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Mali : Recrudescence des abus commis par les groupes islamistes armés et du banditisme

Les meurtres, la répression et l’insécurité mettent en danger les civils du nord et du centre du pays

Un militaire examine les décombres suite à un attentat suicide à la voiture piégée commis le 29 novembre 2016 à l’aéroport de Gao, au Mali. L’aéroport est essentiellement utilisé par les forces de l’ONU stationnées dans cette ville. L’attaque a été revendiquée par le groupe armé Al-Mourabitoun, qui s’est rendu coupable de perfidie – un crime de guerre – en utilisant deux véhicules chargés d’explosifs portant le sigle de l’ONU pour s’introduire dans l’aéroport.  © 2016 AFP / Getty Images
(Nairobi) - Les groupes islamistes armés dans le nord et le centre du Mali ont exécuté de nombreuses personnes et imposent de plus en plus de restrictions à la vie dans les villages. Le gouvernement malien a été généralement incapable de protéger les civils vulnérables du nord et du centre du pays. De leur côté, les forces de sécurité ont exécuté sommairement au moins 10 islamistes présumés et en ont torturé beaucoup d’autres lors d’opérations antiterroristes en 2016.

Outre les abus commis par les groupes islamistes armés, les populations civiles ont souffert d’affrontements intercommunautaires sanglants et de l’augmentation des actes de banditisme. Malgré l’accord de paix signé en 2015 qui a mis fin au conflit armé de 2012-2013 au Mali, les signataires n’ont pas réussi à appliquer plusieurs de ses dispositions essentielles, en particulier celles qui concernent le désarmement de milliers de combattants. En 2016, le nombre de morts au sein des forces de maintien de la paix des Nations Unies a doublé par rapport à l’année 2015, pour atteindre 29.

« Le climat relatif aux droits humains est devenu de plus en plus précaire en 2016 en raison des exécutions et intimidations des groupes islamistes armés, d’affrontements intercommunautaires sanglants et d’une flambée des crimes violents », a déclaré Corinne Dufka, directrice adjointe de la division Afrique à Human Rights Watch. « L’incapacité du gouvernement à reprendre le contrôle de la situation et à limiter les abus des forces de sécurité n’a fait que détériorer encore un peu plus la situation. »

En 2013, une intervention militaire sous commandement français a permis de repousser les groupes armés qui occupaient le nord du Mali, mais l’anarchie et les abus, notamment de la part de groupes liés à Al-Qaïda, n’ont fait qu’augmenter depuis la deuxième moitié de l’année 2014. En 2015 et 2016, les exactions se sont aggravées et se sont propagées aux régions centrales du Mali.

En avril et en août 2016, Human Rights Watch a enquêté sur place à Bamako, Sévaré et Mopti, et par téléphone tout au long de l’année, et recueilli les témoignages de plus de 70 victimes et témoins de ces abus dans le centre et le nord du Mali. Parmi les personnes interrogées figurent des membres des communautés ethniques Peul, Bambara, Dogon et Touareg ; des personnes détenues par le gouvernement ; des responsables des gouvernements locaux, de la sécurité et du ministère de la Justice ; et des diplomates et responsables de l’ONU. Les conclusions s’appuient aussi sur les recherches effectuées par Human Rights Watch au Mali depuis 2012.

En 2016, des groupes islamistes armés ont exécuté au moins 27 hommes, parmi lesquels des chefs de village et des représentants locaux du gouvernement, des membres des forces de sécurité maliennes et des combattants signataires de l’accord de paix. La plupart d’entre eux étaient accusés d’avoir fourni des informations au gouvernement ou aux forces françaises engagées dans des opérations antiterroristes.

Beaucoup d’exécutions se sont déroulées dans le centre du Mali, où la présence de groupes islamistes armés et l’intimidation des populations n’ont cessé d’augmenter en cours d’année. Les villageois ont décrit comment des groupes islamistes constitués d’une cinquantaine de combattants armés, parmi lesquels se trouvaient des adolescents, ont occupé des villages des heures durant et menacé de mort quiconque collaborerait avec les forces françaises, le gouvernement ou les casques bleus de l’ONU.

Dans plusieurs villages, les groupes ont imposé leur version de la charia (loi islamique), menaçant les villageois pour qu’ils ne célèbrent pas les mariages et les baptêmes. Un villageois a dit avoir assisté à un mariage en décembre dans la région de Ségou : « Nous ne sommes plus autorisés à pratiquer nos coutumes en raison de la présence de combattants djihadistes originaires de nos propres villages. Nos façons de faire sont maintenant haram [interdites]. » Un autre habitant du village a expliqué que les familles étaient « soumises à des pressions pour confier leurs enfants » aux groupes islamistes armés du centre du Mali.

Des groupes armés ont mené au moins 75 attaques contre les forces des Nations Unies en 2016, causant la mort de 29 casques bleus de la Mission multidimensionnelle de stabilisation intégrée au Mali (MINUSMA) et blessant quelques 90 autres de ces soldats. Les groupes liés à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ont revendiqué plusieurs de ces attaques, qui visaient en grande partie les convois logistiques et les bases des Nations Unies. Les attaques les plus meurtrières ont eu lieu au mois de février, quand sept casques bleus guinéens ont été tués, et au mois de mai, quand cinq casques bleus du Togo et cinq du Tchad ont été tués.

