Le projet de loi antiterroriste actuellement débattu par le parlement français aurait pour effet, s'il était adopté, de donner aux autorités des pouvoirs exagérément étendus et vagues qui porteraient atteinte au droit aux libertés de mouvement et d'expression, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Le projet de loi, proposé par le gouvernement français en juillet 2014 dans le cadre d'une procédure accélérée, a été adopté en septembre par l'Assemblée nationale et est maintenant examiné par le Sénat.
La loi prévoit l'instauration de nouvelles mesures telles que l'interdiction de quitter le territoire français à quiconque est soupçonné par les autorités de vouloir participer à des activités terroristes ou menacer la sécurité nationale à son retour. La loi permettrait également de considérer comme un crime « le fait de rechercher, de se procurer ou de fabriquer » des objets ou des substances pouvant être utilisés dans une « entreprise terroriste individuelle » et elle autoriserait le gouvernement à bloquer des sites internet considérés comme « incitant » au terrorisme ou « glorifiant » le terrorisme.
« Le gouvernement français dispose déjà de pouvoirs très étendus en matière de lutte contre le terrorisme », a déclaré Izza Leghtas, chercheuse sur l'Europe occidentale à Human Rights Watch. « Afin d'empêcher des injustices, les parlementaires français devraient rejeter de nouvelles mesures qui élargiraient encore davantage ces pouvoirs. »
Ces mesures soulèvent de graves préoccupations car elles étendent de manière significative les pouvoirs du gouvernement en matière de lutte contre le terrorisme alors que les critères de preuve qu'elles imposent sont exprimés en termes généraux et vagues, avec des garanties insuffisantes en ce qui concerne la régularité des procédures, a déclaré Human Rights Watch. Leur adoption résulterait en l'imposition de restrictions aux droits fondamentaux d'une ampleur totalement inutile et hors de proportion avec le but avoué de ces mesures.
Le projet de loi autoriserait le gouvernement à interdire à des citoyens français de quitter le territoire national pour des motifs très généraux, ce qui pourrait constituer une infraction à leur droit à la liberté de mouvement tel que défini par le droit international en matière de droits humains. Aux termes de l'article 1 du projet de loi, le ministre de l'Intérieur pourrait interdire à des personnes de quitter la France s'il existe « de sérieuses raisons de croire » qu'elles prévoient de se rendre à l'étranger dans le but de « participer à des activités terroristes, à des crimes de guerre ou à des crimes contre l'humanité » ou si les autorités soupçonnent qu'elles se rendent sur un théâtre d'opérations de groupements terroristes et dans des conditions susceptibles de les conduire à porter atteinte à la sécurité publique lors de leur retour sur le territoire français. Une fois la décision prise, le passeport de la personne lui serait confisqué et elle serait empêchée de quitter le pays.
Dans une récente opinion sur ce projet de loi, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) a relevé qu'en pratique, la décision d'interdire à quelqu'un de quitter la France serait basée sur des « notes » rédigées par les agences de renseignement, qui seraient confidentielles et que la personne en question ne serait pas en mesure de contester. La commission a déploré « qu’une atteinte aussi grave à la liberté d’aller et de venir puisse reposer sur des appréciations exclusivement subjectives ».
L'article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), dont la France est un État partie, stipule que chaque personne a le droit de quitter un pays quelconque, y compris le sien. Toute restriction à ce droit doit être autorisée par la loi; nécessaire à la sécurité nationale, à l'ordre public, à la santé ou à la moralité publiques, ou au respect des droits et des libertés d'autrui; et proportionnée à l'accomplissement de ce but. En habilitant le gouvernement à interdire à des personnes de quitter la France pour des motifs définis de manière aussi générale et vague, le projet de loi ne remplit pas les critères de proportionnalité exigés par l'article 12 du PIDCP.
Aux termes du projet de loi, une personne pourrait contester une décision de restreindre son droit à la liberté d'aller et de venir auprès du ministre de l'Intérieur ou d'un de ses représentants. Quiconque fait l'objet d'une telle restriction devrait avoir la possibilité de contester les éléments sur lesquels elle est fondée, d'être représenté par un avocat de son choix et de faire appel devant la justice, a déclaré Human Rights Watch.
