Thérèse, une jeune fille centrafricaine âgée de 14 ans, ignore sans doute que des ministres de la Défense du monde entier vont se réunir à Londres ce jeudi pour discuter des missions de maintien de la paix des Nations Unies. Toutefois les décisions prises lors de cette conférence pourraient bien la concerner directement.
Thérèse était l’une des huit femmes et jeunes filles qui ont déclaré à Human Rights Watch avoir été violées par des soldats de la paix dans la ville de Bambari située dans l’est de la République centrafricaine. Thérèse a décrit la façon dont un Casque bleu l’a attrapée alors qu’elle marchait devant une base des Nations Unies. « Nous avons marché pendant un moment », a-t-elle indiqué. « Puis il a arraché mes vêtements et les a utilisés pour m’attacher les mains derrière le dos. Il m’a jetée au sol, a posé son revolver sur le côté et est monté sur moi pour me violer. Quand il a terminé son affaire, il est simplement parti. »
Thérèse est l’une des nombreuses survivantes de ces abus. L’agence de surveillance des Nations Unies a reçu 480 allégations de cas d’exploitation et de violence sexuelle commis par des soldats de la paix entre 2008 et 2013. Au moins 102 allégations ont été portées contre des soldats de la paix des Nations Unies en Haïti depuis 2007.
Ban Ki-Moon, Secrétaire général des Nations Unies, a promis des réformes suite à un rapport indépendant accablant citant les manquements des Nations Unies dans la gestion des abus commis par des soldats de la paix. En République centrafricaine, certaines troupes ont été renvoyées chez elles au moins en partie du fait d’allégations d’abus ; et les équipes onusiennes et nationales ont lancé des enquêtes. Des poursuites ont commencé à être engagées à l’encontre de certains soldats de la paix de la RD Congo accusés de violence sexuelle en République centrafricaine ; néanmoins, aucune condamnation n’a été prononcée.
Bien trop souvent lorsque les Casques bleus s’en prennent aux personnes qu’ils sont censés protéger, les victimes sont peu soutenues ou peu défendues par la justice. Les troupes peuvent seulement être poursuivies par les pays qui les envoient. Les poursuites et les condamnations sont étonnamment rares et les informations sur leur statut sont difficiles à obtenir. D’après le rapport annuel sur l'exploitation et la violence sexuelle publié en 2015 par le Secrétaire général Ban, les pays fournissant des contingents ont confirmé la condamnation de soldats de la paix dans seulement 10 affaires.
Les ministres qui se réunissent à Londres peuvent combler les lacunes du système en exigeant, à titre de condition de participation préalable, des engagements de la part des pays contributeurs de troupes en faveur d’une responsabilisation de leurs soldats de la paix. L’envoi de soldats de la paix sera suspendu pour les pays qui ne respecteront pas ces engagements.
Il convient également d’en faire plus pour la prévention des abus. Les ministres doivent s’engager à mettre en place des mécanismes de sélection plus stricts pour écarter les soldats et policiers présentant des antécédents d’abus et doivent imposer aux forces militaires figurant sur les listes de surveillance des Nations Unies pour des faits de violence et d’abus sexuels à l’encontre d’enfants dans des zones de conflit de respecter les critères à satisfaire pour changer leur situation. Des formations standardisées sur les obligations en matière de droits humains et sur les conséquences de leur violation doivent être obligatoires pour toutes les troupes avant et pendant le déploiement.
Lors du sommet de l’an dernier sur le maintien de la paix, les États-Unis – la nation qui apporte la plus grande contribution financière au maintien de la paix des Nations Unies – ont indiqué s'être engagés à mettre en place des réformes, y compris l’obligation de rendre des comptes en cas d’abus. Il est temps que ces promesses soient suivies d’effets.
Les Nations Unies comptent plus de 100 000 soldats de la paix dont la mission consiste à protéger des civils dans des lieux déchirés par les conflits. Le fait que les Nations Unies et les pays contributeurs de troupes ne prennent pas toutes les mesures pour empêcher et punir les abus des troupes est inadmissible et porte atteinte à l’idée même du maintien de la paix. Et les survivants le savent bien. Comme l’a indiqué Thérèse en parlant de son violeur, « il faut que, contre cet homme, la justice soit rendue d’une façon ou d’une autre ».