Les habitants et les responsables communautaires ont aussi décrit une recrudescence du banditisme et de la criminalité violente. Human Rights Watch estime à plusieurs milliers le nombre de civils qui ont souffert de quelques 400 actes de banditisme dans le nord et le centre du Mali en 2016. Ces chiffres s’appuient sur des entretiens avec les victimes, des témoins, des sources au sein des services de sécurité, et sur les informations des médias ou des rapports sur la sécurité. Des bandits armés ont tué au moins huit personnes et en ont blessé plus de trente autres, en ciblant de manière systématique les véhicules publics et les autobus, les gardiens de troupeaux et les commerçants. Les victimes affirment que les forces de sécurité gouvernementales ne pouvaient ou ne voulaient pas les protéger, et qu’elles enquêtaient rarement sur les crimes commis.
Des éleveurs de bétail de l’ethnie Peul au sud de Douentza, au Mali, en juin 2016. Tout au long de l’année 2016, éleveurs et vendeurs de bêtes du centre et du nord du Mali ont souvent été pris pour cible par des bandits. © 2016 Katarina Höije/VOA


Un certain nombre de personnes ont affirmé qu’elles avaient été volées à plusieurs reprises. Un commerçant a ainsi été volé quatre fois en quatre mois. « Cela peut difficilement être pire », a raconté un autre commerçant. « Nous ne pouvons pas sortir de Gao sans tomber sur des bandits en embuscade », a expliqué un troisième. Les commerçants ont estimé que la lenteur avec laquelle l’accord de paix était mis en œuvre – notamment les volets concernant le désarmement, le cantonnement des groupes armés et les patrouilles conjointes composées de soldats maliens, miliciens pro-gouvernementaux et anciens rebelles – avait largement contribué à l’augmentation de la criminalité.

L’insécurité a aussi considérablement affecté les soins de santé de base, l’éducation et l’aide humanitaire. En 2016, les agences d’aide ont été la cible d’au moins 35 attaques, essentiellement menées par des bandits dans le nord du pays. Au moins six véhicules transportant des travailleurs de santé et des malades ont été volés. Dans plusieurs cas, les patients ont été expulsés des véhicules attaqués. Plusieurs civils ont été tués par des mines et engins explosifs improvisés placés sur les principales routes d’accès par des membres des groupes armés.

L’armée malienne et les autres forces de sécurité gouvernementales ont mené des opérations antiterroristes qui ont plusieurs fois conduit à des arrestations arbitraires, des exécutions, des actes de tortures et d’autres mauvais traitements. En 2016, Human Rights Watch a enquêté sur le meurtre de dix détenus dans le centre du Mali, et sur des actes de torture ou des mauvais traitements infligés à vingt autres détenus. Les autorités maliennes ont fait peu d’efforts pour enquêter sur ces violations et demander des comptes aux responsables de tels actes.

Le droit international humanitaire, ou le droit de la guerre, s’applique à toutes les parties au conflit armé au Mali. Le droit applicable comprend l’article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949, le Protocole II aux Conventions de Genève et le droit coutumier de la guerre. L’article 3 commun et le Protocole II interdisent expressément l’exécution de combattants capturés ou de civils en détention.

Les individus qui commettent délibérément des violations graves du droit de la guerre peuvent être poursuivis pour crimes de guerre. Le Mali est partie au Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

« Les autorités doivent faire beaucoup plus pour s’acquitter de leurs responsabilités en matière de protection des civils dans le nord et le centre du Mali », a déclaré Corinne Dufka. « Après tant d’années d’insécurité, les civils devraient pouvoir profiter davantage du processus de paix. »

Le conflit au Mali depuis 2013
Les opérations militaires menées par les forces françaises et maliennes depuis 2013 et l’accord de paix signé en 2015 visaient à éliminer la présence de groupes islamistes armés sur le territoire, à désarmer des milliers de combattants et à rétablir le contrôle de l’État malien sur le nord du pays. Mais les affrontements entre divers groupes armés avant et après l’accord de 2015 ont produit de l’insécurité au nord et, de plus en plus, dans le centre du Mali.

De vastes étendues de territoire au nord du pays ont en grande partie été désertées par le gouvernement malien, permettant aux groupes armés, aux milices pro-gouvernementales et aux bandits de commettre leurs exactions en toute impunité. Depuis le début de l’année 2015, les activités et abus des groupes armés islamistes se sont étendus au centre du Mali, impliquant un nombre croissant de civils dans le conflit.

Selon un analyste des questions de sécurité, « le nombre de bandits et de terroristes a augmenté en 2016 et les attaques sont devenues plus complexes et violentes ». Bien que les groupes armés ne s’attaquent que rarement aux civils, l’aggravation de l’insécurité a sapé les efforts menés par le gouvernement malien et par ses partenaires internationaux pour renforcer l’État de droit et fournir des soins de santé de base, de l’éducation et de l’aide humanitaire aux populations qui en ont besoin.

Dans le même temps, la persistance des conflits entre communautés du centre et du nord du Mali ont fait des dizaines de morts et ont été exploités par certains groupes armés pour recueillir de nouveaux soutiens et recruter de nouveaux membres.

Exécutions par les groupes islamistes armés
Human Rights Watch a recueilli des informations sur un total de 27 exécutions sommaires commises par des groupes islamistes armés en 2016. Parmi les groupes présumés responsables de ces exécutions figureraient AQMI, Ansar Dine, le Front de libération du Macina (également connu sous le nom de Katiba du Macina d’Ansar Dine) et le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO).
Le chef avait son enfant dans les bras (...) L’homme armé lui a ordonné de remettre son enfant à un membre de la famille. Il a supplié : «Au nom de Dieu, ne me tuez pas.» Mais ils l’ont abattu de trois coups de feu, dans sa maison.
Témoin de l'assassinat du chef du village de Diaba par un groupe islamiste armé

Ces meurtres ont eu lieu dans les régions de Mopti, Ségou, Tombouctou et Kidal. Au moins deux des victimes ont été décapitées. Parmi les individus ciblés se trouvaient des maires et des maires adjoints, des chefs de village et des enseignants ; des membres des forces de sécurité maliennes, dont un membre de la garde nationale, un soldat et des agents du service des eaux et forêts ; des membres de groupes armés signataires de l’accord de paix de 2015, notamment les Touaregs du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) ; et dans un cas, le combattant d’un groupe islamiste qui s’était livré à des pratiques criminelles.