Le projet de loi permettrait également de considérer comme un crime « le fait de rechercher, de se procurer ou de fabriquer », dans le cadre d'une « entreprise terroriste individuelle », des objets ou des substances en vue de préparer la commission d'un acte de terrorisme. La Commission des droits de l'homme a relevé que la loi criminaliserait ainsi « la préparation de la préparation » de l'acte. Ce manque de clarté pourrait conduire à des situations où une personne ferait l'objet d'une inculpation pénale en raison d'un comportement dont elle ne pouvait pas savoir qu'il était illégal. Une telle provision constituerait une violation du principe de légalité et de la présomption d'innocence inscrits dans le droit français et international.
Des recherches effectuées par Human Rights Watch ont permis de constater que l'existence dans le droit français en tant qu'infraction pénale de « l'association criminelle en relation avec une entreprise terroriste », basée sur une définition très générale et qui permet aux autorités d'intervenir longtemps avant qu'un crime n'ait été commis, a d'ores et déjà conduit à ce que des personnes soient inculpées et déclarées coupables sur la base d'éléments à charge faibles et indirects. Il existe un risque réel que le crime d'« entreprise terroriste individuelle » figurant dans le projet de loi conduise à des abus similaires.
Selon l'article 4 du projet de loi, les crimes déjà existants d'« incitation » publique au terrorisme ou de « glorification du terrorisme » seraient retirés de la loi française sur la presse de 1881 et introduits dans le code pénal. Ces termes sont trop généraux et peuvent conduire à des violations du droit à la liberté d'expression, ciblant des déclarations ou des écrits n'ayant aucun lien de cause à effet avec un acte terroriste, a déclaré Human Rights Watch.
Le projet de loi aurait pour effet de rendre la procédure antiterroriste française, que la Commission des droits de l'homme a décrite comme « particulièrement attentatoire aux droits et libertés fondamentaux », applicable à ces infractions. Selon la loi actuelle, « l'incitation à » ou « la glorification du » terrorisme sont passibles d'un maximum de cinq ans de prison et d'une amende d'un maximum de 45 000 euros. Le projet de loi alourdirait la peine jusqu'à un maximum de sept ans et 100 000 euros d'amende si « l'incitation » ou « la glorification » est commise en ligne.
L'article 9 de la nouvelle loi antiterroriste habiliterait le gouvernement à bloquer les sites internet « incitant » au terrorisme ou « glorifiant » celui-ci, sans autorisation préalable de la part d'un magistrat indépendant. Si la liberté d'expression peut faire l'objet de restrictions pour des motifs de sécurité nationale, l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'Homme et l'article 19 du PIDCP stipulent que ces restrictions doivent non seulement être nécessaires pour atteindre ce but mais elles doivent aussi être proportionnées à sa réalisation. Il existe un risque réel que cette disposition ait un effet dissuasif sur l'expression libre, tout en étant inefficace pour contrer le recrutement de terroristes, a affirmé Human Rights Watch.
Le projet de loi français pourrait aussi être utilisé par des gouvernements abusifs dans d'autres pays, pour justifier la censure des sites internet qui critiquent les responsables gouvernementaux ou expriment des points de vue dissidents, et où les détracteurs du gouvernement sont facilement étiquetés comme « terroristes ».
Le Conseil national du numérique, une commission consultative indépendante qui conseille le gouvernement français sur les questions relatives aux technologies numériques, a exprimé des préoccupations sur les implications pratiques de l'article 9, notant qu'un serveur hébergeant un site illégal pourrait également héberger des sites légaux qui seraient affectés par l'interdiction du site illégal, soulevant de graves questions concernant la proportionnalité de telles mesures de blocage. Le conseil a également noté la possibilité que le blocage d'un site internet puisse être contourné, ce qui soulève des questions sur l'efficacité et la nécessité de telles mesures pour lutter contre le recrutement de terroristes. Ces préoccupations sont accentuées par l'absence de supervision de la part d'un magistrat indépendant, a souligné Human Rights Watch.
« Il incombe au gouvernement français de protéger la sécurité de ses citoyens mais il a également le devoir de protéger les droits humains », a conclu Izza Leghtas. « Le gouvernement devrait donc donner au parlement le temps nécessaire pour s'assurer que les garanties adéquates soient mises en place, plutôt que de pousser à l'adoption de cette nouvelle législation par une procédure d'urgence qui ne législation par une procédure d'urgence qui ne laisse pas assez de temps pour un véritable débat. »