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Un mois après la pire attaque terroriste perpétrée en Europe depuis le massacre de 77 personnes par Anders Breivik en Norvège, les contours de la réponse commencent à se dessiner. Trois domaines se détachent – de nouvelles lois et politiques antiterroristes ; les efforts liés, quoique distincts, pour juguler la radicalisation et le recrutement au service du terrorisme, et la lutte ciblée contre la montée de l’antisémitisme.

Si chacun de ces domaines est légitime, un examen détaillé révèle des tendances inquiétantes et des lacunes problématiques. Pour que ces réponses soient réellement efficaces et conformes aux droits humains, davantage d’efforts et de réflexion sont nécessaires.

Avant même les attaques de Paris, la montée du groupe extrémiste État Islamique (EI) a incité de nombreux gouvernements européens à introduire de nouveaux pouvoirs en matière de sécurité. La France a adopté une nouvelle loi en novembre interdisant à ses citoyens de quitter le territoire afin de combattre pour l’EI, et elle a alourdi les peines pour des propos qui « glorifient » le terrorisme. L’Allemagne a engagé des poursuites contre environ 300 de ses citoyens pour soutien à l’EI ou pour tentative de combattre à l’étranger, et elle envisage de nouveaux pouvoirs permettant de confisquer les pièces d’identité des personnes soupçonnées  de ces actes (ce pays confisque déjà des passeports).

Le parlement du Royaume-Uni procède actuellement à l’examen final d’un projet de loi présenté en octobre qui empêcherait les citoyens du Royaume-Uni combattant à l’étranger de revenir chez eux pendant une période pouvant aller jusqu’à deux ans. Et depuis mai 2014, ce pays a le pouvoir de retirer la citoyenneté à des ressortissants détenant la double nationalité si ceux-ci sont soupçonnés de terrorisme, même si cela en fait des apatrides. Les Pays-Bas, la Norvège et le Danemark prévoient également de faciliter le retrait de la citoyenneté à des ressortissants détenant la double nationalité et soupçonnés de terrorisme, et la Belgique a récemment rejoint ces pays.

La France et le Royaume-Uni ont envisagé d’étendre leurs pouvoirs de surveillance, déjà vastes et profonds. Et les ministres de l’Intérieur de l’Europe veulent mettre en place des contrôles frontaliers pour filtrer les personnes soupçonnées de terrorisme au sein de l'espace de libre circulation de Schengen, question qui devrait être abordée le 12 février lors d’une  réunion informelle de l’UE sur la lutte contre le terrorisme.

Dans l’élaboration de ces réponses, souvent les gouvernements européens invoquent seulement pour la forme la nécessité de respecter les droits humains et l’État de droit. Mais les mesures envisagées soulèvent fréquemment de graves inquiétudes en matière de droits humains et ne présentent pas de garanties suffisantes. Le retrait de la citoyenneté devrait être une mesure de derniers recours, appliquée seulement par un tribunal s’appuyant sur des preuves manifestes, et ne devrait jamais entraîner un statut d’apatride. Les pouvoirs de surveillance exigent davantage de règlementation, et non une expansion sans limites. Les pays devraient s’abstenir d’engager des poursuites pour des propos sauf si ceux-ci incitent à la violence. Et l’État de droit signifie que toute personne devrait être traitée sur un pied d’égalité.

Le terrorisme est une tactique de faibles. Son pouvoir repose principalement sur sa capacité à provoquer une réaction stratégique démesurée de la part des gouvernements selon des façons qui portent atteinte aux droits humains et à l’État de droit. L’abandon hâtif de valeurs fondamentales fait le jeu de ceux qui nous attaquent, du fait que les mesures abusives portent atteinte précisément à la bonne volonté des communautés dont la coopération est nécessaire pour combattre le terrorisme.

Étant donné la nature endogène des attaques de Paris, il est naturel que les responsables politiques se concentrent sur la lutte contre la radicalisation et le recrutement. Il existe également une réflexion croissante en France et ailleurs sur le lien entre un manque d’intégration, l’exclusion sociale et la vulnérabilité à la radicalisation.

Le Premier ministre français, Manuel Valls, est allé jusqu’à qualifier d’« apartheid » l’exclusion à laquelle sont confrontés les citoyens français principalement noirs et arabes vivant dans des banlieues délabrées.

Veiller à ce que le problème reçoive une réponse appropriée est aussi important que de l’identifier. Or sur ce front les signes sont peu encourageants. Les dirigeants du Royaume-Uni  et de la France retombent dans des approches familières, considérant en grande partie l’intégration comme un processus à sens unique. L’accent est mis sur l’exigence pour les dirigeants musulmans de condamner le terrorisme et de demander à leurs concitoyens musulmans d’adopter les valeurs universelles, processus devant être renforcé par un enseignement obligatoire dans les établissements scolaires.

Il peut y avoir une place pour de telles approches, à condition qu’elles soient distinguées des activités de la police et des services de sécurité. Mais les jeunes ne se détournent pas de l’État et de la société à cause d’un manque de cours sur la citoyenneté ou à cause des sermons lors des prières du vendredi. Les raisons sont bien plus complexes, et comportent des éléments tels que la politique étrangère qui peuvent être difficiles à traiter. Mais l’État peut prendre des mesures positives pour combattre la discrimination contre les musulmans et les minorités, par exemple cesser les contrôles au faciès pratiqués par la police. Il est important de s’abstenir de mesures antiterroristes abusives qui semblent prendre pour cible les musulmans ou d’autres groupes.

Le siège sanglant dans un supermarché cacher à Paris a ouvert les yeux à de nombreuses personnes sur la montée préoccupante de la violence antisémite en Europe. Au cours de l’année dernière, cette violence s’est manifestée notamment par les tirs sur le musée juif de Bruxelles, un regain d’incidents au Royaume-Uni, en France et en Allemagne, et un exode croissant de juifs depuis l’Europe vers Israël motivé au moins en partie par la peur de la violence.  Les responsables politiques européens ont raison de répondre avec force à cette tendance, notamment en assurant la sécurité de bâtiments juifs, en traduisant en justice les auteurs des attaques et en condamnant publiquement l’antisémitisme sous toutes ses formes.

Mais étant donné que la montée de l’intolérance en Europe ne se limite pas à l’antisémitisme, la réponse de l’Europe doit également être plus large. En 2014 et début 2015, il y a eu de graves attaques islamophobes au Royaume-Uni, en France, en Allemagne et en Suède, et des manifestations anti-islamiques importantes en Allemagne. Les Roms font l’objet d’une discrimination persistante dans toute l’Europe. Et les migrants sont en butte à des attaques en Grèce, en Bulgarie, en Italie et ailleurs. Les gouvernements européens se sont généralement dérobés devant ces questions, en partie du fait que les groupes ciblés sont souvent perçus comme impopulaires, tandis que les motifs des agresseurs peuvent avoir un attrait populiste. Cela aussi doit changer. Les fortes paroles de la chancelière allemande sur la place de l’Islam en Allemagne montrent la voie à suivre. Traduire les agresseurs en justice est également vital.

Le directeur d’Europol a récemment observé qu’il est impossible d’arrêter toutes les attaques terroristes. C’est pourquoi il est d’autant plus crucial de veiller à ce que les efforts de l’Europe pour les empêcher respectent nos valeurs fondamentales.

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Benjamin Ward est le directeur adjoint de la Division Europe et Asie centrale à Human Rights Watch.

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