Des témoins et des sources de renseignement ont indiqué que de nombreuses victimes avaient été accusées d’être des informateurs du gouvernement, ou des militaires français engagés dans des opérations antiterroristes. Des dirigeants communautaires du centre du Mali ont déclaré qu’ils pensaient qu’un certain nombre de dirigeants locaux avaient également été ciblés à titre de représailles, pour les punir de leurs pratiques présumées corrompues envers les villageois.

D’autres exécutions extrajudiciaires ont été commises en grand nombre en 2016, y compris contre des responsables locaux – assassinats qui, selon les informations recueillies par Human Rights Watch, étaient liés à des conflits intercommunautaires ou de personnes sur la répartition des terres, le partage de l’eau, ou encore à des enjeux de pouvoirs au sein des communautés.

Exécutions de civils
Le 7 novembre, un groupe islamiste armé a exécuté le chef du village de Diaba, Kola Kane Diallo, 45 ans, devant sa famille. Diaba se trouve à 70 kilomètres du site de Djenné, inscrit sur la liste du patrimoine mondial culturel de l’UNESCO. Un villageois a déclaré qu’il pensait que le meurtre de Kola Kane Diallo était un avertissement adressé à la communauté pour qu’elle ne collabore pas avec l’armée malienne, dont la présence avait récemment été renforcée dans la région. Selon un témoin :

Ces hommes l’avaient déjà menacé à plusieurs reprises (...) mais il refusait de partir : « Je n’ai rien fait de mal, disait-il... Pourquoi est-ce que je devrais quitter mon village ? » Cette nuit-là, il était dans sa maison et il regardait la télévision. Trois hommes se sont présentés à sa porte. Un seul d’entre eux est rentré, il prétendait qu’il était berger qu’il recherchait des bêtes qui lui manquaient. Le chef a répondu qu’il n’avait pas les bêtes de qui que ce soit. L’homme lui a alors révélé ses intentions réelles : « C’est toi que nous recherchons. »

Le chef avait son enfant dans les bras (...) L’homme armé lui a ordonné de remettre son enfant à un membre de la famille. Il a supplié : « Au nom de Dieu, ne me tuez pas. » Mais ils l’ont abattu de trois coups de feu, dans sa maison (...) Nous soupçonnons que cela avait un lien avec la visite qu’il avait reçue de l’armée malienne – pour lui, c’était normal de les recevoir : il était le chef du village. C’était comme un signe adressé au reste du village pour qu’on ne collabore pas.

À la mi-septembre, un professeur de religion coranique, ou marabout, du village de Sofara à 40 kilomètres de Djenné, a été tué pour sa prétendue collaboration avec l’armée malienne. Des témoins ont indiqué qu’à plusieurs reprises il avait accueilli des soldats dans sa maison pendant leurs patrouilles dans le secteur, où opérent aussi plusieurs groupes islamistes armés.

Deux témoins ont affirmé que le 18 juillet, juste après une heure du matin, trois membres présumés d’un groupe islamiste armé ont fait irruption dans la maison d’Issa Garibou Onguiba pour le tuer devant sa femme et ses enfants. Cette exécution sommaire a eu lieu près du village de Boumbam, à 60 kilomètres au sud de Douentza. Un témoin a raconté :

Je venais d’aller me coucher quand j’ai entendu deux cris, suivis d’au moins trois coups de feu. La femme a supplié les tueurs et leur a offert de l’argent et du bétail, mais ils lui ont dit : « Nous avons été envoyés pour le tuer (...) nous allons remplir notre mission. » Issa était chasseur et il était habitué à voir beaucoup de djihadistes dans la brousse. Ils avaient récemment prêché dans notre mosquée et nous avaient avertis de ne jamais dire aux FAMA [les forces armées maliennes] où ils se trouvaient.

Deux témoins ont décrit le meurtre, perpétré le 11 juillet contre Amadou Kola Dia, 50 ans, alors qu’il travaillait dans son champ. Dia était professeur et adjoint au maire d’Ouro Modi, un village situé à 60 kilomètres de Mopti. Ces témoins ont expliqué que Dia avait fui son village en 2015 après avoir reçu des menaces de groupes islamistes armés, mais qu’il était rentré en juillet pour fêter la fin du Ramadan avec sa famille. « Ces gens ont infiltré et paralysé notre région », a déclaré un témoin. « Ils ont des informateurs dans tous les villages. C’est comme ça qu’ils savaient qu’Amadou était revenu. »

Deux témoins ont décrit l’assassinat, le 21 mars, d’Amadou Mamoudou Dicko, 49 ans, par des Islamistes armés du Niger, dans un hameau près du village de Yogodoji, à 40 kilomètres de la frontière avec le Burkina Faso. Dicko avait apparemment organisé un groupe d’autodéfense dans le village. Un témoin a raconté :

J’en ai vu huit sur quatre motos, ils ont tiré dès le moment où ils sont entrés. Il y avait vingt personnes assises qui parlaient. Ils ont donné l’ordre à tout le monde de s’allonger et l’un d’eux a dit, « C’est lui... celui que nous recherchons. » Dicko s’est enfui, mais ils l’ont coincé et l’ont abattu à cet endroit. J’ai compté 153 douilles vides en tout.

L’adjoint au maire de Boni ainsi que sept civils étrangers sont détenus par des groupes islamistes armés au Mali depuis le mois de septembre 2016.

