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France : Prolongation de l’état d’urgence, menace pour les droits humains

Une vigilance accrue est nécessaire pour réduire les risques d’abus

Des policiers français participent à un exercice d'entraînement à la gare de Marseille, France, le 4 mai 2016. © 2016 Reuters

(Paris) – La décision prise par le Parlement français le 21 juillet 2016 d’étendre et de prolonger l’état d’urgence dans le pays pour six mois supplémentaires fragilise le respect des droits humains ainsi que l’État de droit, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Le gouvernement devrait renforcer les garanties afin que les pouvoirs liés à l’état d’urgence ne soient utilisés que dans la stricte mesure nécessaire.

Une semaine après l’effroyable attaque du 14 juillet à Nice, le Parlement a adopté une loi qui non seulement prolonge l’état d’urgence en France pour une période significative, mais étend aussi les pouvoirs déjà élargis de la police en matière de perquisitions, saisies et mises en détention. La loi durcit également fortement plusieurs dispositions liées au terrorisme au sein des lois et du Code pénal français, sans qu’un délai suffisant n’ait été laissé pour permettre un véritable examen de la part du Parlement ou des organisations non-gouvernementales. Une des dispositions porte la durée de détention provisoire pour des mineurs à deux ans, contre un an actuellement.

« Un état d’urgence continu risque de bafouer les droits humains et d’affaiblir l’État de droit, et cela crée un dangereux précédent pour d’autres abus ailleurs », a déclaré Letta Tayler, chercheuse senior sur les questions liées à la lutte antiterroriste à Human Rights Watch. « Les autorités françaises ont le devoir de protéger la population contre des attaques haineuses telles que celles commises à Nice et à Paris, elles doivent pour autant utiliser ces pouvoirs de la manière la moins restrictive possible et pendant le moins de temps possible. »

Le Président François Hollande a déclaré l’état d’urgence quelques heures après les attaques meurtrières à Paris le 13 novembre 2015, et cet état d’urgence a maintenant été renouvelé à quatre reprises.

La nouvelle loi relative à l’état d’urgence donne à la police le pouvoir d’effectuer des perquisitions sans l’autorisation d’un juge, une mesure que les membres du Parlement avaient retirée du texte lors de la dernière prorogation. Elle étend ce pouvoir en autorisant la police à effectuer immédiatement des perquisitions de « suivi » si les forces de l’ordres découvrent au cours d’une perquisition des informations concernant un autre lieu fréquenté par la personne visée par cette perquisition.

La nouvelle loi permet également à la police de saisir les données d’ordinateurs et de téléphones portables, une disposition que le Conseil constitutionnel, la plus haute autorité juridique du pays, avait censuré de la loi relative à l’état d’urgence de novembre 2015, la déclarant inconstitutionnelle. Elle donne à la police le nouveau pouvoir de fouiller les bagages et les véhicules sans autorisation judiciaire. En réponse à l’attaque de Nice, la loi permet aux autorités d’interdire les rassemblements pour lesquels la sécurité ne pourrait pas être assurée. Elle étend également la liste des lieux de réunion que les autorités locales peuvent fermer sans autorisation judiciaire pour inclure « en particulier des lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes ».

La France dispose déjà d’un ensemble de lois anti-terroristes permettant aux autorités d’enquêter, de placer en détention et de poursuivre des suspects en justice – nombre de ces textes contiennent d’ailleurs des formulations excessivement vagues, a déclaré Human Rights Watch. La nouvelle loi sur l’état d’urgence introduit de nouvelles mesures anti-terroristes inquiétantes dans les codes pénaux et le code de la sécurité intérieure, qui resteront en vigueur un fois l’état d’urgence terminé. La décision d’introduire des changements permanents dans le droit pénal français sans qu’ait été pris le temps d’un véritable débat et examen approfondi au sein du Parlement est très problématique, selon Human Rights Watch. Le Parlement devrait examiner attentivement l’impact potentiel de ces nouveaux amendements sur les Codes pénaux et de la sécurité intérieure, a déclaré Human Rights Watch.

