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La semaine dernière à Brazzaville, capitale de la République du Congo, un drôle de message semble avoir été adressé aux individus accusés d'avoir commis des atrocités : « Au lieu de faire face à une enquête criminelle, vous pouvez bénéficier d'un traitement réservé aux hôtes de marque. » C'est en tout cas ce qui s'est passé pour Abdoulaye Miskine, de son vrai nom Martin Koumtamadji, un chef mercenaire accusé d'implication dans de nombreux crimes commis depuis une décennie.

Les allégations visant Miskine concernent certains des crimes les plus atroces parmi toutes les horreurs qui se sont déroulées en République centrafricaine, lors de la dernière décennie. En 2003, selon une enquête approfondie effectuée par la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH), une organisation respectée de défense des droits humains, les mercenaires qu'il commandait, à majorité tchadiens, ont commis des meurtres, des viols et des pillages à grande échelle dans la capitale centrafricaine, Bangui. Ils ont agi de concert avec les troupes d'un chef de guerre de la République démocratique du Congo, Jean-Pierre Bemba, dans un effort futile pour soutenir le régime du président centrafricain Ange-Félix Patassé, qui a fini par être renversé par le chef d'état-major de l'armée, Francois Bozizé. Les atrocités commises lors des affrontements de 2003 à Bangui ont été tellement graves que le procureur de la Cour pénale internationale a lancé une enquête qui a abouti à l'arrestation de Bemba, lequel a été inculpé de trois chefs d'accusation de crimes de guerre (meurtre, viol et pillage) et de deux chefs de crimes contre l'humanité (meurtre et viol).

Les forces commandées par Miskine ont continué à être accusées de commettre des atrocités au cours des dernières années. Depuis 2006, Miskine a commandé un groupe rebelle, le Front démocratique du peuple centrafricain (FDPC). Ses forces ont combattu aux côtés des rebelles de la Séléka qui ont renversé le président Bozizé en 2013, déclenchant d'horribles effusions de sang et semant la terreur dans la capitale et dans d'autres régions du pays. Le FDPC a quitté la coalition Séléka en avril 2013 en raison de « divergences d'opinion », mais a continué de ravager les villages situés près de la frontière entre la Centrafrique et le Cameroun en y effectuant des raids. Miskine figure sur une liste de cinq individus frappés de sanctions par les États-Unis en 2013, sous l'accusation de menacer la paix, la sécurité et la stabilité de la République centrafricaine.

En septembre 2013, les autorités camerounaises ont arrêté Miskine, qu'elles soupçonnaient de préparer des raids armés en territoire camerounais avec ses rebelles du FDPC, qui étaient actifs des deux côtés de la frontière. Malgré leurs « divergences d’opinion » avec Miskine, les rebelles de la Séléka ont protesté contre son arrestation, le considérant toujours comme un frère d'armes. Les autorités camerounaises n'ont engagé aucune enquête criminelle à son encontre.

À l’occasion du premier anniversaire de son arrestation, les rebelles commandés par Miskine ont brutalement répliqué à la poursuite de la détention de leur chef en attaquant des villages en Centrafrique et au Cameroun, et en prenant des dizaines d'otages. La semaine dernière, ils détenaient au moins 26 otages, dont un prêtre polonais, Mateusz Dziedzic, enlevé le 12 octobre dans sa mission catholique en République centrafricaine.

Le 26 novembre, les rebelles ont accepté de remettre en liberté le prêtre polonais et 15 otages de nationalité camerounaise (les dix autres otages, originaires de Centrafrique, ont été remis au Comité international de la Croix-Rouge le 29 novembre). Le lendemain, les autorités camerounaises ont libéré Miskine. Elles ont affirmé que les otages avaient été libérés lors d'une « opération militaire » et non grâce à un accord d'échange de prisonniers, mais cette version des faits est peu crédible.

Quelles qu'aient été les complexités de l'accord de libération des otages, c'est ce qui a suivi qui est inacceptable, compte tenu des nombreuses accusations graves qui continuent de peser contre Miskine.

À sa sortie de prison, Miskine a été escorté jusqu'à l'avion privé du président de la République du Congo, Denis Sassou-Nguesso, principal médiateur de la crise en République centrafricaine, et emmené à Brazzaville en compagnie d'un membre de haut rang du cabinet présidentiel congolais et, comble de l’ironie, du prêtre polonais qui avait été retenu en otage. À leur arrivée, Miskine a été accueilli par le ministre congolais de l'Intérieur, Zéphirin Mboulou, et dans la soirée, il s'est retrouvé, au palais présidentiel, confortablement assis en face du président Sassou-Nguesso.

Traiter comme un hôte de marque un commandant accusé de graves crimes dans un pays qui a connu d'horribles violences commises en toute impunité c’est envoyer un mauvais message, d’autant plus que les crimes en question datent d'une décennie et que ses combattants ont terrorisé des civils et pris des otages. Cela revient à dire que l'impunité se poursuivra. et que les chefs de guerre les plus brutaux continueront à dominer le pays.

Les partisans de la justice en République centrafricaine devraient faire tout leur possible pour dénoncer le statut de haut personnage protégé dont jouit apparemment Miskine, et le traduire en justice. En tant que principal pays médiateur dans cette crise, la République du Congo devrait soutenir ces efforts et tâcher de minimiser le rôle joué par de chefs de guerre brutaux dans le processus de paix, au lieu de les traiter comme des hôtes de marque. La place de Miskine est dans le box des accusés pour répondre de ses crimes, pas au palais présidentiel de Brazzaville pour être félicité.

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