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UE : Placer les droits humains au-dessus des considérations politiques

Déléguer à la Libye la responsabilité de gérer les migrations est une approche empreinte de risques

(Bruxelles) – L'Union européenne (UE) et ses États membres devraient s'assurer que toute coopération en matière de migration avec la Libye et les autres pays de l'Afrique du Nord donne une priorité absolue à la vie, aux droits et à la dignité des migrants, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.

Les dirigeants de l'UE se réuniront à Malte le 3 février, pour des discussions sur de nouveaux efforts visant à endiguer les migrations par voie maritime en Méditerranée centrale. Ils discuteront d'un accroissement du financement et de la formation du Gouvernement d'union nationale libyen soutenu par les Nations Unies – l'une des trois autorités rivales qui se disputent la légitimité dans le pays – pour renforcer la surveillance et le contrôle des frontières, à la fois le long des côtes et aux confins sud de la Libye. Des mesures de coopération en matière de migration avec l'Algérie, la Tunisie et l'Égypte, axées sur la réadmission, le contrôle des frontières et les moyens de bloquer de nouveaux itinéraires de migration, seront également sur la table lors de la réunion de Malte.

« Qu'ils soient décrits froidement en termes politiques ou présentés comme un programme plein de compassion pour sauver des vies, les efforts de l'UE pour barrer la route aux embarcations en provenance de Libye reviennent à déléguer la responsabilité de gérer la migration à une seule partie dans un pays en proie aux conflits et où les migrants sont souvent soumis à d'horribles abus », a déclaré Judith Sunderland, directrice adjointe de la division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch. « Ce que l'UE souhaite appeler une ‘mesure de protection’ pourrait bien en réalité se solder par encore plus de cruauté sur le sable et en mer. »

Des migrants, interceptés alors qu’ils tentaient d'atteindre l'Europe, assis dans un camp de détention à Gheryan, dans l'ouest de la Libye, le 1er décembre 2016. © 2016 Reuters


La réunion de Malte survient à un moment sensible politiquement, alors que divers politiciens européens font la promotion de mesures alarmantes afin de minimiser les flux migratoires par voie maritime en provenance d'Afrique du nord, a déclaré Human Rights Watch. Le Premier ministre maltais, Joseph Muscat, a proposé un accord avec la Libye similaire à celui conclu avec la Turquie, qui permet à l'UE de renvoyer des demandeurs d'asile. L'Autriche défend activement le modèle australien des centres offshore de traitement des migrants, malgré l'existence de preuves que des abus y sont commis. Enfin, il semble y avoir un consensus pour s'appuyer de plus en plus sur le « concept du pays tiers sûr » pour entériner le renvoi dans les pays de première arrivée en dehors de l'UE de migrants n'ayant pas la nationalité de ces pays.

La possibilité que l'UE envisage sérieusement de renvoyer des migrants en Libye est source de grave préoccupation, a déclaré Human Rights Watch. Dans un document interne que l'organisation a pu consulter, Malte, qui assure actuellement la présidence tournante de l'UE, a suggéré que l'UE s'efforce de réinterpréter l'obligation de non-refoulement dans les « situations de crise ». Le journal Malta Today a laissé entendre que le document final de la réunion approuverait l'idée selon laquelle l'UE devrait examiner « la possibilité de renvoyer des migrants en Libye, ainsi que les obstacles potentiels à cette politique, tout en respectant le droit international. »

« L'idée que l'UE puisse envisager des moyens de contourner le droit international et de renvoyer des personnes en Libye où elles seront exposées au risque de subir des abus, montre à quel bas niveau le dialogue politique est tombé », a affirmé Judith Sunderland. « Renvoyer des gens constituerait une violation du droit, sans parler de la décence la plus élémentaire, ainsi qu'une trahison des valeurs sur lesquelles l'UE et ses États membres se sont construits. »

Les preuves que les migrants subissent des brutalités en Libye sont massives, a affirmé Human Rights Watch. Dans un rapport accablant paru en décembre 2016, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme et la mission de l'ONU en Libye ont documenté la prévalence de cas de malnutrition, de travaux forcés, de maladie, des passages à tabac, des abus sexuels, des tortures et d'autres exactions, dans les centres de détention pour immigrants en Libye. Dans un mémorandum ayant fait l'objet d'une fuite dans la presse cette semaine, le ministère allemand des Affaires étrangères affirme que des migrants en Libye sont exécutés, torturés, violés, soudoyés et chassés dans le désert « quotidiennement. » Human Rights Watch a documenté des abus contre des migrants en Libye depuis des années, y compris de la part d'agents des garde-côtes libyens.