La nouvelle loi amende, entre autres choses, le Code de procédure pénale, en augmentant la durée maximale de la détention provisoire pour des enfants à partir de seulement 16 ans, d’un an à deux ans pour les délits et de deux à trois ans pour les crimes liés au terrorisme. Les normes internationales limitent la détention des enfants à « une mesure de dernier ressort et [qui] devra être d'une durée aussi brève que possible » et exigent qu’un juge se prononce sur les accusations criminelles « sans délai ». Même en temps d’état d’urgence, la dérogation à ces normes doit être strictement justifiée. Le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies a déclaré que maintenir des enfants « en détention avant jugement pendant des mois, voire des années » constitue « une grave violation » et avait déjà conclu par le passé que la France devait réduire le temps de détention provisoire pour les enfants.

La nouvelle loi amende également le code pénal et réduit la discrétion de la juridiction de jugement concernant les expulsions et les interdictions d’entrée sur le territoire français pour les ressortissants étrangers condamnés pour des infractions liées au terrorisme. Le texte de loi stipulait précédemment que la juridiction de jugement « peut prononcer » une interdiction du territoire français aux ressortissants étrangers dans de tels cas. La nouvelle disposition prévoit que « l’interdiction du territoire français est prononcée par la juridiction de jugement » (nous soulignons), bien qu’elle introduise des dérogations spéciales.

Le Code de la sécurité intérieure français autorisait déjà le recueil des données de téléphonie mobile d’une personne identifiée comme ayant des liens avec une menace terroriste. La loi sur l’état d’urgence étend cette disposition pour autoriser également le recueil des données téléphoniques des « personnes appartenant à l’entourage de la personne concernée ».

Une autre modification du Code de la sécurité intérieure triple le temps maximal des assignations à résidence, passant d’un à trois mois, pour les personnes « qui [ont] quitté le territoire national et dont il existe des raisons sérieuses de penser que ce déplacement a pour but de rejoindre un théâtre d'opérations de groupements terroristes dans des conditions susceptibles de la conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de son retour sur le territoire français », mais pour lesquelles les autorités n’ont pas suffisamment de preuves pour les mettre en accusation.

Quelques heures avant l’attaque de Nice, le Président Hollande avait déclaré que les pouvoirs liés à l’état d’urgence prendraient fin le 26 juillet 2016, parce que leur utilisation de manière illimitée signifierait que la France « n’est plus une République ». Le lendemain, Hollande a demandé au Parlement de proroger la loi pour trois mois supplémentaires. Sous l’impulsion des membres de l’opposition, le Parlement a doublé le temps de l’extension proposée par François Hollande, la portant à six mois supplémentaires. Le Ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve devrait respecter sa déclaration du 20 juillet au journal Le Monde, selon laquelle « l’état d’urgence ne peut pas être un état permanent », a ajouté Human Rights Watch.

La nouvelle loi conserve plusieurs dispositions déjà existantes dans l’état d’urgence. L’une de ces dispositions permet à la police d’assigner des suspects à résidence sans autorisation judiciaire préalable. D’autres permettent aux autorités de dissoudre des associations, d’interdire des manifestations et de fermer des sites internet.

En février dernier, la Cour constitutionnelle française avait censuré une disposition de la loi sur l’état d’urgence qui autorisait la police à saisir toutes les données découvertes sur les ordinateurs et les téléphones au cours des perquisitions sans autorisation judiciaire. La nouvelle loi rétablit cette disposition, tout en posant des limites sur le type de données pouvant être saisies et la manière dont elles peuvent l’être. Elle exige également l’autorisation d’un tribunal administratif avant de pouvoir exploiter ou diffuser ces données. Ces changements, bien que positifs, ne sont pas satisfaisants car ils se dispensent de l’importante garantie apportée par une autorisation judiciaire préalable, a déclaré Human Rights Watch.

Les pouvoirs de l’état d’urgence risquent de porter atteinte aux droits à la liberté, à la sécurité, à la liberté de mouvement, au respect de la vie privée, et à la liberté d’association et d’expression, selon Human Rights Watch. Des mesures telles que des descentes de police et des perquisitions doivent toujours nécessiter une autorisation judiciaire préalable, qui, pour les cas urgents, pourrait être délivrée dans le cadre d’une procédure accélérée.