Exécutions de membres de groupes armés
Le 4 novembre, AQMI a publié une vidéo intitulée « Traîtres 2 », qui revendique l’exécution sommaire de quatre Maliens. Le groupe a affirmé que ces quatre individus avaient fourni des renseignements aux forces françaises, maliennes et mauritaniennes, ayant entraîné des pertes de combattants et d’armes au sein d’AQMI. La vidéo, diffusée par l’agence de presse d’AQMI, Andalus Media, montre leur procès devant un tribunal de la charia, puis l’exécution de Mohamed Ould Beih et El-Hussein Ould Badi. « Traîtres 2 » semble être la suite d’une autre vidéo d’AQMI, mise en ligne en décembre 2015 et intitulée « Traîtres », dans laquelle deux Maliens et un Mauritanien avaient été exécutés pour des raisons similaires.

Les deux autres exécutions mentionnées dans « Traîtres 2 » concernent Bachir Ould Afad, un membre de la Garde nationale, exécuté le 25 septembre à Tombouctou, et Efad Ag Arifek, membre du groupe touareg MNLA, enlevé le 6 juin à Ber, à 53 kilomètres à l’est de Tombouctou. Arifek avait été le porte-parole à Ber d’une coalition de plusieurs groupes armés. Son corps décapité a été découvert le 21 juillet à Timboukri, à 27 kilomètres au nord-est de Ber, avec les corps de trois autres hommes qui auraient été capturés un jour plus tôt lors d’une attaque d’AQMI contre le MNLA.

AQMI a également revendiqué l’assassinat d’Alassane Ag Intouwa à Ber le 20 juin. Intouwa, un ancien combattant du groupe touareg, avait servi comme représentant d’un autre groupe, le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad.

Parmi tous les groupes armés signataires de l’accord de paix de 2015, le MNLA a été le plus touché par les meutres. Des responsables communautaires ont déclaré à Human Rights Watch que certains d’entre eux pourraient avoir été victimes de luttes de pouvoir, notamment avec des membres de la communauté arabe. Selon Mohamed Ag Attaye, chargé des questions des droits de l’Homme au MNLA, au moins 33 hommes associés au MNLA ont été exécutés pendant qu’ils étaient détenus par des groupes islamistes armés, et cinq autres ont été enlevés en 2016.

La majorité des 28 hommes exécutés l’ont été dans la région de Kidal. 15 individus ont été exécutés après avoir été capturés lors d’affrontements, alors que d’autres ont été tués dans leurs maisons, ou plusieurs mois après leur enlèvement. Attaye a déclaré que la plupart des meurtres avaient été revendiqués par AQMI, Ansar Dine ou le MUJAO. Il a aussi indiqué à Human Rights Watch que six combattants du MNLA, capturés par des milices pro-gouvernementales près d’Anefis, avaient été exécutés après avoir été livrés au MUJAO. Il prétend que certains d’entre eux ont été torturés avant leur exécution.

Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier tous ces cas, mais exhorte les autorités maliennes à enquêter sur les très graves allégations du MNLA.

Répression par des groupes islamistes armés dans le centre du Mali
Les groupes armés islamistes qui opèrent dans le centre du Mali ont fréquemment imposé des contraintes extrêmement sévères à la population civile, en s’appuyant le plus souvent sur une interprétation stricte de l’Islam.

Les menaces étaient habituellement communiquées lors de réunions auxquelles les villageois étaient obligés d’assister. Human Rights Watch s’est entretenu avec les habitants d’au moins huit villages des régions de Mopti et de Ségou, qui ont assisté à ces réunions. Pendant les réunions, qui duraient plusieurs heures, des hommes armés prêchaient en plusieurs langues et menaçaient toute personne qui s’aviserait de transmettre des informations au gouvernement malien ou aux forces internationales. Ils appelaient également chacun à adhérer à une interprétation stricte de l’Islam.

Dans certains villages, les groupes interdisaient les célébrations officielles comme les mariages et les baptêmes et dans plusieurs cas, des coups de feu ont été tirés en l’air pour disperser les personnes qui y assistaient. D’autres règles interdisaient aux jeunes filles et aux femmes de circuler sur des motos conduites par d’autres hommes que leur mari, obligeaient le port de certains types de vêtements, donnaient des instructions aux enseignants pour qu’ils séparent les filles et les garçons dans les salles de classe, et défendaient de participer aux élections municipales de novembre 2016. Dans quelques villages, des groupes ont menacé de couper les mains des bandits et d’exécuter les auteurs d’actes d’adultère.

Des victimes, des témoins et des analystes des questions de sécurité ont déclaré que les groupes islamistes armés avaient détruit des antennes de communication et incendié des véhicules et des bâtiments du gouvernement, notamment les bureaux des maires et ceux de la gendarmerie, ou encore des mairies ou des prisons.

Un homme qui a assisté à quatre mariages dans plusieurs villages près de la frontière du Mali avec la Mauritanie a déclaré que la présence de combattants islamistes avait modifié les pratiques traditionnelles des Peuls :

D’ordinaire, la célébration d’un mariage ou d’un baptême se déroulait sur plusieurs jours – on dansait, on chantait ensemble –, mais maintenant, nous ne pouvons le faire que là où l’armée malienne est présente. Pendant les mariages auxquels j’ai assisté, les hommes et les femmes n’étaient pas autorisés à se mélanger (...) On emmenait la mariée chez son mari et c’était fini (...) Avant on s’amusait, c’était joyeux – mais maintenant, si on ne vous disait rien, vous auriez du mal à savoir qu’un mariage a été célébré.

