs biens laissés au pillage ou à la destruction.
Lors de l'occupation du nord-est de la RD Congo par l'Ouganda de 1998 à 2003, les soldats ont pris le contrôle de régions riches en or et ont contraint les orpailleurs à extraire de l'or à leur profit. Leurs pratiques minières irresponsables ont provoqué l'effondrement de l'une des principales mines de la région en 1999, tuant 100 personnes prises au piège et détruisant une importante source de subsistance pour les habitants de la région.
Les voix qui s'opposent à la réglementation comme la National Association of Manufacturers (Association nationale des industriels) prétendent que la mise en œuvre de la loi coûterait de 9 à 16 milliards de dollars américains à des milliers d'entreprises. Toutefois, une évaluation indépendante réalisée par Elm Associates présentée à la SEC a établi que les coûts réels seraient bien moindres — plus proches de 800 millions de dollars américains — et que ces coûts iraient en diminuant avec le temps.
« L'administration Trump ne devrait pas supprimer la règle soutenue et suivie par des entreprises de premier plan », a conclu Arvind Ganesan. « La loi Dodd-Frank 1502 aide à prévenir l'enrichissement par le biais des ressources minérales des chefs de guerre aux pratiques abusives en RD Congo. Cette règle a servi de modèle à d'autres règles similaires dans plusieurs pays et elle empêche le consommateur américain de financer à son insu d'atroces violations des droits humains.»