Dans deux rapports distincts publiés en février dernier, Human Rights Watch et Amnesty International ont documenté plus d’une trentaine d’opérations abusives dans le cadre de l’état d’urgence, qui se sont traduites par de graves conséquences telles que des pertes d’emploi, des traumatismes pour les enfants, et des dégâts dans les domiciles des personnes perquisitionnées. La plupart des personnes visées étaient musulmanes, selon les dires du Défenseur des droits à Human Rights Watch, bien que la loi n’ait, selon lui, pas été rédigée de manière à viser un quelconque groupe en particulier. Toutes les personnes interviewées par Human Rights Watch ont expliqué que la manière dont elles avaient été traitées les ont fait se sentir stigmatisées et ont mis à mal leur confiance envers les autorités françaises.

Le droit international autorise les gouvernements à limiter certains droits pendant l’état d’urgence, notamment la liberté de mouvement, d’expression et d’association, mais uniquement « dans la stricte mesure où la situation l’exige ». Les gouvernements doivent s’assurer que toutes ces mesures sont strictement proportionnelles à l’objectif poursuivi, que les pouvoirs de l’état d’urgence ne sont pas utilisés de manière discriminatoire, et qu’ils ne stigmatisent pas des personnes en raison de leur origine ethnique, religieuse ou sociale.

Il est à mettre au crédit du Parlement d’avoir rejeté un amendement proposé par des membres de l’opposition qui aurait autorisé les détentions préventives ou l’utilisation de bracelets électroniques pour des personnes suspectées de terrorisme, sans autorisation judiciaire préalable et en l’absence de toute condamnation.

Le droit international n’interdit pas toute détention préventive – la privation de liberté en vue de prévenir de futurs crimes et non pour sanctionner des crimes déjà commis. Mais compte tenu du risque d’abus, le droit international décrit précisément dans quels cas la détention préventive peut être justifiée sur la base de faits démontrant que la libération d’une personne causerait des dommages réels à l’ordre public, et soumet son utilisation aux garanties d’une procédure rigoureuse. Autre point positif, le Parlement a aussi rejeté une proposition visant à autoriser les expulsions d’urgence de ressortissants étrangers suspectés d’avoir des liens directs ou indirects avec des groupes terroristes.

Dans le cadre de l’état d’urgence, et depuis l’adoption de la loi de novembre, la police a effectué près de 3,600 perquisitions administratives et a assigné 400 personnes à résidence. 77 personnes sont actuellement toujours assignées à résidence. Jusqu’ici, ces mesures n’ont permis l’ouverture que de six enquêtes criminelles en lien avec le terrorisme.

La Commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter 
contre le terrorisme a conclu le 5 juillet dernier que l’état d’urgence avait eu un « impact limité » sur la sécurité. Le panel a décrit les importantes défaillances dans l’analyse des renseignements qui auraient pu aider à prévenir les attaques.

Le Parlement devrait, dans les mois à venir, attentivement surveiller l’utilisation faite des pouvoirs de l’état d’urgence, notamment toute allégation d’abus ou de garanties judiciaires insuffisantes, a déclaré Human Rights Watch.

Le gouvernement devrait également s’assurer que le Défenseur des droits a bien les moyens et un accès suffisant aux informations pour continuer à vérifier la conformité des mesures de l’état d’urgence avec le droit international, pour enquêter sur des plaintes et rapporter au Parlement avant la fin de l’état d’urgence en janvier 2017.

De plus, le gouvernement devrait garantir un accès rapide à des recours en cas de dommages subis lors de perquisitions, d’assignations à résidence et d’autres mesures de l’état d’urgence. Les autorités devraient également informer de manière proactive les communautés affectées des pouvoirs de l’état d’urgence et des recours possibles.

« Au vu des expériences passées, il existe un risque réel que ces mesures de l’état d’urgence soient de nouveau utilisées de manière discriminatoire et disproportionnée, » a conclu Letta Tayler. « Sans un contrôle judiciaire effectif, le contrôle Parlementaire est plus important que jamais. »

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Témoignages 23.07.16

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