Un autre villageois a déclaré : « Ils nous forcent même à prier différemment (...) dans certains villages, il faut croiser les mains devant sa poitrine quand on prie (...) On ne faisait jamais ça avant. »

Dans un village près de Dogofiri, un commerçant raconte : « Les djihadistes ont tiré en l’air. Ils ont ordonné au barman de baisser la musique et aux gens de ne pas entrer. L’un d’eux a dit que la musique et l’alcool n’étaient pas autorisés dans ce village. »

Un étudiant coranique de 30 ans qui gagnait sa vie en vendant des versets manuscrits du Coran placés dans des amulettes, a déclaré que certains groupes islamistes armés interdisaient cette pratique. « Les djihadistes venaient chaque semaine pendant le marché », a-t-il raconté. « Un jour, ils ont trouvé les versets que j’écrivais dans mon cahier. Je les vends à nos femmes, qui les cousent dans des petites pochettes de cuir qu’on porte pour se protéger. Je les ai suppliés, mais ils ont brûlé mon carnet en déclarant que ce genre de pratiques traditionnelles était haram. »

Attaques contre les soldats chargés du maintien de la paix
Des groupes islamistes armés ont régulièrement attaqué des membres des forces de maintien de la paix de la MINUSMA : en 2016, 29 casques bleus ont été tués et environ 90 ont été blessés dans de telles attaques. Au total, plus de 70 soldats de la paix ont été tués depuis la création du MINUSMA en 2013.

Un analyste des questions de sécurité a déclaré que même si la MINUSMA avait été attaquée à peu près autant de fois en 2016 qu’en 2015, les attaques de 2016 étaient « mieux organisées sur le terrain » et les groupes « revendiquaient plus facilement la responsabilité de ces attaques ».

La plupart de ces attaques visaient soit des convois logistiques de transport de vivres, d’eau et d’approvisionnement divers destinés aux bases de l’ONU, soit les bases elles-mêmes, en particulier celles de Kidal, Gao et Tombouctou. AQMI, Ansar Dine et Al Mourabitoun ont revendiqué plusieurs de ces attaques, parmi lesquelles l’attentat suicide et les tirs de roquette du 12 février contre la base de la MINUSMA à Kidal, qui ont tué sept casques bleus guinéens, et l’embuscade du 18 mai à 15 kilomètres au nord d’Aguelhok, dans la région de Kidal, qui a fait cinq morts parmi les casques bleus tchadiens.

Des Casques bleus de l’ONU gardent la ville de Kouroume, dans le nord du Mali, en mai 2015. Cette ville est située à 18 kilomètres au sud de Tombouctou. © 2015 Adama Diarra/Reuters


Les années précédentes, les attaques contre les forces de maintien de la paix avaient presque exclusivement lieu dans le nord du Mali. Mais en 2016, au moins deux attaques meurtrières se sont produites dans la région de Mopti au centre du pays. Le 29 mai, cinq casques bleus togolais sont morts dans une embuscade à 30 kilomètres à l’ouest de la garnison de Sévaré. Le 6 novembre, un autre casque bleu togolais a été tué dans une attaque contre un convoi d’approvisionnement à 45 kilomètres au nord de Douentza. Deux civils maliens ont également péri dans l’attaque.

Le 29 novembre, les forces d’Al Mourabitoun se sont rendus coupables du crime de guerre de perfidie en conduisant deux véhicules chargés d’explosifs portant le sigle de l’ONU dans l’aéroport de Gao. Un seul de ces véhicules a explosé, endommageant le fuselage d’un avion de la MINUSMA et le terminal de l’aéroport. Selon une source de renseignement, 500 kilogrammes d’explosifs ont été retrouvés dans le deuxième véhicule. Le 31 mai, une attaque contre une autre enceinte des Nations Unies à Gao a tué un casque bleu chinois et un civil français expert en déminage.

Le droit international humanitaire interdit les attaques contre le personnel des missions de maintien de la paix et accorde à ce personnel les mêmes protections que les civils en temps de guerre. Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale et le droit coutumier de la guerre interdisent les attaques contre les casques bleus et contre les installations des Nations Unies, qui sont considérées comme des crimes de guerre. Le Conseil de sécurité de l’ONU exige des membres des forces de maintien de la paix qu’ils soient impartiaux et qu’ils n’utilisent la force que pour se défendre, ou défendre le mandat de la mission dans le pays.

Violations commises par les forces de sécurité maliennes
Human Rights Watch a recueilli des informations sur la détention de plus de soixante individus par les forces de sécurité maliennes en 2016, soi-disant pour leur soutien présumé ou leur appartenance à des groupes islamistes armés du centre et du nord du Mali. Ces individus appartenaient dans leur grande majorité à l’ethnie Peul. Au moins dix d’entre eux ont été exécutés par les soldats maliens, et vingt au moins ont été torturés ou maltraités.

Dans presque tous ces cas, les soldats de l’armée ont commis leurs exactions lors d’interrogatoires ad hoc dans les deux premiers jours de la détention, et ce en dépit du fait que les soldats ne sont pas autorisés à interroger les détenus. Les exactions les plus graves, dont la majorité se sont produites au cours du premier semestre de 2016, seraient le fait de soldats basés à Diabaly, Boni, Boulekessi et Mondoro. Dans plusieurs cas, des officiers, dont un lieutenant et un capitaine, étaient présents quand les exactions ont été commises. Comme c’est le cas depuis 2012, la grande majorité des détenus ont déclaré que les exactions avaient cessé dès qu’ils avaient été remis aux gendarmes du gouvernement.

Les abus ne semblent pas avoir été systématiques et en comparaison des récits que plusieurs centaines de détenus ont fournis en 2013, 2014 et 2015, les mauvais traitements semblent avoir diminué. Mais les efforts des systèmes de justice militaire et civile pour amener les soldats responsables de violations des droits des détenus à répondre de leurs actes ont été limités.

Exécutions sommaires
Trois villageois ont déclaré à Human Rights Watch que le 8 janvier 2016, deux frères, Mamoudou Allaye, 53 ans, et Ousman Allaye, 48 ans, avaient été détenus par les forces maliennes et que leurs corps avaient été retrouvés quelques heures plus tard, enterrés sous une mince couche de terre près du village de Karena, dans la région de Mopti. Selon un témoin :

Les [soldats] ont dit à Mamoudou de monter dans leur véhicule et ils l’ont emmené avec eux. Nous avons entendu des coups de feu. Inquiet, son frère est allé le chercher. Plus d’une heure plus tard, comme ils n’étaient toujours pas rentrés, nous sommes partis à leur recherche (...) Nous avons trouvé les deux frères un kilomètre plus loin, dans une tombe fraîchement creusée et peu profonde.