Aux termes du droit européen et du droit international, il est illégal pour les pays de l'UE de renvoyer quiconque en un lieu où existe un risque réel de grave danger comme en Libye – c'est l'obligation de non-refoulement. En octobre 2015, le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (UNHCR) a appelé tous les pays à accorder aux civils fuyant la Libye, y compris aux non-Libyens, l'accès à leur territoire. Cet appel est sans aucun doute plus pertinent que jamais, a déclaré Human Rights Watch. Le HCR a également appelé tous les États à suspendre tout renvoi de force vers la Libye tant que la situation en matière de sécurité et de droits humains dans ce pays ne se sera pas grandement améliorée. En Italie, les arbitres des demandes d'asile et les tribunaux ont accordé des permis de séjour humanitaires à des migrants non Libyens, en raison de violences subies par eux en Libye. La Libye n'est pas un État partie à la Convention sur les réfugiés de 1951 et n'a pas de lois ou de procédures internes régissant l'examen des demandes d'asile.

Les dirigeants réunis à Malte sont censés approuver le 3 février le principe d'une meilleure coopération avec l'Organisation internationale des migrations (OIM) et avec l'UNHCR, afin d'améliorer les conditions de vie et le traitement des migrants, y compris des demandeurs d'asile et des réfugiés, en Libye. Des améliorations concrètes et des protections accrues pour les migrants sont désespérément nécessaires, mais des options pour pouvoir sortir de Libye de manière sûre et légale, y compris une réinstallation ailleurs, sont tout aussi vitales, a affirmé Human Rights Watch. Cependant, les réalités sur le terrain militent contre des progrès dans le court terme. Le chef du HCR pour l'Europe, Vincent Cochetel, a souligné les limites de ce que son agence et les autres organisations humanitaires peuvent faire en Libye.

Plus de 180 000 migrants ont débarqué en Italie en 2016; environ 15% étaient des enfants, dont la grande majorité voyageaient seuls. Quelque 24 000 femmes figuraient parmi les arrivants en 2016, dont près de la moitié en provenance du Nigéria. L'OIM estime que 80% des femmes nigérianes en Italie sont des victimes de la traite de personnes. Au moins 4 579 personnes sont mortes en Méditerranée centrale en 2016, et 227 ont déjà péri ou sont portées disparues au cours du premier mois de 2017.

Accroître la capacité des autorités libyennes et des pays voisins de sauver des vies en mer et à terre, et soutenir la mise en place de véritables régimes de protection dans les premiers pays d'arrivée sont d'importants objectifs à long terme. Mais ils ne peuvent se substituer à un accès à une protection au sein de l'UE pour ceux qui en ont besoin maintenant.

L'UE devrait veiller à la la poursuite de missions robustes de repérage et de secours en Méditerranée centrale, y compris par les organisations non gouvernementales, qui effectuent un travail vital ; chercher à obtenir l'autorisation pour des navires battant pavillon de l'UE d'aider aux opérations de sauvetage dans les eaux territoriales libyennes; et acheminer tous les rescapés en Europe pour déterminer de manière équitable leurs besoins en termes de protection.

Les dirigeants de l'UE devraient soutenir la mise en place d'un mécanisme permettant de surveiller – de manière indépendante, impartiale et transparente – la situation dans les centres de détention de migrants en Libye, évaluer si les efforts pour soulager les souffrances des migrants donnent des résultats, et être prêts à suspendre la formation et la coopération en Libye si de graves abus continuent d'être commis.

Les États membres devraient se partager plus équitablement la responsabilité des demandeurs d'asile et accentuer les efforts de réinstallation d'un plus grand nombre de demandeurs d'asile actuellement en Italie vers d'autres pays de l'UE. Et elle devrait augmenter les moyens sûrs et légaux par lesquels les migrants, y compris les demandeurs d'asile et les réfugiés, peuvent atteindre l'Europe. Cela implique d'augmenter de manière importante les réinstallations de personnes auxquelles le statut de réfugié a été reconnu, l'utilisation de visas humanitaires pour permettre à des demandeurs d'asile d'entrer sur le territoire de l'UE afin de demander une protection, et de faciliter la réunification des familles.

« Les dirigeants de l'UE ont beau aspirer à voir la Libye devenir un pays stable, sûr, gouverné par l'état de droit et capable de contrôler ses frontières de manière respectueuse des droits humains, mais pour l'instant le droit d'asile y est non existant et la situation des migrants est un affront aux principes fondamentaux de l'humanité », a conclu Judith Sunderland. « L'UE ne peut pas se laver les mains de cette réalité en se contentant de verser de l'argent et de financer des programmes de formation. »

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