La
réunion de Malte survient à un moment sensible politiquement, alors que divers politiciens européens font la promotion de mesures alarmantes afin de minimiser les flux migratoires par voie maritime en provenance d'Afrique du nord, a déclaré Human Rights Watch. Le Premier ministre maltais, Joseph Muscat, a
proposé un accord avec la Libye similaire à celui conclu avec la Turquie, qui permet à l'UE de renvoyer des demandeurs d'asile. L'Autriche défend activement le modèle australien des centres offshore de traitement des migrants, malgré l'existence de preuves que des abus y sont commis. Enfin, il semble y avoir un consensus pour s'appuyer de plus en plus sur le «
concept du pays tiers sûr » pour entériner le renvoi dans les pays de première arrivée en dehors de l'UE de migrants n'ayant pas la nationalité de ces pays.
La possibilité que l'UE envisage sérieusement de renvoyer des migrants en Libye est source de grave préoccupation, a déclaré Human Rights Watch. Dans un document interne que l'organisation a pu consulter, Malte, qui assure actuellement la présidence tournante de l'UE, a suggéré que l'UE s'efforce de réinterpréter l'obligation de non-refoulement dans les «
situations de crise ». Le journal
Malta Today a laissé entendre que le document final de la réunion approuverait l'idée selon laquelle l'UE devrait examiner «
la possibilité de renvoyer des migrants en Libye, ainsi que les obstacles potentiels à cette politique, tout en respectant le droit international. »
«
L'idée que l'UE puisse envisager des moyens de contourner le droit international et de renvoyer des personnes en Libye où elles seront exposées au risque de subir des abus, montre à quel bas niveau le dialogue politique est tombé », a affirmé Judith Sunderland. «
Renvoyer des gens constituerait une violation du droit, sans parler de la décence la plus élémentaire, ainsi qu'une trahison des valeurs sur lesquelles l'UE et ses États membres se sont construits. »
Les preuves que les migrants subissent des brutalités en Libye sont massives, a affirmé Human Rights Watch. Dans un
rapport accablant paru en décembre 2016, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme et la mission de l'ONU en Libye ont documenté la prévalence de cas de malnutrition, de travaux forcés, de maladie, des passages à tabac, des abus sexuels, des tortures et d'autres exactions, dans les centres de détention pour immigrants en Libye. Dans un mémorandum
ayant fait l'objet d'une fuite dans la presse cette semaine, le ministère allemand des Affaires étrangères affirme que des migrants en Libye sont exécutés, torturés, violés, soudoyés et chassés dans le désert «
quotidiennement. » Human Rights Watch a documenté des abus contre des migrants en
Libye depuis des années, y compris de la part d'agents des garde-côtes libyens.
Aux termes du droit européen et du droit international, il est illégal pour les pays de l'UE de renvoyer quiconque en un lieu où existe un risque réel de grave danger comme en Libye – c'est l'obligation de non-refoulement. En octobre 2015, le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (UNHCR)
a appelé tous les pays à accorder aux civils fuyant la Libye, y compris aux non-Libyens, l'accès à leur territoire. Cet appel est sans aucun doute plus pertinent que jamais, a déclaré Human Rights Watch. Le HCR a également appelé tous les États à suspendre tout renvoi de force vers la Libye tant que la situation en matière de sécurité et de droits humains dans ce pays ne se sera pas grandement améliorée. En Italie, les arbitres des demandes d'asile et les tribunaux ont accordé des permis de séjour humanitaires à des migrants non Libyens, en raison de violences subies par eux en Libye. La Libye n'est pas un État partie à la Convention sur les réfugiés de 1951 et n'a pas de lois ou de procédures internes régissant l'examen des demandes d'asile.
Les dirigeants réunis à Malte sont censés approuver le 3 février le principe d'une meilleure coopération avec l'Organisation internationale des migrations (OIM) et avec l'UNHCR, afin d'améliorer les conditions de vie et le traitement des migrants, y compris des demandeurs d'asile et des réfugiés, en Libye. Des améliorations concrètes et des protections accrues pour les migrants sont désespérément nécessaires, mais des options pour pouvoir sortir de Libye de manière sûre et légale, y compris une réinstallation ailleurs, sont tout aussi vitales, a affirmé Human Rights Watch. Cependant, les réalités sur le terrain militent contre des progrès dans le court terme. Le chef du HCR pour l'Europe, Vincent Cochetel, a souligné les limites de ce que son agence et les autres organisations humanitaires peuvent faire en Libye.
Plus de 180 000 migrants ont débarqué en Italie en 2016; environ 15% étaient des enfants, dont la grande majorité voyageaient seuls. Quelque 24 000 femmes figuraient parmi les arrivants en 2016, dont près de la moitié en provenance du Nigéria. L'OIM estime que 80% des femmes nigérianes en Italie sont des victimes de la traite de personnes. Au moins 4 579 personnes sont mortes en Méditerranée centrale en 2016, et 227 ont déjà péri ou sont portées disparues au cours du premier mois de 2017.
Accroître la capacité des autorités libyennes et des pays voisins de sauver des vies en mer et à terre, et soutenir la mise en place de véritables régimes de protection dans les premiers pays d'arrivée sont d'importants objectifs à long terme. Mais ils ne peuvent se substituer à un accès à une protection au sein de l'UE pour ceux qui en ont besoin maintenant.
L'UE devrait veiller à la la poursuite de missions robustes de repérage et de secours en Méditerranée centrale, y compris par les organisations non gouvernementales, qui effectuent un travail vital ; chercher à obtenir l'autorisation pour des navires battant pavillon de l'UE d'aider aux opérations de sauvetage dans les eaux territoriales libyennes; et acheminer tous les rescapés en Europe pour déterminer de manière équitable leurs besoins en termes de protection.
Les dirigeants de l'UE devraient soutenir la mise en place d'un mécanisme permettant de surveiller – de manière indépendante, impartiale et transparente – la situation dans les centres de détention de migrants en Libye, évaluer si les efforts pour soulager les souffrances des migrants donnent des résultats, et être prêts à suspendre la formation et la coopération en Libye si de graves abus continuent d'être commis.
Les États membres devraient se partager plus équitablement la responsabilité des demandeurs d'asile et accentuer les efforts de réinstallation d'un plus grand nombre de demandeurs d'asile actuellement en Italie vers d'autres pays de l'UE. Et elle devrait augmenter les moyens sûrs et légaux par lesquels les migrants, y compris les demandeurs d'asile et les réfugiés, peuvent atteindre l'Europe. Cela implique d'augmenter de manière importante les réinstallations de personnes auxquelles le statut de réfugié a été reconnu, l'utilisation de visas humanitaires pour permettre à des demandeurs d'asile d'entrer sur le territoire de l'UE afin de demander une protection, et de faciliter la réunification des familles.
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Les dirigeants de l'UE ont beau aspirer à voir la Libye devenir un pays stable, sûr, gouverné par l'état de droit et capable de contrôler ses frontières de manière respectueuse des droits humains, mais pour l'instant le droit d'asile y est non existant et la situation des migrants est un affront aux principes fondamentaux de l'humanité », a conclu Judith Sunderland. «
L'UE ne peut pas se laver les mains de cette réalité en se contentant de verser de l'argent et de financer des programmes de formation. »