Quatre témoins ont indiqué que le 7 avril près de la ville de Sokolo, dans la région de Ségou, sept hommes peuls avaient été arrêtés et que trois d’entre eux étaient morts des suites de leurs blessures après que des soldats maliens les ont passés à tabac près de leur base à Diabaly. L’un des détenus a décrit ce qui s’était passé une fois que les hommes ont été emmenés à la base militaire :

Vers minuit, les soldats ont attaché nos bras. Ils nous ont mis de la corde dans la bouche et nous ont baillonné les yeux, puis ils nous ont emmenés à dix minutes en voiture. Ils ont commencé à nous rouer de coups (...) C’était violent (...) Ils utilisaient du bois, des rochers. J’ai été frappé à coups de pied plusieurs fois, on m’a brûlé la plante des pieds. Ils demandaient : « Où sont les djihadistes ? » Quand nous sommes retournés en cellule plusieurs heures après, Hamadoun Diallo n’était plus là. J’ai entendu des soldats dire en Bambara : « Il est mort. »

Vers 4 heures du matin, Aye Nissa est mort dans la cellule. Il répétait « Je meurs, je meurs... », jusqu’à ce qu’il finisse par ne plus parler. Nous frappions à la porte en criant qu’il fallait l’emmener chez le docteur. Vers 6 heures du matin, les [soldats] FAMA nous ont donné l’ordre de nous lever (...) Nous leur avons dit : « Il [Nissa] ne peut pas. » Alors ils ont emmené son corps.

Vers 9 heures du matin, ils nous ont emmenés, nous les cinq qui restaient, à la gendarmerie de Niono. Quand ils ont vu l’état dans lequel nous étions, les gendarmes se sont mis en colère et nous ont envoyés à l’hôpital pour être soignés. Nous sommes retournés en cellule, mais Aly Bah était très malade (...) depuis son passage à tabac, il ne pouvait même plus s’asseoir ; chaque fois qu’il buvait de l’eau, il vomissait du sang. Le commandant des gendarmes l’a ramené à l’hôpital (...) et c’est là qu’il est mort.

Dans la région de Mopti, les soldats de l’armée qui participaient à des opérations antiterroristes dans la région administrative de Douentza en décembre ont été impliqués dans des exécutions sommaires, des actes de torture et le pillage de plusieurs villages. Le 19 décembre, deux jours après l’arrestation de cinq hommes par des soldats, des villageois ont retrouvé leurs corps dans une fosse commune près du village d’Isseye, à 85 kilomètres de Douentza.

Torture et mauvais traitements
En 2016, Human Rights Watch a enquêté sur six cas où les forces de sécurité maliennes ont fait subir des mauvais traitements d’une grande gravité à au moins vingt détenus. Ces détenus, dont beaucoup portaient des cicatrices et des signes visibles de torture, ont décrit comment ils avaient été entravés, roués de coups de poing et de crosses, frappés à coups de pied, suspendus à des arbres, brûlés et soumis à un simulacre de noyade semblable au « waterboarding », ainsi qu’à d’autres simulacres d’exécution. On leur refusait aussi systématiquement la nourriture, l’eau ou les soins médicaux.

Deux témoins du passage à tabac de sept hommes à Diabaly le 8 avril ont décrit comment ces hommes avaient été battus à coups de ceinturons et de morceaux de bois, frappés à coups de pied et menacés plusieurs fois de mort. L’un d’eux, le propriétaire d’un magasin âgé de 35 ans et accusé de vendre ses produits à des islamistes, a été déshabillé par les soldats et pendu par les pieds à un arbre, avant d’être soumis à un simulacre de noyade pendant 30 minutes. L’un des témoins a raconté : « Pendant qu’il était suspendu, ils lui ont mis la tête dans un seau quatre fois en lui demandant : "Où est la base des Islamistes ? (...) Vous vendez des marchandises à ces gens, non ?" » Un autre homme a eu le dos si gravement brûlé qu’il a fallu lui administrer des soins médicaux pendant plusieurs semaines. « Quand ils l’ont trouvé, il avait beaucoup d’argent sur lui », a déclaré un témoin. « Ils l’ont frappé, roué de coups de pied et sévèrement brûlé sur tout le dos (...) Les soldats n’arrêtaient pas de lui demander où il avait eu tout cet argent. »

À la mi-avril, des soldats ont sévèrement battu six hommes peuls appréhendés dans leurs villages près de Boulekessi, puis leur ont fait subir des simulacres d’exécution. L’un d’eux a raconté :

Quand ils m’ont enlevé le bandeau des yeux, j’ai vu une pioche et une pelle. « On va te poser des questions et si tu mens, c’est ici que tu mourras. » J’ai répondu, mais ils m’ont accusé de mentir. Ils m’ont donné l’ordre de creuser et de m’allonger dans le trou (...) J’ai senti le sable qui me rentrait dans l’oreille et le pistolet appuyé sur ma tempe (...) Je les suppliés de me laisser la vie sauve (...) J’ai entendu les autres crier à proximité, mais ils ne nous ont pas tués.

Nous pensions que notre épreuve était terminée, mais ils ont recommencé. Cette fois, quatre soldats m’ont emmené dans la brousse et m’ont dit de prononcer mes derniers mots. J’ai supplié, en disant que je n’avais rien à voir avec les djihadistes. Ils m’ont déshabillé puis battu avec des branches jusqu’à ce que les feuilles tombent. Je saignais (...) Ils m’ont ordonné de descendre dans le trou, ils m’ont recouvert de sable et ont jeté mes vêtements dedans (...) Ils ont armé un pistolet et tiré deux coups près de ma tête. Dans la tombe je ne disais plus rien, je pensais que c’était là que j’allais mourir. Plusieurs minutes après, les soldats ont fait venir les autres qui suppliaient pour qu’on leur laisse la vie sauve, et un soldat a dit : « Regardez dans cette tombe (...) Est-il mort ou vivant ? (...) Maintenant, parlez. »

Actes de banditisme et de criminalité incontrôlés dans le nord et et le centre du Mali
Human Rights Watch s’est entretenu avec seize hommes et femmes qui avaient été volés en se rendant ou en revenant de plusieurs marchés des régions de Gao et de Tombouctou, au nord du Mali. Plusieurs de ces personnes ont été volées deux, trois, voire quatre fois en 2016. Un certain nombre d’entre eux ont aussi été battus, ou ont vu d’autres personnes se faire battre, après avoir refusé de donner leur argent. Deux femmes ont été violées pendant ces agressions et l’une d’entre elle a déclaré qu’un autre passager avait été abattu après avoir tenté de fuir.

Les régions de Tombouctou et Gao ont été les plus touchées, bien que des dizaines d’attaques aient aussi été signalés dans les régions de Kidal et Mopti. Human Rights Watch a obtenu et examiné les rapports de diverses sources publiques et privées, qui ont permis d’identifier environ 380 attaques distinctes. Ajoutés aux cas de Human Rights Watch, quelques 400 actes de banditisme peuvent au total être recensés pour l’année 2016, même si leur nombre réel est sans doute plus élevé. Dans la plupart des cas, les vols concernaient des groupes de passagers.

Ces vols de grand chemin étaient généralement l’œuvre de petits groupes d’hommes à motos armés de fusils d’assaut militaires. Ils ciblaient des véhicules de transport, des bus, des gardiens de troupeaux et des commerçants qui font la tournée des villages pour vendre et acheter des marchandises. Les attaques se produisaient pendant les jours de marché et sur des portions de routes empruntées par les commerçants.

En général, les bandits tiraient en l’air pour obliger les conducteurs à s’arrêter, ordonnaient aux passagers de descendre, et les dépouillaient de leur argent, de leurs téléphones portables ou d’autres marchandises. Au moins huit personnes auraient été tuées et 33 autres blessées lorsque des bandits ont ouvert le feu sur des véhicules qui refusaient de s’arrêter, ou lorsqu’ils ont tiré sur des gens effrayés qui tentaient de fuir.

Un commerçant de 38 ans, dont le véhicule de transport a été volé le 14 octobre sur la route de Gao après un jour de marché, a vu des bandits tirer sur un homme qui voulait s’enfuir :

Deux hommes habillés pour moitié en tenue de camouflage et pour moitié en habits civils nous ont obligés à nous arrêter pour voler aux 17 d’entre nous nos téléphones et notre argent. Ils m’ont volé 200 000 francs CFA [320 dollars des États-Unis]. Parmi les passagers, cinq n’avaient rien à donner (...) Les hommes ont commencé à les attacher, à les battre, à leur crier dessus. L’un d’entre eux s’est enfui par crainte d’être tué. Ils ont tiré et l’ont touché à la tête. Nous nous sommes mis à gémir en pensant qu’ils allaient tous nous tuer. C’était la deuxième fois en un mois que j’avais été volé comme ça. Nous prions Dieu pour que le désarmement commence bientôt, (...) peut-être que cela mettra fin à toute cette folie.

Human Rights Watch a recensé deux cas d’agression sexuelle pendant ces vols à main armée. Une commerçante de 50 ans a déclaré avoir été violée par deux des trois hommes qui avaient arrêté le véhicule qui la ramenait à Gao après sa visite à un marché à distant de 60 kilomètres :

J’ai vu des gens qui me regardaient pendant le marché et je pense que quelqu’un les a informés que je transportais beaucoup d’argent – 500 000 francs CFA [800 dollars des États-Unis]. J’avais caché mon argent dans mes vêtements et quand ils ont donné l’ordre à tout le monde de leur remettre l’argent, je leur ai dit que je n’avais rien (...) mais ils savaient. (...) Ils m’ont menacée, puis ils m’ont traînée derrière un arbre et ont déchiré mes vêtements pour trouver l’argent, à la suite de quoi ils ont abusé de moi.

Une commerçante qui rentrait à Gao d’un marché à Djebock, à 45 kilomètres au nord, a déclaré qu’en novembre, quatre hommes armés avaient arrêté le convoi de trois voitures dans lequel elle voyageait. Les assaillants ont séparé les hommes et les femmes et ont emmené la plus jeune femme du convoi. La commerçante a dit que quand la femme est revenue 30 minutes plus tard, « Elle pleurait (...) Elle disait qu’ils avaient abusé d’elle. Leurs fusils étaient pointés sur nous (...) Quand quelqu’un est plus fort que toi, qu’est-ce que tu peux faire ? »

Plusieurs gardiens de troupeaux ont déclaré que des hommes armés en moto ont emmené des troupeaux entiers de bétail et plusieurs commerçants ont dit être tombés dans des embuscades et avoir été volés. Ces attaques se sont produites sur des routes de marchés de villages et parfois même dans les rues de plusieurs grandes villes du nord du pays.

Un homme de 55 ans, qui habite un village au nord de Gao, a raconté qu’un jour d’octobre, au crépuscule, des hommes armés à motos ont emmené tout son troupeau de vaches, dont lui et sa famille de dix personnes dépendent entièrement :

Ils ont pris mes seize vaches. Plusieurs étaient en gestation – ce qui augmente encore mes pertes. Ils ne m’ont rien laissé. Je suis malade et je n’ai pas d’argent pour acheter des médicaments. Ma famille a besoin de manger, nous n’avons rien. Je ne suis pas le seul – j’en connais dix comme moi qui ont vécu la même chose.

Plusieurs victimes ont déclaré avoir signalé les attaques aux autorités, tout en soulignant qu’aucune de ces affaires n’a fait l’objet d’une enquête. Elles ont indiqué ne faire aucune confiance aux forces gouvernementales ou à l’ONU pour les protéger contre cette vague de banditisme effréné qui, selon toutes les personnes interrogées, s’est encore aggravé en 2016.

Les victimes affirment qu’il est rare pour elles de voir les forces armées gouvernementales patrouiller sur les routes principales, encore moins sur les petites routes, ce qui explique que les bandits puissent opérer sans crainte d’être appréhendés. « Nous en avons vraiment assez (...) de ces gens chargés de la sécurité », a déclaré un vendeur de bêtes de Gao. « Même quand on leur dit qu’un vol est en train d’être commis à seulement cinq kilomètres d’ici, ils refusent de bouger. »

Un conducteur de 35 ans, originaire de Tombouctou, a déclaré avoir été volé trois fois l’an dernier. « Les bandits m’ont laissé moi et mes passagers sur le bord de la route et ils sont partis avec mon camion, qui est mon seul moyen d’existence », a-t-il expliqué. « Je n’ai pas informé la police. Je n’ai jamais vu de patrouille des forces maliennes. L’État est absent. Tout le monde peut se procurer un [fusil d’assaut] AK-47 et au Mali, celui qui est armé peut faire tout ce qu’il veut. »

Les habitants de Gao ont cependant indiqué que les forces de sécurité et l’ONU avaient augmenté les patrouilles sur les routes principales dans et autour de Gao, suite à une grève des compagnies de transport locales en septembre et en octobre. La grève avait été organisée pour protester contre les attaques sur les routes reliant Gao à plusieurs autres villes.

Toutes les personnes interrogées considéraient que le manque de résultats dans la mise en œuvre de trois dispositions de l’accord de paix – le cantonnement des combattants, le désarmement et les patrouilles conjointes réunissant soldats maliens, miliciens pro-gouvernementaux et anciens rebelles – avait contribué à l’augmentation des actes de banditisme. Ils espèraient que des progrès dans ces trois domaines permettraient d’améliorer la situation.

Impact sur les actions humanitaires
Tout au long de l’année 2016, le banditisme et les attaques de groupes armés ont considérablement affecté les services de santé, d’éducation et d’aide au nord et au centre du Mali. En novembre, le Bureau des Nations Unies pour la Coordination des affaires humanitaires (OCHA) a indiqué que le nombre d’écoles touchées par l’insécurité dans le nord et le centre du Mali avait augmenté, avec 421 écoles fermées en octobre, au début de l’année scolaire 2016, contre 296 écoles fermées à la fin de l’année scolaire précédente. Environ 2,5 millions de personnes à travers le pays sont confrontées à l’insécurité alimentaire, a indiqué OCHA.

Au cours de l’année, de nombreuses attaques ont été perpétrées contre des agences humanitaires, la plupart par des bandits armés au nord du pays. Ces attaques ont nui à la capacité de ces agences à venir en aide aux personnes dans le besoin. Au moins 35 véhicules utilisés par des organismes d’aide ont été volés, poursuivis ou arrêtés par des bandits armés, et de nombreux bureaux ou résidences de leur personnel ont été cambriolés, entraînant des pertes matérielles, que ce soient des motos, des ordinateurs, des appareils photos, de l’argent, des téléphones ou d’autres types de biens. À plusieurs reprises, les assaillants ont menacé, attaché ou frappé le personnel de ces agences, y compris les conducteurs et les gardiens.

À six occasions au moins, des ambulances et des véhicules utilisés par le gouvernement malien et les organisations d’aide pour fournir des soins de santé ont été attaqués ou volés. Ces attaques se sont produites près des villes de Lere, Gao, Niafounké, Gossi et Menaka dans le nord. Dans quatre de ces attaques, les passagers malades, les conducteurs et le personnel de santé ont été forcés à sortir de leurs véhicules avant d’être dépouillés, et leurs véhicules ont ensuite été volés.

Recommandations

Au gouvernement du Mali

  • Prendre les mesures nécessaires pour que les forces de sécurité respectent le droit international humanitaire.
  • Prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les civils et assurer une sécurité suffisante, notamment contre le banditisme et la criminalité dans les zones sous contrôle gouvernemental.
  • Enquêter et poursuivre de manière adaptée les membres des forces de sécurité maliennes et les groupes armés non étatiques qui commettent des violations du droit international humanitaire et des violations des droits humains, y compris celles qui sont décrites dans le présent rapport.
  • Veiller à ce que les gendarmes du gouvernement remplissent leur mandat de grand prévôt en accompagnant à tout moment l’armée malienne dans ses opérations.

Aux forces du maintien de la paix de la MINUSMA

  • Adopter une position ferme et veiller à ce que la protection des civils reste une priorité absolue de la mission, y compris en mettant en place des dispositifs stratégiques et dynamiques de patrouilles, spécialement les jours de marché.

Aux pays fournisseurs de contingents de Casques bleus de l’ONU

  • Veiller à ce que la MINUSMA dispose des ressources, du personnel, du matériel et de la formation nécessaires pour s’acquitter de son mandat de protection des civils dans un environnement sécuritaire extrêmement exigeant, dans lequel des groupes armés ciblent à la fois les civils et le personnel des Nations Unies.

Aux groupes armés non-étatiques 

  • Respecter le droit international humanitaire, y compris en traitant humainement toutes les personnes détenues.
  • Cesser d’attaquer les forces de maintien de la paix et le personnel de l’ONU.
  • Enquêter et punir de façon appropriée les combattants qui commettent des abus graves.
  • Respecter les droits fondamentaux comme le droit à la liberté de religion et d’autres droits dans les zones sous leur contrôle effectif.

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À lire aussi :

Challenges.fr 18.01.17

 

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